Chronique de la quinzaine - 14 février 1845

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Chronique no 308
14 février 1845


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 février 1845.


Nous assistons depuis trois semaines à un triste spectacle. Un ministère moralement condamné par l’opinion persiste à garder les affaires. Une administration qui n’a pas la majorité nécessaire pour gouverner s’impose au parlement et au pays. Par une conséquence forcée de sa situation, le pouvoir se montre violent et faible. Sa violence éclate par des destitutions ; les débats législatifs attestent son impuissance parlementaire. L’adoption ou le rejet des lois dépendent d’une voix de plus ou de moins dans la chambre des députés, coupée en deux parties égales. On s’assemble, on discute, on vote sans résultat ; il n’y a ni majorité ni minorité ; c’est la négation du gouvernement représentatif. Au dehors des chambres, l’opinion s’inquiète et s’irrite ; on demande un terme à ces expériences dangereuses. Quelle peut être sur la France et sur l’Europe l’action d’un ministère dont l’existence repose sur une illusion ou sur un mensonge, dont l’agitation fébrile ressemble aux convulsions d’un corps d’où la vie s’échappe ? Le ministère attend pour vivre ou pour mourir l’épreuve des fonds secrets. Dieu veuille pour son honneur et sa responsabilité que cette épreuve, si elle le condamne, lui semble décisive ! Il est temps pour tout le monde de sortir d’une situation qui commence à répandre de vives alarmes dans le pays.

Pourquoi le ministère a-t-il destitué M, de Saint-Priest et M. Drouyn de Lhuys ? Les amis de M. Guizot voudraient dissimuler la rigueur de cette mesure en l’attribuant à des convenances administratives ; mais personne ne s’est mépris sur l’intention de M. le ministre des affaires étrangères. Ce n’est pas pour avoir passé plus ou moins de temps loin de son poste que M. de Saint-Priest, ministre plénipotentiaire en Danemark, a été frappé. Si l’honorable pair eût parlé ou voté pour le cabinet, assurément M. Guizot ne l’aurait pas destitué. Quant à M. Drouyn de Lhuys, chef de la direction commerciale aux affaires étrangères, on prétend que ses fonctions exigeaient entre le ministre et lui une étroite communauté de vues, un parfait accord : soit. Mais l’honorable député est à la chambre depuis trois ans, depuis trois ans il siège au centre gauche : d’où vient donc que M. Guizot a reconnu si tard la nécessité de le remplacer ? Si les convenances du service exigeaient la destitution de M. Drouyn de Lhuys, cette mesure aurait dû être prise il y a trois ans ; elle aurait eu alors un caractère administratif. Aujourd’hui, après un vote qui a blessé mortellement le cabinet, la destitution de l’honorable député ne peut avoir qu’un caractère politique. C’est un avertissement donné aux fonctionnaires de la chambre, c’est une menace en vue du vote sur les fonds secrets. On a voulu intimider les dissidens et contenir le parti ministériel. Telle a été en effet l’opinion générale de la chambre, et c’est pourquoi elle a ressenti une émotion si vive. Le ministère a dépassé le but qu’il s’était proposé, et sa violence pourra lui devenir funeste. Par une atteinte si grave à l’indépendance parlementaire, le cabinet s’est frappé lui-même, car il a frappé son propre parti. Il a humilié ses amis en leur ôtant le mérite de leur adhésion, en supprimant la liberté réelle ou apparente de leur vote. Si le ministère pouvait encore trouver une majorité dans les ténèbres du scrutin, les moyens qu’il a pris pour l’obtenir auraient détruit d’avance la valeur morale de son triomphe ; une majorité conquise par l’intérêt et par la peur n’est pas une majorité. Ajoutons qu’en destituant M. Drouyn de Lhuys, dont l’opposition discrète n’avait pas encore abordé la tribune, M. Guizot a oublié la doctrine qu’il avait professée lui-même sur la liberté du vote silencieux. Il tolérait autrefois l’opposition du silence ; il accordait ce refuge à la conscience des fonctionnaires amovibles. Ce dernier asile leur est fermé aujourd’hui ; ils sont condamnés à opter entre une adhésion servile ou une destitution. Cette manière de comprendre les devoirs des fonctionnaires dans les deux chambres remet sur le terrain la question des incompatibilités. Un nouveau grief est ainsi venu se joindre à ceux que le ministère avait déjà amassés contre lui : grief sérieux, dont l’importance va se révéler dans la discussion des fonds secrets.

Un ministère qui a foi en lui-même ne néglige jamais l’occasion d’exercer sur les discussions des chambres un légitime ascendant. Il s’empare de toutes les questions portées à la tribune. Dans les matières administratives comme dans les matières politiques, il conduit sans cesse le débat. Est-ce là, nous le demandons, ce qu’a fait le ministère dans la discussion du projet de réforme sur l’admission et l’avancement des fonctionnaires publics ? Dira-t-on que cette réforme était sans importance ? Ce serait aller contre l’opinion proclamée sur tous les bancs de la chambre. Depuis long temps, la nécessité de déterminer d’une manière fixe les conditions d’admission et d’avancement dans les services publics avait frappé les chambres. L’idée de mettre un terme aux abus de la faveur, de soustraire le gouvernement aux obsessions de toute sorte qui l’assiégent, de poser des limites à une concurrence sans frein, de fermer les carrières aux incapables pour les ouvrir aux candidats intelligens, dignes de la confiance de l’état ; de repousser les promotions irrégulières pour encourager les avancemens mérités ; de rendre au pouvoir, à l’administration, aux chambres, une nouvelle force, en les renfermant dans le cercle d’une règle destinée à les soutenir et à les contenir en même temps ; cette idée sage et libérale avait germé depuis plusieurs années dans le parlement. Un ministre de l’intérieur, en 1838, avait même conçu à ce sujet le plan d’une réforme, et les honorables députés qui ont proposé de convertir en loi ce vœu de tout le monde ont répondu à un besoin public. Leur proposition appelait donc un examen approfondi, et les questions qu’elle soulève étaient de nature à provoquer de la part du ministère une intervention sérieuse dans le débat. Pourquoi cette intervention n’a-t-elle pas eu lieu ? Pourquoi, dans une affaire qui les concerne tous, tous les ministres, sauf un seul, se sont-ils abstenus ? Pourquoi M. Duchâtel, qui est à la fois l’un de nos administrateurs les plus habiles et l’un des orateurs qui possèdent le mieux le langage des affaires, s’est-il à peine mêlé à la discussion ? Nul mieux rue lui ne pouvait résoudre ce difficile problème de la réforme à introduire dans les emplois publics. Si M. Duchâtel s’est contenté de prononcer quelques paroles, fort justes d’ailleurs, sur un des points du débat, cherchant ainsi à le diminuer, par une indifférence affectée, au lieu de l’élever et de l’agrandir par le libre concours de son talent, ne faut-il pas voir dans ce calcul la conduite embarrassée d’un ministère qui doute à chaque instant de lui-même, qui craint de soulever les difficultés en soulevant les questions, toujours disposé à se rapetisser pour se dérober plus facilement dans la lutte ?

Telle a été du reste, dans une foule d’affaires, la conduite du cabinet depuis quatre ans. Rarement on l’a vu s’avancer d’un pas ferme ; il n’a jamais en l’attitude d’un gouvernement fort qui compte sur sa majorité et sur lui-même, qui se fie pour le succès dans la droiture de ses intentions, et poursuit ouvertement, à la face du pays et des chambres, l’exécution des plans qu’il a conçus. Si l’on appelle gouverner se maintenir péniblement au pouvoir, transiger sans cesse avec une majorité douteuse, la suivre dans ses oscillations, se prêter à ses exigences, consulter à chaque instant avant de penser, avant d’agir, les dispositions mobiles de son tempérament et de son esprit ; si l’on appelle gouverner faire rarement ce que l’on veut et souvent ce que l’on ne veut pas, nous convenons que les ministres du 29 octobre ont gouverné la France depuis quatre années. Mais si le gouvernement représentatif d’un grand pays est autre chose qu’un perpétuel calcul des chances du scrutin ; si l’on appelle gouverner donner l’impulsion, diriger, maintenir son initiative, appliquer ses vues, attirer à soi la majorité au lieu d’aller à elle, faire ordinairement ce que l’on veut et jamais ce que l’on ne veut pas ; si l’on appelle gouverner marcher librement, courageusement, dans une voie tracée par le sentiment du devoir, personne ne pourra dire que le ministère du 29 octobre ait donné jusqu’ici un tel spectacle. Sans parler des questions principales, comme celle du droit de visite, où l’homme éminent qui représente la politique du cabinet a fait exactement le contraire de ce qu’il voulait, acceptant des chambres la mission de détruire lui-même son propre ouvrage, et sacrifiant ses convictions à des intérêts peu dignes de lui ; sans parler des influences que le ministère a subies dans la politique extérieure, influences qui ont souvent modifié ses plans de conduite, que d’exemples, dans la politique intérieure, ont prouvé sa dépendance et sa faiblesse ! Quel usage a-t-il fait de son initiative ? quelle réforme sérieuse a-t-il tentée ? quelle direction, quelle impulsion a-t-il donnée aux débats parlementaires ? Ses projets de loi, ses systèmes, comment les a-t-il soutenus ? Qu’on se rappelle les chemins de fer et la loi de l’instruction secondaire : quelles incertitudes, quelle timidité devant les chambres ! Tout le monde sait qu’à diverses époques le ministère a médité des mesures d’une assez grave importance les a-t-il exécutées ? A-t-il osé défendre ses convictions ? On sait l’histoire de la question douanière, du projet des ministres d’état et du banc des évêques ; on sait l’histoire publique et l’histoire secrète du projet de dotation : quels moyens le ministère a-t-il employés pour se tirer d’embarras après s’être un instant compromis ? Quelles voies tortueuses ! quel affaiblissement du pouvoir ! On a vu le ministère soutenir devant les chambres des projets de loi dont la majorité bouleversait tous les articles, et le ministère, à chaque modification nouvelle, prenait l’opinion de la majorité ; on l’a vu préparer de nouvelles lois, consulter ses amis sur les chances qu’elles pourraient avoir dans le parlement, puis les oublier, en parler de nouveau, et les oublier encore, selon que la majorité paraissait disposée ou non à les accueillir. Est-ce ainsi que l’on doit conduire les affaires d’un grand pays ? Mais, dira-t-on, pour agir autrement, il faut avoir une forte majorité. Nous tombons d’accord sur ce point, et nous n’avons jamais dit autre chose ; seulement, puisque le ministère, de l’aveu même de ses amis, n’a jamais eu cette majorité nécessaire pour gouverner dignement et utilement, pourquoi a-t-il conservé le pouvoir ? pourquoi le garde-t-il encore ? Quel attrait peut-il trouver dans une situation, qui le condamne à l’impuissance ?

