Champs, usines et ateliers/Chapitre II

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CHAMPS, USINES ET ATELIERS
Chap. II. La décentralisation de l'industrie (suite)



CHAPITRE II


La décentralisation de l’industrie (suite).


Italie et Espagne. — Japon. — États-Unis. — Les industries du coton, de la laine et de la soie. — Nécessité croissante pour chaque nation de compter surtout sur les consommateurs indigènes.


Cependant le flot du progrès industriel ne marche pas seulement vers l’est : il s’avance aussi vers le sud-est et le sud. L’Autriche et la Hongrie gagnent rapidement du terrain dans la course où sont engagées les nations industrielles. La Triple Alliance a déjà été menacée dans son existence par la tendance de plus en plus marquée des industriels autrichiens à se protéger contre la concurrence allemande, et même on a vu un jour les deux sœurs de la monarchie dualiste se quereller à propos de droits de douane. L’industrie autrichienne est de date récente, ce qui n’empêche pas l’Autriche-Hongrie d’avoir déjà 3.630.000 d’ouvriers dans ses industries[1] et la production annuelle de dépasser deux milliards et demi. La Bohême, en quelques décades, a su devenir une région industrielle d’importance réelle ; et l’excellence et l’originalité de l’outillage des minoteries perfectionnées de Hongrie montrent que la jeune industrie hongroise est en voie, non seulement de faire concurrence à ses sœurs aînées, mais encore de contribuer à accroître les moyens dont nous disposons pour utiliser les forces de la nature. Ajoutons, en passant, que, jusqu’à un certain point, on peut en dire autant de la Finlande.

Les chiffres nous manquent sur la situation actuelle de l’ensemble des industries d’Autriche-Hongrie, mais la valeur relativement peu considérable des importations de produits manufacturés est digne de remarque. En fait, pour les industriels anglais, l’Autriche-Hongrie n’est plus une cliente digne de ce nom, et, même à l’égard de l’Allemagne, elle s’émancipe rapidement de son ancienne dépendance[2].

Les mêmes progrès s’étendent aujourd’hui aux péninsules méridionales. Qui aurait parlé en 1839 ou 1860 d’usines italiennes ? Et pourtant — l’Exposition de Turin de 1884 en a fourni la preuve — l’Italie a pris rang parmi les pays manufacturiers. « Partout vous voyez un effort industriel et commercial considérable. » écrivait au Temps un économiste français, « L’Italie aspire à se passer des produits étrangers. Le mot d’ordre patriotique est : L’Italia farà da sè ! Il inspire toute la masse des producteurs. Il n’est pas un seul industriel, pas un seul commerçant qui, même dans les circonstances les plus insignifiantes, ne fasse son possible pour s’émanciper de la tutelle de l’étranger. » Les meilleurs modèles français et anglais sont imités et perfectionnés par la grâce du génie national et des traditions artistiques.

L’accroissement des importations de houille (7.673.400 tonnes en 1905, contre 779.000 en 1871, et 3.917.000 en 1891) ; le développement des industries minières qui ont triplé leur production en quinze ans, de 1870 à 1885 ; la production croissante de l’acier et des machines (près de 120 millions de francs en 1900), qui — comme le disait Bovio — prouve qu’un pays dépourvu de combustible et de minerais peut néanmoins avoir une industrie métallurgique considérable ; et, pour finir, les progrès des industries textiles, révélés par les importations de coton brut et l’augmentation du simple au quadruple du nombre des broches en trente ans[3] — tout cela montre que la tendance de l’Italie à devenir un pays industriel, capable de suffire à ses besoins, n’est plus un simple rêve. Quant aux efforts faits pour prendre une part plus active au commerce international, qui ne connaît sur ce point les aptitudes traditionnelles des Italiens ?

Il me faudrait aussi mentionner la Suisse et l’Espagne, dont les industries textiles, minières et métallurgiques font des progrès si rapides. — Ainsi la Suisse offre, elle aussi, l’exemple frappant d’une nation qui ne possède sur son territoire ni fer ni houille, et n’a même pas un port de mer pour les importer. Et néanmoins, grâce surtout à une intelligente instruction technique, elle a pu développer chez elle une grande industrie et une forte exportation, — même dans le domaine des machines (celles de Winterthur jouissent d’une excellente réputation), des métaux et des textiles[4].

Mais j’ai hâte de passer à des pays qui, il y a quelques années, étaient considérés comme des clients éternels et obligatoires des nations industrielles de l’Europe occidentale. Prenons, par exemple, le Brésil. N’était-il pas condamné par les économistes à faire pousser du coton, à l’exporter à l’état brut, et à recevoir des tissus en échange ? Vers 1870, ses neuf misérables filatures ne pouvaient vraiment guère se prévaloir de leurs 385 broches. Mais dès 1887, il y avait au Brésil 46 filatures de coton dont cinq seulement possédaient déjà 40.000 broches ; et à elles toutes, avec leurs 10.000 métiers, elles jetaient annuellement sur les marchés brésiliens plus de 30 millions de mètres d’étoffes de coton. En 1905, on comptait déjà 108 filatures, 715.100 broches et 26.054 métiers, au moyen desquels 37.640 ouvriers fabriquaient 234 millions de mètres de diverses cotonnades. En général, le Brésil devient assez rapidement un pays de manufactures.

Vera Cruz même, au Mexique, a commencé, sous la protection des douaniers, à fabriquer des cotonnades ; en 1887 on y comptait déjà 40.200 broches produisant 287.700 pièces de cotonnades et 95.000 kilog. de filés. Depuis lors, les progrès ont été ininterrompus, et en 1894, le vice-consul Chapman écrivait dans son rapport, que l’on peut trouver les machines les plus parfaites dans les filatures d’Orizaba et que « les indiennes valent, si elles ne les surpassent pas, les articles importés »[5]. En 1903-1904, 27.700 ouvriers faisaient déjà marcher, dans 145 filatures, 640.000 broches et 20.000 métiers[6].


