Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Madame Bourette

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MADAME BOURETTE.


Madame Bourette (Charlotte), auparavant madame Curé, et surnommée la Muse limonadière, naquit à Paris en 1714 et y mourut en 1784. Cette dame tenait le café Allemand, rue Croix-des-Petits-Champs, et se fit connaître par un grand nombre de petits ouvrages tant en vers qu’en prose. Jalouse de se faire une brillante réputation, elle parvint, au moyen de ses écrits, à entretenir des relations avec plusieurs souverains, des princes et princesses de sang royal et les hommes les plus célèbres de ce temps. Les vers de madame Bourette sont en général négligés, peu exacts et prosaïques. On voit qu’elle ignorait les principes de l’art de rimer ; mais chaque pièce est terminée par une pensée ingénieuse, ce qui ne se rencontre pas toujours dans ces sortes de compositions ; en revanche, la prose de cette dame est vraiment poétique et fait regretter qu’elle n’ait pas versifié avec le même talent. Les œuvres diverses de la Muse limonadière, avec les différentes pièces qui lui ont été adressées, ont été imprimées à Paris en 1755, et forment deux volumes in-8o. Madame Bourette a fait aussi une comédie intitulée la Coquette punie, qui fut jouée sur le Théâtre-Français en 1779.

M. de Fontenelle, en faisant visite à madame Bourette, lui adressa ces deux vers :

« Si les dames ont droit d’introduire les modes,
En prose désormais on doit faire les odes. »

Cette dame remercia M. de Fontenelle de sa visite par les vers suivants :

Cher Anacréon de Neustrie,
Dont la rare et sage folie
Joint Épicure avec Zénon,
Votre visite en ma maison,
Malgré le poison de l’Envie,
En tout tems, en toute saison,
Fera le plaisir de ma vie.
Mais en ce saint tems de pardon
Que nous accorde le Saint-Père,
Quel compliment puis-je vous faire
Qui n’ait un fumet d’oraison ?
L’on ne parle que de prière,
De conférence et de sermon.
Vous le sçavez, fils d’Apollon,
Je peux le dire sans mystère,
Nous parlons tout autre jargon.
Il faut donc sagement me taire,
Ou vous dire avec onction :
Vous m’avez fait faveur insigne ;
Ah ! seigneur, je n’étois pas digne
Que vous vinssiez dans ma maison !


ÉPITRE
à m. helvétius,
sur son abdication de la place de fermier-général.


On a vu de fiers potentats,
Lassés de la grandeur suprême
Fouler aux pieds le diadème,
Et de la royauté fuir les vains embarras :
Mais on ne vit jamais, dans un bonheur extrême,
Un favori du dieu Plutus,
Pour les neuf filles de mémoire,
Quitter les quarante Crésus,
Dont un bon de Louis nous annonce la gloire.
Tu l’as compris, ô sage Helvétius !
Un mortel trop heureux, courbé sous la richesse,
Rampe toujours avec bassesse
Dans les fanges de l’Hélicon.
Les sages enfants d’Apollon
De l’opulence enchanteresse
Fuyent le dangereux poison.
Le fameux chantre d’Herminie
Fut riche dans sa poésie,
Mais très-pauvre dans sa maison ;
Et sans le secours de Mécène,
Malgré les faveurs d’Apollon,
Celui qui chanta Coridon,
Eût traîné ses jours dans la peine,
Et n’eût jamais chanté Didon.

Puisse le dieu de l’harmonie
Te prodiguer tous ses trésors !
Que Calliope, que Thalie
T’inspirent les plus doux accords ;
Que leur main facile s’empresse
À te cueillir sur le Permesse
Les fleurs qui naissent sur ses bords.
Méprise le discours frivole
Des insensés de qui l’idole
Est un métal vain et trompeur :
Loin de leur troupe mercenaire,
Cherche le vrai qui nous éclaire,
Et dans un esprit sage, ennemi de l’erreur,
Hâte-toi de trouver un ami salutaire.
Mais par ces rimes de travers,
Que ma muse arrange à l’envers,
C’est trop long-tems interrompre tes veilles.
Ah ! que n’ai-je en ce jour pu charmer tes oreilles !
Je dirois à tout l’univers,
Lorsque Plutus fait des merveilles,
Apollon doit faire des vers.


ÉPÎTRE À MON MARI,
à la campagne.


Puisque le style poétique
N’est pas toujours mélancolique,
Sur ton absence de Paris,
Je ne pousse pas les hauts cris.
De l’incomparable la Suse,
Je ne consulte point la muse.

Qui, sans rien sentir dans le cœur,
Faisoit jadis une élégie ;
Et dont les vers pleins d’énergie
Exprimoient sa fausse douleur.
N’attends donc pas que je t’envoye,
Mon cher ami, mon tendre époux.
Des compliments plaintifs et doux,
Lorsque tu nages dans la joye.
En effet, quel contentement
De voir en ce tems réunie
Toute une famille chérie,
Jouir du divertissement
Qu’attire un établissement,
Le plus fortuné de la vie.
Tu verras dans ces lieux heureux
Bien des bergers et des bergères
Marquer, par leurs danses légères,
Le bonheur d’un couple amoureux.
Si j’assistois à cette fête,
J’y voudrois prendre tant de part,
Que je saurois, sans beaucoup d’art,
Si je le mettois dans ma tête,
faire danser l’abbé Pignard.
Aux nouveaux mariés souhaite
De ma part le plus heureux sort.
Une prospérité parfaite,
Et qu’ils s’aiment jusqu’à la mort.
Je n’en dirai pas davantage.
Rapporte surtout, au retour,
Ton amitié dans le ménage,
Et, s’il se peut, tout ton amour.


ÉPÎTRE À MON MARI,
écrite de meaux.


À toi, de qui la destinée
Avec la mienne est enchaînée
Par des liens qu’aucun effort
Ne peut rompre, excepté la mort,
Je ne puis, d’un petit voyage,
En guise de pèlerinage,
Te faire un gracieux récit :
Je suis en ces lieux, tout est dit.
De tes parents la kyrielle,
Cette aimable et longue séquelle,
S’est assemblée autour de moi,
Et chacun m’a parlé de toi.
J’ai revu ce précieux gage
De notre amour ; et ton image
N’est pas mieux tracée au miroir,
Que dans ces traits charmants à voir.
Je mérite que l’on me croye,
Lorsque je dirai qu’avec joye
Dans mes bras j’ai su le presser,
Pensant toi-même t’embrasser.
Cependant, pour moi la campagne
N’est pas un pays de Cocagne ;
Quoique l’on dise que les jours
À présent sont devenus courts,
Ils paroissent, pour me déplaire,
Beaucoup plus longs qu’à l’ordinaire.


Puisque je suis loin de Paris
Et de tout ce que je chéris,
Mais surtout d’un époux que j’aime
Cent mille fois plus que moi-même.


AU ROI DE PRUSSE,
qui lui avait fait présent d’un étui d’or.


Un étui destiné pour en faire un cachet
Qui sert à sceller un secret,
N’étoit pas de ma compétence ;
Car mon cœur est si satisfait
D’un présent de cette importance.
Qu’il ne sauroit rester muet,
Ni cacher les transports de sa reconnoissance.


À VOLTAIRE, de qui elle avait reçu une tasse de porcelaine


Législateur du goût, dieu de la poésie,
Je tiens de vous une coupe choisie,
Digne de recevoir le breuvage des cieux.
Je voudrois, pour vous louer mieux,
Y puiser les eaux d’Hippocrène ;
Mais vous seul les buvez, comme moi l’eau de Seine.