Chimie appliquée à l’agriculture/Chapitre 06

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Madame Huzard (Tome 1p. 237-269).

CHAPITRE VI.


DES AMENDEMENS DU SOL.




Amender un sol c’est le rendre plus propre à la végétation, en améliorant la nature du terrain.

On peut donc appeler amendement tout ce qui tend à disposer le sol d’une manière plus favorable à la plante, sous le rapport de l’action qu’exercent sur elle la terre, l’air, l’eau, la température, les engrais, etc.

Ainsi, avant de s’occuper d’amender un sol, il faut en connaître les qualités et sur-tout les défauts ; car ce n’est qu’après avoir acquis cette connaissance qu’on peut lui appliquer les amendemens qui lui conviennent.

Cette connaissance préliminaire des défauts d’un sol en suppose une seconde, celle de la vertu de tous les agens qu’on peut employer comme amendement : en effet, il s’agit de corriger des vices connus, et on ne peut y parvenir que par le moyen de substances qui possèdent des qualités opposées.

En désignant par le mot amendemens tout ce qui peut contribuer à l’amélioration d’un sol, on voit qu’il a déjà une grande étendue d’applications : il comprend les opérations purement mécaniques et les mélanges terreux et nutritifs qu’on opère par l’art ; il embrasse tous les moyens qu’on peut employer pour mieux diriger l’action de l’air, de l’eau et de la chaleur, etc.

C’est sous tous ces rapports qu’il faut considérer le grand art des amendemens.

Les meilleures terres produiraient peu si elles n’étaient pas remuées par la bêche, la pioche ou la charrue.

Cette opération divise et ameublit la terre ; elle ramène à la surface les engrais de tout genre que les pluies avaient entraînés et soustraits à l’action des racines ; elle mêle les fumiers avec la terre et rend leur action plus uniforme ; elle détruit les mauvaises herbes et les dispose à servir d’engrais ; elle purge le sol des insectes, qui s’y multiplient pour dévorer les récoltes.

On pratique cette opération sur tous les sols, de quelque nature qu’ils soient ; elle fait la base de l’agriculture, parce que sans elle il n’y a pas de produit ou de récolte possible.

Le travail à la pioche et sur-tout à la bêche est bien plus parfait que celui à la charrue : ce dernier instrument divise et retourne moins exactement que les deux premiers ; malgré les labours croisés et multipliés, il laisse dans les intervalles et les intersections des sillons, des portions de sol qui ne sont pas remuées ; mais le travail à la charrue est moins coûteux et plus expéditif, et c’est ce qui lui a fait donner la préférence.

Je connais un petit village en Touraine, entre le Cher et la Loire, où toutes les terres sont cultivées à la bêche ; leur produit est constamment double de ce qu’il est dans le voisinage ; les habitans y sont riches, et leur sol a doublé de valeur. Dans le Bremont, entre Loches et Chinon, on n’emploie que ce moyen pour cultiver un terrain très-fertile ; mais on ne peut pratiquer cette méthode que dans les petites propriétés ou dans les pays où la main d’œuvre est abondante et à très-bas prix ; je ne doute pas cependant qu’il n’y ait des localités où elle ne tournât à profit, si on l’exécutait de temps en temps pour améliorer successivement les terres, sur-tout lorsque des plantes à longues racines se sont emparées du sol.

Dans les terres d’alluvion formées par les dépôts de la Loire, entre Tours et Blois, le propriétaire retire de son sol une récolte en céréales ; il le loue ensuite à des particuliers, qui, à l’aide de la bêche, le retournent à un pied de profondeur pour y cultiver des légumes.

D’après l’effet que produisent les labours, on peut juger qu’il ne convient pas de les multiplier également dans tous les sols, ni de les donner à la même profondeur, ni de les pratiquer indifféremment dans toutes les saisons.

Un sol léger, poreux, calcaire ou sablonneux exige moins de labours que celui qui est compacte et argileux ; ce dernier en demande de plus profonds, parce que sans cela les racines ne pourraient pas s’y loger, et l’air ne pourrait pas le pénétrer pour déposer sur elles son humidité bienfaisante.

