Cinna ou la Clémence d’Auguste/Texte entier

La bibliothèque libre.
Cinna ou la Clémence d’Auguste
CINNA, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachetteÉdition Marty-Laveaux (p. 384-462).


ACTEURS.


OCTAVE-CÉSAR AUGUSTE, empereur de Rome.

LIVIE, impératrice.

CINNA, fils d’une fille de Pompée[1], chef de la conjuration contre Auguste.

MAXIME, autre chef de la conjuration.

ÉMILIE, fille de C. Toranius, tuteur d’Auguste, et proscrit par lui durant le triumvirat[2].

FULVIE, confidente d’Émilie.

POLYCLÈTE, affranchi d’Auguste.

ÉVANDRE, affranchi de Cinna.

EUPHORBE, affranchi de Maxime.


La scène est à Rome[3].


CINNA[4].
TRAGÉDIE.

ACTE I.


Scène PREMIÈRE.


ÉMILIE[5].

Impatients désirs d’une illustre vengeance
Dont la mort de mon père a formé la naissance[6],
Enfants impétueux de mon ressentiment,

Que ma douleur séduite embrasse aveuglément,
Vous prenez sur mon âme un trop puissant empire[7] :5
Durant quelques moments souffrez que je respire,
Et que je considère, en l’état où je suis,
Et ce que je hasarde, et ce que je poursuis.
Quand je regarde Auguste au milieu de sa gloire[8],
Et que vous reprochez à ma triste mémoire10
Que par sa propre main mon père massacré
Du trône où je le vois fait le premier degré
Quand vous me présentez cette sanglante image,
La cause de ma haine, et l’effet de sa rage,
Je m’abandonne toute à vos ardents transports, 15
Et crois, pour une mort, lui devoir mille morts.
Au milieu toutefois d’une fureur si juste,
J’aime encor plus Cinna que je ne hais Auguste,
Et je sens refroidir ce bouillant mouvement
Quand il faut, pour le suivre, exposer mon amant[9].20
Oui, Cinna, contre moi moi-même je m’irrite
Quand je songe aux dangers où je te précipite.
Quoique pour me servir tu n’appréhendes rien,
Te demander du sang, c’est exposer le tien[10] :
D’une si haute place on n’abat point de têtes 25
Sans attirer sur soi mille et mille tempêtes ;
L’issue en est douteuse, et le péril certain :
Un ami déloyal peut trahir ton dessein ;
L’ordre mal concerté, l’occasion mal prise,
Peuvent sur son auteur renverser l’entreprise[11], 30

Tourner sur toi les coups dont tu le veux frapper ;
Dans sa ruine même il peut t’envelopper ;
Et quoi qu’en ma faveur ton amour exécute,
Il te peut, en tombant, écraser sous sa chute[12].
Ah ! cesse de courir à ce mortel danger :35
Te perdre en me vengeant, ce n’est pas me venger.
Un cœur est trop cruel quand il trouve des charmes
Aux douceurs que corrompt l’amertume des larmes ;
Et l’on doit mettre au rang des plus cuisants malheurs[13]
La mort d’un ennemi qui coûte tant de pleurs.40
Mais peut-on en verser alors qu’on venge un père ?
Est-il perte à ce prix qui ne semble légère ?
Et quand son assassin tombe sous notre effort,
Doit-on considérer ce que coûte sa mort ?
Cessez, vaines frayeurs, cessez, lâches tendresses,45
De jeter dans mon cœur vos indignes foiblesses ;
Et toi qui les produis par tes soins superflus,
Amour, sers mon devoir, et ne le combats plus :
Lui céder, c’est ta gloire, et le vaincre, ta honte :
Montre-toi généreux, souffrant qu’il te surmonte ;50
Plus tu lui donneras, plus il te va donner,
Et ne triomphera que pour te couronner.


Scène II.

ÉMILIE, FULVIE.
ÉMILIE.

Je l’ai juré, Fulvie, et je le jure encore,
Quoique j’aime Cinna, quoique mon cœur l’adore,
S’il me veut posséder, Auguste doit périr :55

Sa tête est le seul prix dont il peut m’acquérir.
Je lui prescris la loi que mon devoir m’impose.

