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Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Mademoiselle L’Héritier de Villandon

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Mlle L’HÉRITIER DE VILLANDON.


Marie-Jeanne l’Héritier de Villandon naquit à Paris en 1664 et y mourut en 1734. Elle était fille de Nicolas l’Héritier, seigneur de Nouvellon et de Villandon, historiographe du roi et littérateur distingué. Mademoiselle l’Héritier s’est rendue célèbre par sa grande amabilité, par son savoir et par son talent pour la poésie. Quoiqu’elle fût presque toujours persécutée par la fortune, n’ayant obtenu que peu d’années avant sa mort une pension de 400 livres, elle réunissait fréquemment chez elle les auteurs et les gens d’esprit les plus renommés. Amie intime de mademoiselle de Scudéry, mademoiselle l’Héritier fit son apothéose en prose et en vers qui fut imprimée en 1702. Elle avait publié, en 1696, parmi ses OEuvres mêlées, celui de madame Deshoulières, composé dans le même genre et adressé à mademoiselle de Scudéry. Les principaux ouvrages de mademoiselle l’Héritier sont : 1o la Tour ténébreuse ou Histoire de Richard Cœur-de-Lion, contes anglais ; 2o la Pompe dauphine, en prose et en vers ; 3o le Tombeau du Dauphin, duc de Bourgogne, en vers ; 4o les Caprices du Destin ; 5o la traduction des Epîtres héroïques d’Ovide, dont seize en vers. Cette dame était de l’Académie des Jeux floraux de Toulouse et de celle des Ricovrati de Padoue.


LE PRINTEMPS.


IDYLLE.


Le printems dans ces lieux fait briller mille fleurs,
Tout renaît et tout rit dans ce charmant bocage ;
On y goûte le frais d’un agréable ombrage,
Et les tendres oiseaux, se contant leurs langueurs,
Y charment par leur doux ramage :
Un vert brillant et vif embellit ces coteaux,
Zéphir agite l’air d’un souffle favorable,
On voit couler de claires eaux
Qui, par un murmure agréable,
Se mêlent aux concerts que forment les oiseaux
Quoique dans ces beaux lieux tout semble fait pour plaire,
Un cœur qui connoît bien, des malheureux humains,
Les gênes, les cruels destins,
Ne peut ici se satisfaire :
Ces aimables productions

Que la nature et le ciel favorisent,
Insensiblement le conduisent
A de tristes réflexions.
Ces arbres et ces fleurs, ces oiseaux, ces eaux pures,
Dans une douce liberté
Goûtent tous les plaisirs de la tranquillité,
Et n’ont point comme nous des loix fières et dures,
Qui viennent mettre obstacle à leur félicité.
Que votre sort est doux auprès du nôtre,
Vous, qui par le printemps rendez ces lieux si beaux,
Chênes, fleurs, rossignols, ruisseaux.
Notre destin, hélas ! bien différent du vôtre,
Nous livre chaque jour à des tourmens nouveaux.
Par une cruelle aventure,
Nous sommes condamnés à fuir ce qui nous plaît :
Aux penchans les plus doux qu’inspire la nature,
L’importune raison oppose un fier arrêt.
C’est en vain qu’en secret notre cœur en murmure,
L’esprit de la raison prend toujours l’intérêt.
Armé d’une autorité sûre.
Il sait, par des ressorts puissans,
Sous son pouvoir enchaîner tous les sens.
La nature, par nous si souvent outragée,
Par ces fières rébellions
Ne nous prescrit plus rien, et, pour être vengée.
Nous abandonne aux noires passions :
Le servile intérêt, l’implacable vengeance,
La jalousie et la douleur.
Sans cesse nous rongent le cœur,
Et nous font ressentir leur barbare puissance
Avec une aveugle fureur ;
Les saisons les plus favorables
N’ont rien pour nous de parfaitement doux ;
Par nos destins impitoyables,

Nous sommes exposez sans cesse à leur courroux,
Et nous ne devons pas attendre
Que la nature daigne en repousser les coups ;
Elle veut que l’esprit sache seul se défendre ;
Mais, malgré ses plus grands efforts,
Il est souvent près de se rendre,
Ayant des ennemis si cruels et si forts.
Bois, honneur de ces lieux, vous n’êtes pas de même,
Vous ne craignez ennemis ni jaloux ;
La nature vous sert avec un soin extrême,
Et les saisons n’ont rien de fort rude pour vous ;
Si l’hiver vous ravit votre aimable verdure,
Le printemps, qui bientôt ranime la nature,
Vous rend mille nouveaux appas.
Vous, habitants ailez de ces sombres bocages,
De qui les tendres airs ont des tons si charmans,
On ne sauroit douter de vos heureux momens,
Quand on entend vos gracieux ramages ;
Rien ne trouble jamais votre tranquillité,
Que la peur de languir dans de durs esclavages,
Par les pièges qu’on tend à votre liberté.
Oiseaux, nous ne serions que foiblement à plaindre.
Si nous n’avions, hélas ! que de tels maux à craindre.
Vous, dont le cristal argenté
Rend nos bois plus charmans et raffraîchit nos plaines.
Brillantes eaux, claires fontaines,
Qui rendez de ces lieux le séjour enchanté,
Vous ne connoissez point les chagrins ni les gênes.
Quand l’aimable printemps, par son charmant retour,
Fait aimer tout ce qui respire,
Qu’un amoureux ruisseau pour vos ondes soupire,
Il vous suit et vous fait la cour.
Sans craindre le pouvoir d’un tyrannique empire.
Vous répondez à son amour,