Une seule affaire a été conduite dans ces derniers temps avec cet esprit de suite et cette vigueur qui sont le propre d’une administration maîtresse d’elle-même : c’est le gouvernement de l’Algérie. Là, point d’hésitation, point de faiblesse. Tout part d’un principe nettement défini, dont les conséquences se développent en pleine liberté. Est-ce au ministère, est-ce au maréchal Bugeaud que revient le principal honneur de ce progrès décisif qui assure l’avenir de notre occupation d’Afrique ? L’indépendance administrative du maréchal Bugeaud n’est un secret pour personne. Tout le monde sait que depuis trois ans il n’y a qu’une pensée en Algérie, c’est la sienne ; il n’y a qu’une volonté, c’est celle de son esprit ferme et convaincu ; il n’y a qu’une politique, c’est le système qu’il a créé, système qui fait l’admiration des hommes de guerre, et qui honore en même temps l’esprit civilisateur de notre époque. Lorsque la discussion des crédits de l’Afrique viendra aux chambres, nous examinerons ce système dans ses détails. Nous verrons alors quelle part le ministère peut revendiquer dans la gloire du maréchal Bugeaud.

Mais revenons aux derniers débats de la chambre, si mal dirigés par le cabinet. La proposition de réforme dans les emplois publics, combattue plutôt qu’appuyée par le ministère, a été rejetée au scrutin à la majorité d’une voix. La réforme proposée soulevait des critiques justes. On pouvait lui reprocher de trop restreindre les choix, de poser d’une manière trop absolue le principe de la hiérarchie, de mettre une confiance excessive dans la garantie des examens et des diplômes. Néanmoins la proposition était un vaste sujet d’étude. Le ministère surtout pouvait en faire l’objet d’une discussion utile. C’est pour cette raison que nous lui reprochons l’indifférence qu’il a montrée. Du reste, sans le secours de plusieurs membres de l’extrême gauche qui ont repoussé la mesure comme une entrave à l’action du pouvoir, le ministère eût porté la peine de son insouciance. Il faudra désormais que l’extrême gauche lui prête son concours dans la défense des vrais principes du gouvernement.

Une autre épreuve a constaté la faiblesse parlementaire du cabinet. Deux votes sur la réforme postale ont montré de nouveau la chambre partagée en deux fractions égales, 129 contre 130, 170 contre 170. Une voix de plus du côté de l’opposition aurait fait triompher une réforme sage, utile, populaire, que le ministère a combattue. Nous respectons les scrupules de M. le ministre des finances. Gardien du trésor, il doit le défendre contre tous les changemens de tarifs qui tendraient à diminuer ses ressources : mais la prudence de M. Laplagne n’est-elle pas exagérée ? Est-il vrai qu’une diminution de moitié dans la taxe des lettres pourrait exposer le trésor à des pertes sensibles ? M. Laplagne a-t-il répondu à toutes les objections qu’on lui a faites ? L’exemple de l’Angleterre n’est-il pas plus rassurant qu’il ne pense ? Avec une taxe uniforme de 20 centimes, est-il chimérique de supposer que le nombre des lettres sera doublé en peu de temps, et que les revenus du trésor resteront intacts ? M. le ministre des finances a parlé avec sa lucidité et sa précision habituelles, mais nous doutons qu’il ait fait partager à beaucoup d’esprits ses convictions. Si le parti ministériel a repoussé la mesure, c’est qu’il a voulu sans doute éviter au cabinet un nouvel échec. Quoi qu’il en soit, faute d’une voix, la taxe excessive des lettres est maintenue. Un impôt qui est mal réparti, qui blesse le principe de l’égalité des charges publiques, qui nuit aux intérêts du commerce, qui est contraire au développement des relations sociales, est conservé dans toute sa rigueur. Une législation vicieuse reste debout. Il faut espérer que le gouvernement ne se méprendra pas sur les véritables dispositions de la chambre. Elle désire vivement une réforme. Si le ministère ne répondait pas à ce vœu, l’initiative parlementaire se montrerait de nouveau, et son triomphe serait assuré.

Les réformes administratives sont le besoin du jour. Elles sont ardemment souhaitées par le pays. Autant les innovations politiques ont peu de charme pour lui, autant il a de penchant pour celles dont le but est de perfectionner l’état social, de répandre le bien-être parmi les populations, d’encourager la moralité des classes pauvres, de répartir plus également les charges publiques, d’étendre et de fortifier l’action administrative. Voilà les réformes que réclame l’opinion, œuvre modeste, mais utile, qu’un gouvernement sage et libéral, aidé du concours des chambres, accomplirait sans bruit et sans faste. Le ministère du 29 octobre a peu compris cette mission. Sur ce point, comme en beaucoup d’autres choses, il laissera du travail à ses successeurs.

M. de Salvandy n’a pas voulu refuser plus long-temps le portefeuille de l’instruction publique, qui lui était offert depuis un mois. Ses amis ont vivement regretté cette résolution. Avant la discussion de l’adresse, l’ancien ministre du 15 avril avait à la chambre une de ces situations rares qu’un homme politique doit prudemment ménager. Une fraction du parti conservateur le reconnaissait pour chef. Il était le représentant d’une opposition modérée qui blâmait publiquement le ministère sans tramer sa chute. L’opinion de MM. de Salvandy sur le droit de visite, sur Taïti, sur le Maroc, était connue ; elle était formellement contraire au cabinet. On devait donc penser que l’honorable député réserverait son appui à une politique plus conforme à ses convictions et à ses souvenirs. Le sort et l’entraînement des circonstances, beaucoup plus peut-être que la volonté réfléchie de M de Salvandy, en ont décidé autrement. Il est devenu le collègue des ministres du 29 octobre. Ajoutons, il est vrai, que la veille du jour où il prenait cette détermination, le ministère dont il embrassait la fortune avait perdu la majorité dans le vote sur Taïti. Ce simple rapprochement suffirait, s’il en était besoin, pour justifier M. de Salvandy du reproche d’ambition. On serait tenté plutôt de lui reprocher un excès de désintéressement. Du reste, sa détermination n’a modifié en rien l’état des partis. Aucun ébranlement ne s’est produit parmi les dissidens. Loin de là, plusieurs d’entre eux ont pensé qu’après tout la présence de M. de Salvandy dans le ministère n’était pas un mal, que l’honorable député resterait sans doute fidèle à ses convictions comme à ses souvenirs, et qu’en entrant dans le cabinet, il avait dû se proposer pour but de faire triompher loyalement dans les conseils de la couronne les idées de conciliation et de transaction dont il a été l’un des plus fermes soutiens. Nous verrons par la suite, et prochainement peut-être, si ces pressentimens sont fondés.

Quoi qu’il en soit, l’entrée de M. de Salvandy dans le cabinet du 29 octobre a été marquée par une épreuve cruelle. Le jour où il prenait le portefeuille de l’instruction publique, la double destitution de M. de Saint-Priest et de M. Drouyn de Lhuys paraissait au Moniteur. Nous tenons de bonne source que M. de Salvandy a envoyé aussitôt sa démission. Il n’a pas voulu supporter un seul moment la solidarité de cet acte d’intimidation et de colère, de cette brusque atteinte au principe de l’inviolabilité parlementaire, principe que l’ancien ambassadeur de Sardaigne avait si noblement et si énergiquement défendu l’année dernière, lorsque la liberté du vote avait été attaquée dans sa personne. La démission de M. de Salvandy n’a pas été acceptée. Il a fallu les plus vives instances pour la lui faire reprendre.