FULVIE.

Elle a pour la blâmer une trop juste cause :
Par un si grand dessein vous vous faites juger
Digne sang de celui que vous voulez venger ;60
Mais encore une fois souffrez que je vous die
Qu’une si juste ardeur devrait être attiédie[14].
Auguste chaque jour, à force de bienfaits,
Semble assez réparer les maux qu’il vous a faits ;
Sa faveur envers vous paroît si déclarée,65
Que vous êtes chez lui la plus considérée ;
Et de ses courtisans souvent les plus heureux
Vous pressent à genoux de lui parler pour eux[15].

ÉMILIE.

Toute cette faveur ne me rend pas mon père ;
Et de quelque façon que l’on me considère,70
Abondante en richesse, ou puissante en crédit,
Je demeure toujours la fille d’un proscrit.
Les bienfaits ne font pas toujours ce que tu penses ;
D’une main odieuse ils tiennent lieu d’offenses :
Plus nous en prodiguons à qui nous peut haïr,75
Plus d’armes nous donnons à qui nous veut trahir.
Il m’en fait chaque jour sans changer mon courage ;
Je suis ce que j’étois, et je puis davantage,
Et des mêmes présents qu’il verse dans mes mains
J’achète contre lui les esprits des Romains ;80
Je recevrois de lui la place de Livie
Comme un moyen plus sûr d’attenter à sa vie.
Pour qui venge son père il n’est point de forfaits,
Et c’est vendre son sang que se rendre aux bienfaits.

FULVIE.

Quel besoin toutefois de passer pour ingrate ? 85
Ne pouvez-vous haïr sans que la haine éclate ?
Assez d’autres sans vous n’ont pas mis en oubli
Par quelles cruautés son trône est établi :
Tant de braves Romains, tant d’illustres victimes,
Qu’à son ambition ont immolé ses crimes, 90
Laissent à leurs enfants d’assez vives douleurs
Pour venger votre perte en vengeant leurs malheurs.
Beaucoup l’ont entrepris, mille autres vont les suivre :
Qui vit haï de tous ne sauroit longtemps vivre.
Remettez à leurs bras les communs intérêts, 95
Et n’aidez leurs desseins que par des vœux secrets.

ÉMILIE.

Quoi ? je le haïrai sans tâcher de lui nuire ?
J’attendrai du hasard qu’il ose le détruire ?
Et je satisferai des devoirs si pressants
Par une haine obscure et des vœux impuissants ? 100
Sa perte, que je veux, me deviendroit amère,
Si quelqu’un l’immoloit à d’autres qu’à mon père ;
Et tu verrais mes pleurs couler pour son trépas,
Qui, le faisant périr, ne me vengeroit pas[16].
C’est une lâcheté que de remettre à d’autres 105
Les intérêts publics qui s’attachent aux nôtres.
Joignons à la douceur de venger nos parents,
La gloire qu’on remporte à punir les tyrans,
Et faisons publier par toute l’Italie :
« La liberté de Rome est l’œuvre d’Émilie ;110

On a touché son âme, et son cœur s’est épris ;
Mais elle n’a donné son amour qu’à ce prix. »

FULVIE.

Votre amour à ce prix n’est qu’un présent funeste
Qui porte à votre amant sa perte manifeste.
Pensez mieux, Émilie, à quoi vous l’exposez, 115
Combien à cet écueil se sont déjà brisés ;
Ne vous aveuglez point quand sa mort est visible.

ÉMILIE.

Ah ! tu sais me frapper par où je suis sensible.
Quand je songe aux dangers que je lui fais courir[17],
La crainte de sa mort me fait déjà mourir ;120
Mon esprit en désordre à soi-même s’oppose :
Je veux et ne veux pas, je m’emporte et je n’ose ;
Et mon devoir confus, languissant, étonné,
Cède aux rébellions de mon cœur mutiné.
Tout beau, ma passion, deviens un peu moins forte ;125
Tu vois bien des hasards, ils sont grands, mais n’importe :
Cinna n’est pas perdu pour être hasardé.
De quelques légions qu’Auguste soit gardé,
Quelque soin qu’il se donne et quelque ordre qu’il tienne,
Qui méprise sa vie est maître de la sienne[18].130
Plus le péril est grand, plus doux en est le fruit ;
La vertu nous y jette, et la gloire le suit.
Quoi qu’il en soit, qu’Auguste ou que Cinna périsse,
Aux mânes paternels je dois ce sacrifice ;
Cinna me l’a promis en recevant ma foi,135
Et ce coup seul aussi le rend digne de moi.
Il est tard, après tout, de m’en vouloir dédire.
Aujourd’hui l’on s’assemble, aujourd’hui l’on conspire ;

