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Châtelaine, un jour…/12

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XII

« Tu l’aimes, ma pauvre Colette. Allons, ne te mens pas à toi-même. Si tu ne l’aimais pas, s’il t’était indifférent, ressentirais-tu ce petit pincement au cœur ? »

Elle arriva chez elle.

— Y’a un petit paquet pour vous, mademoiselle, lui dit, au passage, la concierge. C’est le facteur qui l’a apporté. On dirait un livre.

Elle semblait attendre que Colette ouvrît le paquet devant elle pour lui montrer ce qu’il contenait. Son indiscrétion était si gênante pour la jeune fille que celle-ci s’empressa de monter chez elle.

Ce ne fut que dans son logis que la jeune fille examina le paquet. Aucun nom d’expéditeur et le cachet de la poste illisible à souhait pour augmenter sa curiosité. Colette coupa la ficelle et elle retira le papier. Il s’agissait bien d’un livre. Elle en lut le titre : Historique des châteaux de Grandlieu.

Une carte de visite tomba de l’ouvrage ; elle portait, simplement imprimé : François Lesquent, sans que rien eût été écrit à la main, et Colette lui en sut gré.

« C’est gentil de m’avoir envoyé ce livre. »

La jeune fille feuilleta le volume, illustré de cartes et de plans. Une photo assez ancienne apprit à Colette qu’à la fin du siècle dernier, un chêne immense s’élevait à droite du château.

Après avoir parcouru le livre, Colette pensa qu’elle devait préparer son dîner. Tandis qu’il cuisait, elle expédia quelques menus travaux ménagers. Quand elle se fut servi le potage, elle commença à dîner lentement tout en lisant l’histoire de son château.

Par moments, elle s’arrêtait parce que la pensée de Chavanay l’emportait sur l’intérêt de sa lecture ; puis, elle était reprise par l’histoire qui, en vérité, était passionnante.

Colette apprit que le château était fort ancien. Sur l’emplacement d’une villa romaine, Renaud de Grandlieu avait construit, au Moyen Age, un rendez-vous de chasse. De multiples incendies devaient, à travers les âges, détruire ce pavillon, toujours reconstruit. L’histoire notait qu’Agnès Sorel vint y retrouver plusieurs fois Charles VII. Détruit encore une fois sous Charles IX, le pavillon fut rebâti par un sire de Grandlieu, compagnon d’Henri de Navarre. Le fils de ce personnage agrandit le pavillon de chasse et en fit un château, assez proche du château actuel.

La lecture de cet historique n’était pas fastidieuse. Le récit était relevé d’anecdotes parfois amusantes, certaines galantes, d’autres tragiques. L’une d’elles retint plus particulièrement l’attention de Colette. Il était dit que, durant la Révolution, Henri de Grandlieu, comte de Boissy, avait réussi à se soustraire à toutes les recherches du Comité de Salut Public de Pont-Audemer, grâce à une cachette. Malheureusement pour lui, il fut une nuit surpris par une patrouille de Bleus, alors qu’en toute quiétude il faisait une promenade en forêt, « histoire de prendre l’air », disait l’auteur qui ajoutait « La cachette de Henri de Grandlieu était dans le château même. Elle devait consister en une entrée secrète qui permettait d’accéder à une sorte de réduit fort étroit, aménagé dans l’épaisseur d’un mur. Henri de Grandlieu y avait certainement amassé d’énormes provisions, car, du 17 pluviôse au 20 floréal an II, le château fut occupé par des troupes et le comte de Boissy dut rester dans sa cachette sans pouvoir en sortir. »

Henri de Grandlieu, qui fut décapité, emporta le secret de sa cachette dans la tombe, et ce fut en vain que, depuis, tous les propriétaires du château essayèrent de découvrir la mystérieuse retraite. Recherches pas toujours désintéressées. Une tradition veut, en effet, que le malheureux comte y eût dissimulé un trésor constitué non seulement de sa fortune personnelle, qui était fort élevée en 1780. mais également du trésor des abbayes de Jumiège et de Saint-Wandrille.

Colette posa son livre sur le bord de la table et, emportée par son imagination, se mit à rêver.

Rien ne manquait plus à son château, même pas une légende avec cachette et souterrain, une cachette inconnue recélant un trésor.

La merveilleuse aventure que serait la recherche et la découverte de ce trésor ! Mais il faudrait faire vite avant que le château fût vendu.

J’écrirai demain à Lesquent… »

Il y avait dans les sentiments qui agitaient la jeune fille beaucoup moins d’appât du gain que de besoin d’évasion. Une jolie aventure à courir, pour oublier celle qui venait de se terminer assez laidement.

Le premier moment d’exaltation passé, la voix de la sagesse lui chuchota :

« S’il y avait le moindre fondement de vérité dans cette histoire, comment serait-il possible qu’aucun propriétaire n’ait jamais fait sonder les murs ? »

Elle reprit le livre et le feuilleta de nouveau.

Après le chapitre consacré à l’époque révolutionnaire, l’histoire de Grandlieu se résumait à la liste de ses derniers propriétaires jusqu’à 1900 et à la mention des modifications apportées aux bâtiments.

Colette referma le livre et sur la couverture, elle lut sa date d’impression : 1902. Depuis cette époque, plus d’un demi-siècle, il était possible que le trésor eût été découvert.

« J’écrirai, non pas à Lesquent, mais à Me Lemasle. »

Déjà l’aventure semblait plus improbable ; cependant, elle demeurait latente dans le cœur de la jeune fille et lui laissait un agréable parfum d’espoir.

Colette remit en ordre son studio, puis elle décida d’écrire au notaire.