Au milieu de ces tristes épisodes de la politique, c’est une joie bien grande pour tous les amis de la gloire littéraire de pouvoir annoncer le rétablissement de M. Villemain. Cette santé si chère est rendue aux lettres, à l’éloquence, à l’amitié, à la tendresse paternelle, aux sentimens les plus nobles et les plus doux de la vie. Tous ses amis l’ont vu ; tous ont pressé sa main avec attendrissement. C’est toujours le même esprit, la même ironie fine et délicate, la même intelligence supérieure. M. Villemain parle du ministère avec un ressentiment que tout le monde trouvera légitime ; mais il exprime ce ressentiment d’une façon calme et digne. On sait que le président du conseil a reçu de M. Villemain une lettre pleine de noblesse, où l’ancien ministre refuse la pension demandée pour lui aux chambres. La demande a été retirée en vertu d’une ordonnance royale. M. de Salvandy a offert à l’honorable pair de rétablir pour lui les fonctions de chancelier de l’Université ; cette offre a été également refusée. M. Villemain ne veut rien accepter du cabinet ; il veut garder vis-à-vis de lui une liberté complète. Il veut pouvoir dire ce qu’il pense de ce singulier empressement que l’on a mis à lui faire prononcer le mot de démission, et à s’emparer de ce mot qui n’avait point de sens au moment où on l’a surpris dans sa bouche. Il veut signaler les, motifs de cette précipitation. Il veut parler librement du projet de loi sur l’enseignement secondaire, chose qu’il n’a pu faire jusqu’ici, et montrer comment, ce projet étant devenu un embarras pour le ministère, on a saisi l’occasion d’une fièvre cérébrale pour se délivrer du projet et du ministre en même temps. Il faut entendre l’illustre pair raconter les détails de cette douloureuse maladie, que le public aurait pu ignorer. C’est un récit qui ne fait pas honneur au cabinet. Les tristes révélations qui ont déjà couru sur cette malheureuse affaire peuvent être comptées parmi les causes de l’agitation croissante qui se remarque dans l’opinion.

Si le parti ministériel s’affaiblit, l’opposition, au contraire, conserve toutes ses forces. Elle n’a essuyé aucune défection ; le même accord existe toujours dans ses vues. Tandis que la phalange ministérielle est violente et exclusive, l’opposition, fidèle au drapeau qu’elle a arboré depuis l’adresse, se montre modérée et conciliante. Chaque parti a ses lieux de réunion. Les ministériels ardens forment une espèce de club où l’on prend des mesures de salut public sous l’empire de la colère et de la peur, et où on lance des anathèmes contre les dissidens. L’opposition se réunit indistinctement dans des salons de bonne compagnie, où l’on parle de politique sans emportement, et où l’on n’excommunie personne. M. de Montalivet a ouvert son hôtel pour un grand bal, et l’on a rencontré sur ce terrain de conciliation M. Molé et M. Thiers, causant dans une intimité parfaite. Des hommes politiques de toutes les opinions accourent en foule les mardis aux réceptions brillantes de M. le comte Molé. Les salons de M. Thiers, ceux de M. de La Redorte, présentent le même accueil à toutes les nuances de l’opinion constitutionnelle. Tel est l’esprit de tolérance et de concorde qui anime le camp de l’opposition. C’est une trêve qui peut devenir une paix durable. Aussi ce spectacle, si rassurant pour les bons citoyens, irrite au dernier point les amis exclusifs du cabinet. Ils poussent des clameurs, ils crient à la coalition ; ils comparent 1845 à 1839 : ils oublient combien le rapprochement de ces deux dates est cruel pour M. Guizot.

Nous ne voulons rien exagérer, et nous cherchons avant tout à nous rendre un compte exact de la situation. Depuis quinze jours, si nous ne nous trompons, la portion du parti conservateur qui veut maintenir le ministère se convainc chaque jour davantage des difficultés de la tâche qu’elle a entreprise. Nous ne sommes plus dans ces heures de dévoûment enthousiaste qui ont suivi le vote sur l’adresse, et la réunion Lemardelay serait aujourd’hui moins nombreuse et moins fervente qu’elle ne l’a été. Beaucoup d’hommes éclairés et modérés du parti ministériel s’aperçoivent qu’ils ont fait une faute en cherchant à sauver le ministère à tout prix. Nous savons combien les motifs qui ont poussé le parti conservateur à cette erreur sont nobles et généreux : il a voulu montrer sa fidélité ; mais il y a pour les partis deux sortes de fidélités, la fidélité aux hommes et la fidélité aux principes. Nous ne blâmons pas la fidélité aux hommes, mais nous préférons la fidélité aux principes, et jusqu’ici c’est cette fidélité qui a fait la force du parti conservateur. Investi du droit de prendre part au gouvernement du pays, il a eu, jusqu’ici, cet égoïsme que nous appellerons généreux et habile, qui est l’apanage de la royauté elle-même : il a songé au pays plus qu’aux hommes ; il s’est séparé tour à tour de ceux qui quittaient son drapeau ou qui perdaient leur force ; il s’est séparé de M. Thiers, de M. Guizot, de M. Molé, de M. de Montalivet ; il est resté lui-même, c’est-à-dire un grand parti qui puise sa force dans l’estime du pays et dans son inébranlable adhésion à la couronne. C’est ainsi qu’il agit en 1839, quand, à demi vaincu dans les élections, il n’a pas hésité à chercher, dans une nouvelle combinaison parlementaire, la puissance qu’il n’avait pas trouvée, par malheur, dans l’urne électorale. Il n’a pas essayé de se raidir contre les évènemens ; il n’a pas tenté de sauver à tout prix le ministère du 15 avril. Les hommes éminens de ce ministère ne lui auraient pas permis ce suicide par fidélité ; ils aimaient mieux leur parti qu’eux-mêmes. L e parti conservateur n’a donc songé qu’à maintenir sa juste prépondérance et sa légitime action dans le gouvernement du pays. Il s’est allié avec les bommes les plus modérés de l’ancienne coalition, avec M. Passy, M. Dufaure, M. Duchâtel. Au lieu d’employer la force à faire vivre les morts, chose impossible, il a mieux aimé l’employer à régler les combinaisons parlementaires et ministérielles ; il a mis son poids dans la balance de l’avenir au lieu de le jeter imprudemment dans la balance du passé : c’est par là qu’il est resté puissant.

Aujourd’hui, le parti conservateur semble s’appliquer à prendre le contre-pied de tout ce qui avait été fait en 1839. En 1839, le ministère du 15 avril, à demi vaincu dans la discussion de l’adresse, en appela loyalement au pays et prononça la dissolution de la chambre. En 1845, le parti conservateur n’a pas voulu que le ministère, vaincu aussi dans la discussion de l’adresse, intentât un recours devant le pays. Il s’est réuni autour du cabinet pour le décider à rester aux affaires et à conserver la chambre, et il n’est pas inutile de noter en passant que, dans l’exposé des motifs de la loi sur les fonds secrets, le ministère déclare que c’est par déférence pour les avis du parti conservateur qu’il n’a pas donné sa démission. C’est donc à ce parti qu’il renvoie nettement la responsabilité de la conduite politique qui vient d’être tenue. Ainsi, première différence entre 1839 et 1845 : 1839 s’adresse au pays ; 1845 se défie de l’opinion politique ; il la brave en même temps qu’il la craint ; il essaie de durer. Autre différence. En 1839, le parti conservateur ne se dit pas : Nous sommes 213 contre 205, et nous ferons vivre le ministère en dépit du pays, en dépit de l’opposition et en dépit de lui-même. Non, il a une conduite plus habile et plus prudente ; il se dit : Comme majorité, nous sommes trop faibles pour soutenir un ministère chancelant ; comme fraction de la chambre, nous sommes plus puissans que toutes les autres factions. Nous ne faisons plus peut-être la majorité, mais nous pouvons la donner. Il faut donc que les hommes qui veulent arriver au pouvoir comptent avec nous. Nous ne pouvons plus rien contre eux et sans eux ; mais ils ne peuvent rien sans nous. Voilà quelle a été la pensée du parti conservateur en 1839. Voici quelle aurait dû être sa pensée en 1845 : laisser mourir qui doit mourir, régler les conditions auxquelles peut vivre ce qui doit vivre. Il pouvait donner l’exclusion à qui bon lui semblait ; il pouvait régler à son gré le programme du nouveau ministère, hommes et choses. Il a mieux aimé prolonger la vie d’un mourant.

Malheureusement, il s’aperçoit tous les jours qu’il a tenté là une œuvre contre nature. Il n’empêchera peut-être pas le ministère de mourir, malgré tous les efforts généreux qu’il fait pour cela ; mais, à coup sûr, il ne pourra pas le faire vivre. Nous l’en délions. Et le fît-il vivre, il faudra arriver aux élections, et là le ministère mourra, et le parti conservateur risque fort d’y périr avec lui. Voilà ce que sentent peu à peu les hommes éclairés du parti : ils se voient sur une pente qui les entraîne à l’abîme ; ils sentent qu’ils se sacrifient sans même pouvoir sauver le ministère auquel ils s’offrent en holocauste. Ces pensées-là sont tristes, déplaisantes. De là le sentiment de découragement qui saisit peu à peu tout le monde. Nous ne savons pas quel sera, dans le prochain vote, le résultat de ces dispositions ; mais nous soutenons qu’elles existent. Il faudrait donc, pour caractériser cette nouvelle situation, à côté des conservateurs dissidens, créer en quelque sorte une nouvelle catégorie des conservateurs inquiets et ébranlés. Ceux-là ne voteront peut-être pas contre le ministère ; mais, à coup sûr, ils sont mécontens de voter pour lui. Ils voudraient, pour beaucoup, qu’un accident quelconque vînt, pour ainsi dire, dégager leur parole et leur amour-propre. Ils ne veulent pas pousser le ministère, mais ils seraient enchantés qu’il tombât, et c’est là, selon nous, la plus grande et la plus sérieuse cause de la chute inévitable et prochaine du ministère. Il pourra encore trouver dans l’urne les deux ou trois suffrages de majorité à l’aide desquels il a prétendu avoir le droit de vivre depuis l’adresse : il ne retrouvera plus même les adhésions fermes et empressées qu’il a rencontrées dans la discussion de l’adresse, ou du moins, s’il les rencontre, ce ne sera plus que dans le groupe des zelanti ministériels. Ceux-là ne l’abandonneront pas, et c’est bien juste, car ce sont eux qui l’ont conduit où il est.

