Chansons du Chat noir/Complainte du bon saint Labre
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No 10
COMPLAINTE
DU BON SAINT LABRE
COMPLAINTE
DU BON SAINT LABRE
Un jour le bienheureux Labre
Se promenait au soleil ;
Il s’assit dessous un arbre,
Pour se livrer au sommeil.
Vint à passer un pauvre homme,
Tout nu, qui tremblait de froid,
En faisant des gestes comme
Un ministre sans emploi :
« Ah ! pauvre homme, je devine
Pourquoi tu trembles si fort.
Prends, pour couvrir ton échine,
Ma chemise en toil’ d’Oxford.
Voilà quinze ans que j’ la traîne
Jour et nuit par tous les temps !
Que Dieu sous sa garde prenne
Les puces qui sont dedans ! »
Quand le pauvre eut mis la ch’mise,
Il tremblait toujours autant :
« Maint’nant, faut contre la bise
Garantir ton bienséant.
Ami, voilà ma culotte,
Garde-la comme un trésor :
C’est la premier’ fois que j’ l’ôte
Depuis mon tirage au sort. »
Quand il eut couvert son torse,
Le pauvre tremblait encor.
Mais, sous une rude écorce,
Le saint cachait un cœur d’or :
« Tiens, dit-il, dans ces chaussettes
Mets tes pieds avec respect ;
C’est celles des grandes fêtes,
J’ai fait l’ tour du monde avec ! »
Quand il eut mis les chaussettes.
Le pauvre tremblait encor :
« Ami, couvre-toi la tête
De ce modeste castor.
Garde-toi de mettre en gage
Ce souvenir précieux,
Car c’est l’unique héritage,
Que m’aient laissé mes aïeux ! »
Quand il eut coiffé le feutre
Le pauvre tremblait encor :
« Ah, dit l’ saint, quoi donc lui feutre,
Pour l’arracher à la mort ?