Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1309

La bibliothèque libre.
Règne de Philippe IV le Bel (1285-1314)

◄   1308 1309 1310   ►



[1309]


Vers la fête de la Pentecôte, le fils du roi des Aragonais, ayant livré bataille au roi sarrasin de Grenade, tua un grand nombre de Sarrasins, et remporta une glorieuse victoire. Au mois de juin, Henri, récemment élu sans contestation roi des Romains, envoya à Avignon une députation et ambassade solennelle, avec le décret de son élection, pour recevoir du souverain pontife la bénédiction, la consécration et la couronne impériale, et les faveurs et grâces accoutumées de l’Église romaine. Le pape satisfit pleinement à tous ses vœux et demandes, et, après avoir tenu conseil à ce sujet, approuva solennellement, vers la fin du mois de juillet, son élection à la dignité impériale. Il lui permit de se faire consacrer et de recevoir la couronne de l’Empire dans la basilique des princes apôtres de la ville. Il lui permit de proroger le terme du concile général qui devait avoir lieu, jusqu’à la fête de la Purification de la sainte Vierge à deux ans de là, à compter du jour de la Purification prochaine, sauf ce que ledit souverain pontife pourrait, sans accusation d’inconstance, décider autrement sur le moment et la manière de la convocation dudit concile, selon qu’il le jugerait avantageux à la circonstance.

Le pape Clément fit publier dans son palais d’Avignon une annonce portant que tous et chacun de ceux qui, suffisamment instruits d’une manière quelconque de quelques faits relatifs à l’affaire de la dénonciation, accusation, et de l’appel contre le pape Boniface, voudraient témoigner pour ou contre lui, eussent à se présenter devant le pape, s’ils croyaient leur déposition utile, dans l’espace du dimanche où se chante Oculi ; qu’autrement ils ne seraient plus aucunement admis pour cette affaire, et que même après ce terme on n’écouterait aucun rapport, et on imposerait un éternel silence à ce sujet. Parmi ceux que regardait cette annonce, était particulièrement et expressément rangé le chevalier Guillaume de Nogaret, qui, dit-on, fut assigné et appelé à comparaître personnellement au jour marqué. Au dimanche fixé, il se présenta à Avignon, accompagné et soutenu par Guillaume du Plessis, chevalier rusé et prudent. Il renouvela l’appel contre le pape Boniface, s’offrit de prouver légitimement les accusations dirigées contre lui, demanda avec instance qu’on exhumât ses ossemens comme ceux d’un hérétique, et qu’on les livrât aux flammes. Néanmoins la partie adverse, à savoir quelques cardinaux et beaucoup d’autres qui défendaient la cause du pape Boniface, soutint fermement le contraire, et tourna l’accusation contre saint Sébastien 26 et ledit Guillaume, auxquels lesdits cardinaux imputèrent beaucoup de crimes et d’atrocités. C’est pourquoi cette affaire fut suspendue jusqu’à plus ample délibération.

Le trentième jour d’octobre, il souffla pendant plus d’une heure, du couchant d’hiver, un vent si violent, que son impétuosité renversa un grand nombre d’arbres et d’édifices, ainsi que le pinacle de l’église de Saint-Machut de Pontoise. Quoique ce terrible ouragan n’ait pas fait écrouler les grands arcs de pierre du côté oriental de l’église de Saint-Denis en France, cependant, d’après le témoignage de ceux qui le virent, ils chancelèrent et furent ébranlés en sorte qu’on les croyait près de tomber à terre. Le dernier jour du mois de janvier, à une heure vingt-quatre minutes après midi, on vit une éclipse de soleil occupant le milieu de cet astre de telle sorte que le centre de la lune correspondait à celui du soleil, et qu’il y eut alors conjonction de soleil et de lune au vingtième degré du Verseau. Cette éclipse dura en tout plus de deux heures, pendant lesquelles l’air parut de couleur rouge ou de safran. Les astronomes expliquaient la chose en disant qu’au moment de l’éclipse…….. 27 colora l’air d’une lueur de safran ou d’or.

Il s’éleva une grave et âpre dissension entre le roi d’Angleterre et ses barons, à l’occasion d’un certain chevalier nommé Pierre de Gravaeston 28, Gascon de nation, banni depuis long-temps, disait-on du royaume d’Angleterre, mais que le roi avait admis à une si grande intimité, qu’il lui avait accordé, pour être possédé par ses héritiers, le comté de Lincoln, et avait par ses conseils établi beaucoup de nouveaux réglements contraires à la volonté de tous et aux coutumes du pays, et préjudiciables au royaume et à ses statuts. Les grands, tant à cette occasion que par conviction de la simplicité d’esprit et du peu de sens du roi, animés de haine contre lui, lui eussent, non seulement suscité quelques troubles, mais même, comme l’affirmait l’opinion générale, l’eussent privé de toute l’administration du royaume, s’ils n’eussent été retenus par la bonté du roi de France et de sa fille, reine d’Angleterre, qui s’était montrée gracieuse et aimable envers les barons. Les frères Hospitaliers passèrent, dit-on, avec une grande multitude de peuple chrétien, dans l’île de Rhodes, d’où les fidèles avaient été chassés par les Sarrasins, et s’y conduisirent d’une manière digne d’éloges.

26. C’est ainsi probablement que se nommait l’un des accusateurs.