I
Que fais-tu là, vieux tisserand ?
Que trames-tu, si tard, dans l’ombre ?
Quel est ce drap plus noir, plus grand
Que les ailes de la Nuit sombre ? —
C’est le linceul noir de l’oubli,
L’oubli des amitiés passées ;
Je leur promettais mes pensées :
Voici l’amour enseveli ! —
II
Dis-moi, tisserand diligent.
Pour qui cette toile si blanche,
Où le lys et l’aigle d’argent
Semblent périr sous l’avalanche ?
C’est le linceul blanc de l’oubli,
L’oubli de ceux que froisse et brise
Le règne qui me favorise.
Voici le lys enseveli ! —
III
Et pour qui donc, vieux tisserand,
Ce linceul rouge qui tressaille
Comme on voit, au soleil mourant,
Tressaillir un champ de bataille ? —
C’est le linceul rouge d’oubli,
L’oubli de ceux qui sont esclaves.
Pour que je vive sans entraves
Voici leur droit enseveli. —
IV
Arrête ! Vieillard, sans fierté,
Ta toile a fait le tour des âges.
Pour tisser une liberté
C’est trop de morts et de servages !
M’arrêter, non ! Je suis l’Oubli,
Je suis celui qu’en vain l’on prie.
Il faut pour que demain sourie
Qu’hier soit vite enseveli. —