Chants populaires de la Basse-Bretagne/Les deux frères

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Édouard Corfmat (1p. 197-201).


LES DEUX FRÈRES.
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I

  — Si je vais à l’armée, comme je dois y aller,
Où mettrai-je ma femme, pour la garder ? —

  — Envoyez-la chez moi, mon cher frère, si vous voulez,
Je la mettrai en chambre avec mes demoiselles ;

  Je la mettrai en chambre, avec mes demoiselles,
Et quand vous reviendrez, mon frère chéri, vous la reverrez.

II

  Mais ses deux pieds étaient à peine sortis de la maison,
Qu’on lui dit : — A présent vous sortirez aussi !


  Quittez votre robe rouge et mettez votre robe blanche,
Pour aller sur la lande garder les moutons ![1]

  Pendant sept ans, environ, elle ne fit que pleurer ;
Les sept ans accomplis, elle commença à chanter.

  Un jeune gentilhomme, qui revenait de l’armée,
Entend sa voix qui chantait gaiment sur la lande :

  — Arrête, mon petit page, tiens la tête de mon cheval,
Pour que j’écoute la voix qui chante sur la lande ;

  Pour que j’écoute la voix qui chante sur la lande,
Voici sept ans que je n’entendis cette voix ! —

  — Bonjour à vous, bergère, gardeuse de moutons,
Je ne sais comment vous pouvez conserver là votre virginité ? —

  — Si, certainement, dit-elle, grâce à Dieu,
(Je la conserve) à un jeune gentilhomme, qui est à l’armée ;

  A un jeune gentilhomme, qui est à l’armée,
Et qui a des cheveux blonds, semblables aux vôtres. —

  — S’il a des cheveux blonds, semblables aux miens.
Prenez garde, bergère, que ce ne soit moi-même. —

  — Pour être dans la lande, à garder les moutons,
Je suis la grande dame du manoir du Faouet. —

  — Si vous êtes la grande dame du manoir du Faouet,
Dites-moi, bergère, si j’y serai logé ? —

  — Oui certainement, dit-elle, vous serez bien logé,
Et (vous aurez) une belle écurie pour mettre vos chevaux :

  Une belle écurie pour mettre vos chevaux.
Et un bon lit de plume pour vous coucher.

  Moi, je couche à l’étable, avec mes moutons.
Et c’est dans l’auge aux pourceaux qu’on me donne à manger[2].


III

  — Bonjour à vous, mon frère, je vous souhaite le bonjour !
Où est ma femme, que je ne la vois ? —

  — Elle est dans la chambre, avec mes demoiselles,
Quand elle descendra pour souper, alors vous la verrez , mon frère. —

  — Tu mens, mon frère, au milieu de tes yeux !
Ma femme est sur la lande, à garder les moutons !

  Approchez-vous, bergère, venez vous chauffer,
Car à votre pâleur, je crois que vous êtes malade. —

  — Sauf votre grâce, dit-elle, sauf votre grâce, je n’irai point,
Voilà sept ans que je ne me suis chauffée dans cette maison ;

  Je passais toutes mes nuits à l’étable, avec mes moutons,
Et c’est dans l’auge aux pourceaux qu’on me donnait à manger! —

  — Quand je partis pour l’armée, tu m’avais dit
Que tu la mettrais en chambre avec tes demoiselles ;

  Que tu la mettrais en chambre avec tes demoiselles,
Et tu l’as envoyée garder tes moutons sur la lande !

  N’était le respect que j’ai pour la maison de ma mère et de mon père,
J’aurais à l’instant lavé mon épée dans ton sang ! —


Chanté par Jeanne Le Gall, servante à Keramborgne. — 1849.
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  1. (1) Variante.

    — Si vous n’avez pas l’habitude, vous la prendrez ;
    J’ai ici un fouet de cuir, qui vous fera marcher ;

    J’ai ici un fouet de cuir, tressé en trois branches.
    Et qui vous fera marcher, malgré vous ! —

  2. (2) variante.

    — Or ça, bergère, rassemblez vos moutons,
    Pour aller tous les deux ensemble au manoir du Faouet. —

    — Sauf votre grâce, gentilhomme, je ne ferai pas cela.
    Car le soleil est encore haut et je serais blâmée ;

    Le soleil est encore haut, et je serais blâmée,
    Et vous seriez cause que je serais battue.

    C’est dans l’étable aux moutons que je couche.
    C’est dans l’écuelle du chien qu’on me trempe ma nourriture !