Cœur d’Acier/Partie 1/Chapitre 15

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Le Constitutionnel (feuilleton paru du 12 juillet au 22 septembrep. 169-180).
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Prologue


XV

La mi-carême.


La Davot dîna comme un ange. Elle avait le cœur content et de l’argent dans sa poche. Son regard était constamment récréé par la vue de l’habillement neuf dont les diverses pièces s’étalaient sur des chaises. En outre, nous savons qu’elle n’avait pas déjeuné ; Roland le savait encore mieux que nous.

Tout en mangeant, elle s’entretenait avec elle-même, non point en dedans, mais à voix haute, comme font les personnes bavardes qui ont des professions solitaires. Elle disait, la bouche pleine :

— Ça ne pouvait pas toujours durer, n’est-ce pas ? Il y a un terme à tout. J’en aurais fait une maladie ! Veiller le jour, veiller la nuit, c’est bon un temps… Oui, fais semblant de dormir, toi, s’interrompit-elle en pointant le blessé avec son couteau de table. Je parierais un franc que tu es un pas grand’chose et qu’on va découvrir quelque part un pot aux roses à propos de toi. Sois tranquille, les juges te feront bien parler. C’est louche, ce coup de couteau, mon mignon. Moi, je n’aime pas les mauvais sujets… Tu m’entends, je le sais bien, mais je m’en bats l’œil, à présent !

Elle but un bon verre de vin sur son rôti.

Roland l’entendait en effet. Il lui aurait fait volontiers raison, car le grand appétit des convalescents le tenait ; mais son idée fixe n’allait pas vers la gourmandise. Ce qui l’occupait outre mesure c’était l’habillement neuf, étendu sur les chaises. Il regardait le corsage, la jupe, le châle, les bas, le bonnet, les souliers, surtout les souliers, d’un œil aussi tendre que la Davot elle-même.

La volonté de fuir grandissait en lui. Quelques heures seulement le séparaient désormais de la catastrophe redoutée. Demain, son secret allait éclater comme un retentissant scandale ; son nom, le pauvre nom de sa mère, allait grossir et s’enfler, mordu par cette gloire venimeuse, la plus rapide, la plus bruyante de toutes les gloires, qui surgit, champignon monstrueux et délétère, des couches de la justice criminelle.

Chez nous, il y a un terrible dévergondage autour de ces choses. C’est une dernière débauche, je suppose, et nous serons une population tout aimable quand on nous aura guéris de cette ineffable fringale qui nous attire vers les héros du poison ou du poignard. On ne nous permet pas ces pâtés de sang et de chair morte que la boxe pétrit à la si grande volupté de la joyeuse Angleterre ; on nous défend ces grillades de toreros qu’on dévore en hurlant de joie sous le beau ciel de l’Espagne ; mais on nous permet la cour d’assises et nous réunissons là toutes nos forces : nous avons le premier théâtre criminel de l’univers.

Roland voulait fuir ; le rôle de héros d’une cause célèbre lui faisait peur et horreur. Pour fuir, il eût délibérément risqué sa vie.

Les dernières paroles de la Davot avaient exprimé sa propre pensée. Il sentait que cette force d’inertie opposée par lui aux efforts de l’instruction devait céder ; il comprenait qu’une fois sorti de cet asile où la justice était une étrangère, il perdrait son courage ; il devinait, il s’exagérait peut-être l’obsession dont il allait être l’objet, et sans cesse le sourire de sa mère envenimait ses craintes.

En somme, il ne faut pas chercher la logique parfaite dans le travail mental d’un fiévreux. La logique parfaite aurait beaucoup rabattu sans doute sur cet espoir chèrement caressé que la fuite sauvait tout et qu’une fois libre, il retournerait chez sa mère comme si rien ne s’était passé. Le propre de l’idée fixe est de voiler le raisonnement. Les obstacles se montrent plus tard. Au premier moment, le prisonnier ne voit jamais qu’un mur à franchir, au-delà duquel brille un avenir sans nuages.