Dans le billet, très court, elle lui écrivait qu’elle s’était amusée à lire l’histoire du château de Grandlieu, et elle lui demandait si, à sa connaissance, le trésor n’avait jamais été découvert.

« Il va se moquer de moi », se disait-elle en relisant son mot.

Elle eut l’intention de le déchirer, puis elle se donna jusqu’au lendemain matin pour le faire la nuit porte conseil. Elle s’aperçut qu’il était deux heures du matin et se hâta de se coucher.

« J’ai dû, déjà, lui paraître assez sotte à propos de mes démêlés avec Lesquent. Je ne risque plus grand-chose », se dit Colette le lendemain, et ses doigts aux ongles roses lâchèrent la lettre qui glissa dans la boîte.

Quelques minutes plus tard, tandis que le métro l’emportait vers Saint-Lazare, elle pensait :

« Quelle curieuse opinion Me Lemasle doit-il se faire de moi ? J’ai toujours eu l’air un peu gauche chez lui. Son air important m’intimide. Et quand je m’adresse à lui, ce n’est que pour lui rapporter des ragots. Les arbres rapportent-ils toujours ? Lesquent a-t-il tué Anthime Letellier ? Cette histoire de trésor, y croyez-vous ?

« Au lieu d’attendre la réponse de Me Lemasle, j’aurais dû profiter du dimanche pour aller à Grandlieu faire ma petite enquête alentour. Je me vois, entrant chez les paysans :

« — Est-il vrai qu’un trésor est caché dans le château et que personne ne l’a jamais découvert.

« J’aurais joué au détective ou au reporter… »

Depuis trois jours, Colette ne pensait qu’à l’histoire du trésor. Par un sentiment assez étrange, elle n’en avait soufflé mot à Lina et cependant son amie se fût certainement enthousiasmée pour cette légende, mais elle avait préféré en garder le secret.

Hier, tandis que les deux amies faisaient la traditionnelle et fastidieuse promenade du dimanche sur les boulevards, il lui avait fallu reparler de Chavanay. Elle ne s’était soumise aux questions de Lina que pour protéger le secret du trésor. Et tandis qu’elles butinaient de vitrine en vitrine, Lina disait :

— Tu as bien fait de lui dire que tu étais au courant de son mariage, mais, en revanche, pourquoi ne l’as-tu pas écouté puisque tu ignores les circonstances de la rupture ?

— Que m’importe !… Je ne veux plus le revoir.

Lina se contenta de sourire.

Elles marchèrent sans parler, s’arrêtant machinalement à une vitrine et repartant.

— Non, je ne veux pas le revoir, Lina. C’est impossible, je me suis peut-être illusionnée, et rien n’est plus cruel qu’une illusion qui s’évanouit.

— Mais n’est-il pas plus cruel encore de s’apercevoir un jour que l’on est passé à côté du bonheur, et que le bonheur est resté derrière vous tandis que la vie vous entraîne inexorablement dans son tourbillon.

— Peut-être, mais, entre lui et moi, il y a cette femme inconnue que, sans doute, il souhaite encore épouser. Et, de toute façon, il m’a menti.

— Il t’a menti ?

— Mentir par restriction mentale, n’est-ce pas mentir ? Supposons que son mariage soit rompu, — et rien n’est moins sûr, — pourquoi alors ne me l’aurait-il pas dit ?

— Je te comprends, ma petite Colette. Tu peux lui faire ce reproche, toi qui as écouté sa conversation avec Lesquent sans te montrer, toi qui as essayé de le faire parler sur le château sans lui dire qu’il t’appartenait.

Colette se sentit piquée au vif.

— Tu as raison, Lina, je ne suis pas digne d’être aimée et cet incident doit être ma punition. Mais je te le dis encore, je ne crois pas à ses paroles. Il n’avait qu’un désir : s’étourdir et peut-être même se jouer de moi et vivre l’aventure d’une soirée ou d’une semaine.

Tandis que la jeune fille se remémorait cette conversation de la veille, elle était arrivée à son bureau, et, désormais pour elle, à ce bureau s’associait le souvenir de Chavanay. Il lui semblait qu’elle ne pourrait plus entrer chez Fourcaud sans revoir Chavanay se lever du fauteuil de cuir où il était assis. Elle ne pourrait, non plus, sortir sans penser à l’auto arrêtée au bord du trottoir, la portière ouverte comme une invitation à l’abandon.

Fourcaud l’appela peu après.

Colette ne l’avait pas revu depuis la visite de Chavanay, et elle devait lui en faire part.

Dès qu’elle entra dans le bureau directorial, il lui tendit la main comme il en avait l’habitude ; mais, au lieu de lui dire bonjour, il sembla à la jeune fille qu’il la dévisageait avec une insistance amusée. Un peu comme s’il l’eût découverte en cet instant et qu’il se fût dit :

« C’est curieux, je ne m’étais jamais aperçu qu’elle était ainsi. »

Colette, pour dissimuler son trouble, fit aussitôt son rapport. Elle présenta le courrier, en résuma l’essentiel. Puis elle énuméra les visiteurs venus voir M. Fourcaud durant son absence et ceux qui avaient téléphoné ; au moment de partir, elle ajouta :

— J’oubliais. M. Chavanay est venu vous voir…

Elle allait sortir, Fourcaud la rappela. Il avait un drôle de sourire.

— Et que vous a-t-il dit, M. Chavanay ? Était-ce une insinuation ?

— Qu’il vous reverrait, monsieur.

Il sembla à Colette que Fourcaud appesantissait son regard sur elle ; alors, elle sortit.