Il ne faut pas se le dissimuler en effet : depuis 1840, il y a eu deux esprits et deux influences différentes qui ont donné tour à tour dans le ministère et dans la majorité. En 1840, l’esprit exclusif et intolérant qu’on appelait autrefois l’esprit doctrinaire était singulièrement amorti ; il semblait même avoir complètement disparu. A sa place régnait l’esprit conservateur, c’est-à-dire cet esprit habile et prudent qui n’avait pas hésité à transiger en 1839, qui s’était séparé des hommes pour sauver les principes, qui avait mieux aimé, et ce doit être là le rôle du parti conservateur, qui avait mieux aimé, disons-nous, être un pouvoir qu’un parti. C’était cet esprit conservateur qui adoptait avec habileté, avec sagesse, les inspirations de l’opinion publique sur le droit de visite et sur les affaires de Syrie. Aucune raideur fanatique, aucune intolérance, aucune exclusion ; une large et noble unité, point étroite, point mesquine. Malheureusement cet esprit s’est peu à peu affaibli ; la majorité qui autrefois savait se réunir et se concerter, non pas seulement pour soutenir le ministère, mais pour le contrôler, pour l’avertir, pour peser au besoin sur lui et pour le diriger, la majorité a abandonné le soin de ses affaires, elle a abdiqué entre les mains du cabinet ; alors a reparu l’esprit exclusif et intolérant. Le ministère n’a plus connu les sentimens et les dispositions de la majorité, et à travers la majorité les sentimens et les dispositions du pays. Il s’est renfermé dans le cercle étroit de ses adorateurs ; il a remplacé la foi du peuple par la ferveur et la dévotion de la sacristie ; il a vécu dans une petite église, et il s’est cru d’autant plus fort qu’il n’a plus cherché ni à voir ni à pressentir les obstacles. De là beaucoup d’aveuglement et de présomption. Ainsi, au commencement de la session présente, il croyait que tout allait à souhait, et que la chambre revenait disposée presque tout entière à l’applaudir et à le soutenir. Aussi, quand sont venus les désappointemens, quand l’expérience a prouvé que son thermomètre marquait moins bien la température morale et politique du pays que le thermomètre de l’opposition, le ministère, tout ébahi et tout étonné, a crié à l’intrigue, et c’est par l’intrigue seulement qu’il a cherché à expliquer sa défaite.

Tout cela est grave et mérite de la part du parti conservateur une sérieuse attention. Un ministère qui ne peut plus vivre, des élections qui seront funestes si elles sont faites sous les auspices du ministère qu’on veut conserver, l’impossibilité de faire les affaires courantes du pays dans une chambre que personne ne gouverne plus et qui n’a foi à personne, pas même en elle ; l’atonie du pouvoir en face de laquelle se réveillera bientôt l’énergie des partis extrêmes qu’avait domptés la raison publique, l’idée de voir, ce que Dieu veuille éloigner de nous, la crise toujours possible de la régence aggravée par une crise électorale, voilà les préoccupations qui doivent inquiéter beaucoup d’esprits, voilà la responsabilité qui, comme le ministère l’a durement fait entendre dans l’exposé des fonds secrets, pèse sur la tête du parti conservateur.

Le ministère comptait sur le discours de la reine d’Angleterre, et sur les débats du parlement anglais pour se relever des coups qui l’ont frappé dans la discussion de l’adresse. Il espérait que le discours de la reine renfermerait une déclaration explicite, qui fût un signe manifesté des bons sentimens de l’Angleterre pour la France. Il espérait que les débats du parlement seraient agités, que l’opposition britannique soulèverait des tempêtes contre sir Robert Peel, que l’arrangement de Taïti serait reproché au cabinet anglais comme une concession aux exigences de la France. Rien de tout cela n’est arrivé. Les paroles royales sont froides et sèches ; elles ne raffermiront pas le cabinet. Quant à l’opposition britannique, elle s’est montrée pleine de modération et de réserve. Elle n’a point blâmé le dénouement de l’affaire Pritchard. La réparation accordée par la France lui a paru suffisante. Voyez lord Russell. Il critique la manière dont les négociations ont été conduites ; il reproche au cabinet anglais d’avoir fait dès le début des demandes exorbitantes qui ont dû être abandonnées dans la suite : il reconnaît que les officiers français avaient droit d’expulser M. Pritchard : par conséquent la conclusion du différend lui paraît suffire à l’honneur de l’Angleterre. Lord Palmerston va plus loin, il n’admet pas que l’expulsion de M. Pritchard ait été juste ; à ses yeux, M. Pritchard était consul, et cependant, malgré cette opinion qui semblerait devoir le rendre plus exigeant que lord Russell sur la conclusion de l’affaire, il trouve la réparation suffisante. Que serait-ce s’il admettait, comme tout le monde, la légitimité et la nécessité de l’expulsion ? On voit que le langage de l’opposition anglaise sur l’affaire Pritchard offrira peu de ressources oratoires à M. Guizot dans la discussion des fonds secrets.

M. Guizot avait espéré sans doute que les ministres anglais diraient un mot des instructions communiquées sur les ; affaires du Maroc, et s’empresseraient de désavouer les commentaires auxquels ont donné lieu leurs indiscrètes paroles de l’an dernier. Cette espérance a été trompée. En revanche, sir Robert Peel a rendu un solennel hommage à la renommée politique et littéraire de M. Thiers. A Londres comme à Paris, l’opposition critique le système de l’entente cordiale. Au lieu de ces prévenances stériles qui ne servent pas mère à faciliter l’arrangement des plus simples débats diplomatiques, elle voudrait une alliance digne des deux nations, une intimité féconde, basée sur de grands intérêts. Tous les orateurs, dans les chambres anglaises, se sont accordés à exprimer des sentimens pacifiques. Nous n’avons pas vu paraître, de l’autre côté du détroit, ce parti de la guerre dont on nous a si souvent menacés ; il faut croire que ce parti de la guerre est à Londres ce qu’il est chez nous, c’est-à-dire un mensonge, une calomnie, qui sert d’aliment aux journaux ministériels et aux dépêches diplomatiques.

La question du droit de visite a occupé le parlement anglais. La commission mixte a été regardée comme un expédient imaginé pour soutenir momentanément le cabinet français devant les chambres. Du reste, certaines paroles assez vagues de lord Russell pourraient faire supposer qu’il y a en ce moment, au-delà de la Manche, une opinion sage et vraiment libérale, qui placerait l’amitié de la France au-dessus du triste avantage de maintenir dans leur rigueur les traités de 1831 et de 1833. S’il en est ainsi, plaise à Dieu que cette opinion triomphe des préjugés qui l’entourent !

Si le ministère avait une grande confiance dans l’œuvre de la commission instituée pour chercher les moyens de supprimer la traite par des mesures plus efficaces que le droit de visite, aurait-il mis ces jours derniers une insistance si vive à faire inscrire le projet de loi des colonies à l’ordre du jour de la chambre des pairs ? Une forte minorité a réclamé l’ajournement indéfini de la discussion. Le ministère est averti. La chambre des pairs, d’accord avec le sentiment du pays, témoigne sur cette grave affaire un esprit de résistance qu’il sera difficile de vaincre.

On a reçu ces jours derniers des lettres de Macao qui donnent la traduction du traité que la France, représentée par M. de Lagrénée, ministre plénipotentiaire, vient de conclure avec la Chine. Ce traité, sauf quelques différences, reproduit les clauses des trois conventions passées avec l’Angleterre et du traité conclu avec les États-Unis. Il a été signé le 24 octobre, au soir, sur le bateau à vapeur l’Archimède, en rade de Whampoa, à dix ou onze milles de Canton. Le commissaire impérial Ki-ing s’est embarqué aussitôt après pour sa résidence, qu’il avait quittée depuis plus de six semaines. On raconte de singulières choses de ce voyage du commissaire impérial sur un bâtiment de guerre français. Ki-ing est un gros Tartare, de bonne mine, d’humeur très joviale, assez curieux et questionneur. Il était accompagné du trésorier de la province, nommé Wang, très bel homme, élégant et recherché, espèce de dandy chinois. L’orgueil du commissaire impérial, vice-roi de Canton, surintendant des cinq ports, a dû souffrir en acceptant la proposition qui lui a été faite de monter sur un bâtiment de guerre appartenant à des barbares. Cependant l’offre a été accueillie d’assez bonne grace. Le pavillon français est celui pour lequel les Chinois éprouvent le moins d’aversion. Ki-ing a été, dit-on, très frappé des mouvemens de la machine du bâtiment, et s’est donné le plaisir de l’arrêter deux fois en pleine marche. Il a témoigné d’abord son admiration et sa surprise ; puis, une teinte de mélancolie s’est répandue sur ses traits, et ses rares paroles ont porté l’empreinte de la tristesse. L’orgueil chinois avait repris le dessus ; la lutte entre l’homme éclairé qui admire l’œuvre de la civilisation et le Tartare dominé par les préjugés de sa race avait fini par le triomphe de ce dernier.