L’heure, le lieu, le bras se choisit aujourd’hui ;
Et c’est à faire enfin à mourir après lui.140


Scène iii

CINNA, ÉMILIE, FULVIE.
ÉMILIE.

Mais le voici qui vient. Cinna, votre assemblée
Par l’effroi du péril n’est-elle point troublée[19] ?
Et reconnaissez-vous au front de vos amis
Qu’ils soient prêts à tenir ce qu’ils vous ont promis ?

CINNA.

Jamais contre un tyran entreprise conçue145
Ne permit d’espérer une si belle issue ;
Jamais de telle ardeur on n’en jura la mort[20],
Et jamais conjurés ne furent mieux d’accord ;
Tous s’y montrent portés avec tant d’allégresse,
Qu’ils semblent, comme moi, servir une maîtresse[21] ;150
Et tous font éclater un si puissant courroux,
Qu’ils semblent tous venger un père comme vous.

ÉMILIE.

Je l’avais bien prévu, que, pour un tel ouvrage,
Cinna sauroit choisir des hommes de courage,
Et ne remettroit pas en de mauvaises mains155
L’intérêt d’Émilie et celui des Romains.

CINNA.

Plût aux Dieux que vous-même eussiez vu de quel zèle
Cette troupe entreprend une action si belle !
Au seul nom de César, d’Auguste, et d’empereur,

Vous eussiez vu leurs yeux s’enflammer de fureur[22],160
Et dans un même instant, par un effet contraire,
Leur front pâlir d’horreur et rougir de colère[23].
« Amis, leur ai-je dit, voici le jour heureux
Qui doit conclure enfin nos desseins généreux :
Le ciel entre nos mains a mis le sort de Rome,165
Et son salut dépend de la perte d’un homme,
Si l’on doit le nom d’homme à qui n’a rien d’humain,
À ce tigre altéré de tout le sang romain.
Combien pour le répandre a-t-il formé de brigues !
Combien de fois changé de partis et de ligues,170
Tantôt ami d’Antoine, et tantôt ennemi,
Et jamais insolent ni cruel à demi ! »
Là, par un long récit de toutes les misères
Que durant notre enfance ont enduré nos pères,
Renouvelant leur haine avec leur souvenir,175
Je redouble en leurs cœurs l’ardeur de le punir.
Je leur fais des tableaux de ces tristes batailles
Où Rome par ses mains déchiroit ses entrailles,
Où l’aigle abattoit l’aigle, et de chaque côté
Nos légions s’armoient contre leur liberté ;180
Où les meilleurs soldats et les chefs les plus braves[24]

Mettoient toute leur gloire à devenir esclaves ;
Où, pour mieux assurer la honte de leurs fers,
Tous vouloient à leur chaîne attacher l’univers ;
Et l’exécrable honneur de lui donner un maître 185
Faisant aimer à tous l’infâme nom de traître,
Romains contre Romains, parents contre parents,
Combattoient seulement pour le choix des tyrans.
J’ajoute à ces tableaux la peinture effroyable
De leur concorde impie, affreuse, inexorable[25] ;190
Funeste aux gens de bien, aux riches, au sénat,
Et pour tout dire enfin, de leur triumvirat ;
Mais je ne trouve point de couleurs assez noires
Pour en représenter les tragiques histoires.
Je les peins dans le meurtre à l’envi triomphants, 195
Rome entière noyée au sang de ses enfants :
Les uns assassinés dans les places publiques,
Les autres dans le sein de leurs dieux domestiques ;
Le méchant par le prix au crime encouragé ;
Le mari par sa femme en son lit égorgé ;200
Le fils tout dégouttant du meurtre de son père,
Et sa tête à la main demandant son salaire[26] ;
Sans pouvoir exprimer par tant d’horribles traits[27]