Voilà pourquoi le regard de Roland, glissant à travers ses paupières demi-closes, caressait la jupe, le corsage, le châle, le bonnet, les souliers de la Davot. C’était pour lui la fuite, la liberté, le réveil d’un cauchemar hideux, le repos dans la maison de sa mère.

La Davot mangeait, buvait et bavardait.

— On a tiré de cette histoire-là tout ce qu’on en pouvait tirer, grommelait-elle. Davot a une situation, l’ivrogne. Il la gardera le temps qu’il la gardera. Et on est bien bête de se marier ! Les enfants ! la grêle ! enfin, ce qui est fait est fait, pas vrai ? Je suis toujours bien sûre d’être appelée comme témoin et de voir l’audience.

À la traverse de sa préoccupation principale, une pensée essayait de naître et de s’élucider dans le cerveau de Roland : cette religieuse au pas chancelant, mais droite encore sous sa robe de bure, ce vieillard qu’on avait appelé Monsieur le duc, et qui était habillé comme un jeune homme, cette gracieuse enfant qu’il avait entrevue un instant à son chevet et qui laissait après elle le doux parfum du réséda dont les tiges flétries parsemaient encore sa couverture…

Sa tête était trop faible pour chercher ainsi le mot d’une énigme. Il repoussait avec fatigue le souvenir de cette vision qui était pour lui comme un rêve sans commencement ni fin.

Il écoutait à l’intérieur du couvent une rumeur inaccoutumée, et au dehors des bruits lointains qui montaient de la ville en goguette. On eût dit que la folie de la mi-carême était entrée pour un peu dans l’austère maison de Bon-Secours.

La Davot écoutait aussi cette rumeur, qui remplaçait le silence ordinaire du couvent. Elle en riait paisiblement et radotait :

— Elles sont toutes en l’air parce que la vieille sempiternelle a pris une heure ou deux de vacances. Il y avait des années et des années que ça n’était arrivé. C’est tout de même drôle, et il y en a long là-dessous. Je donnerais bien quelque chose pour savoir le fin mot de la charade. À la santé de Davot ! doit-il être gris à cette heure ! Les enfants n’ont que moi, c’est sûr. Vous donneriez des milliasses à Davot, qu’il les boirait. C’est un crâne homme !

Elle but son verre de vin avec sensualité, et Roland se sentit froid dans les veines, parce qu’elle dit :

— On va donc encore passer une bonne petite nuit sans fermer l’œil !

Mais elle dit cela en riant et se versa une abondante tasse de café.

— Iras-tu me dénoncer à la bonne femme, toi ? demanda-t-elle en se tournant brusquement vers le blessé. Il y a des gens que le café noir empêche de dormir. Moi, ça me connaît trop… Hé ! petit, veux-tu une goutte, ma poule ?

Sa bouteille était vide. Elle avait l’humeur folâtre, ce soir.

— Par moments, poursuivit-elle, on croirait qu’il est perclus comme un sabot. Comment donc que la vieille l’appelait ? Hé ! Monsieur Roland ! un gloria pour faire votre mi-carême ?

Ceci était pour le blessé une date et une explication de tous les bruits qui venaient du dehors. Roland fit rapidement le compte des jours. La sueur froide lui vint aux tempes. Sa mère attendait depuis plus de trois semaines !

— Tout de même, reprit la Davot en humant son café fortement saturé d’eau-de-vie, ça doit lui sembler bon à la vieille de courir le guilledou dans Paris… De quoi ! pour cent francs de hardes ! ne voilà-t-il pas un riche cadeau !… Si je savais seulement de quoi il retourne, je parie que j’aurais une rente viagère… Voilà neuf heures, pourtant ! à dodo, Madame Davot !… que vous dormiez ou non, vous vous en irez demain. Il n’y a plus rien à faire. À dodo !

Elle s’arrangea bien commodément à l’indicible satisfaction de Roland qui la regardait faire. Sa face rouge et ses yeux chargés de sommeil disaient avec quelle rigueur elle allait accomplir la première partie de son programme : passer une bonne petite nuit.

