Chansons populaires de la Basse-Bretagne/La fille déchaussée

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LA FILLE DÉCHAUSSÉE
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J’avais vu une fille se promener, l’autre jour,
Qui avait jeté ses chaussures (de côté) pour aller danser.
Moi, de la prendre par la main pour lui demander :
— Viendriez-vous, Marie, faire un passe-pied ?

Et elle de me répondre, en brèves paroles :
— Je ne peux pas danser, je n’ai pas de chaussures !
Moi de lui dire, comme c’était jour de marché,
De venir sur la place[1] choisir des sabots.

Elle de s’en revenir de là, sur ses pas, jusqu’en ville ;
Au lieu de choisir des chaussures de bois, elle en avait volé
___________________________________ qui étaient en cuir.
Je la rencontrai, après qu’elle eut choisi ses chaussures.
— Maintenant par exemple, dit-elle, nous danserons tous deux !

Quand fut fini l’ébat et terminée la chose,
Je lui demandai d’aller la conduire chez elle :
Elle, de me dire, en bref langage :
— Venez donc, dit-elle, puisque vous avez bon vouloir.

Comme nous avancions quelque peu sur la grand’route,
Elle, de me dire : — « Voici venir mon homme !
Je demeurai bouche bée[2]et j’avais le bec grand (ouvert) :
Au lieu de choisir une jeune fille, j’avais choisi une femme !

Et moi, de m’en retourner de là, — je ne perdis point courage,
Et je suis venu jusqu’ici vous chanter ma chanson.

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  1. Le marché ou la foire se tiennent souvent dans les villes de Bretagne, extra muros, sur quelque plaine vaste, comme par exemple le foar-lec’h, à Lannion. C’est ce qui explique que, dans cette chanson, la fille rentre en ville, au sortir du lieu du marché.
  2. Genaouec, qui a grande bouche, qui a l’air ahuri, par extension, stupide, sot.