Catalectes/Catalecte XI

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Traduction par divers traducteurs sous la direction de Charles Nisard.
Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètesFirmin Didot (p. 459-460).

XI.
À M. VALÉRIUS MESSALA.

(11, 1) Chantez-moi quelques-vers, doctes Aganippides, quelques vers seulement ; mais des vers que ne méconnaisse pas le bel Apollon. Il arrive, magnifique ornement de son magnifique triomphe, il arrive le vainqueur à qui la terre et la mer ouvrent leurs libres espaces. L’égal du grand Diomède, du superbe Éryx, il apporte les effrayantes dépouilles des combats livrés aux barbares. Poëte non moins grand, il exhale nos chants poétiques ; il est digne d’entrer dans les chœurs sacrés. C’est là surtout, sublime Messala, ce qui agite et trouble mon esprit étonné : (11, 10) qu’écrire de toi, et que t’écrire ? Car, je l’avouerai, ce qui devrait déconcerter ma muse est cela même qui l’enhardit. Quelques vers nés de ta veine se sont glissés dans mes tablettes ; vers délicieux par l’idiome et par le sel attique ; vers qui, accueillis par les âges futurs, seront dignes de vaincre en durée le vieillard de Pylos. Là, mollement étendus à l’ombre d’un large chêne au vert feuillage, reposent Méris et Mélibée ; tous deux bergers, tous deux se renvoyant les doux vers alternés (11, 20) qu’aimait le jeune poëte de la Sicile. Ailleurs les dieux à l’envi parent de leurs dons ta noble amie ; et chaque déesse y joint son présent. Heureuse entre toutes, la beauté que célèbre un si grand génie ! Jamais femme ne te surpassera en renommée : ni celle qui, sans l’appât décevant des pommes des Hespérides, allait vaincre à la course le léger Hippomène ; ni la blanche Hélène, éclose de l’œuf du cygne ; ni Cassiopée, qui resplendit dans les hauteurs de l’Empyrée ; (11, 29) ni la jeune Grecque que défendirent si longtemps les bonds impétueux des coursiers d’Œnomaüs, dont la main fut recherchée par tant de mains grecques, qui vit tant de fois son père arracher pour elle l’âme à des prétendants téméraires, tant de fois la terre d’Élide regorger de sang ; ni Sémélé, cette royale fille ; ni cette Inachide, cette fille d’Acrisius, que visita Jupiter, foudre pour l’une, pluie pour l’autre ; ni l’épouse dont la pudeur ravie chassa des pénates héréditaires les Tarquins, le père et le fils, en ces temps où Rome échangea la superbe royauté contre les faisceaux plus doux des consuls, (11, 39) et mainte fois décerna les plus hautes récompenses aux services des Messala Publicola, ses enfants. À présent rappellerai-je leur zèle ardent pour l’État, leurs immenses labeurs ? Dirai-je les temps affreux de la guerre où s’endurcit leur courage ? les camps préférés au forum, les camps préférés à la ville, si loin d’un fils, si loin d’une patrie ? Dirai-je ces frimas, ces chaleurs excessives héroïquement endurés ; ce sommeil qu’ils peuvent goûter, bruyant et profond, sur le dur silex ? Dirai-je comme ils glissent, en dépit des astres, sur les mers orageuses ; comme, à force d’audace, ils triomphent de l’Océan et de ses tempêtes ; comme ils se jettent au plus épais des phalanges ennemies, (11, 50) sans redouter les chances communes du terrible jeu des batailles ; comme ils abordent les agiles Africains destinés à périr par milliers, et les flots d’or du Tage rapide ; comme ils portent leurs infatigables armes d’une nation à l’autre, comme ils vont vaincre par delà l’immense Océan ? Ce n’est point à nous à toucher à de si hautes louanges ; c’est à peine, j’ose le dire, la tâche d’un mortel. Les monuments de vos exploits raconteront d’eux-mêmes votre gloire à l’univers ; vos nobles vies rayonneront d’elles-mêmes dans la postérité.

J’en reviens à ces vers que tracèrent avec toi les dieux, (11, 60) Apollon, les Muses, Bacchus et Aglaé. Si ma muse aspire, bien que d’un humble effort, à suivre ta trace, si je puis accommoder au mètre romain tes saillies athéniennes, j’ai fait un pas plus grand que jamais je ne le désirai : c’en est assez ; je n’ai rien de commun avec l’épais vulgaire.