En vertu des clauses principales du traité, la France, quant aux droits de douane, est placée sur le pied des nations les plus favorisées ; le souverain du céleste empire ne pourra jamais lui imposer un tribut périodique ; elle pourra établir une factorerie à Canton ; elle pourra établir des comptoirs dans certains ports, et trafiquer à l’avenir dans tous les endroits qui seront ouverts aux nations les plus favorisées. Les articles de ce traité sont généralement avantageux ; mais le commerce français pourra difficilement en profiter. Nous n’avons pas une seule maison de commerce à Macao. Nos fabricans n’ont pas la moindre notion des objets qu’ils doivent confectionner pour la Chine. Tout est à faire encore de ce côté. Tout est à apprendre. Il se pourrait bien, en dernier résultat, qu’on eût dépensé beaucoup d’argent et fait beaucoup de bruit pour peu de chose.




AFFAIRES DE SUISSE.


La Suisse, comme on sait, est, au nœud de l’Europe, une république dont l’unité toute morale se compose d’un ensemble de contradictions. On croirait volontiers que la nature et l’histoire ont voulu faire là, dans ce petit coin de terre central, une expérience de ce que peut l’opposition des races, des langues, des cultes, pour dissoudre ou pour combiner, à une plus haute puissance morale, cet esprit de la nationalité qui est l’ame et la vie des peuples ; mais, comme l’ame humaine, celle-là non plus ne se peut disséquer ni déterminer sous le scalpel, dans aucune des fonctions du corps politique qui lui servent d’organes. La Suisse a jusqu’à présent vécu, pensé, agi comme un être qui jouit de toute son individualité propre, qui possède cette unité intime et forte, principe vital et mystérieux qui manque seul aux décompositions de la mort.

Aujourd’hui même, si la Suisse présente un spectacle inquiétant et pénible, on ne peut pas dire que ce soit celui d’un peuple misérable, sans honneur et sans vie. Elle est profondément divisée, c’est vrai, elle court peut-être à de grands malheurs, elle les affronte imprudemment ; mais elle est divisée, mais elle s’aventure pour des principes, pour tout ce qu’il y a de plus noble et de plus grand, de plus digne de faire battre le cœur. Elle est, comme à toutes les crises de son histoire, comme aux jours de la lutte des hommes libres contre les seigneurs, de l’indépendance philosophique et religieuse contre le système d’autorité, comme aux jours enfin où s’ouvrit, avec la révolution française, la plus grande lutte des temps modernes, elle est toujours, disons-nous, au centre de l’histoire, au cœur de la mêlée, au fort du combat de la civilisation et de la liberté. Ainsi que nous le dirons tout à l’heure d’après les sources les plus sûres, voilà de part et d’autre des cantons prêts à se lever comme un seul homme contre ce qu’ils estiment un asservissement politique et moral : n’est-ce rien que cela ? Qu’est-ce que l’Allemagne, par exemple, dont les publicistes traitent si lestement la Suisse, qu’ils comprennent si mal, peut mettre en regard de mouvemens pareils ? Si la Suisse devait disparaître, comme autrefois les vieux Helvétiens gaulois, gallica gens, olim armis virisque clara, elle ne périrait pas non plus dans l’ombre, et il se trouverait encore quelque grand historien, comme Tacite au César, pour consacrer à sa chute une page honorable ; mais nous ne sommes pas aux jours de Rome et d’une domination universelle. En admettant que la Suisse puisse être conquise, il est permis de demander, avec un journal de Lausanne qui faisait dernièrement cette question, si elle serait bien facile à digérer ? Le philosophe Baader pensait à peu près de même, lorsque, dans son langage bizarre, mais expressif, il disait : « En Suisse il y a encore du noyau. » Qui a vu de près ce pays si différent des autres, quoique si lié avec eux, qui le connaît en lui-même, dans sa réalité pratique et populaire, comprendra ce que nous avons en vue, les élémens de force et de vie qui résident en lui, et l’énergique résistance qu’il opposerait sur tous les points de sa masse, sinon dans son ensemble, avant de se laisser absorber par d’autres.

D’ailleurs, comme chez tous les peuples rustiques et laborieux, il y a chez les Suisses, au milieu de leur rudesse fougueuse, un principe de conservation et de retenue sensée, un instinct pratique et modérateur qui les a toujours, jusqu’ici, rapprochés et sauvés dans leurs plus grandes divisions. C’est là leur bon génie. Il vient alors, comme jadis l’ermite Nicolas de Flue à la diète de Stanz, et ramène jusqu’aux plus égarés. Comme avec le vent pur et frais des glaciers, il souffle du haut de la montagne un esprit d’apaisement qui finit par être écouté. Il conseille la tolérance ; il admet le communisme seulement parmi les troupeaux de l’alpage ; il avertit les conservateurs d’être moins âpres et moins entêtés ; il reproche aux radicaux le matérialisme ou l’enfantillage qui prend toute espèce de libertés pour la liberté, et la brutalité négative pour le progrès positif. À la dernière diète, on l’a même entendu, élevant sa voix émue devant les tribunes frémissantes et devant l’immobile assemblée, conjurer Lucerne, au nom de la patrie, de ne pas appeler avec les jésuites la discorde, et peut-être la guerre dans la confédération.

Pour bien comprendre toute la portée de cet avertissement, il faut se rappeler quelle est la situation intérieure de la Suisse. Sous l’action uniforme de l’esprit national existent autant d’esprits particuliers indépendans et égaux qu’il y a de petites républiques dans la république commune. L’équilibre est nécessaire à cette combinaison d’intérêts opposés : c’est une des conditions fondamentales de la paix, de la prospérité et de la durée de cet ordre de choses. Il faut que les protestans et les catholiques, les conservateurs et les radicaux, la race allemande et la race française ou italienne, chacune avec sa langue, les intérêts industriels et les intérêts agricoles, la démocratie pure ou représentative, et les tendances aristocratiques ; il faut, dis-je, que tous ces élémens scient en présence pour se contenir réciproquement et former un organisme politique sain et vigoureux. Malheureusement, si, au sein d’une de ces oppositions, l’un des extrêmes prononcés, irais négatifs, devient, par suite d’une circonstance ou d’une transformation quelconque, l’ennemi déclaré, agressif et actif de l’extrême opposé, vous substituez la guerre à la balance des forces. Les contradictions sont bonnes lorsqu’elles empêchent la volonté souveraine d’une république de se jeter en dehors d’elle-même du côté qu’affectionne un certain nombre de ses membres, elles sont la sauve-garde de l’ordre et du bien public ; mais que l’antagonisme devienne de la haine, et soudain les tendances changées en passions, la prudence devenue défiance, l’esprit de parti aveugle et sourd, mettront le feu aux quatre coins de la république. Cela n’est pas si dangereux, au fond, que dans une monarchie la subversion des principes de hiérarchie et de soumission ; mais il en résulte de grands malheurs, une longue perturbation dans la prospérité et dans l’esprit public. L’histoire suisse elle-même est là pour le dire.

Or, maintenant, la Suisse semble toucher à une de ces crises qui, sans compromettre son existence, renversent le bonheur intérieur de la nation la plus heureuse qui fut jamais. Le brandon d’une guerre religieuse est agité par des mains trop hardies et trop imprudentes pour que l’étincelle ne risque pas de tomber quelque part ; et partout elle trouvera de quoi allumer un incendie qui courra comme un éclair d’un bout de la Suisse à l’autre.

On doit assigner deux dates importantes, deux causes essentielles à cet état de trouble qui peut finir, d’un jour à l’autre, par une explosion. En 1841, le gouvernement d’Argovie, mi-partie protestant et catholique, mais d’une couleur libérale un peu crue, eut à se plaindre d’un certain nombre de riches couvens placés sur son territoire, et qui, dit-il, étaient des foyers permanens de conspirations et d’intrigues. À la suite d’une levée de boucliers du parti catholique, il prit sur lui de faire évacuer tous ces couvens ; de renvoyer chez eux les religieux et de confisquer les propriétés de leurs maisons au profit des communes du pays et de l’état. Ces actes, comme on peut le croire, irritèrent extrêmement tout le parti ultramontain agissant, dont, il faut le dire, cela déjouait quelques mesures ; ils inquiétèrent aussi, et à juste titre, la masse des populations catholiques, et cette menace latente devint un instrument pour les desseins remuans des meneurs qu’avait voulu détruire le gouvernement d’Argovie.

Dans cette affaire des couvens, qui occupa la Suisse et ses diètes pendant plusieurs années, les cantons catholiques ne furent point tous pour la réintégration des religieux dans leurs cloîtres et dans leurs biens, ni tous les protestans pour le maintien de la mesure prise par le canton d’Argovie dans l’exercice de sa souveraineté. Les deux camps se formèrent plutôt d’après des sympathies politiques, qui rangèrent Neufchâtel, protestant et prussien, sous les drapeaux ultramontains, Tessin, italien et catholique, Soleure même, parmi les défenseurs d’Argovie. Cette difficulté presque insoluble fut enfin tranchée par une espèce de compromis, au moyen duquel les couvens de femmes furent rétablis, concession qu’arrachèrent à grand’peine aux deux partis les cantons modérés et médiateurs.

Cette crise surmontée, la Suisse respira. On crut être rentré dans la tranquillité passée. On oubliait que, s’il est une puissance sur la terre qui ne pardonne pas à ceux qui l’ont vaincue, c’est celle dont le royaume ne devrait pas être de ce monde. Loin d’avoir pris leur parti, les catholiques se montrèrent plus hostiles et plus envahissans. Ils firent une révolution en Valais, toujours avec cette même audace qui se sert occultement des avantages que procurent des positions légales : le vorort ou directoire lucernois et le conseil d’état valaisan conduisirent les masses par des agens non avoués, mais hardiment soutenus et disposant de tout. Enfin, et c’est leur suprême ouvrage, ils ont ouvert tout récemment pour la Suisse une ère de discorde et peut-être de combats par l’introduction officielle des jésuites à Lucerne.

