Chimie appliquée à l’agriculture/Chapitre 07

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Madame Huzard (Tome 1p. 270-295).

CHAPITRE VII.


DES ASSOLEMENS.




Avec des soins extrêmes, des dépenses énormes et des engrais sans mesure, on peut forcer un sol à produire toutes sortes de récoltes ; mais ce n’est pas en cela que doit consister la science de l’agriculteur.

L’agriculture ne doit pas être traitée comme un objet de luxe, et toutes les fois que le produit ne paie pas largement les soins et la dépense, le système qu’on suit est mauvais.

Un bon agriculteur étudie d’abord les dispositions de son sol pour connaître les plantes qui lui conviennent le mieux ; et il acquiert aisément cette connaissance par la nature de celles qui y croissent spontanément, ou par le résultat de l’expérience faite sur le terrain ou sur des terres analogues dans le voisinage.

Mais il ne se borne pas à cultiver au hasard des plantes convenables et appropriées au sol et au climat ; un sol cesserait bientôt de produire, si on lui confiait, chaque année, les mêmes plantes ou des plantes de nature analogue. Pour avoir des succès constans, il faut varier les genres de végétaux et les faire succéder l’un à l’autre avec intelligence, sans jamais introduire ceux qui ne sont pas propres au sol.

C’est cet art de varier les récoltes sur le même terrain, de faire succéder l’un à l’autre des végétaux différens, et de connaître l’effet de chacun sur le sol, qui peut seul établir ce bon ordre de succession qui constitue l’assolement.

Un bon système d’assolement est, à mes yeux, la meilleure garantie de succès que puisse se donner l’agriculteur : sans cela, tout est vague, hasardeux, incertain.

Pour établir ce bon système d’assolement, il faut avoir des connaissances, qui manquent malheureusement à la plupart de nos agronomes.

Je vais rapprocher des faits et poser quelques principes qui pourront servir de guide dans cette importante opération de l’agriculture.

On trouvera des renseignemens plus étendus dans les bons ouvrages de MM. Yvart et Pictet[1].


premier principe. — Toute plante épuise le sol.


La terre sert de support à la plante ; les sucs dont elle est imprégnée forment ses principaux alimens. L’eau sert de véhicule aux sucs ; elle les charie dans les organes ou les présente aux suçoirs des racines, qui les absorbent. Les progrès de la végétation appauvrissent donc constamment le sol ; et si les sucs nutritifs n’y sont pas renouvelés, il finit par devenir stérile.

Ainsi une terre bien pourvue d’engrais peut nourrir successivement quelques récoltes ; mais on les verra dégénérer progressivement, jusqu’à ce que la terre soit complétement épuisée.


iie. principe. — Toutes les plantes n’épuisent pas également le sol.


La plante se nourrit par l’air, l’eau et les sucs contenus dans le sol ; mais les divers genres de végétaux n’y puisent pas une égale quantité de nourriture. Il y a des plantes qui ont besoin d’avoir constamment les racines dans l’eau, d’autres se plaisent dans les terres arides, plusieurs, enfin ne prospèrent que dans les meilleurs sols enrichis d’engrais.

Les céréales et la plupart des graminées poussent de longues tiges où domine le principe fibreux ; elles sont garnies à la base de quelques feuilles, dont le tissu serré et le peu de surface ne leur permettent pas d’absorber beaucoup ni dans l’eau ni dans l’air. Les racines tirent du sol la principale nourriture de la plante ; la tige fournit de la litière ou un aliment aux animaux : de sorte que ces plantes épuisent le sol sans le réparer sensiblement ni par les tiges, qu’on coupe pour les faire servir à des usages particuliers, ni par les racines, qui seules restent dans la terre, mais qui sont desséchées et épuisées par la fructification.

Les plantes, au contraire, qui sont pourvues d’un grand système de feuilles grasses, larges, spongieuses, toujours vertes, soutirent de l’atmosphère l’acide carbonique et l’oxigène, et pompent de la terre les autres substances dont elles se nourrissent. Si on les coupe en vert, la déperdition des sucs contenus dans le sol est moins sensible, parce qu’ils lui sont restitués en partie par les racines. Presque toutes les plantes qu’on cultive comme fourrage sont de ce genre.