Qu’un crayon imparfait de leur sanglante paix.
Vous dirai-je les noms de ces grands personnages 205
Dont j’ai dépeint les morts pour aigrir les courages,
De ces fameux proscrits, ces demi-dieux mortels[28],
Qu’on a sacrifiés jusque sur les autels ?
Mais pourrois-je vous dire à quelle impatience,
À quels frémissements, à quelle violence, 210
Ces indignes trépas, quoique mal figurés,
Ont porté les esprits de tous nos conjurés ?
Je n’ai point perdu temps, et voyant leur colère
Au point de ne rien craindre, en état de tout faire,
J’ajoute en peu de mots : « Toutes ces cruautés, 215
La perte de nos biens et de nos libertés,
Le ravage des champs, le pillage des villes,
Et les proscriptions, et les guerres civiles,
Sont les degrés sanglants dont Auguste a fait choix
Pour monter dans le trône[29] et nous donner des lois. 220
Mais nous pouvons changer un destin si funeste[30],
Puisque de trois tyrans, c’est le seul qui nous reste,
Et que, juste une fois, il s’est privé d’appui,
Perdant, pour régner seul, deux méchants comme lui[31].
Lui mort, nous n’avons point de vengeur ni de maître ;225
Avec la liberté Rome s’en va renaître ;
Et nous mériterons le nom de vrais Romains,
Si le joug qui l’accable est brisé par nos mains.
Prenons l’occasion tandis qu’elle est propice :
Demain au Capitole il fait un sacrifice ;230
Qu’il en soit la victime, et faisons en ces lieux

Justice à tout le monde, à la face des dieux :
Là presque pour sa suite il n’a que notre troupe ;
C’est de ma main qu’il prend et l’encens et la coupe[32] ;
Et je veux pour signal que cette même main 235
Lui donne, au lieu d’encens, d’un poignard dans le sein.
Ainsi d’un coup mortel la victime frappée
Fera voir si je suis du sang du grand Pompée ;
Faites voir, après moi, si vous vous souvenez
Des illustres aïeux[33] de qui vous êtes nés. »240
À peine ai-je achevé, que chacun renouvelle,
Par un noble serment, le vœu d’être fidèle :
L’occasion leur plaît ; mais chacun veut pour soi
L’honneur du premier coup que j’ai choisi pour moi.
La raison règle enfin l’ardeur qui les emporte : 245
Maxime et la moitié s’assurent de la porte ;
L’autre moitié me suit, et doit l’environner,
Prête au moindre signal que je voudrai donner.
Voilà, belle Émilie, à quel point nous en sommes.
Demain j’attends la haine ou la faveur des hommes, 250
Le nom de parricide, ou de libérateur,
César celui de prince, ou d’un usurpateur[34].
Du succès qu’on obtient contre la tyrannie
Dépend ou notre gloire, ou notre ignominie ;
Et le peuple, inégal à l’endroit des tyrans, 255
S’il les déteste morts, les adore vivants.
Pour moi, soit que le ciel me soit dur ou propice,
Qu’il m’élève à la gloire, ou me livre au supplice,

Que Rome se déclare ou pour ou contre nous,
Mourant pour vous servir tout me semblera doux.260

ÉMILIE.

Ne crains point de succès qui souille ta mémoire :
Le bon et le mauvais sont égaux pour ta gloire ;
Et, dans un tel dessein, le manque de bonheur
Met en péril ta vie, et non pas ton honneur.
Regarde le malheur de Brute et de Cassie :265
La splendeur de leurs noms en est-elle obscurcie ?
Sont-ils morts tous entiers[35] avec leurs grands desseins[36] ?
Ne les compte-t-on plus pour les derniers Romains ?
Leur mémoire dans Rome est encor précieuse,
Autant que de César la vie est odieuse ;270
Si leur vainqueur y règne, ils y sont regrettés,
Et par les vœux de tous leurs pareils souhaités.
Va marcher sur leurs pas où l’honneur te convie :
Mais ne perds pas le soin de conserver ta vie ;
Souviens-toi du beau feu dont nous sommes épris, 275
Qu’aussi bien que la gloire Émilie est ton prix,
Que tu me dois ton cœur, que mes faveurs t’attendent,
Que tes jours me sont chers, que les miens en dépendent.
Mais quelle occasion mène Évandre vers nous[37] ?