Lucerne n’est pas simplement, comme le Valais, une vingt-deuxième partie de la confédération qui peut à son gré se jeter, les yeux fermés, dans les bras de la redoutable congrégation sans en faire subir les conséquences directes à personne. Lucerne est un des trois cantons directeurs. A son tour, savoir tous les six ans, pendant deux ans, son conseil d’état devient le pouvoir exécutif de la confédération durant l’intervalle qui sépare les diètes, c’est-à-dire dix mois par an, et ces diètes, il les préside, il les convoque même à l’extraordinaire, s’il le juge à propos. Les jésuites à Lucerne, appelés avec un abandon aveugle par le gouvernement, ont donc un œil ouvert dans les conseils de la Suisse, une main dans sa politique, une position presque officielle dont ils sauront bien se servir pour pénétrer partout où ils le pourront et attaquer le reste. Il en sera de Lucerne comme de Fribourg, où les jésuites sont depuis la restauration : pour avoir voulu se donner des aides, on se sera donné des maîtres, et on verrait les jésuites, maîtres dans un vorort, directeurs occultes de la Suisse libre et en majorité protestante ; quelle dérision ! Ce résultat, le pays tout entier le pressent et le craint. Le Valais, Fribourg, les cantons primitifs, fervens et crédules catholiques, disent seuls que c’est une chimère. Si quelque chose pouvait convaincre, sur ce point, l’incrédulité la plus obstinée, ce sont justement les discours par lesquels les anciens élèves des jésuites se défendent de leur être inféodés à jamais. C’est absolument comme dans les Femmes savantes, le bonhomme Chrysale soutenant qu’il est maître chez lui, et faisant la grosse voix de peur qu’on en doute.

Il ne faut donc pas s’étonner si, à commencer par les hommes politiques, toute la nation suisse, à une immense majorité, s’émeut à cette manifestation dangereuse de la souveraineté cantonale de Lucerne, ou plutôt du gouvernement lucernois, car, quoique le peuple ait voté sur cette question, la précaution qu’on avait prise de compter les absens comme acceptant les jésuites garantissait presque leur admission, et pourtant cette mesure a rencontré un nombre imposant de votes contraires. Lucerne est dans le droit légal, on ne le peut nier. D’autre part, le peuple suisse se sent menacé, par l’usage fait de ce droit, dans ses intérêts les plus chers et les plus précieux. Cette situation est si vive, que maintenant ce sont les populations qui s’en sont pour ainsi dire emparées ; elles ont, dans les deux partis, débordé quelque peu leurs chefs ; bien que soumises encore, elles sont agitées, frémissantes, elles se préparent, s’inquiètent, et finiront peut-être par créer le conflit, si, à force de sagesse et de modération, on ne réussit pas à les calmer avant qu’un nouvel incident, une bagatelle peut-être, les mette aux prises.

Tous ces antagonistes irrités sont voisins. Fribourg, jésuitisé jusqu’aux os depuis que ses enfans sont élevés au séminaire, Fribourg sépare Berne du canton de Vaud : Berne, dont le gouvernement révolutionnaire et libéral peut à peine contenir derrière lui ses impétueux paysans ; le canton de Vaud, fort protestant aussi, quoique tolérant, fort éclairé sur les périls prochains, mais non moins, remué, et peu disposé à voir Lucerne introduire un pareil ennemi dans le cœur de la vie suisse. A ses côtés, le Valais fanatique, tout enrégimenté et prêt pour un coup de main populaire, tout fier encore de sa victoire du Trient, menace, au premier bruit, de franchir la frontière vaudoise, et là, de faire payer cher au district limitrophe l’aide et l’hospitalité accordée à ses vaincus. Au centre, Lucerne, séparé par son lac des petits cantons ses amis, est entouré par Berne et Argovie, c’est-à-dire par les plus énergiques ennemis des jésuites. Bâle-Ville avec Bâle-Campagne, les deux Appenzell, Genève, Saint-Gall, Zurich même et le canton des Grisons, qui votera comme ce dernier en diète, n’ont pas l’adversaire en dehors de la frontière, mais en dedans. Enfin, dans les cantons qui ont le plus d’unité, je ne mentionne pas des complications assez redoutables pour le cas où de grands chocs viendraient ébranler la majorité ou l’opinion dominante. Qu’on imagine, si on le peut, une situation plus laborieusement compliquée, plus périlleuse ! mais aussi qu’on se souvienne que la Suisse ne s’y trouve pas pour la première fois. Le corps le plus vigoureusement constitué a ses accidens et ses maladies ; toute la question pour lui est d’éviter un médecin assez maladroit pour tuer le malade pendant la crise.

La situation morale et générale commence à se traduire en faits. Lorsque le gouvernement lucernois eut constaté, par le vote du peuple, son droit d’appeler les révérends pères, il y eut de l’émotion et du trouble dans le pays. Le respectable curé de la ville, homme influent par sa piété et par ses lumières, fit alors accepter sa démission de membre du conseil de l’instruction publique, qu’il avait déjà précédemment offerte. Quelques autres symptômes moins pacifiques pouvaient faire présager de la résistance ; le gouvernement prit des demi-mesures, et l’insurrection éclata. Assez mal combinée, manquant de force et d’ensemble, elle réussit pourtant à intimider gravement le conseil d’état, qui fut sur le point d’abdiquer, tant il était peu sûr de sa position ; mais, celle des insurgés étant encore plus mauvaise, leurs bandes, à peine organisées, furent battues à une rencontre, et ensuite dispersées, poursuivies, prises ou chassées.

Alors, tout de bon, Lucerne se mit en état de ville assiégée par la révolte elle dépêcha partout pour avoir du secours, tint des conseils militaires avec Schwitz, Uri et Unterwalden, fit mettre leurs bataillons sur pied pour sa défense, et, de son côté, déploya toutes les forces armées dont elle pouvait disposer pour sa garde. Comme il est d’usage en cas pareils, on emprisonna une foule de personnes de tous les rangs. Beaucoup des plus compromis se sauvèrent, et sont encore réfugiés dans les cantons de Berne et d’Argovie :

Sur ces entrefaites, fort heureusement, le sceptre directorial passa de Lucerne à Zurich. Il aurait été déplorable qu’un vorort se trouvât exposé aux paniques continuelles qui se succèdent à Lucerne. Toutes les semaines, au moins une fois, la générale bat, les signaux et les exprès volent de tous côtés pour chercher des renforts, des nouvelles de détresse et de bataille arrivent par les courriers jusqu’aux bords du Léman ; puis, le lendemain, quelquefois le soir même, on découvre qu’on a donné dans un panneau d’alarme tendu par des libéraux de bonne humeur. Il semblerait qu’une fois averti, on ne dût plus se laisser prendre ; mais voici déjà la troisième alerte sérieuse, et rien n’annonce que ces paniques doivent enfin cesser. Au contraire, il paraît que le parti qui veut absolument renverser les jésuites à Lucerne par tous les moyens possibles se flatte de fatiguer, à force de fausses frayeurs, la vigilance de leurs amis, pour attaquer enfin à l’improviste avec plus de chances. Ce parti, qui s’est organisé dans quelques cantons protestans et mixtes par des assemblées populaires, s’est enrégimenté en corps-francs en dehors des gouvernemens. Ceux-ci négocient et temporisent de leur mieux, soit entre eux, soit avec leurs administrés remuans.

Au milieu de tout ce bruit belliqueux, on conçoit que la diplomatie n’ait pas beau jeu et ne parvienne guère à se faire entendre. Cependant elle agit, elle s’efforce de pourvoir aux éventualités que chaque jour modifie ; elle attend avec impatience les débats prochains d’une diète convoquée extraordinairement par le gouvernement de Zurich, diète qui aura probablement pour effet de rompre l’espèce de trêve qui conserve encore la paix. A peine revêtu des pouvoirs de vorort, Zurich a envoyé une députation à Lucerne pour conjurer cet état de renoncer à sa fatale résolution, ou du moins de la suspendre. La réponse a été la demande d’un délai pour se décider, délai qu’on soupçonnait Lucerne de vouloir prolonger jusqu’à ce que l’établissement des jésuites fût un fait consommé. Le gouvernement de Zurich a dû se résoudre à convoquer la diète, et, le 21 janvier, il a adressé une circulaire à tous les cantons, les priant d’inviter leurs députés à se réunir en diète extraordinaire à Zurich, le 24 février prochain.

En réalité, les jésuites ne doivent entrer qu’en automne, s’ils entrent, et Lucerne, forcément déterminé à suivre la voie où il s’est si imprudemment engagé, serait bien aise qu’on l’en tirât autrement que par la violence, et son honneur restant sauf. Il est en outre étouffé sous le procès monstre qu’il fait aux insurgés et à leurs partisans, et sous les dépenses excessives que nécessite son état continuel de défense. Pour suffire à tout cela, il a pris une mesure des plus iniques, et qui a déjà soulevé des réclamations dans plusieurs cantons : les biens des insurgés ont été confisqués sans égard, assure-t-on, aux dettes contractées auparavant, en sorte que les négocians en affaires avec ces Lucernois compromis risquent de perdre leur titre antérieur. Les Bernois demandent à leur gouvernement de réparer le tort qui leur est fait par une saisie des biens de corporations lucernoises situées sur le terrain bernois. Le canton de Vaud n’a pas la même ressource, et son conseil d’état a reçu déjà de nombreuses plaintes, Lucerne étant un débouché pour ce pays vinicole.