Il y a des plantes qui, quoique généralement destinées à produire de la graine, épuisent moins le sol que les céréales, c’est la nombreuse famille des légumineuses : celles-ci tiennent le milieu entre celles des deux classes dont je viens de parler. Leurs racines pivotantes ameublissent le sol ; leurs feuilles larges et leurs tiges épaisses, lâches, spongieuses, absorbent aisément l’air et l’eau. Ces parties conservent long-temps les sucs dont elles sont imprégnées, et les rendent tous au sol lorsqu’on enterre la plante avant sa maturité : dans ce dernier cas, le champ est encore disposé à recevoir et à nourrir une bonne récolte de céréales. Les fèves produisent éminemment cet effet ; les gesses et sur-tout les pois possèdent cette vertu à un moindre degré.

En général, les plantes qu’on coupe en vert au moment de la floraison, de quelque nature qu’elles soient, épuisent peu le sol ; elles ont pris, jusqu’à cette époque, presque exclusivement dans la terre, l’eau et l’atmosphère, les principes de leur nutrition. Leurs tiges et leurs racines sont chargées de sucs, et les parties qu’on laisse dans la terre après la fauchaison, lui rendent tout ce qu’elles en avaient extrait pour leur propre nourriture.

Du moment que la graine commence à se former, le système de nutrition change : la plante continue à puiser non-seulement dans la terre et l’atmosphère pour développer ses fruits, mais elle pompe encore les sucs qu’elle avait déposés dans ses tiges et ses racines pour concourir à leur formation : c’est dans ce moment que les tiges et les racines s’épuisent et se dessèchent. Lorsque les fruits sont parvenus à maturité, le squelette du végétal abandonné à la terre ne lui rend qu’une faible partie des sucs qu’il en avait retirés.

Les graines huileuses épuisent plus le sol que les graines farineuses : l’agriculteur ne saurait employer trop de soins pour purger son sol de quelques mauvaises herbes de cette nature, qui s’en emparent avec tant de facilité, sur-tout de la moutarde sauvage, sinapis arvensis, dont les champs cultivés sont très-souvent couverts.


iiie. principe. — Les plantes de différens genres n’épuisent pas le sol de la même manière.


Les racines des plantes de même espèce ou de la même famille tracent dans le sol de la même manière ; elles pénètrent à une égale profondeur ; elles s’étendent à la même distance, et épuisent toute la partie qu’elles embrassent ou qu’elles atteignent.

Les racines sont d’autant plus divisées, qu’elles se logent plus près de la surface, et qu’elles occupent moins d’étendue dans le terrain.

Si les racines sont pivotantes et qu’elles plongent à une grande profondeur, elles jettent peu de radicules sur leur surface, et vont chercher au loin la nourriture pour alimenter la plante.

J’ai eu souvent la preuve de ce que j’avance, et je n’en donnerai qu’un exemple : lorsqu’on transplante un navet ou une betterave, et qu’on coupe la pointe de la queue, la racine ne pouvant plus gagner la profondeur du sol pour y aller puiser sa nourriture, se recouvre, sur toute sa surface, de filamens, ou radicules qui s’étendent à une certaine distance, et prennent dans la première couche du terrain les sucs nutritifs qui y sont contenus ; la racine s’arrondit au lieu de s’allonger.

Les plantes n’épuisent donc que la partie du sol où leurs racines peuvent atteindre ; et une racine pivotante peut trouver une abondante nourriture dans un terrain dont une plante à racine traçante et courte aura épuisé la surface.

Les racines des plantes de même espèce, et celles de leurs analogues, prennent toujours la même direction dans un sol qui leur permet un libre développement. Elles parcourent et usent la même couche de terrain : aussi voit-on prospérer rarement des arbres qu’on fait succéder à d’autres arbres de même espèce, à moins qu’on n’ait laissé écouler un temps convenable pour décomposer les racines des premiers et donner un nouvel engrais à la couche de terre.