Une demi-heure après, en effet, elle ronflait comme une toupie d’Allemagne.

Roland attendit une autre demi-heure. C’était beaucoup pour son impatience. Littéralement, le sang bouillait dans ses artères.

Dix heures sonnèrent à la pendule du parloir. Les bruits de la ville allaient en augmentant ; au contraire, la rumeur s’étouffait à l’intérieur du couvent.

Le cœur de Roland battait si fort qu’il s’y prit à trois fois pour soulever sa couverture. Quand il se mit sur son séant, sa tête tourna. Il fut plusieurs minutes avant de trouver en lui-même le peu de force qu’il fallait pour descendre de son lit. Mais sa volonté réagissait déjà. Il colla ses deux mains glacées contre son front qui brûlait et se redressa de toute sa hauteur.

— Je ne tomberai qu’en dehors du seuil ! dit-il.

Je le répète : ils ne songent qu’au premier mur. Ce qui doit advenir ensuite leur importe peu.

Il alla pieds nus jusqu’aux chaises où les diverses pièces du costume neuf de la Davot étaient étendues. Il prit tout, depuis le bonnet jusqu’aux souliers et passa derrière le paravent, son refuge ordinaire. Il mit d’abord les bas et les souliers trop larges ; c’était ce qu’il connaissait le mieux et cela le rendit plus brave de se savoir les pieds défendus. Le reste n’alla pas si aisément ; ses mains étaient tremblantes et maladroites ; on n’y voyait pas clair et le miroir manquait. Pour passer un pantalon, un gilet et une redingote, Roland n’aurait eu besoin ni de lumière ni de psyché, mais la première fois qu’on se déguise en femme, un peu d’aide fait grand bien, et Roland pensa malgré lui à la voisine, cette obligeante Mme Marcelin qui était son valet de chambre ordinaire dans les grandes occasions.

Tout en mettant la chemise sens devant derrière, il se dit :

— C’est chez elle que je vais entrer d’abord. Il faut de la prudence : elle préparera maman qui doit être bien faible… Pauvre maman !… Si j’allais la trouver guérie !

Il noua le jupon autour de sa taille, puis la jupe, tant bien que mal. Le corsage ne l’embarrassa point : il l’agrafa par-devant comme une veste et bouchonna ses longs cheveux sous le bonnet. Restait le châle. Avant de mettre le châle il s’arrêta, tout oppressé qu’il était par la crainte et par l’espoir.

Il faut vous dire qu’il avait un plan très net et véritablement simple. Son plan consistait à passer devant la conciergerie et à demander le cordon. Certes, c’était une invention fort bonne et qu’aucun détail surabondant ne venait compliquer ; mais, au moment d’exécuter ce coquin de plan, Roland sentait la chair de poule qui soulevait sa peau.

Il y a des misères. La Davot ne sortait jamais, surtout à ces heures. Comment demandait-elle le cordon quand elle sortait ? De quelle façon saluait-elle la sœur tourière ? Et les êtres ? Un pas fait dans une mauvaise direction pouvait tout perdre.

Quant à la tournure, à la voix, à l’accent, Roland avait fait des études. La Davot venait des frontières de Belgique : un balayeur d’atelier comme l’était notre Roland, a la science infuse de toutes les singeries.

Ce souvenir de la frontière belge lui donna justement un idée ; il jeta le châle sur sa tête comme une énorme marmotte, et, ma fois, sans plus réfléchir, il se dirigea vers la porte du parloir qu’il ouvrit au petit bonheur.

Il fut étonné du calme que lui donna ce commencement d’exécution. Les vaillants n’hésitent jamais qu’en deçà du Rubicon. Dès que le pied a touché l’eau, le sang-froid vient. Roland referma la porte tout doucement et mit la clé dans sa poche.

Il se trouva dans un froid vestibule, éclairé par un quinquet collé à la muraille. Dans la direction où, selon lui, devait être la sortie extérieure, il entendit des murmures chuchotants et touffus, comme si tout un conciliabule de discrets bavardages était là quelque part entre lui et la liberté.