Mais c’est l’Inde qui a donné le démenti le plus net à la théorie de l’exportation. De tout temps on la considéra comme la cliente la plus sûre de l’Angleterre pour les cotonnades, et, en effet, elle le fut jusqu’à ces derniers temps : du total des cotonnades exportées par la Grande-Bretagne elle achetait plus d’un quart, tout près d’un tiers (de 425 à 550 millions de francs, sur un total de 1.875 millions, pendant les années 1880-1890). Mais les choses ont commencé à prendre dès lors une nouvelle tournure, et ce chiffre n’était plus que de 542 à 642 millions sur 2.761 millions en 1904-1907. C’est que les manufactures de coton indien qui, pour des causes mal connues, eurent des débuts si difficiles, ont pris soudainement racine.

En 1860, elles ne consommaient guère que 11 millions de kilogrammes de coton brut, mais cette quantité était presque quadruplée en 1877, et elle tripla encore pendant les dix années suivantes : en 1887-1888 elles employèrent 140 millions de kilogrammes de coton brut. Le nombre des filatures passa de 40 à 147, et le nombre des broches de 886.100 à 3.844.300 entre 1887 et 1895. En 1887, cette industrie employait 57.200 ouvriers, et sept ans plus tard, nous en trouvions déjà 146.240. Enfin, en 1908-1909 on trouve 238 filatures en action, possédant 5.943.520 broches et 76.340 métiers, et occupant en moyenne 240.500 travailleurs.

Quant au capital engagé dans les filatures et les presses à coton, il passa de 175 millions de francs en 1882 à 370 millions en 1895. En ce qui concerne l’outillage des filatures, les « blue-books »[7] en font l’éloge, et les chambres de commerce allemandes déclarent que les meilleures filatures de Bombay « n’ont pas grand’chose à envier aux meilleurs établissements allemands ». Enfin deux personnes qui font autorité dans l’industrie du coton, M. James Platt et M. Henry Lee, s’accordent à dire qu’« en aucun autre pays du monde, si ce n’est au Lancashire, les ouvriers ne possèdent autant d’aptitudes naturelles pour l’industrie textile qu’en Hindoustan »[8].

Les exportations de filés de coton de l’Inde avaient plus que doublé en cinq ans (1882-1887) et dès 1887 on pouvait lire dans le Statement (Rapport annuel du gouvernement de l’Inde), p. 62, que « l’Inde importe de moins en moins de filés de coton des qualités inférieures et moyennes, ce qui indique que les filatures conquièrent peu à peu le marché national ». Par conséquent, tandis que l’Inde continuait à importer à peu près la même quantité de cotonnades et de filés anglais (de 402 à 642 millions en 1900-1908), elle jetait déjà en 1887 sur les marchés étrangers pour 91 millions de francs de ses cotonnades, fabriquées d’après des modèles du Lancashire, et elle exportait 30 millions de mètres de coton écru en pièces, manufacturé dans l’Inde par des ouvriers hindous. Et l’exportation n’a fait que progresser depuis, puisqu’en 1908 la valeur des filés et tissus exportés atteignait le chiffre de 490 millions de francs, et les filés des Indes rivalisaient en Chine avec ceux de l’Angleterre.

Les manufactures de jute de l’Inde se sont développées d’une manière encore plus rapide[9], et l’industrie du jute, autrefois florissante à Dundee, périclita non seulement à cause des tarifs élevés établis par les puissances européennes, mais aussi par suite de la concurrence hindoue.

Récemment on a aussi créé des filatures de laine, et l’industrie du fer a pris un soudain développement dans l’Inde depuis que, après de nombreuses expériences et de nombreux échecs, on a trouvé le moyen d’utiliser la houille indigène dans les hauts-fourneaux[10]. Dans quelques années, nous disent des spécialistes, l’Inde produira tout le fer qui lui sera nécessaire. Et ce n’est pas sans appréhension que les industriels anglais voient que les importations en Angleterre de textiles manufacturés dans l’Inde s’accroissent de jour en jour, tandis que sur les marchés de l’Extrême-Orient et de l’Afrique, l’Inde commence à concurrencer sérieusement la métropole.

Mais pourquoi n’en serait-il pas ainsi ? Qu’est-ce qui pourrait donc arrêter dans leur croissance les manufactures hindoues ? Le manque de capitaux, peut-être ? Mais le capital ne connaît pas de patries, et si de gros bénéfices peuvent être faits sur le travail des Hindous, dont les salaires sont inférieurs de moitié au moins à ceux des ouvriers anglais, le capital émigrera vers l’Inde, comme il est allé en Russie, cette migration dût-elle entraîner la ruine et la misère pour le Lancashire et pour Dundee. Serait-ce la science qui ferait défaut ? Mais les longitudes et les latitudes ne sont point un obstacle à sa propagation ; il n’y a que les premiers pas qui coûtent. Quant à la supériorité de la façon, il n’est personne connaissant l’ouvrier hindou qui doute de ses capacités. Certainement elles ne sont point inférieures à celles des enfants de moins de quatorze ans ni à celles des 300.000 adolescents, filles et garçons, de moins de dix-huit ans, qu’on emploie dans les fabriques de textiles en Angleterre.


Vingt ans, c’est certes bien peu de chose dans la vie des nations. Et pourtant depuis vingt ans un autre compétiteur formidable est apparu en Extrême-Orient. Je veux parler du Japon. Dans son numéro du 15 octobre 1888, le Textile Recorder signalait en quelques lignes que la production annuelle des fils dans les filatures de coton du Japon avait atteint 4.323.000 kilog., et que quinze nouvelles filatures, qui feraient tourner 156.100 broches, étaient en voie de construction. Deux ans plus tard, le Japon filait 11.250.000 kilog. de fil, et tandis qu’en 1886-87 il importait de l’étranger cinq ou six fois plus de fil qu’il ne s’en fabriquait dans le pays, l’année suivante les deux tiers seulement étaient importés[11].