Pour prouver que les différens genres de plantes n’épuisent pas le sol de la même manière, il me suffirait peut-être de faire observer que la nutrition des végétaux n’est pas un effet purement mécanique ; que la plante n’absorbe pas indistinctement et dans les mêmes proportions tous les sels et les sucs qu’on lui présente, et que, soit que la vitalité ou la conformation des organes influent sur l’action nutritive, il y a goût et choix de sa part : c’est ce qui est suffisamment prouvé par les observations de MM. de Saussure et Davy. Ainsi, pour les plantes comme pour les animaux, il y a des alimens communs à tous, et des alimens particuliers pour quelques espèces. Cette vérité est mise hors de doute, par le choix que font les plantes de certains sels, de préférence à d’autres.


ive. principe. — Toutes les plantes ne rendent pas au sol la même quantité ni la même qualité d’engrais.


Les plantes qui végètent sur un sol en épuisent plus ou moins les sucs nutritifs ; mais toutes y laissent quelques dépouilles qui en réparent en partie les pertes. On peut placer les céréales et les oléagineuses à la tête de celles qui épuisent le plus et qui réparent le moins. Dans les pays où l’on arrache les plantes, elles ne rendent absolument rien à la terre qui les a nourries.

D’autres plantes qui grènent sur le sol, consomment, à la vérité, une grande partie des engrais qui y sont déposés ; mais les racines de quelques-unes ameublissent le sol à une grande profondeur ; elles couvrent sa surface des feuilles qui se détachent de la tige pendant les progrès de leur végétation, et elles rendent à la terre plus que les autres.

D’autres enfin conservent, après la production de leurs fruits, des tiges et des racines fortes et encore succulentes, qui, par leur décomposition, restituent au sol une partie des sucs qu’elles en ont absorbés : quelques légumineuses sont dans ce cas.

Plusieurs plantes qu’on ne laisse pas grener épuisent peu. Celles-ci sont très-précieuses pour les assolemens, attendu que le même terrain peut produire, pendant de longues années sans le secours de nouveaux engrais : les trèfles et sur-tout les luzernes et les sain-foins sont de ce genre.


ve. principe. — Toutes les plantes ne salissent pas également le sol.


On dit qu’une plante salit le sol, lorsqu’elle facilite ou permet le développement de mauvaises herbes qui épuisent la terre, fatiguent la plante utile, s’approprient une partie de sa nourriture et en hâtent le dépérissement.

Toutes les plantes qui ne sont pas pourvues d’un vaste système de feuilles, larges, vigoureuses, qui couvrent entièrement le sol, sont salissantes.

Les céréales sont au premier rang. Leurs tiges grêles, qui s’élèvent dans l’air, et leurs feuilles longues et étroites, admettent aisément dans les intervalles les herbes qui peuvent croître sur le sol, elles leur présentent même un abri tutélaire contre les vents et la chaleur ; en un mot, elles favorisent leur développement.

Les plantes herbacées, qui couvrent de leurs feuilles toute la surface du sol, et dont la tige s’élève à une hauteur convenable, étouffent au contraire tout ce qui veut croître à leurs pieds, et le terrain reste net.

Il faut cependant observer que ce dernier effet n’a lieu qu’autant que le sol convient à la plante, et qu’il est pourvu d’engrais suffisans pour fournir à une belle et forte végétation ; car, à défaut de ces dispositions favorables, on voit souvent ces mêmes plantes, languissantes, se laisser peu-à-peu dominer par des herbes moins délicates, et périr avant le terme.

Les plantes semées et cultivées en rayons, belles que les racines et la plupart des légumineuses, laissent entre elles de grands intervalles, qui se remplissent d’herbes étrangères ; mais on nettoie le sol par des sarclages répétés, et, par ce moyen, on le conserve assez riche en engrais pour recevoir une autre récolte, sur-tout lorsque la plante ne grène pas.

Les graines des mauvaises herbes sont souvent mêlées avec les semences qu’on confie à la terre, et on ne saurait employer trop de soins pour en purger celles-ci ; plus souvent elles sont apportées par les vents, déposées par les eaux, ou semées avec la fiente des animaux et les engrais.

On ne saurait trop blâmer l’imprévoyance de ces agriculteurs qui laissent debout dans les champs les chardons et autres plantes nuisibles ; chaque année ces plantes reproduisent sur le sol de nouvelles semences qui l’épuisent, et s’y multiplient à tel point, qu’il devient presque impossible, par la suite, d’en purger le terrain. On porte la négligence à cet égard jusqu’à moissonner les céréales tout autour des chardons, et on laisse ces derniers sur pied pour leur permettre d’accomplir librement leur végétation : combien il serait avantageux de couper toutes ces plantes avant leur floraison, et de les faire pourrir pour ajouter aux engrais d’une ferme !