C’était assurément de quoi faire reculer le plus hardi des hommes ; mais Roland marcha droit au péril. À l’issue du vestibule s’ouvrait une petite cour où était la conciergerie, où un véritable rassemblement de sœurs converses prolongeait la veillée.

On causait là dru comme grêle et la prodigieuse absence de la mère Françoise d’Assise faisait l’objet de l’entretien. Depuis une heure ou deux que cet entretien durait, toutes les suppositions humainement imaginables avaient été mises sur le tapis. On en était à se demander si M. le duc n’était point par hasard l’assassin du malheureux jeune homme.

La tourière aperçut un corps étranger qui faisait ombre à l’entrée de sa loge, et reconnut le châle neuf de la Davot.

— En voilà une à qui on en a donné ! murmura-t-elle.

— Celle-là doit en savoir long ! fut-il répondu.

— Est-ce qu’il y a quelque chose, Madame Davot ? reprit la tourière à haute voix.

— Je veux jeter un coup de pied jusque chez nous, répliqua Roland sous sa marmotte en imitant avec une admirable précision l’accent nasal et traînant de la garde, rien qu’une minute, vous comprenez, pour montrer toutes ces affaires-là à mon homme un petit peu.

— Et le blessé reste seul ?

— Non point, par exemple ! Y pensez-vous ! sœur sainte Lucie est avec lui.

Sœur sainte Lucie était une des deux braves religieuses qui, de leur autorité, avaient installé Roland dans le parloir, la nuit du mardi-gras.

Roland resta tout pantelant après avoir fait ce mensonge, car il craignait que sœur sainte Lucie ne fût là dans quelque coin pour lui lancer un écrasant démenti.

La chance fut en sa faveur. Sœur sainte Lucie n’aimait point bavarder et reposait dans sa cellule.

— Une jolie manière de porter les châles, Madame Davot ! dit la tourière.

— C’est notre mode, de l’autre côté de Valenciennes, reprit Roland, et les fluxions me cherchent, savez-vous.

La tourière tira le cordon en grommelant :

— La mère n’est pas encore rentrée, Madame Davot. Vous avez peut-être bien une commission à faire pour elle ? Je ne vous demande rien, non !… Mais si vous n’étiez pas une protégée, je saurais ce que j’aurais à vous dire.

Elle se tourna vers le cénacle et ajouta :

— Quand on refuse quelque chose à celle-là, c’est toujours une histoire !

Roland était déjà dans la rue.

— Comme elle paraît grande, ce soir ! dit une sœur converse.

— Et maigre, dit une autre.

— Mais, à la fin des fins, pourquoi la mère Françoise d’Assise a-t-elle été en ville ? demandèrent à la fois une demi-douzaine de voix.

Et la discussion reprit plus attachante que jamais.

Roland était appuyé au mur extérieur du couvent et tenait sa poitrine à deux mains. Ce premier danger surmonté le laissait sans force. Il se sentait près de défaillir.

La rue Notre-Dame-des-Champs, heureusement, est une des plus désertes de ce quartier solitaire. Personne ne passait. Roland put se traîner à quatre pattes jusqu’à l’angle de la rue de Vaugirard. Là, il s’assit dans l’enfoncement d’une porte et reprit haleine. C’était l’émotion qui l’étouffait bien plus que la fatigue.

Pendant qu’il se reposait, l’équipage à quatre chevaux de M. le duc de Clare passa et entra au grand trot dans la rue Notre-Dame-des-Champs. Ce fut pour Roland le signal du départ ; la fraude allait être découverte et il fallait s’éloigner à tout prix.

Il se leva et marcha bien plus facilement qu’il ne l’eût espéré. Il descendit la rue de Vaugirard jusqu’à la rue Cassette qu’il prit, et, une fois là, il se reposa encore. Désormais, il se regardait comme sauvé.

