Chronique de la quinzaine - 14 septembre 1879

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Chronique n° 1138
14 septembre 1879


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 septembre 1879.

Dans ce vide des vacances où tourbillonnent les incidens éphémères et les manifestations factices, ce qu’il y aurait de mieux à faire, ce serait de profiter de ces jours de repos pour s’interroger sincèrement, pour étudier le pays, pour se rendre compte des fautes qui ont déjà été commises aussi bien que des fautes qu’on peut commettre encore et qui pourraient être évitées. Ce qu’il y aurait surtout de sage et d’utile pour le bien commun, ce serait de s’arrêter à ce premier phénomène de notre situation morale et politique, à cette sorte de contradiction qui éclate à tout propos et que les esprits irréfléchis peuvent seuls méconnaître.

Certainement la France est en possession aujourd’hui d’institutions qui ont passé par toutes les épreuves, qui ne sont plus sérieusement contestées, La république existe, elle a son organisation, ses pouvoirs, ses représentations de toute sorte, qui suffisent à la marche régulière des affaires nationales. Elle a pour elle aujourd’hui, comme hier, tout ce qui peut légitimer un régime, le vote populaire, une certaine nécessité des choses, l’impossibilité de tous les autres régimes, et s’il y a eu depuis quelques mois bon nombre de fautes commises à l’abri de son nom, il est prouvé aussi qu’elle peut assurer la paix au pays. Le calme du moment l’atteste. Tout le monde est absent. M. le président de la république se repose bourgeoisement dans sa maison de Montsous-Vaudrey, au fond du Jura. M. le ministre de la guerre visite les fortifications nouvelles de nos frontières. M. le ministre de la justice et M. le ministre de l’intérieur voyagent sur le lac de Côme et sont salués, nous dit-on, du feu des coulevrines italiennes dérouillées en leur honneur, M. le ministre des travaux publics est encore dans la Gironde. C’est à peine s’il y a un jour ou l’autre à Paris quelques représentans du gouvernement qui passent sans bruit, et malgré tout il n’y a nulle part, d’un bout à l’autre de la France, un signe d’agitation sérieuse, à part quelques excentricités dont le retour des amnistiés a été l’occasion et qui restent sans écho. Bref, la république en est venue à n’être plus par elle-même, par son nom, par son principe, une incessante menace. C’est un fait, c’est un des aspects de la situation. Et cependant, quelles que soient ces apparences favorables, qu’on ne s’y trompe pas, il y a un autre fait qui n’est pas moins frappant, c’est que la confiance est loin d’être entière et sans mélange. En dehors des satisfaits de vocation, d’intérêt ou d’amour-propre, qui forment le troupeau de tous les régimes, il y a la France, il y a tous ceux qui ne se paient point de mots ou de banales illusions, qui, dans l’indépendance de leur raison ou de leur instinct, gardent le souci persistant du lendemain. Assurément, quoi qu’on en dise, ce n’est pas de l’hostilité ; on ne se méfie pas des intentions, on accepte le présent pour ce qu’il est, avec la tranquillité qu’il assure. On sait que l’honnêteté est au premier poste de l’état, que la bonne volonté et l’esprit de modération sont chez les principaux membres du gouvernement, que, dans leur ensemble, malgré des entraînemens ou des méprises toujours possibles, les chambres elles-mêmes ne dépasseraient pas certaines limites. On le sait, on le croit. Au premier incident qui éclate, le sentiment de l’incertitude n’est pas moins prompt à se réveiller. La confiance, peut-être prête à naître, est tout à coup paralysée ou refoulée ; avant de croire complètement à l’avenir, à la durée, on hésite, on attend une expérience plus prolongée et plus décisive. Voilà la contradiction faite pour donner à réfléchir : elle ne s’explique nullement par le travail des propagandes ennemies.

Le secret de cette contradiction des choses, de ces perplexités d’opinion est bien simple, et il ne s’agit nullement ici de faire de vulgaires querelles à un gouvernement nouveau, dont le rôle est assez, difficile. Le secret des complications morales et politiques du moment, c’est qu’à côté de cette république qui existe, qui est acceptée avec les garanties dont elle est entourée, avec le caractère qui lui a été imprimé, il y a tout un travail pour la dénaturer par des passions et des excès de parti, pour lui donner une autre figure, une autre signification, une autre direction. Le secret des défiances inquiètes qui se manifestent encore souvent, il est dans les confusions de majorité, dans les oscillations de conduite, dans l’hésitation à dégager et à affirmer la politique du régime nouveau, dans des concessions ou des complaisances qu’on croit quelquefois nécessaires et qui ne font que prolonger une dangereuse équivoque. Exemple : le conseil municipal d’une grande ville décide qu’il faut célébrer une fête, nationale ou communale le 21 septembre en commémoration, de la république de 1792. Il y a un mois, c’était le 10 août, maintenant c’est le 21 septembre qu’il faut célébrer ; M. le ministre de l’intérieur se borne à signifier que « le conseil a empiété sur les pouvoirs publics », et que, de plus « le programme soulève une deuxième question qui relève du ministre de la guerre. » Eh bien ! non ce n’est là qu’une défaite inutile, il y a une autre raison. La république d’aujourd’hui n’a point d’anniversaire à célébrer le 21 septembre, elle ne se rattache point à des événemens qui sont relégués dans l’histoire ; elle n’a rien de commun, ni avec la république de 1792, née sous l’ombre sinistre des journées de septembre, ni avec l’explosion sanglante du 10 août. Elle est née de circonstances toutes nouvelles, dans des conditions propres à notre temps. Pourquoi donc M. le préfet du Rhône se croit-il obligé de déclarer qu’il n’a « jamais protesté contre la date choisie ? » Pourquoi M. le ministre de l’intérieur lui-même se croit-il tenu de « remercier le conseil de Lyon de l’esprit qui l’a guidé ? » L’esprit qui l’a guidé, c’est de réhabiliter des souvenirs qui ont toujours compromis la république en France, qui la rendraient éternellement suspecte aux âmes libérales. Est-ce en faisant les honneurs d’un compliment au conseil municipal de Lyon sur le choix de ses anniversaires républicains qu’on croit dissiper les doutes sur la vraie politique, sur le caractère de la république nouvelle ?

Le conseil municipal de Paris, lui aussi, est républicain à la manière du conseil municipal de Lyon. Comme celui-ci, et guidé par le même esprit, il aurait sûrement ses anniversaires à célébrer, ses fêtes civiques à proposer ; il chômerait dans les grands jours, le 21 septembre comme le 10 août. Ces derniers mois, faute de mieux, il a mis son zèle républicain à cette révolution des noms de rues qui a fini par prêter à rire, qui a été quelque peu déconcertée par l’ironie universelle, et M. le préfet de la Seine a cru devoir tout récemment raconter, consacrer cette entreprise héroï-comique dans un morceau de littérature administrative dont le dernier mot pourrait bien être : « Ah ! ne me brouillez pas avec… le conseil municipal ! »