À partir de cette date, la production a augmenté graduellement : de 2.925.000 kilog. en 1886, elle passa à 41.380.000 kilog. en 1893, à 69.000.000 kilog. en 1893, et à 115 millions de kilog. en 1905. En douze ans, elle a donc presque triplé. La production de toutes sortes de tissus, évaluée à 30 millions de francs en 1887, s’éleva rapidement à 357 millions en 1895, et à 526 millions en 1906, — les cotonnades entrant dans ce total pour la proportion des deux cinquièmes. En conséquence, les importations de cotonnades européennes tombèrent de 41 millions de francs en 1884 à 21 millions en 1895 et 24 millions en 1905, tandis que les exportations de soieries s’élevaient à 107 millions. D’autre part, les industries de la houille et du fer croissent si rapidement que le Japon ne restera pas longtemps tributaire de l’Europe pour les fers[12]. Maintenant il possède déjà ses chantiers de constructions maritimes. En 1890, 300 mécaniciens quittaient les usines Armstrong d’Elswick pour aller au Japon construire des navires. Mais ils n’étaient engagés que pour cinq ans, et en cinq ans les Japonais en apprirent suffisamment pour construire eux-mêmes leurs navires[13].

Aujourd’hui, le neuvième Financial Economical Annual, publié à Tokio, en 1909, nous apprend qu’il y avait au Japon, en 1907, 2.975 fabriques de textiles, 570 dans l’industrie du fer, 420 dans les industries chimiques, etc. ; et que les 92 manufactures de coton avaient déjà 1.494.600 broches et 29.160 métiers mécaniques. Le Japon est donc, aujourd’hui même, un rival sérieux des grandes nations industrielles pour les tissus en général, et même pour les cotonnades sur les marchés de l’Asie. Et il l’est devenu en moins de vingt-cinq années.

Ce qui précède est la preuve que l’invasion tant redoutée de nos marchés européens par l’Orient fait des progrès très rapides. Les Chinois sommeillent encore ; mais je suis absolument persuadé par ce que j’ai vu de la Chine que le jour où ils adopteront, avec l’outillage européen, notre mode de production industrielle, — et les premiers pas dans cette voie ont déjà été faits, — ils le feront avec plus de succès et naturellement sur une plus grande échelle que les Japonais eux-mêmes.

Mais que dire des États-Unis, qu’on ne saurait accuser d’employer de la main-d’œuvre à vil prix, ou d’envoyer de la « camelote » à l’Europe ? Leur grande industrie date d’hier, et cependant les États-Unis vendent déjà à la vieille Europe des quantités de plus en plus grandes de machines. En 1890 ils ont même commencé à exporter du fer, grâce aux admirables procédés nouveaux qu’ils emploient dans cette industrie et qui leur permettent de l’obtenir à un prix extrêmement bas. En vingt ans (1870-90), le nombre des personnes employées dans les établissements industriels américains avait plus que doublé, en même temps que la production triplait, et un progrès analogue se maintenait pendant les quinze années suivantes[14]. L’industrie cotonnière, pourvue d’un excellent outillage fabriqué dans le pays même, se développe rapidement[15], si bien que la production annuelle des textiles représentait en 1905 une valeur de 10.737.205.000 fr., c’est-à-dire, qu’elle était deux fois plus grande que celle de l’Angleterre, évaluée dans le Statesman’s Yearbook à 5.000.000.000 francs, et les exportations de cotonnades sortant des filatures américaines atteignaient environ 70 millions de francs. Quant à la production annuelle de fer brut et d’acier, elle surpasse déjà celle de l’Angleterre[16], et l’organisation de cette industrie est également supérieure, ainsi que le remarquait, déjà en 1891, M. Berkley, dans son rapport à la Société des Ingénieurs civils d’Angleterre (Institute of Civil Engineers)[17].

Et tous ces résultats ont été obtenus en vingt ou trente ans, les grandes industries ayant été créées à une date postérieure à 1860[18].

Dans ces conditions, que deviendra l’industrie américaine d’ici vingt ans, aidée qu’elle est par un merveilleux développement de l’habileté professionnelle, par d’excellentes écoles, par une éducation scientifique qui donne la main à l’éducation technique, et par un esprit d’entreprise qu’on ne saurait trouver en Europe[19] ?


Des volumes ont été écrits sur la crise que l’Angleterre traversa en 1886-87, — crise qui, pour employer les termes de la Commission parlementaire, durait depuis 1875 et « n’avait été interrompue que par une courte période de prospérité, dont avaient joui certaines branches de l’industrie dans les années 1880-83, » — crise, ajouterai-je, qui n’épargna aucune des principales nations industrielles du monde. On a recherché toutes les causes possibles de cette crise ; mais si contradictoires qu’aient été les conclusions de la discussion, tous unanimement se sont accordés sur un point, qui peut se résumer comme suit : « Les pays industriels ne trouvent pas les clients qui leur permettraient de réaliser de gros bénéfices. » Le gain étant la base de l’industrie capitaliste, c’est dans le taux peu élevé des bénéfices qu’il fallait chercher la cause du malaise industriel.