Suivant l’ardeur qu’il vous inspire ;
Et ces charmants plaisirs sont pour vous éternels :
Comme les malheureux mortels,
Rien ne vous asservit aux loix des destinées,
Qui souvent, au milieu des plus belles années,
Viennent trancher le cours de leurs contentemens :
Ah ! loin d’en ressentir les rigueurs obstinées,
Vous renaissez à tous momens.
Mais que nous sert, hélas ! qu’en voyant la lumière
Nous ayons un destin le plus doux, le plus beau ?
Puisque, par l’horreur du tombeau,
On voit en un instant finir notre carrière ?
Tant de projets flatteurs, tant de vastes desseins,
Sont en moins d’un moment inutiles et vains.
La gloire, le bonheur et les plaisirs du monde
Passent aussi rapidement
Qu’on voit couler votre belle onde
Dans ce lieu tranquille et charmant
Printemps, qui parez ces bocages
Par tant de brillantes images
Qui ne font qu’affliger notre cœur abattu,
De mille désirs combattu,
On doit toujours craindre vos charmes ;
Malgré les agrémens qu’offre votre saison.
Vos dangereux attraits, par leur flatteur poison,
Tâchant de nous prêter des armes
Contre les loix de la raison,
L’exposent en secret à cent rudes alarmes.



COMPARAISON

DE LA FIÈVRE ET DE L’AMOUR.


Une brûlante ardeur me court de veine en veine,
Je sens un inquiet chagrin,
Je ne dors non plus qu’un Lutin ;
J’ai l’esprit à l’envers, tout me trouble et me gêne :
Mais si je brûle nuit et jour,
Ce n’est pas des feux de l’Amour.
La chaleur d’une fièvre ardente
Me cause seule ces tourments.
Ceux que donne l’Amour sont encor bien plus grands,
Au moins à ce que l’on nous chante ;
Car, grâce au ciel, jusqu’aujourd’huy,
Je ne connois ce Dieu que sur la foy d’autruy.
Si je puis cependant dire ce qu’il m’en semble,
Sur le rapport de ceux dont son cruel poison
Trouble les sens et la raison :
L’amour dans ses effets à la fièvre ressemble.
La fièvre met les gens en feu,
Fait rêver, rend visionnaire :
Ainsi fait le Dieu de Cithère ;
Ses sujets ne rêvent pas peu.
Chaque amant croit que sa maîtresse
Brille de grâces et d’appas,
Qu’il n’est point d’objet icy-bas
Pareil à celuy qui le blesse ;
Et toutes ces perfections
Ne sont que pures visions

D’une folle délicatesse.
La fièvre renverse l’esprit,
Oste la force et l’appétit ;
Empoisonne le cœur, fait cent métamorphoses :
L’amour, fût-ce le plus petit,
Avec excès cause les mêmes choses.
Est-il rien de si foux que deux jeunes amants ?
Enfin, on voit, plus on y pense,
Que la fièvre et l’amour, tous deux maux fort méchants,
Ont une grande ressemblance ;
Toute la seule différence,
C’est que la fièvre a des moments heureux.
Où l’esprit en repos se sent dégagé d’elle ;
Mais ceux à qui l’amour a tourné la cervelle,
C’est sans retour, plus de raison pour eux !
Ainsi donc, ma chère Amarante,
J’aime mieux sentir le courroux
De la fièvre qui me tourmente,
Fût-elle encor plus violente,
Que les feux importuns de l’amour le plus doux.


RONDEAUX.

A UNE JEUNE DEMOISELLE.


C’est grand hazard que trouver un amant
D’esprit poly, de corps gent et charmant,
Qui n’aille point de ruelle en ruelle
Faire serment de constance éternelle.
Et protester partout également.

Quoyque sachiez, mais bien certainement.
Que jovenceaux mentent impunément,
Près tels muguets si vous restez cruelle,
C’est grand hazard.

Si voulez donc vivre tranquillement,
Et que pensiez à l’établissement,
Fuyez, Iris, blondins et leur sequelle ;
Avec ces feux, c’est en vain qu’on est belle :
Si jamais un parle du sacrement.
C’est grand hazard.


À LA MÊME.


C’est grand hazard, si l’on voit deux esprits
Avoir chez eux mêmes désirs nourris.
Vous n’aimez rien qu’amour et badinage ;
Mais moy qui hais leur importun bagage,
Mon cabinet me tient lieu de réduits[1].

Là du savoir j’examine le prix,
Et puis m’occupe à frivoles écrits ;
Car si par fois je fais passable ouvrage,
C’est grand hazard.

Aussi mon cœur de renom n’est épris,
Et d’Apollon je n’ai l’art entrepris
Que pour bannir l’oisiveté peu sage :
Quand trop on est de loisir au bel âge.
Sans coqueter avec maints favoris,
C’est grand hazard.

  1. Boudoir.