Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Mademoiselle Deshoulières

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MADEMOISELLE DESHOULIÈRES.


Antoinette-Thérèse Deshoulières naquit à Paris en 1662. Son premier pas dans la carrière poétique fut un triomphe ; elle remporta, en 1687, c’est-à-dire à vingt-cinq ans, le prix proposé par l’Académie française ; ce qui fut d’autant plus glorieux, qu’elle avait eu des rivaux dangereux à combattre. Cet honneur l’encouragea beaucoup ; mais la délicatesse de sa santé et la perte successive de ses plus proches parents ne lui permirent pas de donner un plein essor à ses talents. Elle se borna depuis à des pièces fugitives que l’on a imprimées à la suite des œuvres de sa mère. L’ouvrage le plus considérable qu’elle ait entrepris est l’opéra de Callirhoé, qu’elle abandonna dès qu’elle sut qu’un autre auteur travaillait sur le même sujet. Ce qui est sorti de sa plume n’est ni aussi élevé pour les pensées, ni aussi poétique que les beaux morceaux de madame Deshoulières ; mais il y a de l’harmonie, de la douceur et du charme. Parmi les peines qui affligèrent mademoiselle Deshoulières, la plus sensible fut la mort d’un jeune officier plein de mérite qu’elle devait épouser et qui fut tué à l’armée. Elle fut agrégée à l’académie des Ricovrati de Padoue, en remplacement de sa mère, et mourut en 1718.


STANCES.


Quel sort au mien est comparable ?
Tous mes jours sont marqués par de nouveaux malheurs ;
De quels crimes suis-je coupable ?
Ciel ! ne suis-je ici-bas que pour verser des pleurs ?
A tes ordres sans cesse et soumise et fidelle ,
J’ai toujours de tes loix respecté le pouvoir ;
L’excès de ma douleur mortelle
Livrera-t-il mon cœur à l’affreux désespoir ?

D’un torrent de malheurs ma vie est traversée ;
On diroit, en voyant dans cet heureux séjour
Les peines, les ennuis où je suis exposée,
Et le funeste sort de mon fidèle amour,
Que du ciel, contre moi, la bonté courroucée
Me partage à regret la lumière du jour.

Cependant cet amour, si fidèle et si tendre,
Toujours sur mon devoir a réglé ses désirs ;
Hélas ! à d’innocens plaisirs
Quel cœur, plus que le mien, eut plus droit de prétendre ?

Quel cœur sentit jamais de plus vives frayeurs,
Lorsque la tendre Philomelle
Annonça, par ses chants, le retour des horreurs
Que Bellone, en courroux, traîne en foule après elle ?

Arbres, ruisseaux, charmantes fleurs,
Quel cœur brûla jamais d’une flamme plus belle ?
Et vous, vastes forêts, témoins de mes douleurs,
Et dont tout ici renouvelle
De mon funeste sort les constantes fureurs ;
Quelle aventure plus cruelle,
Quelle mort, quel amant mérita mieux mes pleurs ?

Je ne viens point rappeler sous vos ombres
Ce que Tircis eut de charmant.
L’horreur qui suit la mort de mon amant
M’attire et me retient dans vos demeures sombres.
Seule dans ces forêts, loin du monde et du bruit,
J’abandonne mon cœur à sa douleur mortelle ;
Et je goûte à longs traits les maux qu’elle produit
Dans un cœur accablé, malheureux et fidelle.



ODE

COURONNÉE PAR L’ACADÉMIE FRANÇAISE

EN 1687,

sur le soin que Louis XIV prenait de l’éducation de la noblesse dans les places de guerre et dans Saint-Cyr.


Toi, par qui les mortels rendent leurs noms célèbres ;
Toi, que j’invoque ici pour la première fois,
De mon esprit confus dissipe les ténèbres,
Et soutiens ma timide voix.
Le projet que je tente est hardi, je l’avoue ;
Il auroit effrayé le peintre de Mantoue,
Et j’en connois tout le danger.
Mais, Apollon, par toi si je suis inspirée.
Mes vers pourront des siens égaler la durée ;
Hâte-toi, viens m’encourager.

A peine a-t-il calmé les troubles de la terre,
Que ce sage héros consulte avec la paix
Les moyens d’effacer les troubles de la guerre
Par de mémorables bienfaits.
Il dérobe les cœurs de sa jeune noblesse
Au funestes appas d’une indigne mollesse,
Compagnes d’un trop long repos.
France, quels soins pour toi prend ton auguste maître
Et qu’ils vont pour jamais dans ton sein faire naître
Un nombre infini de héros !

Dans un superbe enclos où la sagesse habite,
Où l’on suit des vertus le sentier épineux,

D’un âge plein d’erreur mon foible sexe évite
Les égaremens dangereux.
D’enfans infortunés cent familles chargées
Du soin de les pourvoir se trouvent soulagées :
Quel secours contre un sort ingrat !
Par lui ce héros paie, en couronnant leurs peines,
Le sang dont leurs aïeux ont épuisé les veines
Pour la défense de l’État.

Ainsi dans les jardins on voit de jeunes plantes,
Qu’on ne peut conserver que par des soins divers,
Vivre et croître à l’abri des ardeurs violentes
Et de la rigueur des hivers :
Par une habile main sans cesse cultivées,
Et d’une eau vive et pure au besoin abreuvées,
Elles fleurissent dans leur tems :
Tandis qu’à la merci des saisons orageuses,
Les autres, au milieu des campagnes pierreuses,
Se flétrissent dès leur printems.

Mais quel brillant éclair vient de frapper ma vue ?
Qui m’appelle ? Qu’entends-je, et qu’est-ce que je voi ?
Mon cœur est transporté d’une joie inconnue :
Quels sont ces présages pour moi ?
Ne m’annoncent-ils point une je verrai la chute
Des célèbres rivaux avec qui je dispute
L’honneur de la lice où je cours ?
Que de gloire, et quel prix ! Si le ciel me l’envoie,
Le portrait de Louis, à mes regards en proie,
Les occupera tous les jours.