Cécilia/3/4

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Cécilia, ou Mémoires d’une héritière
(2p. 102-105).



CHAPITRE IV.

Bienfaisance.


La famille Harrel continua son genre de vie ordinaire ; le chevalier Floyer, sans chercher à se procurer un entretien particulier, persista dans ses attentions ; et M. Arnott, quoique toujours également modeste et silencieux, ne paraissait exister que par le plaisir qu’il avait de contempler Cécile. Elle passa deux jours entiers chez madame Delvile, lesquels servirent à la confirmer dans l’admiration que cette dame et son fils lui avaient inspirée. Elle accompagnait madame Harrel aux assemblées, ou restait paisiblement à la maison, suivant que son penchant l’y portait. M. Monckton, pendant ce temps, la voyait aussi souvent qu’il fallait pour s’instruire de ses démarches, et pas assez pour qu’elle ou le public pussent soupçonner qu’il eût quelques desseins.

Cécile s’occupait de l’établissement de la famille Hill, et elle trouvait dans les détails de cette bienfaisance, un dédommagement bien satisfaisant des peines que l’amitié et sa situation lui faisaient éprouver. Le pauvre charpentier venait de mourir ; elle répandit les consolations sur sa veuve, et l’assura qu’elle était prête à remplir ses engagements ; elle voulut savoir ce qu’elle était capable d’entreprendre. Sa santé et ses forces ne lui permettant pas de se livrer à des travaux pénibles, elle dit à sa généreuse protectrice qu’avec une somme de soixante livres, elle pourrait être associée à un petit commerce de mercerie que faisait une de ses cousines ; Cécile la lui promit. Les larmes de la reconnaissance empêchèrent pendant longtemps cette veuve de répondre aux différentes questions qu’elle lui fit sur ses enfants. Elle se chargea d’en placer deux dans une école d’éducation, et d’engager madame Roberts, cousine de madame Hill, à prendre chez elle l’aînée et les deux plus jeunes, en augmentant la somme convenue pour l’association de commerce, afin que la mère et la sœur pussent avoir soin des plus petites. Elle alla elle-même faire tous les arrangements. Elle destina cent guinées pour cette bonne œuvre, espérant avec cette somme de mettre madame Hill et ses enfants à même de gagner décemment leur vie, et ensuite de leur donner de temps en temps de petites gratifications, telles que leurs besoins ou leur changement de position l’exigeraient.

Il était absolument nécessaire que M. Harrel lui rendît l’argent qu’elle lui avait prêté ; car elle n’avait plus que cinquante livres, des six cents qu’elle avait reçues, et elle avait disposé d’avance de l’argent de sa pension : en sorte qu’il ne lui restait que ce dont elle ne pouvait absolument se passer.

La vue de l’indigence laborieuse a quelque chose en soi de si intéressant et de si respectable, qu’elle inspire le plus grand éloignement pour la dissipation, et fait détester la prodigalité. Chaque fois que la bienfaisante Cécile visitait la famille Hill, elle sentait augmenter son aversion pour la conduite de M. Harrel. Et bientôt, surmontant la crainte de lui causer un moment de honte, elle résolut de lui demander l’argent qui lui était dû. On croit bien que M. Harrel avait facilement oublié la promesse de rendre dans trois jours les deux cents livres que Cécile lui avait prêtées, aussi fut-il surpris qu’elle rappelât cette dette. Il trouva aisément des excuses pour en retarder le paiement, et il se servit de tous les moyens d’éviter les reproches qu’elle pouvait lui faire sur son inexactitude ; Cécile fut donc obligée d’engager madame Roberts à se contenter de la moitié de la somme convenue, et de son billet pour l’autre moitié, ce qui fut accepté avec les remerciements et les bénédictions de cette honnête famille.