Des principes que je viens d’établir on peut tirer les conséquences suivantes :

1°. Que quelque bien préparé que soit un sol, il ne peut pas nourrir une longue suite de récoltes de même nature sans s’épuiser.

2°. Chaque récolte appauvrit le sol plus ou moins, selon que la plante qu’on y cultive restitue plus ou moins à la terre.

3°. On doit faire succéder la culture des plantes à racines pivotantes à celle des plantes à racines traçantes et superficielles.

4°. Il faut éviter le retour trop prompt, sur le même sol, des plantes de la même espèce et de leurs analogues[2].

5°. Il ne faut pas que deux plantes qui souillent ou salissent le sol se succèdent immédiatement.

6°. La culture des plantes qui tirent du sol leur principale nourriture ne doit avoir lieu que lorsqu’il est pourvu d’engrais suffisans.

7°. À mesure qu’un sol s’épuise par des récoltes successives, on doit y cultiver les plantes qui restituent le plus d’engrais au sol.

Ces principes sont établis d’après l’expérience ; ils forment la base d’une agriculture riche par les produits, et sur-tout économique, par la diminution des labours et des engrais ; ils doivent servir de règle à tous les cultivateurs : mais leur application doit être modifiée selon la nature des sols, la variété des climats et les besoins de chaque localité.

Prescrire une série de récoltes successives et variées, sans avoir égard à la différence des sols, ce serait induire en erreur et compromettre la doctrine des assolemens aux yeux de quelques agriculteurs trop peu éclairés pour apporter dans leurs localités les changemens nécessaires.

La luzerne et le sainfoin sont placés parmi les végétaux qu’on fait entrer dans le système des assolemens ; cependant ces plantes exigent un sol profond et pas trop compacte, pour que leurs longues racines puissent s’y établir.

Le lin, le chanvre, le blé, demandent un bon terrain et ne peuvent être admis comme assolement que dans les sols bien préparés et très-fertiles.

Les terres légères et arides ne doivent pas être assolées comme les sols compactes et constamment humides.

Chaque espèce de sol veut donc un assolement particulier, et chaque agriculteur doit établir le sien d’après une connaissance parfaite de la nature et des propriétés de celui qu’il a à cultiver.

Comme dans chaque localité le sol présente des nuances, en qualité, plus ou moins prononcées, selon l’exposition la profondeur, la composition, etc., le propriétaire doit varier ses assolemens et en établir de particuliers pour chaque espèce.

Les besoins des localités, l’écoulement plus ou moins facile des produits, la valeur comparée des diverses récoltes, doivent encore entrer comme élémens dans la détermination de l’agriculteur.

En Angleterre et dans quelques pays du Nord, le retour de l’orge revient fréquemment dans les assolemens, parce que ce grain y trouve une consommation assurée dans les nombreuses brasseries qui y existent. Dans la Belgique sur les bords du Rhin, en Russie, le seigle est généralement cultivé, parce que les immenses distilleries d’eau-de-vie de grain, et le besoin de nourrir un grand nombre d’animaux avec le marc ou la drêche lui donnent un écoulement sûr et avantageux. La culture des plantes tinctoriales, telles que la gaude et la garance, sera plus avantageuse dans le voisinage des grands ateliers de teinture que dans les pays qui n’en offrent aucune consomamation. En France, où l’abondance et le bas prix du vin ne permettent pas d’espérer un grand débouché pour la bière ; en France, où la plus grande partie du peuple est accoutumée à faire sa principale nourriture du pain de froment, on cultive de préférence le blé partout où il peut croître, et on ne destine à la culture des autres grains que les sols de qualité médiocre.

Avant d’arrêter son système d’assolement, l’agriculteur doit encore peser une autre considération. Quoique ses terres puissent être très-propres à un genre de culture, son intérêt peut ne pas lui permettre de s’y livrer : plus une denrée est abondante, plus le prix en est avili ; on doit donc préférer celle dont le débit est assuré. Si un produit ne se consomme pas sur les lieux, il faut alors calculer les frais de transport et la facilité de la vente dans les pays de consommation.