Il est des sols qu’on peut labourer en tout temps, tels que les calcaires, les sablonneux et les siliceux ; et il en est d’autres qui ne sont accessibles à la charrue qu’à certaines époques, que l’agriculteur doit saisir avec empressement : les sols argileux sont de ce genre ; la pluie les ramollit au point que la charrue tracerait dans la boue, si on l’employait immédiatement après ; la sécheresse de quelques jours les durcit à tel point, qu’ils deviennent impénétrables au soc ; c’est dans ces intervalles qu’il faut saisir le moment le plus favorable aux labours.

Les labours donnés le plus à propos ne suffisent pas toujours pour amender ou préparer convenablement les terres destinées aux cultures ; les unes ne sont pas suffisamment divisées, émiettées ; les autres ne sont pas assez tassées : c’est par la herse et le rouleau qu’on termine l’opération du labourage.

En promenant la herse dans toutes les directions sur un champ fraîchement labouré, on brise les mottes que la charrue avait soulevées, on enlève les mauvaises herbes qu’elle avait déracinées, et on donne à tout le sol remué une division égale dans toutes les parties. On emploie des herses plus ou moins fortes, plus ou moins pesantes, selon la nature du sol et la résistance qu’il oppose à la pulvérisation.

Lorsque la terre qui est cultivée en prairies artificielles, sur-tout en luzerne, forme à la surface une croûte impénétrable à l’air et à l’eau, on peut employer avec avantage la herse pour ouvrir le sol : cette opération ne doit s’exécuter que la deuxième année, et on la pratique au commencement du printemps ou immédiatement après la première coupe du fourrage ; par ce moyen, on ranime des prairies, qui continueraient à dépérir, et on détruit beaucoup de mauvaises herbes.

J’ai pratiqué avec un grand succès cette méthode sur les blés, dans les premiers jours du printemps ; ils ont été incomparablement plus beaux que ceux qui n’avaient pas été hersés. Dans ce dernier cas, il faut avoir l’attention de n’employer que des herses légères et à dents de bois.

Le rouleau produit encore un très-bon effet après qu’on a recouvert la semence : il unit la surface du sol ; il tasse la terre, il la lie avec la graine ; et il convient sur-tout dans les terrains poreux et légers et dans les terres dont les parties constituantes sont très-ténues et légères. Les vents ou les pluies pourraient entraîner la première couche du sol, et mettre à nu les racines des plantes, si le rouleau n’avait pas donné la fixité convenable pour résister. D’ailleurs, en rendant la surface du terrain plus égale, le rouleau dispose le sol à présenter moins d’obstacles pour couper la récolte par la faux ou la faucille.

Lorsque les gelées ont soulevé la terre et que les dégels ont laissé les racines presque sans appui et sans cohérence avec le sol, il est utile d’employer le rouleau du moment que le terrain est assez ferme pour pouvoir pénétrer dans les champs et dans les prés : par ce moyen, on lie la terre avec les racines et on répare l’effet du dégel.

On ne peut juger du mélange qu’il convient d’introduire dans un sol qu’on veut amender, que d’après une connaissance parfaite de sa nature et de ses défauts.

Un sol qui réunit dans sa composition le mélange le plus convenable de terres, n’a pas besoin d’être amendé par l’addition de nouveaux principes terreux. De bons labours et des engrais suffisent pour le rendre fertile ; mais celui où l’une des terres prédomine à tel point qu’elle donne son caractère à toute la masse, exige qu’on corrige ses défauts par le mélange de substances qui aient des qualités opposées.

Je distinguerai donc les sols de cette nature en argileux, calcaires, siliceux et sablonneux : cette division paraît comprendre tous ceux qui ont besoin d’être amendés ; et la qualité de la terre qui y domine, indique déjà suffisamment quel est le genre d’amendement qui convient à chacun.

Le sol argileux devient pâteux par les pluies ; il durcit et se crevasse par la sécheresse ; il n’absorbe l’humidité de l’air qu’à la superficie ; il s’imbibe abondamment d’eau de pluie, mais il la retient par une forte affinité, et lorsqu’elle est surabondante, elle reste stagnante et pourrit les racines.