M. le préfet de la Seine a sûrement fait ce qu’il a pu pour tempérer cette manie de changement, pour mettre quelques bornes à cette révision impatiente des étiquettes des rues, pour sauver au moins certains noms déjà condamnés. Il a fait des suppressions, des additions, des concessions, des confusions ! Malheureusement, si le rapport qu’il a cru devoir publier est le témoignage de ses bonnes intentions, c’est aussi une preuve nouvelle de ce qu’a toujours d’excessif ou de ridicule cet envahissement de l’esprit de parti dans les choses les plus modestes de la vie, dans une simple affaire de voirie. Qu’on eût tenu à effacer certains noms d’une signification purement dynastique ou personnelle, ce n’était pas bien nécessaire à la santé de la république, — cela se comprenait encore. Au delà, M. le préfet nous permettra de croire que pour un administrateur il a fait une œuvre peu sérieuse, et que pour un homme de goût, il n’est pas toujours bien inspiré. M. le préfet et son conseil ne sont pas heureux, particulièrement quand ils touchent à des noms littéraires. Ils exagèrent les uns, ils semblent ignorer ou ils systématiquement les autres. Ils font des rapprochemens qu’ils croient spirituels et qui ne sont que baroques, comme ce rapprochement de Saint-Simon et de Paul-Louis Courier. Ils biffent d’un trait de plume, avec de gros mots, Fontanes, qui fut un lettré supérieur et que M. Jules Ferry aurait dû défendre, ne fût-ce que pour faire honorer en lui le premier grand maître de l’Université. M. le préfet de la Seine a pu, il est vrai, sauver quelques noms, même celui de M. Haussmann et aussi le nom de Cambacérès, et le nom de Bonaparte ! C’est sa grande victoire, — il ne l’a pas gagnée sans plaider avec bien de l’humilité les circonstances atténuantes, et sans payer rançon d’un autre côté en décorant une grande avenue de l’illustration « éminemment démocratique et populaire » de Ledru-Roliin. M. le préfet de la Seine peut-il nous dire en quoi M. Ledru-Rollin s’est illustré, quelle trace il a laissée dans l’histoire sérieuse soit comme politique, soit même comme orateur ? — N’importe, M. Thiers est oublié ; M. Ledru-Rollin est un fétiche du culte ! Il faut bien plaire au conseil municipal et le « remercier de l’esprit qui l’a guidé. » Que dans ce conseil même bien des membres se fussent passés de ce ridicule, c’est vraisemblable. Malheureusement parmi ceux-ci les uns interviendraient inutilement, les autres craindraient de passer pour tièdes. Les modérés suivent les plus extrêmes, M. le préfet de la Seine suit les modérés, et en définitive on va toujours plus loin qu’on ne le voudrait. C’est l’inconvénient de ces confusions que les partis hostiles exploitent, qui entretiennent l’incertitude, qui conduisent l’opinion à se demander quelle est la république qui règne, si c’est la république du conseil municipal de Paris, des énergumènes qui fêtent le retour des amnistiés ou la république libérale, constitutionnelle, dont le gouvernement est le premier gardien, dont il entend, nous n’en doutons pas, sauvegarder la dignité et le caractère.

Ce n’est point précisément la paix qui manque aujourd’hui, pas plus dans les autres contrées de l’Europe qu’en France. Du moins le continent n’est plus ébranlé comme dans les dernières années par les conflits sanglans et le bruit des armes venant de l’Orient.

Le monde cependant, sous ces apparences toutes pacifiques du moment, semble éprouver d’indéfinissables malaises qui, jusque dans cette saison du repos, se manifestent de temps à autre par toute sorte d’incidens énigmatiques et de signes bizarres. Les relations sont confondues, les influences rivales si heurtent dans l’ombre ou dans le demijour de rapports extérieurement réguliers. Il y a tout un mouvement dont le sens se dérobe, dont les suites sont encore plus inconnue ? Les plus grandes puissances sont sorties des dernières crises avec des avantages sans doute, mais aussi avec des défiances plus ou moins avouées, avec des intérêts gravement engagés, avec le sentiment de profonds antagonismes, qui s’étendent jusqu’à l’extrême Orient, et les succès qu’elles poursuivent, qu’elles ont cru atteindre, ne laissent pas d’être exposés à de cruels retours. C’est ce qui arrive en ce moment même à l’Angleterre. Lord Beaconsfield, avec sa confiance dans une fortune qui ne lui a pas manqué, jusqu’ici triomphait, il n’y a que quelques semaines, en montrant dans ses discours le traité de Berlin en pleine exécution, la paix de l’Orient assurée, la guerre de l’Afghanistan définitivement terminée, la guerre des Zoulous près de finir, la politique de l’Angleterre partout victorieuse. Le bulletin était brillant et sonnait comme une fanfare. Voilà du moins une partie du bulletin qui n’est plus vraie. La question de l’Afghanistan vient de se raviver dans le sang des envoyés anglais massacrés à Caboul, dans le feu d’une insurrection, qui remet en doute tout ce qu’on croyait avoir conquis, qui risque aussi de faire renaître le problème de l’équilibre de l’Asie centrale.

On ne peut certes méconnaître que, par son esprit entreprenant, lord Beaconsfield n’ait imprimé depuis quelques années une vigoureuse impulsion à la politique extérieure de l’Angleterre. Il a tenu à faire sentir l’action de la Grande-Bretagne partout à la fois, dans l’extrême Orient, en Afrique comme en Europe. Il a réussi ou il a paru réussir ; il réussira vraisemblablement encore, puisqu’il a pour complices l’orgueil et les intérêts britanniques engagés dans toutes ces affaires. Il n’est pas moins vrai que, dans ces derniers temps, l’Angleterre a eu deux graves mécomptes, qui ont un peu effacé l’éclat de la prise de possession de Chypre et qui, jusqu’à un certain point, tiennent à cette politique d’agitation, de coups de théâtre. Le premier de ces mécomptes a été cette guerre avec les Zoulous, qui n’a pas eu seulement des incidens douloureux, qui a été pénible pour la fierté anglaise en montrant une armée de la reine tenue en échec par un petit roi barbare, chef de bandes sauvages. La seconde et la plus sérieuse épreuve est ce qui arrive aujourd’hui dans l’Afghanistan.

Le succès avait sans doute tout d’abord paru trancher la question et justifier la politique ministérielle. L’Angleterre avait habilement et victorieusement conduit cette difficile campagne, dont d’anciens vice-rois des Indes, entre autres lord Lawrence, avaient signalé les dangers. Elle avait conquis pour l’empire indien ce que lord Beaconsfield a appelé les « frontières scientifiques, » et par le traité de Gandamak, prix de ses victoires, elle pensait avoir assuré les résultats essentiels auxquels elle tenait. Elle avait noué alliance avec un nouvel émir, Yacoub-Khan, qui a succédé à l’ancien émir Shere-Ali, mort pendant la guerre. Récemment enfin elle avait établi une mission considérable à Caboul, et l’envoyé qu’elle avait chargé de la représenter, le major sir Louis Cavagnari, semblait fait pour la mission. Italien d’origine, fils d’un officier de Napoléon et d’une mère irlandaise, naturalisé Anglais et élève aux écoles militaires, le major Cavagnari était un de ces hommes comme l’Angleterre en trouve souvent : soldat et diplomate à la fois, rompu aux affaires asiatiques. Quoique jeune encore, il n’avait pas quarante ans, il servait depuis longtemps aux Indes et il avait été souvent employé aux missions les plus périlleuses, où il avait toujours montré autant de finesse que d’imperturbable audace. Il avait joué un des rôles les plus actifs dans la dernière guerre, et nul n’était mieux fait pour représenter l’Angleterre après la victoire à Caboul. Malheureusement on n’avait pas compté avec la faiblesse d’un prince nouveau, transformé en vassal peut-être peu sûr, avec le fanatisme musulman irrité par la défaite, avec le ressentiment de populations belliqueuses. Le major Cavagnari n’était que depuis peu à Caboul, où il avait été reçu avec pompe, lorsque des régimens afghans ont donné le signal d’une formidable insurrection contre lui, contre la légation dont il était le chef. Il s’est vu assailli dans sa demeure où, avec las hommes de sa mission, au nombre d’une soixantaine, il a eu à soutenir un vrai siège. Il paraît s’être défendu avec un héroïsme désespéré, puisqu’il aurait tué plus de deux cents soldats afghans. On n’a eu raison de lui qu’en mettant le feu à la légation, et dans une sortie furieuse il a péri avec tous les siens. Il ne s’est échappé que neuf cavaliers de la mission, qui étaient absens pour le moment et qui n’ont plus reparu. À trente-sept ans de distance, c’est le renouvellement d’une scène du même genre, de la tragédie du 2 novembre 1841, où un autre envoyé anglais, sir Alexander Burnes, périssait également massacré, et ces événemens donnent tristement raison à ceux qui n’ont cessé de blâmer et l’expédition et l’idée d’entretenir une mission permanente à Caboul. Aujourd’hui le mal est fait, et l’Angleterre n’a plus même le choix des résolutions.