Les bénéfices restreints amènent les fabricants à réduire les salaires, ou le nombre des ouvriers, ou le nombre des journées de travail pendant la semaine, ou même les forcent à recourir à la fabrication de marchandises de qualité inférieure qui, en général, est plus mal payée que celle des meilleures qualités. Comme le disait Adam Smith, la réduction des bénéfices a pour conséquence une réduction des salaires, et une réduction des salaires entraîne une diminution dans la consommation de l’ouvrier. Les bénéfices restreints diminuent également la consommation de l’employeur. D’où, pour cette double raison, réduction des bénéfices et, par suite, de la consommation pour cette immense classe d’intermédiaires qui s’est développée dans les pays industriels ; et de là résulte encore une nouvelle diminution des gains des employeurs.

Un pays qui fabrique surtout pour l’exportation, et par conséquent vit surtout des bénéfices tirés de son commerce extérieur, est dans une situation tout à fait comparable à celle de la Suisse, qui compte encore en grande partie sur l’argent importé par les étrangers. Une bonne « saison » — et c’est un afflux de 25 à 30 millions de francs apportés dans le pays par les touristes, tandis qu’une mauvaise « saison » a les effets d’une mauvaise récolte dans un pays agricole : il s’en suit un appauvrissement général.

Il en est de même pour un pays qui travaille pour l’exportation. Si la « saison » est mauvaise et que les marchandises exportées ne puissent être vendues à l’étranger pour un prix double de leur valeur dans le pays même, le pays qui vit avant tout de ces ventes pâtira. L’insuffisance des bénéfices des hôteliers des Alpes entraîne la gêne dans une grande partie de la Suisse, de même que l’insuffisance des bénéfices des industriels du Lancashire et de l’Écosse entraîne la gêne pour la Grande-Bretagne. Dans les deux cas les mêmes causes ont les mêmes effets.

Depuis bien longtemps on n’avait vu le blé et les produits fabriqués se vendre en Angleterre à aussi bon marché que nous l’avons vu dans les années qui précédèrent la crise de 1886, et cependant le pays souffrait d’une crise. On disait, bien entendu, que la cause en était la surproduction. Mais le mot « surproduction » est absolument dépourvu de sens s’il ne signifie pas que ceux qui ont besoin de toutes sortes de choses n’ont pas les moyens de les acheter, à cause de l’insuffisance de leurs salaires.

Nul n’oserait affirmer qu’il y a trop de meubles dans les misérables chaumières, trop de lits et de literie dans les logements ouvriers, trop de lampes allumées dans les huttes, et trop de vêtements, non seulement sur les épaules de ceux qui, en 1886, dormaient à Trafalgar Square entre deux journaux, mais encore dans ces ménages où le chapeau haut-de-forme fait partie de la tenue dominicale. Et qui oserait prétendre que la nourriture est trop abondante dans les maisons de ces travailleurs agricoles qui gagnent quinze francs par semaine, ou de ces femmes qu’on paye dix ou douze sous par jour dans la couture et dans ces mille petites industries qui fourmillent dans les faubourgs de toutes les grandes villes ?

La surproduction signifie purement et simplement un pouvoir d’achat insuffisant chez les ouvriers. Et l’insuffisance de ce pouvoir d’achat fut ressentie partout sur le continent pendant la période 1885-1887.

Lorsque les mauvaises années furent passées, un réveil soudain du commerce international se produisit ; et comme les exportations britanniques augmentèrent en quatre ans, de 1886 à 1890, de près de 24 %, on commença à déclarer qu’il n’y avait aucune raison de s’effrayer de la concurrence étrangère ; que la diminution des exportations en 1883-87 n’était que temporaire ; que le mal avait d’ailleurs été général en Europe, et que l’Angleterre, maintenant comme autrefois, conservait sa prédominance dans le commerce international. Il est vrai certainement que si l’on considère uniquement la valeur en argent des exportations pour les années qui se sont écoulées de 1876 à 1900. on n’aperçoit pas une décroissance continue, mais seulement des fluctuations. Dans les exportations britanniques, comme dans tout le commerce en général, il semble qu’il y ait une certaine loi de périodicité. Elles tombèrent de 5.030.000.000 fr., en 1876, à 4.800.000.000 fr., en 1879 ; puis elles remontèrent de nouveau pour atteindre 6 milliards 030.000.000 fr., en 1882 et tombèrent à 5.350.000.000 fr., en 1886 ; de nouveau elles remontèrent à 6.600.000.000 fr, en 1890, mais retombèrent jusqu’à un minimum de 5 milliards 400.000.000 fr., en 1894, suivi bientôt d’un relèvement, qui dura jusqu’en 1907.

Cette périodicité étant un fait établi, M. Giffen pouvait faire peu de cas de la « concurrence allemande, » en montrant que les exportations du Royaume-Uni n’avaient pas décru. On peut même dire que, en prenant la moyenne par habitant, elles étaient restées jusqu’en 1900 ce qu’elles étaient vingt ans auparavant, en dépit de toutes les fluctuations[20].

Cependant, si nous considérons les quantités exportées et les comparons avec la valeur en numéraire des exportations, Giffen lui-même doit reconnaître que les prix de 1883 étaient si bas en comparaison de ceux de 1873 que, pour atteindre la même valeur, le Royaume-Uni aurait dû exporter quatre pièces de coton au lieu de trois, et huit ou dix tonnes de métaux au lieu de six. « L’ensemble du commerce britannique, évalué sur la base des prix de 1873, se serait élevé à 21.500.000.000 fr. au lieu de 16.800.000.000 fr. » Ainsi, s’exprimait en 1887, la Commission on Trade Depression (Commission de la Crise commerciale), dont on ne contestera pas l’autorité. Et il est fort probable que le même raisonnement serait vrai aujourd’hui.

