Chansons populaires du Canada, 1880/p271
jacquot hugues
Jacquot Hugues n’est pas un être fictif ; il a bien réellement existé, et vécu de longues années dans le comté de Rimouski, où il est mort, il y a une vingtaine d’années, sans laisser de postérité.
Il est bon de savoir que c’était un être bien original que ce Jacquot Hugues. Il était grand de taille, et, quoique Français de naissance, on l’appelait le Sauvage, à cause sans doute de son teint très-basané, mais aussi à cause de ses allures excentriques et de sa coutume de porter des mitasses, avec ornements en babiche.
Il lui arriva un jour de s’emparer d’une baleine. Après qu’il l’eut dépecée et qu’il en eut extrait l’huile et la graisse, ses voisins s’en vinrent chez lui pour se partager le résidu, les cretons, comme cela était d’usage ; mais voilà mon Jacquot Hugues qui ne veut pas donner mais vendre ses cretons, et qui se met en frais de peser sa marchandise avec une romaine. C’en était bien assez pour se faire chanter ; néanmoins la verve des rimeurs de l’endroit se contint pour le moment ; mais lorsque, à quelque temps de là, on entendit dire que Jacques Hugues, le Sauvage, le vendeux de cretons, faisait des démarches pour se faire élire membre du parlement, toute digue fut rompue, et les couplets que l’on va lire volèrent de bouche en bouche, si bien que je les ai entendu chanter à plus de cent lieues de l’endroit où ils furent composés.
Dans l’comté de Rimouski,
À l’élection nouvelle,
Jacquot Hug’ s s’est présenté :
Il sentait la baleine !
Il avait pour réconfort
Tous les cretons de son bord.
Romaine, romaine, romaine !…
Quand il était cantinier,
Il vendait de l’eau forte ;
Il savait la baptiser
Sans demander main-forte :
C’est P’ tit Paul qui charriait l’eau,
Madam’ rinçait le tonneau…
À force, à force, à force !
Il ne se souvenait plus
De ses mitass’ à franges ;
Il eut donné ses écus
Pour entrer dans la chambre.
C’est c’ qu’on n’aurait jamais vu :
Un Sauvage d’être élu !
Peau noire, peau noire, peau noire !
En s’en revenant chez lui,
Il faisait la grimace ;
Le mond’ s’est bien aperçu
Qu’il avait le cœur flasque.
Il dit qu’il a vendu,
Mais à présent n’en vend plus.
Attrape, attrape, attrape !
Qu’en a composé la chanson,
C’est un garçon de gloire ;
Il ne vous dit pas son nom :
Ça vous reste à savoire.
Il espèr’ que ses amis
Chanteront tous avec lui :
Romaine, sauvage, peau noire !