Le sol argileux est peu favorable au labourage : lorsque les froids en ont lié toutes les parties, en glaçant dans leurs intervalles l’eau qui s’y trouve, le dégel délite la terre, la divise en molécules, et les racines des plantes ont si peu de cohésion avec elle, qu’on peut les arracher sans éprouver de la résistance ; elles s’y trouvent dans l’état d’un végétal nouvellement planté, qui a besoin de s’établir, de se fixer et de se lier avec le sol, pour pouvoir végéter. Si, dans cet état, la racine est saisie par une nouvelle gelée, elle meurt, parce que, n’étant plus défendue par son intime adhérence avec le terrain, le froid agit sur elle comme si elle était à la surface sans défense : c’est ce qui fait que l’alternative des gelées et des dégels est plus nuisible aux céréales et aux prairies artificielles que des froids plus violens, qui se prolongeraient jusqu’au printemps. C’est pour cela que j’ai proposé de tasser les terres par le rouleau après le premier dégel, pour éviter les résultats funestes d’une seconde gelée.

C’est à ces défauts, plus marqués dans les sols argileux que dans les autres, qu’il s’agit de remédier par les amendemens : tout ce qui tend à rendre la terre plus meuble, plus poreuse, plus légère, à donner de l’écoulement aux eaux, convient parfaitement à cette nature de sol : ainsi, le mélange des terres et des sables calcaires, le falun, les craies et les marnes très-maigres, les labours profonds et répétés, l’enfouissement de quelques récoltes en vert, les engrais chauds, tels que les fumiers frais de la litière des moutons et des chevaux, la fiente des pigeons et de la volaille, la poudrette, les sels, sont tout autant de moyens qu’on peut faire concourir pour amender et améliorer ces sols.

J’ai eu occasion de voir plusieurs terrains qui possédaient presqu’au même degré les défauts qui caractérisent le sol argileux, sans qu’on pût les attribuer à un excès de cette terre : en les délayant dans l’eau, je me suis convaincu qu’il n’existait dans leur composition presque aucune partie de sable grossier, de sorte que la totalité n’était qu’une réunion de molécules très-ténues, très-divisées, qui, ne présentant aucune consistance dans leur masse, formaient une pâte avec l’eau et se fendillaient lorsque ce liquide s’évaporait. La seule différence entre les sols argileux et ceux-ci, c’est que la masse desséchée n’offre point la dureté de l’argile, et qu’elle tombe au contraire en poudre presque impalpable lorsqu’on la presse dans la main. Je regarde ces sols comme des terrains épuisés par une longue culture ; j’en ai possédé de cette nature et je les ai rétablis par le mélange d’une marne sablonneuse, qui contenait quarante-deux pour cent de sable siliceux.

Les sols calcaires ont des propriétés et des vices opposés à ceux des sols argileux : les eaux filtrent aisément au travers et s’évaporent de même ; l’air les pénètre et y dépose l’eau dont il est chargé, ce qui concourt puissamment à leur fertilité, sur-tout dans les climats chauds.

Les labours y sont faciles en tout temps ; la terre est légère, poreuse, et permet le développement des racines, pourvu qu’elle ait de la profondeur.

Quoique, par sa nature, ce sol n’exige pas autant d’amendement que celui qui est argileux, on peut néanmoins l’améliorer et surtout lui donner la faculté de retenir plus longtemps les eaux pour les fournir aux besoins des plantes ; il suffit d’y mêler de la marne grasse, et, à défaut, de l’argile calcinée.

Ces sols, naturellement chauds, exigent des fumiers frais de vache ou de bœuf ; les engrais onctueux leur conviennent de préférence.

Le sable incorporé dans le sol calcaire très-divisé, forme un excellent amendement, surtout lorsqu’on le fait concourir avec l’argile ou la marne grasse.

J’ai vu employer avec le plus grand succès le limon gras de rivière pour amender les sols calcaires.

Le sol sablonneux et le siliceux ont beaucoup de rapports entre eux : l’un et l’autre sont en général formés par les alluvions des rivières ; l’un et l’autre sont presque stériles lorsqu’ils ne contiennent pas d’autres principes ; l’un et l’autre forment la base d’un très-bon sol lorsqu’ils sont convenablement amendés.