On pourrait dire, sans doute, que l’année 1873 fut exceptionnelle à cause des commandes considérables qui suivirent la guerre franco-allemande. Mais le même mouvement décroissant a continué. En effet, si nous prenons les chiffres donnés dans les années récentes par le Statesman’s Year-book (Annuaire de l’Homme d’État), nous voyons que, tandis que le Royaume-Uni exportait, en 1883, 4.510.000.000 de mètres de pièces de coton, de laine et de toile et 142.000.000 kg. de filés, valant ensemble 2.620.000.000 fr., ce pays ne devait pas, en 1906, exporter moins de 6.577.000.000 mètres des mêmes étoffes et 122.500.000 kg. de filés, pour arriver au chiffre de 3.559.162.000 fr. ; et la proportion semble encore pire si nous considérons le coton seulement. Ainsi, en 1877 on exportait 1.772.000.000 de mètres de tissus de coton qui étaient évalués à 1.253 millions de fr., tandis que trente-cinq ans plus tard, il fallut exporter 2.400.000.000 de mètres de tissus pour atteindre une valeur de 745 millions. Et nous ne devons pas oublier que, en valeur, la moitié des exportations britanniques et irlandaises est constituée par les textiles[21].

Nous voyons donc que, tandis que la valeur totale des exportations du Royaume-Uni reste, à peu de chose près, stationnaire par rapport au nombre d’habitants depuis une trentaine d’années, les hauts prix qu’on aurait pu obtenir pour ces exportations il y a trente ans, et les gros bénéfices qui en seraient résultés, appartiennent à un passé qui ne reviendra plus. Et il serait inutile d’accumuler les chiffres et de multiplier les calculs pour essayer de persuader les industriels anglais qu’il n’en est pas ainsi. Ils savent parfaitement que le marché national s’encombre de plus en plus, que les meilleurs marchés étrangers leur échappent, et que sur les marchés neutres on trouve de la marchandise à meilleur compte que la marchandise anglaise. Telle est l’inévitable conséquence du développement des manufactures dans le monde entier[22].

On fonde aujourd’hui de grands espoirs sur l’Australie, où l’on compte trouver un excellent marché pour les produits anglais. Mais l’Australie fera bientôt ce que fait le Canada. Elle se mettra à fabriquer. Et la dernière Exposition coloniale, en montrant aux « colons » ce qu’ils peuvent faire et comment ils doivent s’y prendre, n’aura fait que hâter le jour où chaque colonie s’émancipera à son tour. Déjà le Canada lève des droits protecteurs sur les marchandises britanniques. Quant aux marchés du Congo dont on a tant parlé et aux calculs de Stanley promettant un commerce annuel de 650.000.000 fr. aux gens du Lancashire, s’ils fournissaient les Africains de pagnes, ces rêves fantaisistes rappellent les bonnets de nuit des Célestes qui devaient enrichir l’Angleterre à la suite de la guerre de Chine. Les Chinois — s’ils portent des bonnets de nuit, — préfèrent ceux qui sont fabriqués dans leur pays ; et quant aux peuplades du Congo, quatre nations au moins se disputent l’avantage de leur fournir leurs misérables vêtements : l’Angleterre, l’Allemagne, les États-Unis et… l’Inde, qu’on ne saurait oublier.

Il fut un temps où le Royaume-Uni avait presque le monopole de l’industrie du coton ; mais dès 1880 il ne possédait plus que 55 % des broches travaillant en Europe, aux États-Unis et dans l’Inde (40 millions sur 72), et un peu plus de la moitié des métiers (550.000 sur 972.000). En 1893, la proportion était encore réduite : 49 % des broches (45.300.000 sur 91.340.000), et depuis lors la réduction continue. L’Angleterre perd donc du terrain, tandis que les autres pays en gagnent[23].

Et la chose est toute naturelle ; on aurait pu la prévoir. Il n’y a point de raison pour laquelle la Grande-Bretagne devrait être à tout jamais la grande manufacturière de coton du monde, puisqu’elle doit, elle aussi, importer le coton brut. Il était dans l’ordre des choses que la France, l’Allemagne, l’Italie, la Russie, l’Inde, le Japon, les États-Unis, et même le Mexique et le Brésil se missent à fabriquer leurs filés et à tisser leurs étoffes de coton. Mais l’apparition, dans une région quelconque, de l’industrie cotonnière ou, en général, de n’importe quelle industrie textile, a pour conséquence inévitable le développement d’une série d’autres industries. Celles des produits chimiques, des constructions mécaniques, de la métallurgie, des mines, etc., reçoivent immédiatement une impulsion qui a sa cause dans un nouveau besoin. Toutes les industries du pays, ainsi que l’éducation technique en général, sont forcées de s’améliorer, afin de satisfaire ce besoin, aussitôt qu’il est senti.


Ce qui est arrivé pour le coton se reproduit en ce moment dans le domaine d’autres industries. La Grande-Bretagne et la Belgique n’ont plus le monopole de l’industrie lainière. D’immenses manufactures de Verviers sont devenues silencieuses ; les tisseurs belges sont tombés dans la misère, tandis que l’Allemagne augmentait chaque année, sa production de lainages et en exportait vers 1890 neuf fois plus que la Belgique ; l’Autriche fabrique ses laines et en exporte ; Riga, Lodz et Moscou pourvoient la Russie de belles étoffes de laine, et le développement de l’industrie lainière dans chacun de ces pays fait naître des centaines d’industries connexes.

Pendant fort longtemps la France a eu le monopole des soieries. Les vers à soie étant élevés dans la vallée du Rhône, il était tout naturel que Lyon devînt un centre pour la manufacture des soieries. Le filage, le tissage en chambre, la teinturerie prirent une grande extension. Mais l’industrie finit par se développer au point que le pays ne put suffire à la demande de soie brute et qu’il fallut en importer d’Italie, d’Espagne, de l’Autriche méridionale, de l’Asie Mineure, du Caucase et du Japon, pour une valeur de 225 à 278 millions de francs (1875 à 1876), tandis que la France ne pouvait en produire que pour 20 millions. Des milliers de jeunes paysans et de paysannes furent attirés par l’appât des hauts salaires à Lyon et dans les environs. L’industrie était prospère.