Évidemment la première pensée devait être de réparer au plus vite ce sanglant échec, de revenir sur Caboul, pour aller chercher une vengeance exemplaire de l’attentat commis contre le major Cavagnari et le nom britannique. Déjà les généraux anglais se sont remis en mouvement, des troupes nouvelles vont les rejoindre. Par le fait, c’est une campagne à recommencer : elle ne sera peut-être pas très aisée, d’autant plus qu’on ne sait ni ce qu’est devenu l’émir Yacoub-Khan, dont le rôle est assez difficile à démêler, ni quelle force réelle représentent les régimens afghans insurgés, ni quelle extension a prise ou prendra l’insurrection. D’un autre côté, l’armée anglaise, fort éprouvée par la dernière guerre, paraît insuffisamment munie pour une marche longue et laborieuse dans ces contrées. Embarras et résistances, l’Angleterre surmontera tout sans doute, elle ira dicter ses lois à Caboul ; mais c’est ici que les vraies difficultés commencent. Va-t-on parler encore de cette merveille des « frontières scientifiques ? » Maintiendra-t-on purement et simplement le traité de Candamak, prix de la dernière guerre ? Soutiendra-t-on tant bien que mal contre les compétitions et les insurrections un émir devenu plus que jamais un impuissant vassal ? L’Angleterre dans ce cas reste livrée à toutes les incertitudes, elle risque d’avoir toutes les charges de l’occupation de vive force sans en avoir les avantages. Ira-t-elle jusqu’à l’annexion complète et avouée de l’Afghanistan ? Ce serait alors le commencement de complications bien autrement graves, ce serait la question même des rapports de l’Angleterre et de la Russie dans l’Asie centrale. Lorsque récemment les Russes ont engagé une expédition contre les Turcomans-Tekès, peut-être avec l’arrière-pensée d’aller jusqu’à Merv, les Anglais ont vu ces opérations avec ombrage, et ils ont été presque satisfaits des contre-temps qu’a éprouvés dernièrement l’expédition russe par la mort du général Lazaref. Les Russes ne se réjouissent pas sans doute du massacre de Caboul, ils voient probablement avec philosophie les embarras des Anglais ; l’annexion du territoire afghan ne les laisserait plus indifférens, et c’est ainsi que sans cesse, sous toutes les formes, à propos de tout, reparaissent ces questions d’antagonisme et d’équilibre qui troublent le monde.

On n’a point du reste besoin d’aller si loin pour voir s’agiter ces questions : elles se débattent plus près de nous, elles sont partout, dans ces conflits de plumes, dans ces rivalités de chancelleries, dans ces évolutions de diplomatie, dans ce trouble des plus vieilles alliances, dans toutes ces dissonances, ces confusions qui se manifestent au centre de l’Europe et qui déguisent à peine une situation vraiment assez troublée. Le fait est que tout ce qui se passe depuis quelque temps en Allemagne prend un caractère étrange et passablement énigmatique. D’un côté, les journaux allemands et les journaux russes sont entrés tout à coup en campagne et échangent des récriminations passionnées, des défis acerbes ; ils n’interrompent un instant, sur quelque mot d’ordre de circonstance, leurs polémiques bruyantes que pour les reprendre presque aussitôt avec une vivacité nouvelle. Cette guerre de plume n’est point inspirée, si l’on veut, elle peut être désavouée selon le besoin du moment ; elle ne répond pas moins à une antipathie intime qui s’est déclarée entre le chancelier d’Allemagne et le chancelier de Russie, qui n’a fait que s’envenimer depuis quelques années, surtout depuis le congrès de Berlin et qui n’est pas plus dissimulée d’ailleurs par le prince Gortchakof que par M. de Bismarck. La rivalité des deux chanceliers est devenue un des élémens avérés de la politique. D’un autre côté, l’empereur d’Allemagne et l’empereur de Russie choisissent ce moment pour se donner de nouveaux témoignages d’affectueuse courtoisie. L’empereur Guillaume a commencé par envoyer en plénipotentiaire intime le feld-maréchal de Manteuffel à Varsovie, auprès de son neveu l’empereur de Russie, et M. de Manteuffel ne pouvait être envoyé comme un simple chambellan, il avait évidemment la mission de préparer l’entrevue impériale qui vient d’avoir lieu à Alexandrovo, sur la frontière russo-allemande. Les deux souverains se sont rencontrés sans autre suite que leur escorte militaire, sans cortège civil ou diplomatique.

Que fait-il conclure de tous ces faits qui se mêlent, s’enchevêtrent dans un écheveau de contradictions ? L’empereur d’Allemagne et l’empereur de Russie ont visiblement tenu à donner par leur entrevue un éclatant démenti à tous les mauvais bruits, à bien montrer que leur intimité était au-dessus des polémiques de journaux et même des querelles de leurs chanceliers. Ils ont voulu prouver une fois de plus que tant qu’ils vivraient la paix entre l’Allemagne et la Russie était assurée, l’alliance des deux empires demeurerait intacte. C’est là, on peut le présumer, la signification de l’entrevue d’Alexandrovo. En dehors de cette cordialité personnelle des deux souverains, cependant, la situation tout entière ne reste pas moins avec ses complications d’intérêts, de passions et d’ambitions. Il n’est point douteux qu’en Russie le sentiment national est peu favorable aux Allemands. On ne pardonne pas à l’Allemagne le rôle qu’elle a joué à certains momens de la dernière guerre, l’influence qu’elle a eue sur le dénoûment, et la politique commerciale que vient d’adopter M. de Bismarck, en froissant les intérêts russes, n’est pas de nature à désarmer ces ressentimens. En Allemagne aussi on ne voit pas sans jalousie l’extension de la puissance russe, et c’est ce qui explique le soin qu’a mis M. de Bismarck, surtout dans ces derniers temps, à appuyer l’Autriche, à resserrer ses liens avec elle. Il atteignait un double but : en engageant l’Autriche vers l’Orient, il opposait une puissance ennemie ou rivale à la Russie ; en poussant l’état autrichien dans la voie slave, il a compté peut-être hâter le jour où les élémens germaniques de l’empire austro-hongrois se détacheraient d’eux-mêmes pour revenir à la patrie allemande. M. de Bismarck a seul le secret de ses combinaisons ; il en poursuit la réalisation à sa manière, sans scrupule sur les moyens, sans se piquer de fidélité aux amitiés dans ses évolutions extérieures ou intérieures, laissant son empereur aller à Alexandrovo et les journaux allemands guerroyer contre les Russes, tandis qu’il va lui-même à Gastein et à Vienne s’entretenir avec l’empereur François-Joseph et le comte Andrassy.