Lorsque ces sols viennent d’être formés par les inondations ou par le déplacement du lit des rivières, ils sont sans fertilité pendant quelque temps ; mais peu-à-peu les crues d’eau qui les recouvrent successivement y déposent un limon qui en pénètre toute la couche, en lie toutes les parties et en fait un excellent terrain ; ce limon est d’autant plus fertile, qu’il est mêlé des débris de toutes les matières végétales et animales que les eaux bourbeuses entraînent avec elles pendant les inondations ; c’est ce qui fait que ces sols d’alluvion se plantent et se sèment naturellement lorsqu’ils sont livrés sans culture à eux-mêmes : les eaux qui les recouvrent de temps en temps y déposent les graines qu’elles ont entraînées dans leur cours.

Les sols de cette nature exigent rarement des engrais : les inondations successives y apportent des germes de fécondité toujours renaissans ; ils s’élèvent progressivement par les dépôts de limon qui s’accumulent et parviennent en peu d’années à une hauteur suffisante pour qu’ils ne soient recouverts que dans les plus fortes inondations, et qu’en aucun cas les gros cailloux, qui ne roulent jamais à la surface des eaux, ne puissent s’y déposer.

Ces terrains, si précieux pour l’agriculture, ne présentent pas tous une grande résistance aux courans rapides des grandes crues, qui souvent les entraînent, ni aux masses de glaces, qui les déchirent et les sillonnent au moment des débâcles. Je crois devoir consacrer quelques lignes à indiquer les moyens de les garantir de ces accidens : conserver la propriété, c’est faire plus que l’amender.

En général, on entoure ces sols de plantations pour éviter les dégâts dont nous venons de parler ; mais les grands arbres s’établissent d’une manière peu solide dans un sol sablonneux et mouvant.

Les vents, qui sont en général si impétueux dans les vallées où coulent les grandes rivières, tourmentent les arbres, les courbent en tout sens et impriment du mouvement à leurs racines : la terre qui entoure ces racines en est continuellement remuée, les eaux y pénètrent et la détrempent, et lorsqu’il survient une crue, c’est par là que se fait la brèche, parce qu’il y a moins de résistance.

Lorsqu’on a observé avec soin l’action des courans sur les grands arbres qui entourent une propriété placée au milieu ou sur les bords des fleuves ou des rivières, on a pu se convaincre que le tronc, qui oppose une résistance invincible à l’eau dont la course est rapide, la force à se diviser en courans qui ceignent le contour de l’arbre, se réunissent au-dessous, et creusent le sol de manière à former une tranchée, qui peut faciliter la destruction de la propriété. Ainsi les grands arbres peuvent bien détourner les glaçons et préserver le sol de leurs dégâts ; mais loin de le garantir du danger des courans rapides, ils en deviennent les auxiliaires.

Les arbrisseaux flexibles sont préférables sans doute ; ils lient le sol par leurs racines, ils se couchent sur sa surface et le garantissent pendant les inondations ; mais ils ne présentent point de résistance dans les momens de la débâcle des glaces ; ils ne peuvent pas détourner les glaçons et les retenir dans le lit des rivières, pour qu’ils ne sillonnent pas le pré ou le champ.

Il faut donc faire concourir l’action des arbres avec celle des arbrisseaux flexibles, et pour cela il faut planter des saules ou des peupliers à l’extrême bord et à la distance de sept à huit pieds l’un de l’autre ; on les étête à quelques pieds au-dessus de la hauteur où parviennent les plus hautes eaux ; on plante de l’osier tout autour, sur la pente ou le talus du terrain, et à quatre ou six toises dans l’intérieur.

En peu d’années on n’a plus rien à craindre ni des glaces ni des inondations, et on s’est formé un revenu considérable par l’élagage des arbres et la tonte annuelle des osiers.

Après avoir mis sa propriété à l’abri des ravages des inondations, on peut encore mettre à profit les ressources du voisinage d’une rivière par des moyens peu coûteux et très-simples.

J’ai déjà fait observer que le limon des eaux était le meilleur des amendemens et qu’il dispensait d’employer des engrais pour la plupart de ces terres d’alluvion ; il s’agit de le retenir dans les inondations et de ne retenir que celui qui possède la vertu fertilisante au plus haut degré.

