Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Madame Chemin

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MADAME CHEMIN.


Madame Chemin (Adélaïde-Isabelle-Jeanne Vivien-Deschampsy), née à Lunéville en 1772. On a d’elle le Malheur des circonstances, poème, Paris, 1803, et plusieurs romans.


ROMANCE.


Toi, qui me parles sentiment,
Connais-tu l’amour et ses peines,
Et ses larmes et son tourment ?
As-tu jamais porté ses chaînes ?
Je connais ce petit garçon,
Il fit le malheur de ma vie !
Il a fait perdre la raison
Bien plus d’une fois à Délie.

Toi, dont le cœur me semble aimant,
As-tu connu la jalousie ?
Ah ! c’est le plus cruel tourment :
Redoute cette frénésie.
J’ai connu toute sa fureur.
Lorsque j’aimais à la folie
Hélas ! que d’instants de douleur
A passés la triste Délie !

As-tu connu tous les tourments
Que nous fait éprouver l’absence ?
As-tu compté tous les moments
Par les soucis, par la souffrance ?

Loin de l’objet de ses ardeurs,
Le cruel fardeau que la vie !
Évite de pareils malheurs,
Ne quitte jamais ton amie.


CHANSON.


Dans les premiers jours de ma vie,
Je courus après le bonheur ;
Mais le chercher, quelle folie !
Penser le trouver, quelle erreur !
Je croyais aux amis fidèles,
Aux amants tendres et constants ;
Dans ces illusions cruelles,
J’ai vu s’écouler mon printems.

Pour attraper une chimère,
J’ai perdu les plus beaux instants ;
Avec une douleur amère,
Je vois s’approcher mes trente ans
Ici, point de pas rétrograde ;
Rien n’arrête le cours du tems :
En arrière en vain l’on regarde,
On ne revoit plus son printems.

Tous les matins dans une glace
Je cherche encore ma beauté ;
Mais chaque jour elle s’efface,
Et mon cœur en est attristé.
Ô Raison : prête-moi tes armes ;
Fais-moi briller par les talents,
Quand viendront à périr ces charmes,
Vaine gloire de mon printems.