Cependant, peu à peu, de nouveaux centres pour l’industrie de la soie se formèrent à Bâle et dans les fermes des alentours de Zurich. Des émigrants français y importèrent cette industrie qui s’y développa surtout après la Commune de 1871. Le gouvernement du Caucase fit venir de son côté des ouvriers et ouvrières de Lyon et de Marseille pour enseigner aux Géorgiens et aux Russes les meilleurs moyens d’élever le ver à soie, ainsi que les procédés du dévidage ; et Stavropol devint un nouveau centre pour le tissage des soies. L’Autriche et les États-Unis en firent autant.

De 1872 à 1881, la Suisse fit plus que doubler sa production de soieries ; l’Italie et l’Allemagne accrurent la leur d’un tiers ; et la région lyonnaise, qui manufacturait annuellement pour une valeur de 454 millions de fr., ne produisit en 1887 que 378 millions. Les exportations de soieries lyonnaises, qui atteignaient une moyenne de 425 millions en 1855-59, et de 460 millions en 1870-74, tombèrent à 233 millions en 1887. Et des spécialistes français estiment qu’aujourd’hui un bon tiers des étoffes de soie consommées en France sont importées de Zurich, Crefeld et Barmen. L’Italie elle-même, qui a aujourd’hui 191.000 personnes travaillant dans l’industrie des soieries (contre 172.000 en 1891), envoie ses soies en France et fait concurrence à Lyon.

Les industriels français peuvent réclamer à cor et à cri des droits protecteurs, ou se mettre à produire à meilleur marché des étoffes de qualité inférieure, ils ont beau vendre 3.250.000 kg. d’étoffes de soie au prix où ils en vendaient 2.500.000, jamais ils ne reprendront la position qu’ils occupaient autrefois. L’Italie, la Suisse, l’Allemagne, les États-Unis et la Russie ont leurs propres manufactures et n’importeront plus de Lyon que les qualités supérieures. Quant aux qualités ordinaires, un foulard est devenu à Saint-Pétersbourg une parure ordinaire, même dans les classes pauvres, parce que les tisserands en chambre du Caucase septentrional en fournissent à un prix qui ferait mourir de faim les canuts lyonnais. L’industrie a été décentralisée, et si Lyon reste un centre pour les soieries artistiques, il ne reconquerra jamais l’importance qu’il avait il y a trente ans comme centre pour les étoffes de soie.

On pourrait citer par centaines des exemples analogues. Ce n'est plus Greenock qui fournit du sucre à la Russie, parce que ce pays en produit une immense quantité au prix où il est vendu en Angleterre. La fabrication des montres n'est plus une spécialité suisse : aujourd'hui on en fait partout. L'Inde extrait de ses quatre-vingt-dix mines les trois quarts de la houille qu'elle consomme. L'industrie des produits chimiques, qui grandit un jour en Angleterre et en Écosse, sur les bords de la Clyde et de la Tyne, grâce aux avantages particuliers qu'offrait l'importation des pyrites espagnoles et l'accumulation de nombreuses industries le long des deux estuaires, y est maintenant en décadence. L'Espagne, aidée de capitaux anglais, commence à utiliser ses pyrites pour son propre usage, et l'Allemagne est devenue un grand centre pour la fabrication de l'acide sulfurique et de la soude ; voilà même qu'aujourd'hui elle se plaint de la surproduction !


Mais tenons-nous en là. J'ai sous les yeux tant de chiffres répétant tous la même chose, que l'on pourrait multiplier les exemples à volonté. Il est temps de conclure, et pour tout esprit non prévenu la conclusion s'impose. Les industries de tout genre se décentralisent et sont dispersées sur toute la surface du globe ; partout la spécialisation fait place à une diversité de plus en plus grande, à une variété intégrée, harmonisée, d'industries.

Toutes les nations deviennent tour à tour industrielles ; et les temps sont proches où chaque nation d'Europe, ainsi que les États-Unis et même les peuples les plus arriérés d'Asie et d'Amérique, fabriqueront eux-mêmes à peu près tout ce dont ils auront besoin. Des guerres ou des causes accidentelles pourront peut-être retarder cette dissémination des industries : elles ne l'arrêteront pas : elle est inévitable. Pour chaque nouvelle venue, seuls les premiers pas sont difficiles. Mais dès qu'une industrie quelconque a pris fermement racine, elle en fait naître des centaines d'autres ; et les premières étapes franchies, les premiers obstacles surmontés, l'évolution industrielle s'accomplit à une allure accélérée.

On a le sentiment si net, sinon la conscience claire, de ce fait que la course aux colonies est devenue le trait caractéristique du dernier demi-siècle. Chaque nation veut avoir son empire colonial. Mais les colonies n'y feront rien. Il n'y a pas un autre Hindoustan au monde, et les conditions qui se sont présentées une fois ne se répéteront plus. D'ailleurs, quelques-unes des colonies britanniques ne menacent-elles pas déjà de devenir de sérieuses concurrentes pour la métropole ? D'autres, comme l'Australie, ne manqueront pas de suivre son exemple. Quant aux marchés encore neutres, la Chine, par exemple, ne sera jamais une cliente sérieuse pour l'Europe : elle peut chez elle produire à bien meilleur compte ce qu'elle nous achèterait, et quand elle croira avoir besoin de produits fabriqués à l'européenne, elle les fabriquera elle-même. Malheur à l'Europe si, le jour où la machine à vapeur envahira la Chine, elle compte toujours sur la clientèle étrangère ! Quant aux demi-sauvages de l'Afrique, ce n'est pas sur leur misère que peut s'édifier le bien-être d'une nation civilisée.

