Cécilia/2/8

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Cécilia, ou Mémoires d’une héritière
(2p. 54-58).



CHAPITRE VIII.

Un Tête-à-Tête.


Les deux jours suivants s’écoulèrent sans qu’il lui arrivât rien d’extraordinaire, à l’exception d’un peu de mécontentement que lui occasionna la conduite du chevalier, qui conservait son air avantageux, et paraissait plus assuré que jamais de l’heureuse réussite de ses soins. Elle ne pouvait attribuer cette présomption qu’aux encouragements officieux de M. Harrel ; en conséquence, elle prit le parti de chercher plutôt que d’éviter une explication avec lui. Elle eut, dans ces entrefaites, la satisfaction d’apprendre de M. Arnott, toujours empressé à l’obliger, que la santé de M. Belfield était parfaitement rétablie.

Le jeudi, pour s’acquitter de sa promesse, Cécile retourna chez son tuteur. On la fit entrer, en attendant le dîner, dans le salon, où elle ne trouva que le jeune Delvile qui, après l’avoir saluée, lui demanda si elle avait eu depuis peu des nouvelles de M. Belfield. Pas plus loin que ce matin, répondit-elle, on m’a appris qu’il était parfaitement rétabli. Seriez-vous retourné chez lui, monsieur ? — Oui, mademoiselle, deux fois. — Et vous a-t-il paru bien ? — J’ai cru, répliqua-t-il en hésitant un instant, et je crois encore que l’intérêt que vous prenez à sa santé serait seul capable d’opérer sa guérison. Oh ! s’écria Cécile, je me flatte que les remèdes dont il fait usage ont bien plus de vertu ; mais j’appréhende qu’on ne m’ait mal informée ; car il me paraît que vous ne le jugez pas guéri. Vous ne devez pas, repliqua-t-il, blâmer ceux qui vous ont fait ce rapport : ils n’ont eu d’autre but, par cette feinte, que votre satisfaction et votre tranquillité ; et je me garderais bien à mon tour, de contrarier leurs vues, si je ne redoutais que la convalescence de M. Belfield ne fût retardée par l’erreur dans laquelle je m’obstinerais à vous laisser. — Quelle erreur, monsieur ? je ne saurais vous comprendre. Comment sa convalescence pourrait-elle être retardée ? Ah ! madame, reprit-il en souriant, quel est le risque auquel on ne s’exposerait pas de bon cœur, si l’on était sûr de faire naître une pareille inquiétude ?

J’ignore, monsieur, repliqua Cécile extrêmement surprise, ce qui peut vous faire supposer que j’aye un pareil crédit ; et j’ai peine même à imaginer qu’on ait cherché à me tromper.

Cécile s’apperçut alors, à son grand étonnement, qu’elle se trouvait, par rapport à M. Belfield, dans la même position où elle avait été trois jours auparavant à l’égard du chevalier. Elle allait commencer un éclaircissement, lorsque Madame Delvile qui survint, mit fin à leur conversation. Cette dame l’accueillit avec la politesse la plus flatteuse, lui demanda excuse d’avoir tardé si long-temps à lui rendre sa visite, et l’assura que, si elle n’avait pas été indisposée, elle n’y aurait sûrement pas manqué.

On vint, peu après, les avertir qu’on avait servi, et Cécile ne fut pas fâchée d’apprendre que M. Delvile ne dînait pas au logis. Elle passa la journée fort agréablement ; les visites ne les importunèrent point, et il ne fut pas question entr’elles de discussions pénibles. On ne dit pas un seul mot du duel ni des deux antagonistes ; elle ne fut point tourmentée par des éloges affectés, ni fatiguée par une affabilité humiliante.

Cette longue visite confirma Cécile dans la bonne opinion qu’elle avait conçue de la mère et du fils. Elle trouvait chez l’un et l’autre le mérite et les talents réunis à l’agrément que donne l’usage du monde. Enchantée de leur caractère, elle regrettait que les préjugés de M. Monckton, et l’engagement qu’elle avait pris de le consulter, l’empêchassent d’essayer sur-le-champ si son désir d’habiter dans cette maison pourrait s’exécuter.

Il était onze heures lorsque ces dames se séparèrent. Madame Delvile, en remerciant sa jeune amie de la journée agréable qu’elle lui avait fait passer, l’assura qu’elle lui rendrait bientôt sa visite, et qu’elle espérait, par un commerce réciproque, acquérir assez de droits à sa confiance pour s’acquitter de la commission dont son tuteur l’avait chargée.



Fin du deuxième livre.