N’importe, tout cela est un étrange épilogue de l’alliance fameuse des trois empereurs imaginée ou ressuscitée il y a quelques années par le chancelier allemand comme la souveraine sauvegarde de la paix de l’Europe ! La première conséquence de cette alliance a été la récente guerre d’Orient. La seconde conséquence est ce qu’on voit aujourd’hui, cette situation, où toutes les politiques se surveillent d’un œil jaloux, où l’alliance ne ressemble plus qu’à un rêve platonique caressé par un oncle et un neveu réunis dans une petite ville de passage, et où lord Palmerston, s’il vivait, pourrait dire encore avec son humeur goguenarde qu’il y a de quoi allumer une demi-douzaine de guerres. Merveilleux résultat de la politique de force et de conquête déchaînée depuis quelque temps en Europe !

Et comme les dissonances semblent être partout aujourd’hui, comme on dirait que tous les rapports publics passent par une certaine épreuve, comme en même temps tout se tient, voici d’un autre côté, entre l’Autriche et l’Italie, un nuage ou une apparence de nuage qu’on s’est plu un instant à grossir : c’est cette brochure, rapport ou compte-rendu, que le colonel autrichien Haymerlé a récemment fait paraître à Vienne et qui vient d’avoir un retentissement de quelques jours. À considérer simplement le fait, le colonel Haymerlé se borne à exposer la situation militaire de l’Italie, l’organisation de son armée, ses ressources défensives et offensives ; il étudie cette situation avec sympathie, sans prévention, et il ne touche à la politique que par un côté, pour montrer le danger des propagandes révolutionnaires qui tendraient à préparer des annexions nouvelles par la revendication de toute sorte de territoires. Trente, Trieste, Nice, la Corse, Malte ! En réalité, cette brochure, cette étude qui a pour titre Italicæ res, n’a rien d’un manifeste inquiétant et menaçant. Elle peut cependant répondre plus ou moins indirectement à une certaine situation. Assurément au delà des Alpes l’opinion nationale n’est guère favorable à ceux qui ne trouveraient rien de mieux que de mettre successivement ou d’un seul coup leur pays en lutte avec l’Autriche, la France, l’Angleterre. Ni les cabinets, ni les partis sérieux ne songent à de nouvelles querelles avec l’Autriche. Il n’est pas moins vrai que, depuis la guerre d’Orient, l’Italie a semblé éprouver parfois quelque malaise d’ambition mal contenue ; elle a paru tourner les yeux un peu de tous côtés, particulièrement vers certaines parties des provinces ottomanes faisant face à ses rivages. Elle aurait voulu sans doute avoir ses compensations, sa part dans la distribution, et sans pactiser avec le mouvement de l’Italia irredenta, le gouvernement de Rome l’a laissé un moment se produire assez pour s’en servir peut-être, tout en le désavouant. L’Autriche à son tour, sans rendre le gouvernement italien responsable d’agitations assez factices, a les yeux ouverts et tient à ne laisser aucune illusion. Elle est parfaitement résolue à défendre, à maintenir à tout prix ses positions sur l’Adriatique, et c’est là même une des raisons, la raison militaire de l’occupation de l’Herzégovine et de la Bosnie. Elle a voulu relier stratégiquement ses territoires de façon à être compacte et libre de ses mouvemens en toute circonstance. La brochure ; Italicæ res peut, si l’on veut, répondre jusqu’à un certain point à tout cela. Elle n’a rien de blessant pour le gouvernement italien ; elle n’est un avertissement ou une menace que pour les rêveurs d’annexions, pour la politique de l’Italia irredenta, et si elle a pu prendre un moment une signification particulière, c’est qu’elle a paru, à l’heure qu’il est, au milieu des bruits confus de l’Allemagne, dans un journal presque officiel de Vienne, c’est qu’elle est l’œuvre d’un officier qui était récemment encore attaché à l’ambassade de l’empereur François-Joseph à Rome, c’est qu’enfin le colonel Haymerlé est le frère du baron Haymerlé qui quitte Rome pour aller recueillir, au moins temporairement, des mains du comte Andrassy la direction des affaires étrangères de l’Autriche. C’est assez pour que l’opuscule, autrichien ait été mis au nombre des symptômes du moment.

Qu’on brode là-dessus et sur le reste toute sorte d’hypothèses, qu’on se hâte de supposer toute sorte de combinaisons, d’évolutions, d’éventualités, où au besoin la France elle-même aurait son rôle, c’est l’affaire des imaginations promptes et actives. Les événemens ne vont plus si vite. Pour ce qui est de la France, elle n’a sûrement donné à personne pouvoir de lui assigner un rôle, de disposer de sa politique. Elle a assez souffert pour garder sa liberté, pour ne consulter que ses intérêts dans toutes les occasions.

Tout est contraste dans les affaires des peuples comme dans la vie des hommes, tout se mêle dans la politique. À la fin du mois dernier, la famille royale d’Espagne sortait à peine des deuils ; on venait de conduire à l’Escurial une dépouille humaine de plus, tout ce qui restait de cette jeune princesse Pilar, si brusquement enlevée dans sa villégiature des provinces basques. Presque aussitôt la raison d’état a repris ses droits, la politique a fait oublier les deuils : la question du nouveau mariage du roi Alphonse s’est produite comme une diversion riante. Cette couronne qui n’a été portée que quelques mois par la jeune reine Mercedes, l’Espagne va la voir passer sur le front d’une princesse autrichienne, l’archiduchesse Christine. Évidemment tout avait été préparé depuis quelque temps par des négociations qui n’étaient point d’ailleurs absolument un mystère. On savait que la diplomatie matrimoniale était à l’œuvre entre Madrid et Vienne. Cette union royale, elle a été préparée et négociée par les diplomates, elle a été décidée par une rencontre du roi Alphonse et de l’archiduchesse Christine en terre française. Pendant quelques jours, sur une de nos plages, à Arcachon, s’est déroulé ce gracieux roman des deux jeunes futurs époux, qui ne se voyaient pas, il est vrai, pour la première fois, qui se sont connus il y a quelques années à Vienne, à l’époque de l’exil du fils de la reine Isabelle, et qui se rencontraient maintenant pour se plaire. Tout s’est passé, à ce qu’il semble, comme dans les contes de fées. Le roi Alphonse a banni ses tristesses et s’est senti séduit, l’archiduchesse Christine, qui paraît brillante de qualités, a été gagnée à son tour par la bonne grâce du souverain espagnol autant que par l’éclat d’une couronne. L’entrevue s’est prolongée quelques jours dans une aimable simplicité, à l’abri des ennuis du cérémonial et de l’étiquette. On s’est vite trouvé d’accord, et avant deux mois, une escadre espagnole ira chercher la nouvelle reine à Trieste pour la ramener sur les côtes d’Espagne. D’ici là les cortès seront réunies à Madrid pour sanctionner par leur vote et consacrer par leur présence l’union du souverain.