Un propriétaire doit pourvoir largement aux besoins des animaux et des hommes qui vivent sur le domaine, avant de s’occuper de produire de l’excédant ; il disposera donc ses assolemens de manière que sa terre lui présente en tout temps une variété de récoltes, qui assurent la subsistance de tout ce qui est employé à l’exploitation.

Un agriculteur intelligent doit travailler à diminuer les transports lorsque les terres sont éloignées de l’habitation ; il donnera donc la préférence, pour celle-ci, aux récoltes en fourrages ou en racines qu’il peut faire manger sur place par ses bestiaux, et à celles qu’il a le projet d’enfouir.

Il faut encore avoir l’attention, lorsqu’on sème sur des terres légères et disposées en pente, de n’employer que des végétaux qui recouvrent le sol par leurs feuilles nombreuses, qui en lient toutes les parties par leurs racines, et le préservent à-la-fois du dégât des fortes pluies, qui l’entraînent, et de l’ardeur directe du soleil, qui le dessèche.

Pour appuyer par des exemples la solidité des principes que j’ai établis jusqu’ici, il me suffira de faire connaître les assolemens qui sont suivis avec avantage dans les pays où l’agriculture est la plus florissante. Je commencerai par les provinces de l’ancienne Flandre, parce que c’est là que la bonne culture a pris naissance.

Dans les arrondissemens de Lille et de Douai, où le sol est de la meilleure qualité et où l’art de préparer et d’employer les engrais est porté au plus haut degré de perfection, on a adopté les assolemens suivans.

Premier assolement.
Lin ou colza,
Froment,
Fèves,
Avoine avec trèfle,
Trèfle,
Froment.
Deuxième assolement.
Navets,
Avoine ou orge avec trèfle,
Trèfle,
Froment.
Troisième assolement.
Pommes de terre,
Froment,
Racines, telles que navets ou betteraves,
Froment,
Sarrasin,
Fèves,
Avoine et trèfle,
Trèfle,
Froment.

On voit que dans cette rotation de récoltes, après avoir fumé un sol, on fait alterner les plantes épuisantes et celles qui le sont moins ; et on remplace celles qui le salissent, par celles qui le nettoient par des sarclages.

C’est par des moyens semblables que, dans presque toute la Belgique, du côté de la mer, on a su féconder des sables naturellement stériles, à tel point qu’ils sont aujourd’hui aussi fertiles que les meilleures terres, et qu’on leur fait produire les plus riches récoltes en suivant de bonnes méthodes d’assolement.

Dans les sables des environs de Bruges, Ostende, Nieuport, Anvers, etc., on intercale avec intelligence la culture des céréales avec celle de la fève, du colza, de la pomme de terre, de la carotte ; on y trouve l’assolement de Norfolk, si préconisé par les Anglais, qui consiste à commencer la rotation des récoltes par la culture des racines, sur un sol bien fumé, et à la faire suivre de celle d’une céréale, orge ou avoine avec trèfle, et ensuite du froment.

Dans la couche de sable aride qui forme le sol de la Campine, on voit encore avec quel succès l’industrieux habitant a su vaincre tous les obstacles et fertiliser le sol. On est étonné de trouver dans ces plaines de sable une culture admirable, qui s’améliore tous les jours par un bon système d’assolement, tel que celui-ci :

Pomme de terre,
Avoine et trèfle,
Trèfle,
Seigle et spargule la même année,
Navets.

Dans un voyage que je fis avec Napoléon dans la Belgique, je l’entendis témoigner sa surprise à un conseil général de département de ce qu’il venait de parcourir une vaste étendue de terrain en bruyères. Il lui fut répondu : Donnez-nous un canal pour y transporter nos engrais et en extraire nos produits, et en cinq ans ce pays stérile sera couvert de récoltes. Le canal fut exécuté de suite, et la promesse des habitans réalisée en moins de temps qu’ils n’en avaient demandé.