Lorsque les eaux commencent à inonder par la tête ou l’amont d’une propriété, elles en parcourent toute l’étendue avec rapidité, elles en sillonnent la surface, elles emportent au dehors le limon le plus ténu dont elles sont chargées, et souvent elles déchaussent les récoltes et entraînent les engrais qu’elles avaient auparavant déposés ; ainsi elles appauvrissent le sol au lieu de l’enrichir : mais lorsque les eaux pénètrent d’abord par la partie inférieure ou l’aval et qu’elles submergent lentement et successivement toutes les parties du terrain jusqu’à la tête, alors l’eau qui inonde dépose le limon le plus divisé, le plus fertile, le plus chargé des substances végétales et animales qu’elle a enlevées aux sols qu’elle a submergés dans son trajet, et elle n’occasionne aucun dégât ni au terrain ni aux récoltes : alors tout est bien de la part de l’inondation. Pour imprimer cette direction aux eaux, il suffit d’élever de quelques pieds la tête ou l’amont du sol ; ce qui se fait en formant des digues en terre, qu’on recouvre d’osier.

C’est par de tels procédés que j’ai amélioré les îles que je possède sur la Loire, et que j’en ai au moins triplé la valeur : ces terres, qui produisaient peu et éprouvaient régulièrement des dégâts par les inondations du fleuve, sont aujourd’hui les plus productives de mon domaine, pour la culture des betteraves et des céréales.

Lorsque les sols sablonneux ou siliceux sont placés à de grandes distances des rivières, ou que, riverains des fleuves, ils se trouvent à l’abri de leurs inondations, il faut alors les amender par l’art, et on y parvient à l’aide des marnes grasses, des argiles, des fumiers, etc.

On doit varier les amendemens selon la nature et la grosseur des sables ; les sables calcaires sont plus propres à retenir l’eau que les siliceux.

J’ai vu des sols formés par des couches de gros cailloux, qui, sans apparence de terre végétale à la surface, produisent néanmoins de bonnes récoltes : la couche de cailloux qui est au-dessous de la première présente assez de terre pour que les plantes s’y établissent et prospèrent.

Les sols de cette nature forment d’excellens pacages pour les troupeaux : c’est ce qu’on observe dans les anciens et immenses atterrissemens de la Durance et du Rhône.

Les herbes y sont excellentes et craignent moins qu’ailleurs l’ardeur dévorante du soleil, parce qu’elles en sont garanties par la couche des cailloux superposés aux racines. Rozier avait essayé de paver une partie du sol de ses vignes aux environs de Beziers, et il en obtenait de bons résultats, sur-tout pour la quantité de vin qu’il en retirait. Un de mes amis possédait à Paris, près de la barrière d’Enfer, un enclos dont le sol était si sec et si maigre, que, malgré tous ses soins, il n’avait pas pu parvenir à y faire prospérer des arbres à fruits. Il le couvrit d’abord d’une couche de bonne terre, qu’il mêla avec les sables arides qui formaient le sol, ce qui lui acquit un peu de fertilité ; mais les chaleurs desséchaient toujours ses plantations, qu’on ne pouvait garantir et conserver que par des arrosages fréquens et ruineux : il se décida alors à recouvrir toute la surface du terrain d’une couche de cailloux, et dès ce moment les arbres y ont prospéré.

Dans plusieurs contrées, on a recours au feu pour amender le sol : cette pratique, qu’on appelle écobuage, est fortement recommandée par quelques agronomes et vivement désapprouvée par d’autres ; tous s’appuient sur le résultat de leur propre expérience ; tous sont de bonne foi, et il serait inutile de contester la vérité de leurs observations.

On ne peut accorder ces opinions contradictoires et faire connaître les cas où l’écobuage convient et ceux où il ne convient pas, qu’en éclairant l’agriculteur sur l’effet de cette opération ; il ne pourra ensuite qu’en faire de justes et utiles applications.

Pour écobuer, on enlève en mottes une couche du sol, épaisse de deux à quatre pouces : on forme de petits tas de combustible avec la bruyère, les ajoncs, les chardons, la fougère et le menu bois qui souillent le sol ; on les recouvre avec les mottes, et au bout de quelques jours on y met le feu : la combustion et l’incinération durent plus ou moins de temps. Lorsque la masse est refroidie, on répand sur toute la surface du sol les tas de cendres qui y sont disséminés.

Par cette opération, on divise les parties constituantes du sol ; on le rend moins compacte on corrige la disposition qu’a l’argile à absorber à pure perte une grande quantité d’eau et on la rend moins cohérente et moins pâteuse ; on convertit en engrais la matière végétale inerte ; on porte au maximum l’oxidation du fer ; on détruit les insectes et les mauvaises graines, etc.