Le premier mariage du roi Alphonse avec la reine Mercedes avait été l’union de deux enfans de la même famille, la réalisation naïve d’un rêve de jeunesse et de cœur ; il n’a eu que la durée d’un rêve. La politique a certainement une plus grande part dans le nouveau mariage, même en tenant compte du petit roman d’Arcachon qui a été un peu arrangé pour la circonstance. Le choix de la princesse appelée à régner à Madrid est par lui-même caractéristique. Depuis que les Bourbons ont succédé aux Habsbourg au delà des Pyrénées, c’est la première fois que le nom de l’Autriche reparaît dans les combinaisons de la politique espagnole. C’est comme une tradition qui se renoue, et on ne peut assurément méconnaître l’importance de ce nouveau lien formé entre le jeune descendant de Philippe V devenu le chef d’une monarchie constitutionnelle et une princesse d’une des plus vieilles races régnantes, une parente de l’empereur François-Joseph. Il ne faudrait cependant exagérer ni le caractère ni les conséquences de l’union qui préoccupe aujourd’hui les Espagnols. C’est un événement qui a ses avantages, mais qui ne peut plus avoir la signification qu’il aurait eue dans le passé. Autrefois, à l’époque où il y avait des guerres de successions, où les unions royales confondaient ou transportaient les souverainetés et déplaçaient l’équilibre du continent européen, le fait aurait eu sa gravité et eût sans doute aussitôt mis les cabinets en mouvement. Aujourd’hui tout est changé ! Le mariage du roi Alphonse avec la fille de l’archiduc Charles-Ferdinand et de l’archiduchesse Elisabeth ne peut susciter des conflits d’influences. Il ne change ni les conditions diplomatiques, ni les intérêts internationaux, ni les relations de l’Espagne ; il n’introduit aucun élément nouveau dans la politique intérieure ou

extérieure de la péninsule. L’archiduchesse Marie-Christine ne va pas représenter au delà des Pyrénées les souvenirs et les traditions de ce règne de la maison d’Autriche qu’un homme à l’imagination originale et hardie appelait un jour « une parenthèse dans l’histoire de l’Espagne, » elle ne porte à Madrid que son esprit et sa bonne grâce. Elle sera une reine constitutionnelle de plus. Il n’est point impossible sans doute que, même en gardant ce caractère tout moderne, le mariage du roi Alphonse rencontre encore quelques difficultés intimes, que les partis libéraux n’éprouvent quelque crainte en voyant arriver une princesse élevée dans une cour qui a été longtemps absolutiste. La nouvelle reine ne peut mieux faire que d’éviter tout ce qui pourrait froisser le sentiment espagnol, tout ce qui laisserait apparaître l’influence étrangère. C’est la première condition de succès pour ce mariage royal qui se prépare, qui peut devenir une garantie de plus pour la monarchie constitutionnelle et pour la situation de l’Espagne en Europe.
Ch. de Mazade.
ESSAIS ET NOTICES.

LES OBSERVATOIRES D’ITALIE

L’Astronomie pratique et les Observatoires en Europe et en Amérique, par MM, C. André, G. Rayet et A. Angot. — V. Observatoires d’Italie,, par G. Rayet. Paris, 1878, Gauthier-Villars.


L’astronomie physique, qui se donne pour tâche l’étude de l’aspect et de la constitution intime des corps célestes, a pris naissance en Italie, alors que Galilée, tournant vers le ciel la lunette inventée par lui, faisait coup sur coup toutes ces découvertes dont son Nuntius sidereus portait partout la nouvelle aux contemporains émerveillés. Il vit que la lune, loin d’être une sphère parfaite, était couverte de montagnes et de vallées comme notre terre, montagnes dont les ombres s’allongeaient ou diminuaient selon la position du soleil; il put mesurer la hauteur de ces montagnes et constater le phénomène de la libration. Puis sa lunette lui révèle des fourmillemens d’étoiles là où rien n’était perceptible à l’œil nu; il découvre les satellites de Jupiter, entrevoit l’anneau de Saturne, reconnaît les phases de Vénus, observe les taches du soleil en même temps que Fabricius, Harriot et Scheiner, et essaie d’en expliquer la vraie nature. Après la mort de Galilée, les progrès de l’astronomie physique éprouvent une interruption d’un demi-siècle : la guerre de trente ans, les troubles auxquels la France et l’Angleterre sont en proie, ne laissent point aux peuples le temps de cultiver les sciences. Vers 1650, Jean-Dominique Cassini renoue enfin le fil de la tradition scientifique: sa renommée grandit rapidement, et Louis XIV l’appelle en France pour lui confier la direction de l’Observatoire de Paris qui vient d’être fondé (1669). C’est désormais en France et en Angleterre que se concentre l’activité astronomique de la seconde moitié du XVIIe siècle; mais le contre-coup de ce grand élan se fait sentir jusqu’en Italie, et dès le commencement du siècle suivant on y voit les universités, les villes, les corporations religieuses, les souverains, grands et petits, créer des observatoires et des chaires d’astronomie.

Nous allons essayer de résumer en quelques pages l’histoire de ces diverses créations, en prenant pour guide l’intéressant volume que leur a consacré M. G. Rayet, professeur à la faculté des sciences de Bordeaux. Ce volume forme la cinquième partie de l’ouvrage où MM. André, Rayet et Angot ont entrepris de dresser l’inventaire complet des établissemens astronomiques qui existent dans les deux mondes, et qui nous a déjà fourni deux lois l’occasion d’entretenir les lecteurs de la Revue des progrès de l’astronomie pratique[1]. M. Rayet, qui s’est fait connaître par d’importans travaux d’analyse spectrale exécutés tant à l’Observatoire de Paris que dans les diverses missions dont il a été chargé, a pu visiter lui-même la plupart des observatoires d’Italie et puiser dans leurs archives des renseignemens authentiques ; son livre est rempli de détails curieux et qui pourront intéresser d’autres lecteurs que les astronomes de profession.

Parmi les observatoires que possède ou qu’a possédés l’Italie, le premier en date est celui de Bologne, fondé en 1723 par l’université de cette ville, à l’aide de donations que l’on devait à la générosité du comte Marsigli. La salle d’observation (qui existe encore avec son aspect ancien) était située sur une tour: c’était une chambre de forme carrée, ouverte sur les quatre points cardinaux par de larges fenêtres qui donnaient accès sur quatre balcons triangulaires formés par les angles de la tour, dont les pans regardent au nord-ouest, au nord-est, au sud-est et au sud-ouest ; en outre, le toit était percé d’une ouverture circulaire. C’est là que Manfredi entreprit les recherches de diverse nature qu’il continua jusqu’en 1739, année de sa mort. En même temps, il publiait les célèbres Éphémérides de Bologne, qui donnaient les lieux du soleil et des planètes, avec beaucoup d’autres indications utiles aux astronomes ; il était aidé dans ses laborieux calculs par ses deux sœurs, devancières de Mme Lepaute, de Caroline Herschel et de Mme Villarceau. Manfredi eut pour successeur son élève et ami Zanotti, qui paraît avoir avoir été l’un des astronomes les plus habiles de son époque. L’observatoire ne tarda pas à s’enrichir d’instrumens nouveaux, et Zanotti, tout en continuant les Éphémérides, put bientôt publier un catalogue de 447 étoiles. Après sa mort, survenue en 1782, des changemens rapides de direction et quelques interrègnes forcés désorganisèrent l’observatoire de Bologne. C’est vers 1851 seulement que l’installation d’un cercle méridien d’Ertel permit à M. Respighi de faire une série de bonnes observations ; mais cet astronome quitta Bologne quelques années plus tard, et ses successeurs n’ont su tirer aucun parti des instrumens. « L’observatoire de Bologne, dit M. Rayet, n’est plus qu’une sorte de musée où la poussière et la rouille rongent quelques appareils historiques. »