Le progrès doit être cherché dans une autre direction : il faut produira pour la consommation de son propre pays. Les clients pour les cotons du Lancashire et la coutellerie de Sheffield, les soieries de Lyon et les minoteries hongroises ne sont ni dans l'Inde ni en Afrique. Les vrais consommateurs des produits de nos usines doivent être chez nous : ce sont nos propres producteurs ; et ils peuvent l'être, pourvu qu'ils sortent de la misère.

Inutile d'envoyer des magasins flottants en Nouvelle-Guinée avec des articles de mode anglais ou allemands, puisqu'il y a dans les Îles Britanniques une foule de gens qui ne demanderaient qu'à acheter ces articles anglais, et qu'en Allemagne les clients ne manqueraient pas non plus pour les produits allemands, du jour où les travailleurs sortiraient de la misère.

Au lieu de nous fatiguer le cerveau à imaginer des moyens de nous assurer une clientèle lointaine, ne vaudrait-il pas mieux essayer de répondre aux questions suivantes : Pourquoi l'ouvrier anglais, dont on loue si fort les capacités industrielles dans les discours électoraux ; pourquoi le petit fermier écossais et le paysan irlandais dont la persévérance obstinée à créer un nouveau sol productif sur l'emplacement des tourbières fait l'objet de tant d'éloges, — pourquoi ne sont-ils pas, eux, les clients des tisserands du Lancashire, des couteliers de Sheffield et des mineurs du Northumberland et du Pays de Galles ? Pourquoi les canuts de Lyon non seulement ne portent-ils pas de soieries, mais parfois manquent de pain dans leurs mansardes ? Pourquoi les paysans russes vendent-ils leur blé et sont-ils contraints pendant quatre, six et même parfois huit mois de l'année de mélanger de l'écorce et toute sorte d'herbes à une poignée de farine pour faire leur pain ? Pourquoi les famines sont-elles si fréquentes parmi les cultivateurs de riz et de blé de l'Hindoustan ?

Dans les conditions actuelles de division en capitalistes et travailleurs, en détenteurs de la propriété et masses vivant d'un salaire incertain, l'extension de l'industrie à de nouveaux domaines s'accompagne toujours des mêmes faits horribles d'oppression de l'ouvrier, massacre d'enfants, paupérisme et insécurité, que l'on vit aux débuts du capitalisme dans la première moitié du dix-neuvième siècle en Angleterre. Dans les rapports des Inspecteurs des fabriques russes, dans ceux de la Chambre de commerce de Plauen, dans les enquêtes italiennes, dans les journaux socialistes du Japon, on retrouve absolument les mêmes révélations que dans les rapports des Commissions parlementaires anglaises de 1840 à 1842, ou bien des faits qui rappellent les révélations plus récentes sur le « sweating system » à Whitechapel et à Glasgow et sur le paupérisme à Londres.

Le problème du Capital et du Travail se trouve ainsi universalisé ; mais du même coup il est simplifié. Revenir à un état de choses où le blé sera cultivé et où les articles manufacturés seront fabriqués pour l'usage même de ceux qui font pousser l'un ou qui fabriquent les autres, tel sera sans doute le problème à résoudre pour l'Europe, d'ici un petit nombre d'années. Chaque pays deviendra son propre producteur et son propre consommateur de marchandises manufacturées. Mais ceci implique inévitablement qu'en même temps il sera son propre producteur et son propre consommateur de produits agricoles. Et c'est précisément là le sujet que nous allons aborder.


