Cécilia/10/8

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Cécilia, ou Mémoires d’une héritière
Devaux et Patris (7p. 165-183).



CHAPITRE VIII.

Tribut.


Pendant ce temps, Cécile à qui l’on faisait les remèdes prescrits par les médecins, s’opposait quelquefois de toutes ses forces à l’exécution de leurs ordonnances ; quelquefois aussi elle ne s’en appercevait pas. Le jour suivant se passa à peu près de même que celui qui l’avait précédé, et le lendemain n’apporta point encore de changement sensible à son état. Elle avait alors plus de gardes et de gens pour la servir qu’elle n’en avait réellement besoin, toute la consolation de Delvile étant de lui procurer continuellement de nouveaux secours. L’entrevue qu’il avait eue avec elle lui avait déchiré l’âme ; et n’ayant plus le courage d’entrer dans sa chambre, il passait presque tout son temps sur l’escalier qui y conduisait. Toutes les fois qu’elle était tranquille, il s’asseyait à sa porte ; s’il pouvait l’entendre respirer ou se mouvoir, une lueur d’espérance lui procurait une satisfaction momentanée, qui lui faisait oublier toutes ses peines : mais dès qu’elle parlait, dès que cette voix chérie commençait à articuler sans suite les expressions de son délire, il descendait promptement ; et fuyant la maison, il parcourait les rues voisines jusqu’à ce qu’il eût repris assez de courage pour s’informer de ce qui se passait ou écouter encore lui-même à la porte.

Le lendemain matin, le docteur Lyster arriva, et fit renaître ses espérances ; il courut à sa rencontre, l’embrassa tendrement, lui communiqua son mariage avec Cécile, le supplia d’employer ses talents et toutes les ressources de son art pour la sauver, et prévenir le désespoir où sa mort ne manquerait pas de le jeter lui-même. Mon bon ami, s’écria ce digne médecin, pensez à ce que vous exigez de moi. Cette pauvre jeune dame n’a peut-être pas plus besoin de secours que vous-même ; pensez-vous que des hommes aussi éclairés que ceux qui se trouvent actuellement auprès d’elle, qui par une pratique assidue dans une ville telle que Londres, ont joint l’expérience au savoir, ayent besoin qu’un petit médecin vienne leur enseigner ce qu’ils doivent faire ? J’ai plus de confiance en vous, s’écria Delvile, que dans tout le reste de la faculté ; venez donc, et ordonnez ce que vous jugerez convenable… Prenez quelque nouvelle voie… — Cela est impossible, mon cher Monsieur. Si la douleur vous fait délirer, il ne faut pas que la vanité m’aveugle. Je n’ai pu, après la manière pressante dont vous m’avez écrit, me refuser à vos instances ; je vais à présent voir la jeune dame, en qualité d’ami. Je suis désolé, et je partage vos peines, M. Mortimer ; c’est une charmante femme, dont l’esprit est fort au-dessus de son âge, et qui n’a point les faiblesses de son sexe.

Ah ! cessez, s’écria l’impatient Delvile ; je ne saurais vous entendre : allez la trouver, mon cher docteur ; et si vous avez besoin de consulter, envoyez, si vous voulez, chercher tous les médecins de la ville. Le docteur demanda seulement que ceux qui l’avaient déjà vue fussent appelés ; après quoi il se rendit auprès de Cécile. Delvile n’osa l’accompagner : il connaissait si bien sa franchise et sa sincérité, que, quoiqu’il attendît son retour avec impatience, il ne le soupçonna pas plutôt au haut de l’escalier, que craignant d’entendre ce qu’il dirait, il prit précipitamment son chapeau, et sortit de la maison. Il parcourut les rues jusqu’à ce qu’enfin la terreur des mauvaises nouvelles lui devint moins pénible que l’incertitude. Il retourna pour lors, et trouva le docteur Lyster dans une petite salle sur le derrière, que madame Wyers, persuadée qu’elle serait bien récompensée de ses attentions, avait arrangée à l’usage de Delvile ; et mettant la main sur l’épaule du docteur : Eh bien, mon cher ami, lui dit-il la larme à l’œil, vous rêvez ? J’espère… — Je voudrais pouvoir vous donner des espérances, interrompit le docteur ; cependant, pour peu que vous soyez raisonnable, je peux vous suggérer un motif de consolation ; la crise paraît approcher ; elle guérira, ou avant demain matin… N’achevez pas, Monsieur ! s’écria Delvile avec autant d’effroi que de fureur ; je ne veux point qu’elle perde la vie ; je ne vous ai pas fait venir pour me donner de si cruelles nouvelles. Il s’empressa encore de quitter la maison, laissant le docteur sincèrement affecté de son chagrin, mais trop compatissant et trop raisonnable pour être offensé de l’injustice de son procédé.