Cinq autres observatoires ont été fondés en Italie au siècle dernier : celui de Milan (1760), qui a été illustré par Boscovich, Oriani, Carlini ; celui de Padoue (1767), qui compte parmi ses astronomes Toaldo et Santini ; celui de Florence (1774), où ont travaillé Amici et Donati ; celui du Collège romain (1787), qui a eu pour directeurs De Vico et le P. Secchi ; enfin celui de Palerme (1789), auquel les travaux de Piazzi ont valu une grande célébrité. De 1812 à 1825, on a encore vu s’élever les observatoires de Naples, de Turin, de Modène, et celui du Capitole. Tous ces établissemens, animés d’une noble rivalité, ont déployé un grand zèle et contribué pour leur part aux progrès de l’astronomie, jusqu’au jour où, découragés par des exigences nouvelles hors de proportion avec leurs moyens, ils ont baissé pavillon. Cet arrêt de développement remonte au premier tiers de notre siècle. « À cette époque, dit M. Rayet, les observatoires des grands états, disposant de ressources considérables, commencèrent à faire construire des instrumens beaucoup plus grands, plus précis et malheureusement aussi plus coûteux. A leur tour, ces instrumens plus parfaits exigeaient une installation beaucoup meilleure ; il leur fallait un point d’appui stable, des salles et des coupoles construites exprès pour eux. Les ressources limitées des petits états entre lesquels l’Italie était alors divisée, et des universités qui végétaient péniblement dans les villes, se trouvèrent tout à fait insuffisantes pour la substitution de ces puissans appareils aux lunettes anciennes maintenant hors d’usage et pour la rénovation de locaux devenus tout à fait défectueux. Les savans placés à la tête des divers observatoires italiens, se sentant impuissans à soutenir, avec les instrumens qu’ils avaient entre les mains et les maigres ressources dont ils disposaient, la lutte contre leurs confrères plus heureux de Greenwich, de Paris, de Poulkova, de Berlin et de Washington, s’abandonnèrent pour la plupart au découragement, finiront quelquefois par renoncer à des travaux fatalement condamnés à rester stériles, et laissèrent dépérir les établissemens dont ils avaient la garde. De là une sorte de torpeur à laquelle l’unification de l’Italie, en faisant espérer aux astronomes des jours meilleurs, est venue heureusement mettre fin. »

Les noms des astronomes que nous avons cités disent assez tout ce que l’astronomie doit à l’Italie, et ce qu’elle peut en attendre encore, quand la patrie de Galilée aura complètement repris son rang parmi les nations les plus avancées en culture intellectuelle. Pour en faire mieux juger, nous allons rappeler les faits les plus importans de l’histoire de ses divers établissemens astronomiques.

L’observatoire de Milan doit sa naissance au zèle de deux jeunes « lecteurs en philosophie » du collège de Brera, les RR. PP. Bovio et Gerra, qui dès 1760 établirent dans la partie la plus élevée du collège une lunette achromatique de 40 pieds de longueur focale, à l’aide de laquelle ils eurent, paraît-il, le bonheur d’annoncer les premiers l’apparition d’une comète. Ils se firent ensuite fabriquer par un serrurier de Milan un grand sextant de 6 pieds de rayon ; mais cet instrument, qui fit honneur à la bonne volonté de l’ouvrier, ne put guère être employé, C’est vers 1763 que fut décidée, d’après les conseils du B. P. Boscovich, la construction d’un observatoire plus sérieux, dont le savant jésuite garda la direction jusqu’en 1772. L’observatoire se composait d’une tour carrée, dominant de 40 pieds la masse régulière du palais Brera ; cette tour avait pour base quatre chambres voûtées, flanquées vers l’est de deux cabinets également voûtés, et surmontées d’une salle octogone et de quatre tourelles à toits tournans, qui abritaient les principaux instrumens, assez remarquables pour l’époque. Boscovich eut pour successeur le P. Lagrange, dont les collaborateurs se nommaient Reggio, De Cesaris, Oriani ; c’est aux travaux de ces trois astronomes que l’observatoire de Milan a dû sa célébrité. Pendant que Reggio commençait les observations sur lesquelles est fondé son catalogue d’étoiles, Angelo de Cesaris entreprit la publication des fameuses Ephémérides de Milan, qui, en dehors des données courantes à l’usage des astronomes, contiennent, comme notre Connaissance des temps, un grand nombre de mémoires sur des questions de pratique ou de théorie. Oriani, qui fut à la tête de l’observatoire depuis 1804 jusqu’en 1832, a publié des recherches sur le mouvement d’Uranus, sur les petites planètes nouvellement découvertes entre Mars et Jupiter, sur l’obliquité de l’écliptique, sur la réfraction, et, en dehors des travaux ordinaires de l’observatoire, il a pris une part active aux opérations géodésiques relatives à la triangulation de la Lombardie. Sa renommée avait de bonne heure dépassé les frontières de l’Italie, et en 1796, après l’entrée de Bonaparte à Milan, il put, grâce à l’estime que lui témoignait le général républicain, protéger les professeurs du collège de Brera, menacés d’expulsion pour refus de serment, et empêcher la suppression des universités de Pavie et de Bologne. C’est lui encore qui attira à Milan l’astronome Cagnoli, dont l’observatoire particulier de Vérone venait d’être détruit pendant le siège de cette ville, et lui fournit les moyens d’achever son catalogue de 500 étoiles. Oriani resta toujours en grande faveur auprès de Napoléon Ier, qui le nomma comte, sénateur du royaume d’Italie, et lui offrit finalement l’évêché de Vigevano, lequel rapportait 42,000 livres de rente ; mais Oriani refusa cet excès d’honneur et se contenta d’accepter une pension de 8,000 livres sur les revenus dudit évêché. À sa mort, il laissa la plus grande partie de sa fortune à l’observatoire de Brera et 50,000 francs à l’astronome Plana pour l’aider à poursuivre tranquillement ses travaux d’analyse.