Ainsi l’écobuage convient aux sols humides et compactes ; il convient pour le défrichement toutes les fois que la couche de terre est trop cohérente ou qu’elle présente des veines d’oxide de fer noirâtre ; il convient dans presque toutes les terres froides et compactes.

L’écobuage change complètement la nature d’un sol et corrige la plupart de ses imperfections, sur-tout s’il est fait à propos et avec intelligence. J’ai rendu, par ce moyen, à l’agriculture soixante hectares d’un sol réputé stérile, formé presqu’en entier d’une argile ferrugineuse et très-compacte, en l’écobuant à quatre pouces de profondeur. Depuis douze ans, cette terre sans être très-productive, me donne chaque année d’assez belles récoltes. Sa stérilité l’avait fait nommer la bruyère des juifs.

L’écobuage est au contraire nuisible dans les fonds calcaires et légers, dans les sols dont la composition terreuse est parfaite, dans les terrains fertiles et riches en matières animales et végétales décomposées.

L’écobuage est inutile dans les sols purement siliceux. Ici, le terrain ne peut recevoir aucune modification de la part du feu.

Il est des pays où l’on est dans l’usage de brûler les chaumes sur place : cette méthode, qui n’est qu’un faible écobuage opéré sur la surface du sol, peut produire de bons effets, d’abord en purgeant le sol de graines et de plantes nuisibles, et, en second lieu, en formant une légère couche de charbon, qui, par sa division extrême, peut servir aisément d’aliment aux végétaux. Je crois même que la chaleur produite par la combustion du chaume et autres herbes qui recouvrent le sol, peut apporter d’heureux changemens dans la manière d’être des principes terreux.

Les résultats que j’ai obtenus dans la plaine des Sablons, près Paris, d’un mélange d’argile simplement calcinée avec le sable qui constitue ce sol, m’ont toujours fait penser que par-tout où l’on a à cultiver des terrains de cette nature, on pourrait employer avec succès les mêmes moyens : il suffit de former de grosses boules avec l’argile ramollie par l’eau et réduite en pâte, et de les calciner dans un four de poterie ou de chaufournier ; on amende utilement les sols calcaires, siliceux et sablonneux avec les fragmens de ces boules concassées.

De tous les agens qui influent sur la végétation ou qui sont employés comme amendemens, il n’en est aucun dont l’action soit plus puissante que celle de l’eau : non-seulement elle agit comme principe nutritif, en se décomposant dans la plante, et en y déposant les élémens qui la constituent ; mais elle contribue encore à favoriser la fermentation des engrais, dont elle porte les sucs et les sels dans les organes du végétal. Indépendamment de ces propriétés, l’eau délaie les sucs qui sont épaissis dans le corps du végétal, en facilite la circulation, et fournit abondamment à la transpiration. L’eau a encore l’avantage d’ouvrir le sol, de le rendre plus perméable aux racines et d’y apporter l’air atmosphérique dont elle est chargée.

La portion d’eau excédant les besoins de la plante s’échappe par les pores. La transpiration est d’autant plus abondante que le végétal est plus avide de ce liquide, ou qu’il l’a absorbé en plus grande quantité.

L’usage d’inonder les prairies pendant l’hiver les garantit de l’effet des fortes gelées : M. Davy a déterminé la température comparée au-dessus et au-dessous de la couche de glace qui recouvrait un pré ; son thermomètre marquait 2°,5 sous 0 au-dessous de la glace et 6° au-dessus. Il n’est personne qui n’ait observé, pendant l’hiver, que lorsque toute la surface d’un pré n’est pas inondée, l’herbe croît et conserve sa couleur verte dans toutes les parties qui sont abritées par la glace, tandis qu’elle est sèche et presque morte par-tout ailleurs.

La nature des eaux n’est pas indifférente pour l’irrigation ; les eaux vives sont les meilleures, sur-tout lorsqu’elles sont bien aérées par un long trajet.

