Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Mesdemoiselles Dupré et de la Vigne

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MLLES DUPRÉ ET DE LA VIGNE.


Marie Dupré, surnommée la Cartésienne à cause de son attachement à la philosophie de Descartes, était fille du poète Desmarets de Saint-Sorlin, auteur de la fameuse comédie des Visionnaires, et nièce de Roland Desmarets, homme d’un grand mérite, qui soigna son enfance de manière à lui faire acquérir beaucoup de talent. Ayant découvert en elle, dès ses premiers ans, un esprit propre aux sciences et à l’étude des langues. Il lui fit apprendre le grec, le latin, l’italien, etc. Elle a fait plusieurs petites pièces de vers agréables, insérées dans les recueils du temps, et était liée étroitement avec mesdemoiselles de La Vigne et de Scudéri. Mademoiselle Dupré ayant envoyé, sous le voile de l’anonyme, à mademoiselle de La Vigne, à l’occasion de l’ode que celle-ci intitula : Monseigneur le dauphin au roi, une boite de coco renfermant une lyre d’or avec une ode à la louange de l’auteur, mademoiselle de La Vigne y répondit par les stances suivantes :


À L’ILLUSTRE AUTEUR
DE L’ODE POUR CLIMÈNE,
QUEL QU’IL SOIT.


Que ne la gardiez-vous cette lyre galante,
Généreux inconnu ? Pourquoi me la donner ?
Ah ! c’est sous votre main délicate et savante
Qu’elle doit résonner.

Du moins, pour me la rendre encor plus précieuse,
Il falloit à mes yeux soudain vous découvrir,
Et ne me pas cacher cette main généreuse
Qui daignoit me l’offrir.

Souvent mon cœur, flatté par la fausse apparence,
Presqu’en tous mes amis croit vous apercevoir ;
Et pour eux, tour à tour, sent la reconnoissance
Que je crois vous devoir.

Quelle tranquillité ne le cède à la vôtre ?
Quoi, jamais de vos droits vous ne serez jaloux,
Et vous voudrez toujours que je donne à quelqu’autre ?
Ce qui n’est dû qu’à vous ?

Pour vous, je le promets, j’aurai de la tendresse,
Pourvu que vous vouliez bientôt vous présenter.
Peut-être est-il des gens qui, par cette promesse,
Se laisseroient tenter.


Croyez-moi, montrez-vous, tandis qu’à vous connoître
On me voit employer mille soins superflus ;
Vous viendrez par malheur vous découvrir peut-être,
Quand je ne voudrai plus.

Honteuse, quelque jour, de me voir engagée
À la tendre amitié qu’aujourd’hui je promets,
Je crains de souhaiter, dans mon ame changée.
De ne vous voir jamais

Déjà de ma promesse en secret je soupire.
Je sens qu’à la tenir il y va trop du mien ;
Et, si vous me laissez le temps de m’en dédire,
Je ne réponds de rien.


À IRIS[1],
en lui envoyant les vers précédents.


Que votre austérité m’excuse,
Si j’ose, à l’inconnu, parler si tendrement.
Entre nous, ce n’est qu’une ruse.
Pour le tirer plus tôt de son déguisement.
Ma promesse est un peu hardie ;
Mais à la faire, Iris, je ne cours nul hasard.
Je lui dirai, s’il vient : Je me suis repentie,
Et vous venez trop tard.


RÉPONSE
DE MADEMOISELLE DUPRÉ.


Usez de quelqu’autre finesse.
La grandeur de votre promesse
Fait que je n’en croirai personne sur sa foi.
Pour gagner cette récompense,
Est-il un honnête homme en France
Qui ne vous dise pas : C’est moi ?



  1. Mademoiselle Dupré.