Chansons populaires de la Basse-Bretagne/Testament de la vieille jument

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TESTAMENT DE LA VIEILLE
JUMENT
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Entre Pontrieux et Kerlouet[1],
Est morte une vieille jument.

Elle criait, la vieille jument,
Qu’on lui enlevât ses fers ;

Elle criait à tue-tète :
— Arrachez les clous de mes sabots !

Voici dix-huit mois, sans mentir,
Que je n’ai couché dans une écurie,

Si ce n’est dans la grande grange de Kerlouet ;
Là, j’ai souvent logé.

Je recommande ma patience
A celui-là, Olivier Le Judec,

Lequel a été cruellement éprouvé, cette année,
Attendu qu’il a perdu sa femme ;

Attendu que, cette année, est morte sa femme ;
Vivre sans moitié n’est pas chose commode.

Prière de donner le crin de ma queue
A celui-là, Pierre Perrot,

Afin qu’il en fasse un chasse-mouches léger,
Pour émoucher ses chevaux, pendant l’été ;


Et quand rueront les autres chevaux,
ll se ressouviendra de la jument aveugle.

Portez ma tête au Frinaoudour[2],
Pour y servir de petite barque sur l’eau,

Pour passer de ce bord-ci à l’autre
Ceux qui iront à Plourivo à la chasse ;

Ceux qui iront à Plourivo chasser
Le lapin, le renard et le canard sauvage.


Françoise Mao. Pleudaniel — août 1888.
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  1. Métairie, près de la chapelle St Jacques, en Quimper-Guézennec, non loin de Pontrieux (Côtes-du-Nord).
  2. Le Frinaoudour (nez des deux eaux) est un lieu, en Quimper-Guézennec, situé sur le Leff, au confluent de cette rivière et du Trieux ; comme il n’y a pas de pont, il faut passer l’eau en bac.