Poussé par l’impétuosité de ses populations, Berne a député aussi au directoire deux conseillers d’état, chargés de le sonder sur le projet d’une ligue formée avant la diète, afin de s’y assurer une majorité pour l’expulsion des jésuites hors de la confédération. Berne, à qui son étendue, son caractère et sa position donnent un poids immense, est maintenant à la tête du parti démocratique en Suisse ; mais, à ce trait essentiel qui lui donne, dans le débat actuel, une importance que peut à peine contrebalancer la place de vorort occupée par Zurich, Berne joint cette vieille habitude d’activité politique, ce vouloir à la fois habile et entêté qui a tant contribué à sa renommée, et de plus Berne a de l’argent.

La réponse de Lucerne au directoire, à peine connue (réponse d’abord évasive, à présent très nette), Berne a donc pris l’initiative des résolutions ultérieuses. Son gouvernement a délégué publiquement deux de ses membres dans tous les cantons, en commençant par Zurich, pour conférer sur les mesures à prendre. Délibérer ainsi, c’est agir déjà. Mais Berne a fait davantage : il a su à la fois ne point s’assimiler les corps-francs, ne pas les dédaigner, et se ménager quelque possibilité de les contenir ; vis-à-vis des autres cantons surtout, ces corps ont été pour la politique de Berne, qui pouvait les lâcher ou les retenir, un puissant moyen de persuasion. Quelle que soit l’opinion de plusieurs de ses membres, le gouvernement bernois décline hautement tout appui donné au radicalisme et le signale comme un des ennemis de la Suisse ; mais il a jugé habilement qu’il valait mieux, le fait existant, avoir les fougueuses sociétés populaires sous la main que hors de la main. Toutefois, le danger d’avoir de tels auxiliaires devient de plus en plus frappant, même pour Berne. Jamais, d’ailleurs, opinion plus prononcée n’a été implantée dans les masses que celle de l’expulsion des jésuites, et, à Berne surtout, si le gouvernement voulait la braver, il serait renversé sans coup férir. Du reste, il n’a nulle envie de se faire martyr pour une telle cause ; mais toute l’adresse et même toute l’audace possibles suffiront-elles pour trouver une issue ?

Jusqu’ici, les tentatives de Berne n’ont pas amené beaucoup d’unité dans les avis. Le peuple seul, partout où il est protestant, est décidé et unanime contre les jésuites ; il veut les chasser par tous les moyens, légaux ou illégaux, comme les cantons du centre, avec Fribourg et le Valais sont décidés à les défendre. Quel que soit cependant le résultat positif ou prochain de cette lutte religieuse, son influence politique et sociale n’en est pas moins déjà très marquée : non-seulement elle porte sur le point le plus délicat de la question fédérale, mais elle tend de plus en plus à changer la démocratie représentative en démocratie pure ; elle accoutume le peuple à intervenir, à côté des gouvernemens, dans les questions importantes ; elle va même jusqu’à faire craindre des révolutions cantonales là où le pouvoir exécutif use de son initiative dans un autre sens que celui des masses. Deux indices graves et tout récens confirment ce qui avait été préjugé à cet égard sur le développement rapide et irrésistible des volontés populaires.

Le conseil d’état zuricois avait répondu catégoriquement et négativement aux propositions de Berne, qui demandait qu’on votât en diète l’expulsion formelle des jésuites ; mais tout porté vers la modération et pour la légalité qu’il se montrât dans cette réponse, le vorort n’était pas moins très découragé, peu sûr de ses volontés à venir : il sentait derrière lui un peuple très calme encore, mais aussi très décidé dans les sentimens qui le menèrent à la bataille de Cappel. Déjà même l’influence de cette question confessionnelle, la défiance qu’elle jette sur les intentions des conservateurs, s’étaient fortement marquées dans les élections. Cependant, comme les deux partis dans le canton de Zurich sont très bien enrégimentés, disciplinés, à peu près également puissans (et même, avant l’affaire des jésuites, le parti conservateur l’emportait décidément depuis quelques années déjà), celui des deux qui pressentait sa défaite ne voulut rien négliger ; avec beaucoup d’ensemble et de sagesse, il organisa aussi des adhésions à sa politique et des pétitions, des manifestations populaires enfin, dans la plus favorable acception du mot. Ce fut ainsi qu’il se présenta au grand conseil, bien appuyé, avec de bons orateurs et de bonnes raisons, mais pour y être vaincu à la majorité de 8 voix. Zurich votera donc comme Berne en diète, en dépit de ses hommes les plus marquans. Rien au monde n’est capable de dépopulariser les conservateurs comme de vouloir conserver les jésuites : ils ont beau avoir d’excellentes raisons d’indépendance cantonale à alléguer ; l’instinct des masses est trop impétueusement averti. En ce moment, les libéraux de Zurich sont très opposés aux volontaires d’Argovie et marcheraient plutôt contre eux qu’avec eux ; mais s’il n’y avait aucun espoir de faire résoudre la question par la diète, on ne retiendrait pas plus les Zuricois que les Argoviens et les Bernois. Quant aux moyens d’exécution proposés par Berne, ils sont du ressort de la prochaine diète extraordinaire. Nous dirons seulement, en passant, que, dans la pensée de Berne, ces moyens seraient très lents et de nature à laisser tout le temps nécessaire aux retours et à l’obéissance.

Il est un second exemple, plus frappant encore peut-être, de l’influence prépondérante qu’a prise à l’instant cette question sur l’esprit populaire : c’est ce qui se passe, à l’heure qu’il est, dans le canton de Vaud.

Modéré, paisible et tolérant, le plus un de tous les cantons et presque aussi centralisé que la France, le canton de Vaud offre, pour ainsi dire, un modèle de république et à la démocratie suisse son meilleur argument. Il avait acquis beaucoup d’influence dans la confédération par cet état de choses envié de tous, aussi bien que par son attitude à la fois droite et conciliatrice ; il passait surtout pour donner peu de prise à l’agitation, même dans la question des jésuites. Là aussi cependant, le conseil d’état, très libéral d’ailleurs, s’étant prononcé pour la légalité, pour la politique ordinaire du pays, c’est-à-dire pour le respect dû aux droits cantonaux de Lucerne, pour le maintien de l’équilibre fédéral et contre les éventualités probables d’une guerre civile et religieuse, le peuple s’est ému. Des espèces de meetings ont rassemblé des milliers de personnes sur plusieurs points du territoire ; de nombreuses pétitions contre les, jésuites se couvrent de signatures, qui, assure-t-on, dépassent déjà le chiffre de vingt mille ; enfin, l’attitude des populations est telle qu’on ne doute pas, quelles que soient les raisons alléguées pour l’en empêcher, que le grand conseil n’adopte un préavis tout opposé à celui du conseil d’état : les instructions du canton de Vaud pour la diète, comme celles de Zurich, se rapprocheraient alors plus ou moins du vote de Berne, et demanderaient l’expulsion des jésuites. Si le grand conseil vaudois trompait l’attente du peuple, celui-ci, dit-on, plutôt que de renoncer à sa haine des jésuites et à ses projets pour s’en débarrasser à tout prix, ne reculerait pas devant l’idée de faire une révolution pour renverser son gouvernement, sans avoir d’ailleurs contre lui aucun autre grief sérieux.

De ce grand ébranlement, de ce réveil des instincts populaires, il sortira donc vraisemblablement ou une réaction plus générale et plus forte que celle opérée déjà dans une partie des cantons, ou un développement radical plus ou moins masqué, mais réel ; de la démocratie un peu théorique établie en 1830. Si les hommes et les systèmes de cette époque n’ont pas toujours été aussi pratiques qu’il le faut pour gouverner un peuple libre et se faire accepter de lui, ce n’est pas le moment de le leur reprocher. Les radicaux, qui ne sont pas non plus le peuple, cherchent à s’en emparer, et y mettent moins de façons que leurs adversaires (lesquels n’y ont peut-être pas assez songé) ; ils seraient des maîtres bien autrement despotes ; le bon sens démocratique ne les supporterait pas long-temps. Mais, forcé dans ce moment de défendre une cause impopulaire, le libéralisme vrai n’a pas beau jeu.

Toutefois, de ce qu’une forme plus explicite et plus vive est donnée à l’esprit républicain, il ne faudrait pas se hâter de conclure que l’avenir est perdu pour la liberté éclairée, et qu’il est conquis au radicalisme. Le radicalisme s’empare à certains momens du peuple, mais encore une fois il n’est pas le peuple. Celui-ci peut exercer sa souveraineté sans appartenir le moins du monde à l’opinion brutale et niveleuse qui s’en sert à certains momens, mais qui n’y parvient pourtant qu’en lui obéissant, qu’en s’associant à ses instincts et en portant son drapeau. On peut donc, avec vérité, faire une distinction importante entre ce qui est et ce qui paraît : si les tendances radicales ont l’air de l’emporter sur les gouvernemens, c’est parce qu’elles ont su habilement saisir la passion du jour, et qu’elles la servent avec docilité ; ce n’est nullement qu’elles soient adoptées en réalité par les masses.