Onze heures sonnaient quand il reprit sa course. Il avait bien rencontré, le long de la rue de Vaugirard, quelques symptômes de mi-carême. Dans la rue Cassette, austère boyau, tout était silence. Il suivait péniblement le trottoir désert lorsqu’un grand bruit sortit d’une porte cochère. C’était la porte du no 3 ; Roland la reconnut, et une sensation d’angoisse lui traversa le cœur : c’était pour venir là que, la dernière fois, il avait quitté sa mère.

Une joyeuse bande de masques s’élança au-dehors en tumulte : toute la Tour de Nesle, hommes et femmes, escortant triomphalement un gros Buridan aux trois quarts ivre, dont la vue arrêta Roland comme un choc.

Le souvenir de ce visage rude et fruste comme les saints de bois d’une église de village, reproduisit en lui le froid du couteau, pénétrant dans sa poitrine. Sa blessure eut un élancement. Il chancela et s’accota au mur.

Il avait reconnu son assassin.

La bande joyeuse s’éloignait, chantant et criant :

— Joulou est comte ! Pleurons le père de Joulou ! Joulou hérite ! Joulou nous recevra tous dans son château de Bretagne ! Vive Joulou ! le roi des brutes !

Et comme les clameurs continuaient au lointain, le nom de Marguerite Sadoulas frappa les oreilles de Roland.

Il fut longtemps à se relever cette fois, et sa pensée resta vacillante dans son cerveau. La fièvre revenue l’énervait. Minuit approchait quand il arriva devant la maison de sa mère.

Ici, c’était le quartier des écoles, et les folies de la mi-carême allaient bon train.

La porte se trouvait être grande ouverte ; on laissa Roland monter sans l’interroger. Il compta quatre étages, et Dieu sait si cette ascension fut une torture ! Sa poitrine le brûlait ; chaque marche à franchir lui coûtait un mortel effort. Quand il fut sur le carré du quatrième étage, un sentiment irrésistible le poussa vers le seuil de l’appartement de sa mère.

Il se crut fou. Derrière cette pauvre porte où l’on souffrait silencieusement et saintement, il y avait un bruit de bombance : des cliquetis de verres et de fourchettes, des éclats de voix, des rires et des chansons.

Il se crut fou. Pour mieux dire, il espéra que sa fièvre, atteignant au délire, le trompait.

Ou bien, c’était un pur mécompte : sa mère demeurait au-dessus.

Mais il reconnaissait si vivement cette trace lumineuse que la lampe dessinait sous la porte !

Et d’ailleurs la chambre de la voisine était là, avec la carte clouée qui disait son nom, selon les mœurs du pays latin.

Une terreur vague et profonde envahit le cœur de Roland.

— Ma mère est déménagée ! dit-il tout haut.

C’était un autre mot qui était dans sa pensée. La sueur qui perça sous ses cheveux glaçait son front.

Il heurta à la porte de la voisine. Comme elle ne répondait pas, il voulut appeler, mais sa voix s’étrangla dans sa gorge.

De la chambre de sa mère les bruits de fête venaient et broyaient son cerveau.

Il heurta encore.

— Qui est là ? demanda une voix troublée.

— Moi, Roland, répondit-il.

La voisine poussa un cri.

— Ah ! malheureux enfant ! fit-elle. D’où venez-vous ?

— Ma mère ! prononça-t-il d’un accent déchirant, ma mère ! où est ma mère ?

Il entendit que la voisine parlait tout bas. Une minute s’écoula, longue comme un siècle, puis la porte s’ouvrit, et Mme Marcelin parut, son bougeoir à la main.

— J’ai ma nièce chez moi, dit-elle avec embarras. Vous comprenez, ce n’est pas une heure convenable… Que Dieu ait pitié de nous ; il est déguisé en femme ! et gris, je crois !

Car Roland chancela prêt à tomber à la renverse.

La voisine acheva indignée :

— Allez-vous-en chez les gens d’où vous venez, entendez-vous, mauvais cœur ! Vous avez tué votre mère qui est au cimetière depuis huit jours !

La poitrine de Roland rendit un grand gémissement, et il s’affaissa comme une masse en travers de la porte.