Au bout de quelques minutes cependant, par une suite de son désespoir plutôt que de sa philosophie, Delvile plus tranquille revint faire au docteur des excuses de sa conduite, que celui-ci lui pardonna de bon cœur ; il consentit même à rester à Londres, jusqu’à ce que le sort de la malade fût entièrement décidé.

Vers midi, du plus affreux délire et de l’agitation la plus vive, Cécile passa tout-à-coup à la plus grande insensibilité, au point qu’à peine paraissait-elle exister : si l’on n’avait pas reconnu qu’elle respirait encore, on aurait pu croire qu’elle était déjà morte. Lorsque Delvile en fut averti, il ne put plus rester sur l’escalier qui était son poste ordinaire ; il passait tout son temps à courir les rues, d’où il revenait par intervalles trouver le docteur pour lui demander si tout était fini.

Ce médecin doux et humain, aussi touché de la situation de Delvile qu’alarmé du péril de Cécile, crut que la crise actuelle lui offrait au moins l’occasion de le réconcilier avec son père. Pour cet effet, il se rendit à la place de Saint-James, et sans rien déguiser, il lui apprit le triste état où Cécile se trouvait, et le désespoir de son fils. M. Delvile, quoiqu’il eût donné tout au monde pour rompre un mariage qu’il regardait comme humiliant pour sa famille, et n’eût pas été fâché qu’on lui annonçât la mort de Cécile, fut cependant extrêmement déconcerté en apprenant un événement auquel il était convaincu qu’il avait contribué, en refusant à Cécile l’asyle qu’elle avait imploré : combattu entre son affection pour son fils et son ressentiment, il pria le docteur de lui donner ses avis sur la manière dont il devait s’y prendre pour l’arracher à ce terrible spectacle.

Le docteur qui savait bien qu’il serait impossible, dans l’excès de son désespoir, de faire entendre raison à Delvile, proposa de retourner ensemble, et de le surprendre au moment où il s’y attendait le moins. Quoique M. Delvile redoutât de s’exposer au désespoir de son fils et qu’il commençât à s’attendrir, il se prêta, mais à regret, à une démarche qui lui paraissait au-dessous de lui ; et lorsqu’il fut arrivé devant la boutique, on eut beaucoup de peine à le décider à y entrer. Mortimer était alors sorti ; et le docteur, pour achever de vaincre la fierté du père, trouva moyen, sous prétexte d’attendre le fils, de le conduire dans la chambre de la malade. M. Delvile, qui ne savait point encore où il allait, n’eut pas plutôt apperçu un lit et les gens qui la soignaient, qu’il voulut se retirer ; mais ayant jeté par hasard les yeux sur Cécile, il fut frappé de son visage pâle et à peine reconnaissable, et s’arrêta involontairement. Regardez cette pauvre jeune personne, s’écria le docteur, et soyez encore étonné, si vous le pouvez, qu’une pareille vue fasse oublier tout autre objet à M. Mortimer. Elle était parfaitement tranquille, quoique totalement privée de l’usage de ses sens ; elle paraissait ne rien distinguer ; elle ne parlait, ni ne remuait. M. Delvile la fixa avec le plus grand effroi : l’asyle qu’il lui avait refusé d’une manière si barbare la nuit où elle perdit l’usage de la raison, revint à sa mémoire ; il aurait désiré dans ce moment le lui avoir offert lui-même, pour se délivrer des remords que lui causait l’idée d’être la cause de cette scène funeste et terrible. Sa fierté, son ostentation, son ancienne noblesse, son nom même n’étaient plus pour lui d’un si grand prix : il les aurait tous sacrifiés de bon cœur, pour obtenir le titre de protecteur de cette infortunée, dont il se reprochait d’être le bourreau. Et cependant, dès qu’il commença un peu à revenir de la surprise pénible que lui avait causée ce spectacle terrible, il fut piqué de ce que, sans l’en avertir, le docteur l’eût rendu le témoin de cette scène affreuse ; et le regardant d’un air courroucé, il se hâta de sortir de la chambre.

