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Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Catherine Bernard

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CATHERINE BERNARD.


Mademoiselle Bernard (Catherine), parente du grand Corneille, naquit à Rouen en 1660. Elle vint s’établir à Paris et se rendit célèbre par son esprit et ses ouvrages. Cette demoiselle composa pour le Théâtre-Français deux tragédies, savoir : Laodamie, imprimée en 1690, pièce qui n’eut qu’un succès médiocre ; et Brutus, imprimée en 1691, et qui eut vingt-cinq représentations. Mademoiselle Bernard remporta trois fois, dans l’espace de huit ans, le prix de poésie à l’Académie française. Elle a aussi été couronnée trois fois aux Jeux floraux de Toulouse ; son mérite la fit d’ailleurs recevoir à l’Académie des Ricovrati de Padoue. On trouve dans différents recueils de poésies de jolis vers de sa façon ; quant aux ouvrages en prose, on ne connaît d’elle qu’Eléonore d’Yvrée et le Comte d’Amboise, qu’elle a donnés au public sous le titre de Nouvelles. Mademoiselle Bernard est morte à Paris en 1712.

Voici le placet par lequel cette demoiselle sollicite de Louis XIV sa pension :

Sire, deux cents écus sont-ils si nécessaires
Au bonheur de l’État, au bien de vos affaires,
Que sans ma pension vous ne puissiez dompter
Les foibles alliés et du Rhin et du Tage ?
A vos armes, grand roi, s’ils peuvent résister,
Si, pour vaincre l’effort de leur injuste rage,

Il falloit ces deux cents écus,
Je ne les demanderois plus.
Ne pouvant au combat pour vous perdre la vie,
Je voudrois me creuser un illustre tombeau,
Et, souffrant un trépas d’un genre tout nouveau,
Mourir de faim pour la patrie.
Sire, sans ce secours tout suivra votre loi,
Et vous pouvez en croire Apollon sur sa foi ;
Le sort n’a point pour vous démenti ses oracles :
Ah ! puisqu’il vous promet miracles sur miracles,
Faites-moi vivre et voir tout ce que je prévoi.


L’IMAGINATION ET LE BONHEUR

.
fable allégorique.


L’Imagination, amante du Bonheur,
Sans cesse le désire et sans cesse l’appelle ;
Mais sur elle il exerce une extrême rigueur,
Et, fait pour ses désirs, il est peu fait pour elle.
Dans sa tendre jeunesse elle alla le chercher
Jusque dans l’amoureux empire ;
Mais lorsque du Bonheur elle crut approcher,
Le Soupçon, le jaloux Martyre,
La Délicatesse encor pire,
Soudain à ses transports le vinrent arracher.
Dans un âge plus mûr, du même objet charmée,
Au palais de l’Ambition
Elle crut satisfaire encor sa passion ;
Mais elle n’y trouva qu’une ombre, une fumée,
Fantôme du bonheur et pure illusion.
Enfin, dans le pays qu’habite la Richesse,
Séjour agréable et charmant,

Elle va demander son fugitif amant ;
Elle y vit l’Abondance, elle y vit la Mollesse,
Avec le Plaisir enchanteur ;
Il n’y manquoit que le Bonheur.
La voilà donc encor qui cherche et se promène.
Lasse des grands chemins, elle trouve à l’écart
Un sentier peu battu qu’on découvroit à peine.
Une beauté simple et sans art
Du lieu presque désert étoit la souveraine ;
C’étoit la Piété. Là, notre amante en pleurs
Lui raconta son aventure :
Il ne tiendra qu’à vous de finir vos malheurs ;
Vous verrez le Bonheur, c’est moi qui vous l’assure,
Lui dit la fille sainte ; il faut, pour l’attirer,
Demeurer avec moi, s’il se peut, sans l’attendre,
Sans le chercher, au moins, sans trop le désirer :
Il arrive aussitôt qu’on cesse d’y prétendre,
Ou que, dans sa recherche, on sait se modérer.
L’Imagination à l’avis sut se rendre :
Le Bonheur vint sans différer.


AU ROI,


sur l’établissement de la capitation.


La capitation va nous combler d’honneurs :
Vous voulez que nos biens aident à vos conquêtes,
Mais à combien sont taxés les auteurs ?
Ce ne sont pas de bonnes têtes.
Sire, déjà par moi vous êtes bienfaisant,
Et je ne dois mes jours qu’à votre seule grâce :
Augmentez vos bienfaits, afin que je vous fasse
Au moins un honnête présent.