Quoique l’eau soit l’agent le plus actif de la végétation, il exige néanmoins qu’on l’emploie avec réserve et prudence : en inondant un sol par l’irrigation, et maintenant constamment la terre dans un état de pâte liquide, on produit plusieurs mauvais effets : le premier de tous, c’est de trop hâter la végétation et de grossir la plante au détriment de toutes les qualités qu’elle doit avoir : dans ce cas, la fibre reste lâche, le tissu mou et aqueux, les fleurs sont inodores, et les fruits sans consistance, ni saveur, ni parfum ; le second, c’est de faire périr toutes les plantes utiles qui ne se plaisent pas dans l’eau, et de les remplacer par des joncs, des iris, qui dénaturent et ruinent le sol : on produit, dans ce cas, ce qu’on cherche à détruire par-tout dans les prairies naturellement trop humides, à l’aide de la suie, des gravois, des cendres et autres corps salins et absorbans.

Les irrigations fréquentes ne sont pas nuisibles dans les terres maigres, légères, sablonneuses, calcaires et qui ont beaucoup de profondeur ; mais elles sont funestes dans les sols gras, compactes, argileux, où s’établissent aisément les mauvaises herbes dont nous venons de parler.

Pour déterminer les époques les plus favorables à l’irrigation, il faut consulter l’état du sol et celui des plantes : lorsque la terre est dépourvue d’humidité à une certaine profondeur, et que les feuilles des végétaux languissent, et commencent à se flétrir, on reconnaît que c’est le moment d’arroser. En laissant trop long-temps les plantes dans cet état de langueur, elles cessent de croître et se pressent de terminer leur végétation par la production des fleurs et des fruits, production toujours faible, pauvre et incomplète lorsqu’elle s’opère dans ces circonstances.

L’usage de laisser reposer les terres après qu’elles ont produit quelques récoltes, remonte à la plus haute antiquité, et fait encore la base du système d’agriculture qui est suivi dans la plus grande partie de l’Europe. Après avoir épuisé le sol par deux ou trois récoltes successives, on croit devoir le laisser en repos ou en jachère pendant un ou deux ans, pour lui donner le temps de recouvrer ses forces ou sa vertu productive.

Le besoin du repos, que la nature a imposé à tous les animaux fatigués ou épuisés par une longue suite d’efforts, ou par un travail soutenu, a sans doute beaucoup contribué à faire adopter cette méthode de culture ; et quoique l’analogie qu’on a voulu établir entre les fonctions des êtres vivans et celles des autres corps, ne soit ni juste ni raisonnable, elle a néanmoins beaucoup servi à affermir la pratique des jachères.

Cependant, je suis bien éloigné de croire que ce soit là la principale cause de l’adoption de la méthode qui nous occupe : c’est sur-tout au manque de bras, à l’impossibilité de nourrir un nombre suffisant d’animaux pour avoir les engrais nécessaires, qu’il faut l’attribuer.

L’étendue de la culture des terres a dû être dans tous les temps proportionnée à la population qui devait se nourrir de ses produits ; il est donc à présumer que lorsque le globe avait moins d’habitans, les peuplades ne se fixaient que dans les lieux où le sol était le plus fertile, et que du moment qu’elles l’avaient épuisé elles se portaient ailleurs. Mais lorsque les propriétés ont été marquées et garanties, chaque cultivateur a dû monter et organiser son exploitation toujours proportionnellement à la consommation, de sorte qu’il a pu lui suffire de cultiver le quart ou le tiers de l’étendue de son terrain et de laisser le reste en friche.

Les jachères ont donc été forcées. On savait certainement, d’après ce qu’on pratiquait dans les jardins qui entouraient les habitations, qu’avec des labours et des fumiers on pouvait indéfiniment perpétuer et multiplier les récoltes, mais on n’en sentait pas le besoin, puisque ce qu’on cultivait suffisait à la consommation, et que les dépenses qu’on aurait faites pour augmenter la production auraient été en pure perte.

À mesure que la population s’est accrue, on a défriché, on a étendu et perfectionné la culture, et la production s’est constamment tenue au niveau de la consommation.

Aujourd’hui les besoins de la société permettent moins les jachères qu’autrefois, aussi commencent-elles à disparaître par-tout où ces besoins sont plus pressans, par-tout où l’on est assuré d’une vente avantageuse des produits agricoles.

D’ailleurs, comment aurait-on pu supprimer les jachères lorsqu’on ne cultivait que des céréales, qui toutes épuisent le sol ? Le repos des champs y faisait croître des herbes qui nourrissaient les animaux ; et les racines enfouies par les labours fournissaient une grande partie des engrais nécessaires.