Carlini, le successeur d’Oriani, était lui-même déjà célèbre lorsqu’il fut chargé de la direction de l’observatoire auquel il était attaché depuis plus de trente ans. Il avait refait les tables du soleil de Delambre, et entreprit, avec Plana, un travail de longue haleine sur la théorie de la lune, qui fut couronné par l’Académie des sciences de Paris, en même temps qu’un mémoire de Damoiseau sur le même sujet. Complété ensuite par Plana seul, ce travail a été publié en 1832, en trois gros volumes in-4o. Le règne de Carlini fut inauguré par l’installation d’un nouveau cercle méridien ; pour l’établir, on fit choix de l’ancienne tour de l’église de Brera, appropriée à cette destination par des travaux de maçonnerie qui en consolidèrent les voûtes. De 1833 à 1862, il n’interrompit pas un seul jour ses travaux habituels. Il avait conservé jusqu’à soixante-dix-neuf ans une activité presque égale à celle d’un jeune homme, et, prêchant d’exemple, il observait chaque nuit. La succession de Carlini échut, en 1862, à M. Schiaparelli, qui soutient dignement la vieille réputation de l’établissement dont il a la charge. On connaît ses importantes recherches sur l’origine des étoiles filantes et sur les rapports qui existent entre ces météores et les comètes périodiques[2]. Aidé par M. Celoria, M. Schiaparelli a pu accomplir d’utiles travaux d’observation, surtout depuis que son outillage s’est augmenté d’un équatorial de Merz, dont les qualités optiques ne laissent rien à désirer. Les Éphémérides de Milan, qui en 1875 comptaient un siècle d’existence, ont cessé de paraître à partir de cette époque; on a pensé avec raison que ce recueil avait perdu son utilité à côté du Nautical Almanac des Anglais et de notre Connaissance des temps, qui sont dans toutes les mains et qui répondent suffisamment aux besoins des astronomes et des navigateurs.

L’étonnante précision avec laquelle nous pouvons aujourd’hui calculer, longtemps d’avance, les positions du soleil, de la lune et des principales planètes, pour la plus grande commodité des observateurs, n’est pas due seulement à la perfection que les théories de la mécanique céleste ont acquise entre les mains de quelques grands géomètres. Elle eût été impossible sans les efforts persévérans de ceux qui, par la détermination rigoureuse des lieux des étoiles fixes, ont fourni des repères auxquels on peut rapporter en toute sûreté la marche des astres errans. La formation d’un bon catalogue d’étoiles est donc une des tâches les plus méritoires que puisse se proposer un astronome, — méritoire autant par l’utilité du résultat que par le labeur qu’elle exige. Or l’une des premières entreprises de ce genre a été menée à bonne fin par un astronome italien dont la science n’oubliera jamais le nom, par Joseph Piazzi. Au moment où parut son premier catalogue, qui comprend près de sept mille étoiles, les observations plus anciennes de Bradley n’avaient guère encore été utilisées, et les catalogues qu’on possédait déjà étaient fort défectueux; son travail n’a pas peu contribué à poser les fondemens de l’astronomie moderne.

Destiné d’abord à l’état ecclésiastique, Piazzi avait fait ses études chez les révérends pères du collège de Brera, puis chez les théatins, où il fit sa profession en 1765. On ne le voyait pas d’abord d’un œil favorable se livrer à l’étude des mathématiques, et il fut chargé d’enseigner la philosophie dans plusieurs séminaires, puis envoyé comme prédicateur à Crémone; mais il finit par être rendu à sa véritable vocation, car en 1780 il obtint la chaire de calcul différentiel à l’académie de Palerme, et six ans après le roi Ferdinand consentit à faire construire un observatoire dont Piazzi devait être le premier directeur. Ce dernier se rendit d’abord à Paris, chez Lalande, qui l’initia au maniement des instrumens, puis en Angleterre, où il prit les conseils de Maskelyne et commanda au célèbre Ramsden un cercle vertical. On appelle ainsi un appareil qui se compose essentiellement d’une lunette fixée à un cercle divisé de grande dimension; ce cercle, placé verticalement, peut tourner avec la lunette dans son propre plan. L’instrument construit par Ramsden, d’un modèle tout nouveau, fut trouvé si parfait que les astronomes anglais eussent voulu le garder, et Piazzi dut recourir à l’intervention du gouvernement napolitain pour obtenir qu’il pût l’emporter en Sicile. Le duc de Marlborough lui offrit vainement la direction de son observatoire. Piazzi revint à Palerme en 1789, et les architectes se mirent à l’œuvre pour lui bâtir des salles d’observation sur la terrasse de la tour carrée du palais royal. Cette tour, de construction arabe et d’une solidité comparable à celle des constructions romaines (les murs ont 5 mètres d’épaisseur à la base et 2 mètres au sommet), dominait tous les édifices de la ville et offrait un horizon presque complètement découvert.

C’est là que Piazzi établit son cercle vertical et sa lunette méridienne, et dès que les instrumens furent réglés, il se mit à observer d’une manière méthodique les étoiles fixes qu’il désirait cataloguer. Chaque étoile fut observée cinq fois pendant cinq jours consécutifs, et l’on reprenait les mesures s’il y avait entre les déterminations successives des différences trop fortes. En opérant ainsi, on se mettait à l’abri des erreurs d’observation et des fautes de calcul qui se glissent si facilement dans les déterminations isolées, Piazzi poursuivait ses observations depuis huit ans quand il fut récompensé de ses peines par une découverte éclatante qui lui valut beaucoup d’honneur. Le 1er janvier 1801, il avait déterminé la position d’une petite étoile qui, le soir suivant, s’était manifestement déplacée. Il vérifia ses observations le 3 et le 4, et put constater qu’il avait affaire à un astre errant. Le lendemain, le ciel était couvert; Piazzi ne revit son étoile que le 10, mais il put la suivre jusqu’au 23 et déterminer sa route avec beaucoup de précision. « J’ai annoncé cette étoile comme étant une comète, écrit-il à Oriani le 24 janvier, mais elle n’est accompagnée d’aucune nébulosité, et son mouvement très lent et presque uniforme me fait penser que c’est peut-être quelque chose de mieux qu’une comète. » Il avait en effet découvert la première des petites planètes qui circulent entre Mars et Jupiter, et il lui donna le nom de Cérès Ferdinandea. Le roi de Naples fit frapper une médaille commémorative de cet événement et gratifia Piazzi d’une pension de 200 onces. Quelques années plus tard, Olbers et Harding trouvèrent à leur tour Pallas, Junon et Vesta; mais c’est en 1845 seulement qu’Astrée vint renouer la chaîne de ces découvertes de plus en plus fréquentes qui ont déjà porté à environ 200 le nombre des petites planètes connues.

En dehors de son grand catalogue d’étoiles, dont une seconde édition, fondée sur des calculs nouveaux et des observations supplémentaires, parut en 1814, Piazzi a publié des recherches sur la précession des équinoxes, sur la parallaxe des étoiles, etc.; à partir de 1814, il dut consacrer une partie de son temps à l’introduction du système métrique dans le royaume de Naples. La mort le surprit au milieu de ses travaux, le 22 juillet 1826; depuis 1817, la direction de l’observatoire de Palerme avait été confiée au plus actif de ses aides, à Nicolas Cacciatore, qui la garda jusqu’à sa mort. Mais bientôt des événemens graves devaient troubler la paix profonde de cet asile de la science. Ce fut d’abord la révolution de 1820 : le palais royal et l’observatoire sont envahis par la foule, les papiers sont dispersés et brûlés en partie, et ce n’est qu’au péril de sa vie, après avoir été traîné en prison, que Cacciatore parvient à sauver l’observatoire d’une destruction complète. Cacciatore se hâta de mettre à jour l’arriéré des observations en publiant tout ce qui n’était pas perdu, et reprit courageusement sa besogne accoutumée; mais une grave maladie dont il fut atteint en 1837 vint suspendre presque tous les travaux de l’observatoire pendant plusieurs années, et son fils Gaëtano, qui lui succéda en 1841, s’efforça vainement de les réorganiser. Compromis dans le mouvement révolutionnaire de 1848, il dut quitter Palerme et fut remplacé par M. Ragona, qui obtint enfin les crédits nécessaires à une restauration de l’antique établissement. Il put commander à Berlin un cercle méridien et à Munich un grand équatorial de 24 centimètres d’ouverture. L’installation de ce bel instrument fut terminée par M. G. Cacciatore, que la révolution de 1860 ramena à l’observatoire, et qui s’associa bientôt comme assistant M. Tacchini, l’un des astronomes les plus actifs que possède aujourd’hui l’Italie. M. Tacchini a entrepris, à l’aide de l’équatorial ce Palerme, des recherches suivies sur les taches solaires, et il a fondé, avec le P. Secchi, la Société des spectroscopistes italiens. Les bases de cette association, qui s’est assuré la coopération de cinq observatoires, furent posées dans une réunion tenue à Rome en octobre 1871 ; les Mémoires qu’elle publie renferment déjà bon nombre de résultats importans.

