Chansons du Chat noir/Le Banquet des maires
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No 2
LE BANQUET DES MAIRES
LE BANQUET DES MAIRES
Enfant gâté de mon canton,
Depuis quatorze ans je suis maire,
Bien que je me flatte, dit-on,
D’être un peu réactionnaire.
Un beau matin, monsieur Floquet
Me dépêche une circulaire :
Il me convie au grand banquet
Que nous offre le ministère !
« Je t’en prie, Hector, n’y va pas,
Me disait en pleurant ma femme.
Ils ont inventé ce repas
Pour se faire de la réclame ! »
Mais je lui répondis : « Tais-toi,
Joséphine, c’est mon affaire.
Je ne suis pas fâché, ma foi,
De voir de près ce ministère ! »
Je pars la veille du grand jour
Suivi de toute la fanfare,
Les pompiers viennent à leur tour
M’accompagner jusqu’à la gare.
Mille gamins poussent des cris :
Faut-il que je sois populaire !
Le voyage est à moitié prix !
Un bon point pour le ministère !
Nous étions quatre mille et plus
Entassés dans la grande salle.
Un vrai festin de Lucullus !
À sa place chacun s’installe.
Un grand laquais d’un air narquois
Sans cesse me remplit mon verre :
C’est du bordeaux de premier choix,
Ne blaguons plus le ministère !
« Monsieur, murmure, près de moi,
Un maire habitant des montagnes,
Vraiment, je ne sais pas pourquoi
Ça va si mal dans nos campagnes ! »
« Oui, m’écriai-je tout à coup,
Chez nous non plus ça ne va guère !
En attendant buvons un coup
À la santé du ministère ! »
On n’entendait plus d’autre bruit
Que le craquement des mâchoires.
Floquet n’avait pas d’appétit,
Mais il calculait ses victoires !
Nous sommes joliment traités,
On nous prend par la bonne chère.
Passez-moi les petits pâtés,
Vive à jamais le ministère !
Neuf heures ! Il faut s’en aller,
Tant pis, car la cuisine est bonne.
Je sens mes jambes flageoler,
À mes voisins je me cramponne.
Cahin, caha, chacun partait,
Trébuchant et roulant par terre :
« Braves gens, murmurait Floquet,
Ils soutiendront le ministère ! »