Delvile qui attendait impatiemment dans la petite salle le retour du docteur, alarmé en entendant sur l’escalier les pas d’un étranger, allait demander qui ce pouvait être ; lorsqu’il vit son père, il recula d’effroi. M. Delvile oubliant sa fierté, et ayant toujours devant Les yeux l’objet qu’il venait de quitter, le prit dans ses bras, en disant : Oh ! venez avec moi, mon fils, et abandonnez cette triste demeure, où tout semble concourir à augmenter votre désespoir. Ah, Monsieur, s’écria Delvile, ne pensez point à moi dans ce moment ! épargnez-moi vos bontés ; je suis hors d’état d’y répondre ! Et s’échappant de ses mains, il se hâta de quitter la maison. M. Delvile qui avait repris tous les sentiments paternels, vit sa fuite avec plus de frayeur que de colère, et retourna à la place de Saint-James ; tourmenté par les craintes d’un père tendre, et par les remords que lui causait l’image de Cécile pâle et mourante.

Elle était toujours dans le même état d’insensibilité, et en apparence aussi exempte de souffrances que de sensations agréables, lorsqu’on entendit tout-à-coup au-dehors une nouvelle voix qui s’écria : Où est-elle ? où est ma chère miss Beverley ? Henriette Belfield entra tout-à-coup dans la chambre. L’avertissement inséré dans les gazettes l’avait décidée à se rendre à Londres, et elle y avait trouvé l’adresse de M. Wyers. La circonstance que la personne égarée avait continuellement à la bouche le nom de Delvile, lui avait d’abord fait soupçonner que ce pourrait bien être Cécile ; son signalement servit à confirmer ses doutes, et la description de son ajustement répondait parfaitement à celui qu’elle lui avait vu. M. Arnott, aussi consterné qu’elle, lui avait prêté son équipage, pour qu’elle pût vérifier ses conjectures, et elle était venue dans la nuit. Que vois-je ! s’écria-t-elle, courant à la ruelle du lit ; ce ne saurait être là miss Beverley ! Juste ciel ! oui, c’est bien elle ; personne ne pourrait le croire… sa propre mère la méconnaîtrait.

Il faut vous retirer, Mademoiselle, dit Marie, il le faut absolument… Les médecins ont défendu de troubler son repos. Qui oserait m’arracher d’auprès-d’elle ? s’écria-t-elle ; personne, Marie. Ô aimable miss Beterley ! je veux me coucher à vos côtés… je ne vous quitterai plus tant que vous vivrez… je voudrais, oui, je désirerais pouvoir racheter votre précieuse vie aux dépens de la mienne. Alors se penchant pour la contempler mieux : est-ce là, s’écria-t-elle, cette miss Beverley, si heureuse autrefois, au bonheur de laquelle j’avais cru que tout devait concourir ? cette miss Beverley, qui paraissait être la reine du monde entier, et qui, malgré cela, était si bonne, si douce, si honnête avec les gens même du dernier rang, si sévère pour elle-même, et si indulgente pour les autres ? Au milieu de cet éloge simple et pathétique, du mérite et des perfections de Cécile, le docteur Lyster entra dans la chambre ; toutes les femmes, à l’exception de Marie, s’empressèrent de l’assurer qu’elles n’avaient point attiré cette étrangère. Marie se contenta de lui dire qui elle était, et que si sa maîtresse pouvait s’appercevoir que ce fût elle, il n’y aurait personne au monde dont la présence lui fît plus de plaisir. Jeune demoiselle, lui dit le docteur, je vous conseille de passer dans une autre chambre jusqu’à ce que vous soyez un peu plus calme. Je vois que tout le monde cherche à m’éloigner, s’écria la triste Henriette en sanglottant ; mais on le tenterait vainement, car je ne m’en irai sûrement pas. Vous avez tort, repartit le docteur, vous ne pourrez rester ici : croyez-vous témoigner beaucoup d’amitié, en vous comportant de cette manière avec une personne dangereusement malade ? Ô ma chère miss Beverley ! s’écria Henriette, entendez-vous tous les reproches qu’ils me font ? voyez-vous comme ils veulent me chasser d’auprès de vous ? Ils s’opposent même à ce que je vous regarde. Parlez pour moi, chère miss, parlez vous-même en ma faveur ; dites-leur que la pauvre Henriette est bien éloignée de penser à vous faire le moindre mal ; dites-leur qu’elle ne demande qu’à rester auprès de vous, qu’à vous voir… Je veux tenir cette précieuse main, je veux que ma bouche y soit collée jusqu’à la dernière minute.