Sur la fin de sa vie, Piazzi, nommé a directeur général des observatoires des Deux-Siciles, » avait contribué à faire terminer les constructions de l’observatoire de Naples, commencées en 1812 sur l’ordre du roi Murat, au lieu dit Capo di Monte. Cet observatoire, situé au sommet d’une colline et pourvu de très beaux instrumens, eut pour premier directeur Carlo Brioschi, qui mourut en 1833, n’ayant encore publié qu’une faible partie de ses observations. Ses successeurs, Capocci et del Re, négligèrent complètement l’établissement confié à leur garde, qui n’a repris son niveau que depuis le jour où M. A. de Gasparis a été appelé à le diriger (1844), M. de Gasparis s’est fait connaître par la découverte de neuf petites planètes, sans compter de nombreux mémoires consacrés à des questions d’astronomie théorique. Aidé de MM. Fergola et Nobile, il n’a rien négligé pour maintenir l’observatoire de Capo di Monte au rang d’un établissement scientifique sérieux.

La fondation de l’observatoire de Florence remonte à 1774, et les premiers instrumens étaient en place dès 1784 ; mais on les laissa se rouiller, Et De Vecchi, lorsqu’il fut nommé directeur en 1809, dut commencer par demander des fonds pour les faire réparer. Il mourut d’ailleurs en 1829 sans avoir fait aucun travail important. Le célèbre Amici, qui fut à la tête de l’observatoire de 1831 à 1864, s’appliqua surtout à perfectionner la construction des lunettes et des instrumens d’optique en général; on lui doit un grand nombre d’inventions ingénieuses. Son successeur, Donati, s’est fait connaître par des découvertes de comètes et par ses recherches sur les spectres des étoiles. Frappé des inconvéniens que présentait la situation du vieil observatoire au sein même de la ville, il en demanda la translation sur la colline d’Arcetri, et au mois d’octobre 1872 eut lieu en grande pompe l’inauguration de l’édifice nouveau; mais Donati mourut en 1873, laissant inachevée l’œuvre capitale de sa vie.

L’antique observatoire de Padoue, établi depuis 1767 dans la tour d’Ezzeliao, a eu successivement pour directeurs Toaldo, puis son neveu Chiminello, qui commencèrent dès cette époque une série régulière d’observations du baromètre et du thermomètre, enfin Giovanni Santini, à qui l’on doit plusieurs catalogues d’étoiles et une nouvelle détermination de la masse de Jupiter; c’est son adjoint, M. Lorenzoni, qui fait maintenant fonctions de directeur.

A Rome, il existe deux observatoires : celui du Collège romain, qui a été illustré par les travaux du père De Vico et du père Secchi, et celui du Capitole, auquel M. Respighi donne aujourd’hui une nouvelle vie. On sait que la Compagnie de Jésus a toujours compté parmi ses membres des astronomes habiles, qu’elle envoyait dans tous les pays et sous tous les climats faire des observations utiles ou fonder des établissemens dont quelques-uns ont eu un grand éclat; la plupart du temps ces savans avaient fait leurs études au Collège romain, dont les bâtimens successifs ont depuis des siècles abrité des instrumens astronomiques. Ce n’est toutefois que vers 1787, quand le Collège se trouvait entre les mains du clergé séculier, que l’un des angles de la façade fut approprié aux observations par la construction d’une tour qui a servi d’observatoire principal jusqu’en 1848. Le directeur du petit observatoire, G. Calandrelli, quitta le Collège quand les pères jésuites y rentrèrent en 1824 par les ordres de Léon XII, et c’est alors que fut décidée l’installation d’un cabinet d’observation à l’usage du professeur d’astronomie de l’université; c’est là le modeste point de départ de l’observatoire du Capitole, dont les premiers directeurs furent F. Scarpellini, puis I. Calandrelli, remplacé depuis 1866 par M. Respighi. L’observatoire du Collège romain a été reconstruit et complété en 1850, grâce à l’énergique initiative du père Secchi, qui l’a dirigé jusqu’à sa mort (1878), car en 1875 le gouvernement italien l’avait prié de conserver ses fonctions. Travailleur zélé s’il en fut, le père Secchi avait une réputation européenne; on connaît ses recherches sur les étoiles doubles, sur les nébuleuses, sur les taches et les protubérances du soleil, sur les spectres des corps célestes, sur les étoiles filantes, sur le magnétisme terrestre, etc. La plupart de ses ouvrages (mt été traduits en français.

Il n’y a rien à dire de l’observatoire de Modène, Celui de Turin, qui a eu longtemps à sa tête le célèbre Plana, plutôt mathématicien qu’observateur, avait été négligé depuis quarante ans lorsque la direction passa en 1865 à M. Dorna, qui s’efforce maintenant de le restaurer.

En août 1875, un congrès astronomique, réuni à Palerme sous les auspices du gouvernement, a voté un plan de réforme, qui conserve tous les observatoires existans, mais en les divisant en trois classes : 1° ceux de Naples, Florence, Palerme, Milan, seront considérés comme établissemens de premier ordre, et les ressources disponibles devront être concentrées sur eux; 2° ceux de Parme, de Bologne, de Modène, sont mis sous la dépendance des universités de ces trois villes et devront se borner à des travaux de météorologie et de physique; 3° ceux du Collège romain, du Capitole, de Turin et de Padoue sont déclarés observatoires universitaires el; consacrés surtout à l’instruction des jeunes astronomes. En restreignant ainsi l’activité de chaque établissement dans les limites imposées par l’état de son outillage, on évitera en tous cas un gaspillage de temps et d’argent, et on nous débarrassera d’un fatras encombrant d’observations sans valeur qui, le plus souvent, sont de véritables obstacles semés sur la route des astronomes engagés dans des recherches théoriques.

La multiplicité des centres d’observations, condition nécessaire de l’indépendance des astronomes, source d’émulation féconde et stimulant énergique de l’esprit d’invention, est, comme le fait remarquer M. Rayet, utile et nécessaire au développement de la science. C’est une vérité qu’en France on commence aussi à comprendre, et la création prochaine des observatoires de Lyon et de Bordeaux, qui prendront place à côté de ceux de Toulouse et de Marseille, rendra chez nous à l’astronomie pratique un éclat digne de son passé.


R. R.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.


  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1874 et du 15 janvier 1878.
  2. Voyez la Revue du 1er septembre 1867.