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  1. 3.333.000 ouvriers, et plus de 1.560.000 chevaux-vapeurs en Autriche, en 1902 ; et 300.000 ouvriers en Hongrie.
  2. Voir Appendice F.
  3. Les importations de coton brut atteignaient 150.000 quintaux métriques en 1880, 300.000 en 1885, et 2.067.430 en 1908. Le nombre des broches était de 3.800.000 en 1907, contre 880.000 en 1877. Toute l’industrie s’est développée depuis 1859. En 1908, la production locale de fonte montait jusqu’à 133.000 tonnes, et la production italienne de l’acier était de 430.000 tonnes en 1907, et de 506.000 en 1908. Les exportations des tissus en 1905 s’élevaient déjà à 620 millions de francs pour les soies, à 111 millions pour les colonnades, et 36 millions pour les articles de laine.
  4. En 1907 la Suisse exportait pour 1.124.499.125 francs, ce qui faisait 321 francs par tête de la population (contre 242 francs dans le royaume britannique), et là-dessus on trouvait pour 192 millions de produits agricoles, 587 millions de tissus, rubans, etc., 96 millions de machines et de métaux ouvrés, et 250 millions de divers autres articles manufacturés, dont 149.300.000 francs de montres. La population ouvrière des fabriques comptait 307.130 personnes.
  5. The Economist, 12 mai 1894, p. 9 : « Il y a quelques années les filatures d’Orizaba n’employaient que du coton brut importé ; mais aujourd’hui elles travaillent autant que possible du coton poussé et filé dans le pays ».
  6. Annuario estadistico, 1906. Ils consommaient 288.400 quintaux de coton brut et produisaient 12.406.500 pièces de cotonnades et 16.900 quintaux de filés.
  7. « Livres bleus », recueils de documents publiés par le Gouvernement pour les membres du Parlement.
  8. Schulze Gaewernitz. L’Industrie cotonnière en Angleterre et sur le continent, p. 123.
  9. En 1882, elles comptaient 5633 métiers et 95.940 broches. En 1895-1896, elles possédaient déjà 10.580 métiers avec 216.140 broches — en 13 ans ces chiffres avaient donc doublé — et elles employaient en moyenne 78.900 personnes. Mais dans les dix années suivantes, les chiffres doublaient de nouveau, puisqu’en 1908-9 nous trouvons 51 filatures, 29.000 métiers, 595.130 broches, 191.500 ouvriers. Ces statistiques montrent aussi, mieux que toute autre explication, les progrès réalisés dans l’outillage. Les exportations d’étoffes de jute de l’Inde étaient évaluées à 38 millions et demi en 1884-85, à 130 millions et demi en 1895, et à 305 millions en 1907-1908. (Voir Appendice H.)
  10. Extraction de la houille : 5.100.000 tonnes en 1899 ; 11.147.000 tonnes huit ans plus tard (en 1907).
  11. En 1886, le Japon importait 17.778.000 kg. de fil et en fabriquait 2.919.000. En 1889, les statistiques donnent 25.687.000 kg. importés pour 12.160.000 filés dans le pays.
  12. Les chiffres suivants montrent le progrès de l’industrie extractive : Cuivre : 2407 tonnes en 1875, 11.061 en 1887 ; 38.000 en 1906. — Houille : 567.200 tonnes en 1875, 1.669.700 en 1887 ; 4.259.000 en 1894 ; 12.709.000 en 1906. — Fer ; 3447 tonnes en 1875 ; 15.268 en 1887 ; plus de 20.000 en 1894 ; 50.000 en 1906. (K. Rathgen. Japan’s Volkswirtschaft und Staatshaushaltung, Leipzig, 1891 ; Rapports consulaires.)
  13. Inutile de dire combien les prévisions que j’avais exprimées ici en 1890 se sont confirmées depuis. Lors de la guerre que le Japon a soutenue victorieusement contre l’empire russe il a prouvé quels immenses progrès il avait fait dans le développement de ses industries, et quelle puissance représentaient son armée et sa flotte, admirablement bien pourvues de toutes les ressources de l’industrie moderne.
  14. Ouvriers employés dans l’industrie : 2.054.000 en 1870 ; ouvriers et autres salariés, 4.712.600 en 1890 ; 6.723.900 en 1905. Valeur de la production : 17.606.000.000 fr. en 1870 ; 47.736.000.000 en 1890 ; et 87.706.000.000 fr. en 1905. Production annuelle moyenne par ouvrier : 8570 fr. en 1870 : 10.343 fr. en 1890 ; et 13.050 fr. en 1905.
  15. Textile Recorder.
  16. Elle était de 9.446.300 tonnes (de fer brut) en 1895, et monta, avec l’acier et les produits divers de fer et d’acier, jusqu’à 22.992.400 en 1905, représentant une valeur de plus de 10 milliards et demi. En 1890, on obtenait 4.051.260 tonnes d’aciers Bessemer et « Clap Griffith, » et quinze ans plus tard on arrivait à 20.344.300 tonnes métriques (23.738.600 en 1906) ; et les moyens de production sont toujours augmentés, si bien qu’on comptait pouvoir produire de 33 à 35 millions de tonnes par an dès 1907.
  17. Le plus fort rendement d’un haut-fourneau en Angleterre ne dépasse pas 750 tonnes par semaine, tandis qu’en Amérique il atteint 2.000 tonnes. (Nature, 19 novembre 1891, p. 65.)
  18. J. R. Dodge, Farm and Factory : Aids to Agriculture from other Industries, New-York et Londres, 1884, p. III. Je ne saurais trop recommander ce petit ouvrage aux lecteurs qui s’intéressent à cette question. — Dans le Statesman’s Yearbook pour 1910, p. 380, on trouvera des chiffres frappants concernant l’amélioration rapide de toute l’industrie du fer et de l’acier, de 1898 à 1908. Nous n’avons rien de pareil en Europe.
  19. Je demandai un jour, en 1901 ou 1902, à un industriel russe, propriétaire d’immenses fabriques de cotonnades en Russie, donnant du travail à plus de 10.000 personnes, — où il achetait ses machines. Il aimait beaucoup l’Angleterre et y venait chaque automne pour la saison de la chasse. Mais il n’y achetait que les machines à filer. Quant aux machines à vapeur, il les achetait à Winterthur, en Suisse, et les meilleurs métiers mécaniques du monde — aux États-Unis.
  20. Moyenne du chiffre des exportations par habitant :
    1876 151 fr. 1885 147 fr. 1893 148 fr. 1901 168 fr.
    1877 149 fr. 1886 146 fr. 1894 139 fr. 1902 169 fr.
    1878 143 fr. 1887 151 fr. 1895 140 fr. 1903 172 fr.
    1879 140 fr. 1888 159 fr. 1896 144 fr. 1904 176 fr.
    1880 161 fr. 1889 168 fr. 1897 146 fr. 1905 192 fr.
    1881 168 fr. 1890 176 fr. 1898 145 fr. 1906 215 fr.
    1882 171 fr. 1891 164 fr. 1899 162 fr. 1907 242 fr.
    1883 169 fr. 1892 149 fr. 1900 177 fr. 1908 212 fr.
    1884 162 fr.
  21. Il n’y a que les filés de coton qui maintiennent leur prix, et ceci — parce qu’aujourd’hui on exporte surtout les numéros les plus fins. Ainsi en 1877 l’Angleterre exportait 170.500.000 livres de filés ; valeur, 224.291.000 fr. En 1902, on n’exportait plus que 128.272.000 livres ; valeur, 143.310.000 fr. Mais les gros bénéfices de 1873-80 ont disparu.
  22. Voir Appendice G.
  23. La Fédération Internationale des patrons de l’industrie cotonnière donnait au 1er mars 1909 la statistique suivante des broches dans différents pays du monde :
    Îles Britanniques 53.472.000 41 pour 100
    États Unis 27.846.000 21 »
    Allemagne 9.881.000 8 »
    Russie 7.829.000 6 »
    France 6.750.000 5 »
    Inde anglaise 5.756.000 4 »
    Autres nations 19.262.000 15 »
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    Total 130.796.000 100 » 100 »