Quoique le caractère sensible et compâtissant du docteur fût très-affecté de la douleur et de la tendresse de cette jeune personne, il lui représenta cependant avec un peu d’impatience, qu’il n’était pas convenable, dans ce moment, de s’y livrer comme elle le faisait ; mais plus Henriette était convaincue du danger de Cécile, et moins elle voulait s’éloigner. Oh ! jetez les yeux sur elle, s’écria-t-elle, et voyez s’il vous sera possible de m’obliger à la quitter ; voyez comme ses beaux yeux sont immobiles ; voyez seulement l’altération de ses traits !… Elle ne m’apperçoit pas, elle ne m’entend pas… Sa main est déjà froide, son visage est tout à-fait changé… Pauvre malheureuse Henriette, il ne te reste plus aucun ami dans le monde ! tu peux aller habiter où tu voudras ; personne ne viendra vers toi, et ne cherchera à te consoler.

C’en est trop, dit le docteur, il faut absolument l’emmener de force. Cela ne sera pas ! s’écria-t-elle désespérée ; je resterai avec elle jusqu’à ce qu’elle ait rendu le dernier soupir, j’y resterai même encore après ; s’il lui était possible de parler, elle vous dirait qu’elle y consent. Elle aimait la pauvre Henriette, et voulait toujours l’avoir auprès d’elle ; lorsqu’elle était malade et affligée, elle ne lui ordonnait jamais de sortir de la chambre. Cela n’est-il pas vrai, ma chère miss Beverley ? Ne savez-vous pas que ce que j’avance est la pure vérité ? Le docteur se fâcha alors très-sérieusement ; et lui disant qu’une pareille violence pourrait avoir de funestes conséquences, il l’épouvanta, lui fit entendre raison, et l’emmena lui-même. Il eut alors la complaisance d’aller avec elle dans une autre chambre, où, lorsque sa première vivacité fut un peu calmée, ses remontrances, en lui prouvant les mauvaises suites que son obstination aurait pu produire, l’engagèrent à promettre de ne retourner auprès de Cécile que lorsqu’elle aurait assez de force pour se conduire avec plus de modération. Le docteur, en rejoignant Delvile, le trouva fort alarmé de ce qu’il avait tardé si long-temps ; il lui communiqua, en peu de mots, ce qui venait de se passer, et lui conseilla d’éviter d’augmenter sa douleur par la vue des souffrances de cette imprudente jeune fille.

Henriette un peu calmée par les exhortations du docteur, se contenta d’aller s’asseoir sur le bord du lit, sans oser ouvrir la bouche, sans faire autre chose que de regarder son amie malade, et essuyer ses yeux baignés de larmes ; elle sortait de temps en temps de la chambre, pour sanglotter et pleurer sans contrainte.