Aujourd’hui qu’on a établi avec avantage la culture de nombreuses racines et d’une grande variété de prairies artificielles, le système des jachères n’est plus tolérable et ne peut être appuyé d’aucune bonne raison.

La rareté du fumier, produite par le trop petit nombre de bestiaux qu’on pouvait nourrir sur un domaine, perpétuait les jachères ; mais la facilité de cultiver des fourrages donne le moyen de nourrir un plus grand nombre d’animaux ; ceux-ci, à leur tour, fournissent des engrais et des labours, et l’agriculteur n’éprouve plus le besoin de laisser reposer ses terres.

Les prairies artificielles doivent faire aujourd’hui la base de l’agriculture : par elles on a des fourrages, par les fourrages on a des bestiaux, et par les bestiaux on a des engrais, des labours, et tous les moyens d’une bonne culture.

La suppression des jachères est donc également utile au cultivateur, qui augmente ses produits sans élever ses dépenses dans la même proportion, et à la société, qui retire de la même étendue de sol beaucoup plus de subsistances, et de plus grandes ressources pour approvisionner ses ateliers d’industrie.

L’augmentation de produits qu’amène forcément la suppression des jachères n’est pas le seul bienfait qu’en retire l’agriculture. En faisant se succéder avec intelligence l’une à l’autre la culture des céréales, celle des fourrages artificiels, des plantes légumineuses, des racines, etc., et en les intercalant à propos, on bonifie la terre au lieu de l’appauvrir, on la purge des mauvaises herbes, on obtient des récoltes plus abondantes et à moins de frais ; et pendant les années où certains fourrages n’exigent que les soins de la récolte, tels que les luzernes, le sainfoin et le trèfle, on peut donner tout son temps, employer tous ses fumiers et le travail de ses bestiaux à améliorer et à amender convenablement les portions de sol qui en ont besoin : de sorte qu’au lieu de laisser en jachères improductives le tiers des terres arables, on peut les couvrir de fourrages, qui fournissent de beaux produits, engraissent le sol au lieu de l’appauvrir et le disposent à recevoir des céréales, après leur défrichement, sans le secours des fumiers.

Ce qui a le plus contribué jusqu’ici à maintenir notre agriculture dans un état de médiocrité, d’où l’exemple et les écrits de quelques agronomes instruits n’ont pas pu la tirer, c’est la manie de cultiver une trop grande étendue de terrain avec les moyens bornés qu’on a à sa disposition.

On veut tout semer sans pouvoir préparer convenablement aucune des parties du sol ; par-tout on épuise la terre au lieu de l’engraisser et de l’améliorer ; le fermier n’a pas d’intérêt à bonifier, parce que la courte durée des baux ne lui permettrait pas de jouir du fruit de son travail : il est donc forcé de vivre du jour au jour.

Au lieu d’embrasser une étendue de culture disproportionnée avec les moyens dont il peut disposer, un agriculteur intelligent doit ne s’occuper d’abord que de la partie de son sol pour laquelle suffisent ses bestiaux, ses engrais et ses amendemens.

Lorsqu’il a bien disposé cette portion de la propriété et qu’il y a établi un bon système d’assolement, il porte successivement ses améliorations sur tout le reste, et il arrive en peu d’années à retirer de son sol tous les produits dont il est susceptible.

Il n’y a que de longs baux qui puissent permettre au fermier de suivre une méthode aussi sûre et aussi sage. Ces longs baux seraient au reste dans l’intérêt du propriétaire comme dans celui du fermier.

Propriétaire d’un domaine très-étendu, je n’ai pas hésité à détourner de la rotation de mes récoltes environ cent vingt-cinq hectares d’un sol de médiocre qualité, qu’on avait fumé, tous les ans, à l’égal de mes meilleures terres, pour en extraire de chétives récoltes. Aujourd’hui, cette grande étendue de terrain est convertie en pré-gazon, et sert de pacage à mes bœufs, vaches et moutons ; j’en défriche, chaque année, la cinquième partie pour y semer de l’avoine, de l’orge ou du seigle, et je la rétablis en pré-gazon l’année suivante. Je m’étais convaincu que ces terres ne me dédommageaient jamais des frais que je faisais pour leur culture en céréales, racines et légumes.