Dans l’intérieur de la France, où les fourrages forment la principale nourriture des animaux, et ne peuvent pas y être suppléés ou remplacés par la drèche des brasseries ou des distilleries de grains, comme dans les pays du nord, où ces résidus forment presque leur unique aliment, on doit beaucoup plus s’occuper de la culture des fourrages et les intercaler plus souvent avec celle des céréales.

Dans toutes les terres compactes et un peu argileuses que je possède, lorsqu’elles sont profondes, après les avoir bien fumées, j’ouvre mon assolement par les betteraves, auxquelles succède le blé, que je sème immédiatement après les avoir arrachées, et sans labour intermédiaire ; je remplace le blé par des prairies artificielles, et celles-ci par de l’avoine. Lorsque ces terres sont de très-bonne qualité, je fais suivre le blé par une luzerne, qui, à son tour, est remplacée par les céréales et les racines.

Dans les terres légères, profondes, sablonneuses, mais fraîches, telles que celles des bords de la Loire, qui sont submergées une ou deux fois pendant l’hiver, je sème d’abord des vesces d’hiver, qui y produisent abondamment, et je les remplace par des betteraves.

Indépendamment du besoin que j’ai des betteraves pour alimenter ma fabrique de sucre, je crois que la culture de cette plante, comme fourrage, est la plus avantageuse de toutes. On peut nourrir les bestiaux avec les feuilles pendant les mois d’août et de septembre, en ne cueillant que celles qui sont parvenues au terme de leur accroissement, et la racine offre la ressource de vingt à trente milliers de nourriture, par arpent de Paris, ou plus de quarante milliers par hectare.

Les terres de première qualité, c’est-à-dire, celles qui possèdent ou réunissent à une bonne composition terreuse la profondeur, l’exposition et des engrais convenables, peuvent recevoir dans leur assolement toutes les plantes qui conviennent au climat ; mais il n’en est pas de même des sols qui ne jouissent pas de toutes ces qualités.

Dans les terres siliceuses ou calcaires, généralement, sèches, on peut intercaler la culture du seigle, de l’orge, de l’épeautre avec celle du sainfoin, du lupin, de la lentille, du haricot, du pois chiche, de la rave, de la gaude, du sarrasin, de la pomme de terre, etc. On donne toujours la préférence à celles que l’expérience a fait connaître comme les plus appropriées au sol et au climat, ainsi qu’à a celles dont le produit est le plus avantageux au propriétaire.

Dans les terres compactes, où l’argile concourt à donner de bonnes qualités au sol, et qui sont propres au froment, on peut composer ses assolemens du blé, avoine, trèfle, luzerne, vesces, fèves, turneps, raves, navets, choux, colza, etc.

Dans ces divers sols, on établit toujours la succession ou la rotation des plantes qui leur conviennent, en se conformant aux principes que j’ai déjà développés.

Les assolemens bien raisonnés économisent les labours, les fumiers, les transports, etc. ; ils augmentent les produits d’une exploitation ; ils fournissent les moyens d’élever et d’engraisser un plus grand nombre de bestiaux, et ils améliorent le terrain à tel point qu’il change de nature, et qu’on peut parvenir à cultiver les plantes les plus délicates et les plus exigeantes, dans un sol originairement ingrat ou stérile : les sables arides d’une grande partie de la Belgique et plusieurs terres d’alluvion le long de nos grandes rivières, nous en offrent des exemples nombreux.

Un bon système d’assolement donne seul la garantie d’une prospérité durable en agriculture.



  1. Cours complet d’agriculture, articles assolement et succession de culture, par Yvart ; Traité des assolemens, par Ch. Pictet.
  2. Indépendamment des motifs que j’ai donnés pour ne pas faire succéder les unes aux autres des plantes de même espèce il en est d’autres que je vais assigner. M. Olivier, membre de l’Institut de France, a décrit avec soin tous les insectes qui dévorent le collet des racines des céréales, et qui se multiplient à l’infini lorsque le même sol leur présente, plusieurs années de suite, des plantes de la même espèce ou des analogues ; ces mêmes insectes sont forcés de périr toutes les fois qu’après une céréale on cultive des végétaux qui ne peuvent pas servir d’aliment à leurs larves.

    Ces insectes appartiennent à la famille des tipules ou à celle des mouches. (Seizième volume des Mémoires de la Société royale et centrale d’Agriculture de Paris.)