Le soir, tandis que le docteur et Delvile étaient sortis pour respirer un peu l’air, il se passa une nouvelle scène dans l’appartement de Cécile, qui continuait encore à être sans connaissance. Albani y entra tout-à-coup, suivi de trois petits enfants, deux filles et un garçon, qui pouvaient avoir cinq à six ans, assez bien mis, l’air propre et de bonne santé. Voyez, s’écria-t-il, voyez ce que je vous amène ! levez, levez votre tête appesantie, et regardez de ce côté. Vous me croyez sévère, ennemi du plaisir, austère, dur : contemplez ce spectacle, et vous vous convaincrez du contraire. Qui pourrait vous procurer des consolations, des plaisirs comparables à ceux que je vous présente, trois pauvres innocents, vêtus et nourris par votre libéralité ? Henriette et Marie, qui connaissaient toutes deux Albani, ne furent que peu surprises de tout ce qu’il faisait et disait. Cécile ne voyait certainement rien de ce qui se passait ; et Albani surpris, s’approchant un peu plus du lit : ne veux-tu pas parler ? lui cria-t-il. Elle ne saurait, Monsieur, lui dit une des femmes ; il y a plusieurs heures qu’elle a entièrement perdu la parole.

Qui pourrait vous procurer de pareilles consolations, trois pauvres innocens vêtus et nourris par votre libéralité ? Pag 180. Volume 7
Qui pourrait vous procurer de pareilles consolations, trois pauvres innocens vêtus et nourris par votre libéralité ? Pag 180. Volume 7
Qui pourrait vous procurer de pareilles consolations, trois pauvres innocents vêtus et nourris par votre libéralité ?


L’air satisfait avec lequel il était entré, fit alors place au découragement et à la consternation. Il la contempla pendant quelques minutes en silence, et poussant ensuite un profond soupir, il s’écria : que ce jour est funeste pour les indigents ! combien ils vont pleurer cette perte !

Hélas ! ajouta-t-il, enfants destitués de toute ressource, vous ne connaissez pas encore tout ce que vous perdez : il les emmenait après cela ; mais revenant subitement sur ses pas : peut être, dit-il, ne la reverrai-je plus ? n’est-il donc pas juste que je prie pour elle ? Que le changement qu’elle éprouve dans ce moment est grand et terrible ! que les révolutions humaines sont des choses frivoles en comparaison !… Venez, pauvres petits enfants, venez. Elle vous a souvent comblés de ses dons, comblez-la à votre tour de bénédictions. Allons, prosternons-nous autour de son lit ; prions tous ensemble pour elle ; levez vos innocentes mains, et je parlerai au nom de tous. Il les fit mettre à genoux, et s’y étant mis lui-même avec Henriette et Marie qui l’imitèrent : charmante fleur, s’écria-t-il, cueillie avant le temps, et que les chagrins ont fannée, mais qui a conservé tout son parfum, que ta fin ne soit point douloureuse, car ta vie n’a jamais été souillée par le crime. Puissent tes peines être légères, toi dont les péchés ont été si peu nombreux ! Regardez-la, mes enfants, et ne l’oubliez jamais ; je vous visiterai souvent, et vous rappèlerai ce triste spectacle. Regardez la aussi, vous autres, qui êtes moins éloignés de votre fin… Ah, la supporterez-vous aussi bien qu’elle !

Il s’arrêta ; la garde et madame Wyers, frappées de cette exhortation et entraînées par l’exemple, s’approchèrent à leur tour, et se mirent presque involontairement à genoux. Elle nous quitte, reprit Albani, elle dont l’ame a encore toute sa pureté, et dont le remords n’a point troublé la paix ; elle dont la charité était sans bornes. La pitié résidait dans son cœur ; sa bouche ne s’ouvrait que pour administrer des consolations ; ses pas étaient accompagnés de bénédictions. Ô toi, dont la pureté a été exempte de tache ! que ta victoire soit célébrée par des chants de triomphe !… Tu t’endormiras tranquillement avec tes pères… et tu te réveilleras glorieuse pour jouir d’une nouvelle vie, qui n’aura plus de fin. Après cela il se leva, prit les enfants par la main, et sortit avec eux.