Sur cette ligne délicate et dangereuse où la Suisse doit chercher son salut et le repos de son avenir entre les jésuites d’un côté et les radicaux de l’autre, on peut dire que, s’il reste une sauvegarde au sang-froid dont elle a besoin, c’est la sagesse des autres nations. Une intervention quelconque donnerait peut-être gain de cause aux principes les plus subversifs, L’indépendance suisse est ombrageuse, et la colère patriotique des honnêtes gens faciliterait l’accomplissement des desseins de la violence radicale. La seule démarche véritablement efficace qui se puisse tenter par les puissances amies de la confédération est celle qui engagerait le pape à défendre aux jésuites d’entrer à Lucerne. On dit qu’elle a été faite. Cela serait fort à souhaiter et pour la Suisse, et pour Lucerne, et pour les jésuites eux-mêmes, car ils commencent avec raison à trembler à Fribourg.

Il y a quelques années, les Suisses ne s’inquiétaient guère des jésuites ; ils en parlaient à peine, et on les eût fort étonnés en leur disant que cette question pouvait les regarder un jour. Qui eût prévu qu’après deux ans tout serait tempête dans un ciel si calme, et pour cela ? Mais la vie suisse est si fortement organisée, qu’elle soutiendra, nous n’en doutons point, ce terrible accès de fièvre, et, dût le sang couler, ce qu’à Dieu ne plaise ! la confédération helvétique reprendra bientôt, avec sa tranquillité, la place moralement élevée que lui assignent son développement intellectuel et social, ses mœurs pures et modestes, ainsi que ses vertus intimes et patriotiques.




L’article que nous avons récemment publié sur la Renaissance du Voltairianisme a produit dans la presse, dans les écoles et dans les hautes parties du monde politique et littéraire, une impression qui n’est point encore effacée. Cette émotion générale excitée par un acte de courage et de vigueur, les cris des blessés, la fureur de leurs amis, l’absence complète de toute réplique sérieuse, la substitution désespérée des outrages aux bonnes raisons, tout prouve que l’auteur de l’article avait visé juste, et que le coup a porté. Un seul incident est regrettable dans cette lutte décisive, c’est qu’un écrivain dont les opinions avaient été discutées avec gravité et combattues avec mesure ait entrepris, sous l’inspiration d’une colère portée jusqu’à l’oubli de sa dignité, d’imprimer à un sérieux et loyal débat le triste caractère d’une discussion personnelle, et qu’il ait jeté dans la presse démocratique une lettre qui a affligé ses meilleurs amis, et dont les journaux les moins scrupuleux en fait de personnalités violentes ont rougi pour lui. Nous cherchons encore une explication spécieuse à ces déplorables emportemens, de la part d’un écrivain qui aspire à l’honneur de défendre aux premiers rangs le droit illimité du libre examen. Dans l’approbation à peu près unanime qui a accueilli l’article de la Revue des Deux Mondes, si quelques esprits exercés aux combinaisons de la stratégie politique ont fait leurs réserves sur la question d’opportunité, il n’en est pas un seul qui n’ait pleinement rendu hommage à la franchise de l’attaque, à la solidité, à la sincérité de la discussion, et par-dessus tout à sa parfaite mesure, à sa convenance irréprochable. Qu’a-t-on répondu à cette critique élevée, si décente dans sa vigueur même ? Rien, absolument rien, car les outrages ne comptent pas. Que M. Michelet considère d’un œil attentif l’attitude générale de la presse à l’égard de son livre. Sur toute cette immense ligne qui s’étend depuis les journaux honnêtes du parti religieux jusqu’à la presse démocratique, silence absolu ou approbation pleine de réserves. Dans les journaux du radicalisme, il est vrai, M. Michelet a rencontré des sympathies ; mais une adhésion explicite et ferme, il ne l’a trouvée nulle part, pas même dans un recueil dévoué qui, tout en affichant de grandes prétentions à la haute critique philosophique et religieuse, tient un écrivain pour suffisamment réfuté quand on lui a dit, en style du père Duchesne, « qu’il n’a pas de sang dans les veines, mais de la boue. » Que doit penser au fond l’auteur de l’Histoire romaine de ses alliés de fraîche date ? Dans quel monde, hélas ! est-il allé commettre un, talent si fin et si distingué ? Qu’il y prenne garde : de pareilles sympathies engagent celui qui les inspire, surtout celui qui va les chercher, et on se flatterait en vain d’échapper à l’accablante solidarité de certaines apologies.

Au surplus, et quoi qu’il arrive, le but de l’article sur la renaissance du voltairianisme aura été rempli. Ou bien en effet les nouveaux voltairiens prendront le parti de la prudence, nous ne voulons pas dire de l’hypocrisie, et s’empresseront de déclarer qu’ils n’ont pas entendu attaquer sans distinction les ministres de la religion chrétienne, qu’ils n’en veulent pas aux institutions du christianisme, mais seulement à certains abus, et alors nous nous féliciterons de conserver dans nos rangs ou plutôt d’y voir rentrer des amis un instant égarés ; ou bien, on arborera fièrement son drapeau, et l’on conviera la génération nouvelle à marcher, enseignes déployées, au renversement des institutions religieuses. La critique alors reprendra tous ses droits ; elle frappera, sans scrupule désormais et sans ménagement, sur ces dangereuses folies. On aura beau dire qu’elle dénonce des professeurs aux rigueurs du pouvoir, la critique répondra qu’elle dénonce des doctrines insensées aux décisives rigueurs de la raison publique. Il serait trop étrange en vérité que l’on pût abriter ainsi les erreurs de l’écrivain derrière la robe du professeur, se décerner un brevet d’infaillibilité de ses propres mains, et lancer l’anathème à ses contradicteurs du haut d’une chaire inviolable ; il serait trop étrange qu’il fût permis dans un pays libre, sous le singulier prétexte qu’on est chargé par l’état d’enseigner la morale à la jeunesse de nos écoles, d’entasser impunément dans des livres adressés au public les violences et les énormités, à l’abri de toute critique indépendante, et sous la protection d’une sorte de terreur organisée de longue main dans la presse démocratique. Si les choses pouvaient en venir là, il faudrait renoncer à tout libre examen, il faudrait désespérer de la dignité et des droits de la critique ; mais non, l’opinion ne prendra pas le change : elle reconnaîtra qu’on ne s’attaque pas à des personnes et à des situations, mais à des doctrines ; qu’on ne demande pas que tel professeur perde sa chaire, mais qu’il recouvre la modération et le sens. La critique soutiendrait au besoin l’opinion publique incertaine ou abusée ; elle a les yeux ouverts sur toutes les témérités, et sans perdre de vue les ténébreuses menées et les desseins du jésuitisme un instant réduit au silence, elle continuera d’exercer sa vigilance sur d’autres excès non moins dangereux. Elle est fermement résolue à combattre les extravagances de toute espèce ; c’est son droit, elle le connaît ; c’est son devoir, rien ne l’empêchera de l’accomplir. Dans l’ordre philosophique et religieux comme dans l’ordre littéraire, la Revue des Deux Mondes maintiendra fermement sa ligne de conduite. Elle ne souillera pas, par des représailles indignes, des pages où elle entend faire régner le bon goût à côté du bon sens et associer toujours la modération à l’énergie. En continuant de surveiller et de combattre tout dérèglement d’imagination, toute entreprise violente sans portée et sans avenir, elle restera fidèle à ses traditions.


— Parmi les ouvrages intéressans publiés récemment sur l’époque impériale, il faut placer l’Histoire des cabinets de l’Europe pendant le consulat et l’empire, écrite avec les documens réunis au dépôt des archives des affaires étrangères[1] L’auteur, M. Armand Lefebvre, n’a pas voulu faire une histoire complète de l’homme qui a rempli de sa gloire les quinze premières années de ce siècle. Il s’est renfermé dans les strictes limites indiquées par le titre de son livre, n’admettant dans son cadre que ces grands faits intérieurs qui se lient par des rapports intimes à l’histoire extérieure et qui la complètent. Il s’est trouvé dans des conditions toutes spéciales pour entreprendre et accomplir une telle œuvre. Aux traditions de famille (son père a rempli sous le consulat et l’empire des postes diplomatiques d’une haute importance), il a réuni les lumières et la maturité que donne la connaissance des affaires. Lui-même a été long-temps attaché au département des affaires étrangères à ce titre, il a sollicité et obtenu la communication des correspondances de nos agens diplomatiques, et cette étude l’a initié à tous les secrets de la politique du temps. Son livre est le fruit de ces longues et consciencieuses études, et comme le résumé des précieux manuscrits que renferme, sur la diplomatie de la période consulaire et impériale, le dépôt des archives. M. Armand Lefebvre a su éviter l’écueil contre lequel bien d’autres à sa place auraient échoué. Il ne s’est laissé ni absorber ni entraver par cette multitude infinie de notes, de protocoles, de déclarations, conventions et traités, qui sont en quelque sorte les formes extérieures et matérielles sous lesquelles la diplomatie se manifeste au public ; formes presque toujours menteuses ou incomplètes. C’est dans les correspondances de nos agens à l’étranger qu’il est allé chercher la vérité ; c’est là qu’il a pénétré les mystères de ces trames funestes si souvent ourdies par nos ennemis contre notre puissance, que nous avons, à force de génie et de courage, déjouées et vaincues pendant vingt ans, et sous lesquelles nous avons fini par succomber. Il faut voir dans son livre bien moins une histoire diplomatique qu’un tableau fidèle et animé de la lutte prodigieuse qui s’ouvre dans les champs de Marengo et qui finit dans les solitudes de Sainte-Hélène.— Les deux premiers volumes de l'Histoire des cabinets de l’Europe sous l’empire viennent de paraître ; ils embrassent la période écoulée depuis l’établissement du consulat jusqu’à la fin de la campagne de Prusse, en 1806.




  1. Chez Gosselin, éditeur, rue Jacob, 40.