I
Jadis, en la paix des familles,
Ma meule chantait sa chanson ;
J’aiguisais serpes et faucilles
Pour la vendange et la moisson.
Mais un jour, pour un peu de terre,
Deux tribus en vinrent aux mains.
J’aiguisai la faux de la guerre :
La faux moissonna les humains.
Mes bons messieurs, mes bonnes dames,
N’oubliez pas le rémouleur !
Les couteaux, les ciseaux, les lames,
Grâce à moi tout devient meilleur.
II
Ce que j’en ai fourbi d’épées !
Un peuple après l’autre s’en sert.
Bon Dieu ! si les têtes coupées
Pouvaient parler, quel beau concert !
Chacune à mon art rendrait grâces
D’avoir tranché vif leur orgueil
Et tous les préjugés de races,
Qui ne font la paix qu’au cercueil.
Mes bons messieurs, mes bonnes dames,
N’oubliez pas le rémouleur !
Les couteaux, les ciseaux, les lames,
Grâce à moi tout devient meilleur.
III
Bref, je rendis un tel service
Au monde en purgeant son péché,
Qu’au nom de la Loi, la Justice
M’a remis son glaive ébréché.
C’est un couteau triangulaire ;
Je l’ai poli. C’est un plaisir.
Ça vous coupe la jugulaire :
On n’a pas le temps de souffrir.
Mes bons messieurs, mes bonnes dames,
N’oubliez pas le rémouleur !
Les couteaux, les ciseaux, les lames.
Grâce à moi tout devient meilleur.
IV
Ma meule a soif, et mon eau s’use.
Ma meule a soif ; l’eau va tarir.
Voici bien des ans que l’eau fuse
Sur la pierre pour l’attendrir.
Sans eau, comment tremper les armes ?
Vous tous, qui voyez mon malheur,
Versez goutte à goutte vos larmes
Sur la meule du rémouleur.
Mes bons messieurs, mes bonnes dames,
N’oubliez pas le rémouleur !
Les couteaux, les ciseaux, les lames.
Grâce à moi, tout devient meilleur.
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