Scène IV.

CINNA, ÉMILIE, ÉVANDRE, FULVIE.
ÉVANDRE.

Seigneur, César vous mande, et Maxime avec vous. 280

CINNA.

Et Maxime avec moi ? Le sais-tu bien, Évandre ?

ÉVANDRE.

Polyclète est encor chez vous à vous attendre,
Et fût venu lui-même avec moi vous chercher,
Si ma dextérité n’eût su l’en empêcher ;
Je vous en donne avis de peur d’une surprise.285
Il presse fort.

ÉMILIE.

Il presse fort.Mander les chefs de l’entreprise !
Tous deux ! en même temps ! Vous êtes découverts.

CINNA.

Espérons mieux, de grâce.

ÉMILIE.

Espérons mieux, de grâce. Ah ! Cinna ! je te perds !
Et les Dieux, obstinés à nous donner un maître,
Parmi tes vrais amis ont mêlé quelque traître. 290
Il n’en faut point douter, Auguste a tout appris.
Quoi ? tous deux ! et sitôt que le conseil est pris !

CINNA.

Je ne vous puis celer que son ordre m’étonne ;
Mais souvent il m’appelle auprès de sa personne ;
Maxime est comme moi de ses plus confidents, 295
Et nous nous alarmons peut-être en imprudents.

ÉMILIE.

Sois moins ingénieux à te tromper toi-même,
Cinna ; ne porte point mes maux jusqu’à l’extrême ;

Et puisque désormais tu ne peux me venger[38],
Dérobe au moins ta tête à ce mortel danger ;300
Fuis d’Auguste irrité l’implacable colère.
Je verse assez de pleurs pour la mort de mon père ;
N’aigris point ma douleur par un nouveau tourment,
Et ne me réduis point à pleurer mon amant[39].

CINNA.

Quoi ? sur l’illusion d’une terreur panique, 305
Trahir vos intérêts et la cause publique !
Par cette lâcheté moi-même m’accuser,
Et tout abandonner quand il faut tout oser !
Que feront nos amis, si vous êtes déçue ?

ÉMILIE.

Mais que deviendras-tu, si l’entreprise est sue ? 310

CINNA.

S’il est pour me trahir des esprits assez bas,
Ma vertu pour le moins ne me trahira pas :
Vous la verrez, brillante au bord des précipices,
Se couronner de gloire en bravant les supplices,
Rendre Auguste jaloux du sang qu’il répandra, 315
Et le faire trembler alors qu’il me perdra.
Je deviendrois suspect à tarder davantage.
Adieu, Raffermissez ce généreux courage.
S’il faut subir le coup d’un destin rigoureux,
Je mourrai tout ensemble heureux et malheureux : 320
Heureux pour vous servir de perdre ainsi la vie[40],
Malheureux de mourir sans vous avoir servie.

ÉMILIE.

Oui, va, n’écoute plus ma voix qui te retient :
Mon trouble se dissipe, et ma raison revient.

Pardonne à mon amour cette indigne foiblesse. 325
Tu voudrais fuir en vain, Cinna, je le confesse,
Si tout est découvert, Auguste a su pourvoir
À ne te laisser pas ta fuite en ton pouvoir.
Porte, porte chez lui cette mâle assurance,
Digne de notre amour, digne de ta naissance ; 330
Meurs, s’il y faut mourir, en citoyen romain,
Et par un beau trépas couronne un beau dessein.
Ne crains pas qu’après toi rien ici me retienne :
Ta mort emportera mon âme vers la tienne ;
Et mon cœur aussitôt, percé des mêmes coups… 335

CINNA.

Ah ! souffrez que tout mort je vive encore en vous ;
Et du moins en mourant permettez que j’espère
Que vous saurez venger l’amant avec le père.
Rien n’est pour vous à craindre : aucun de nos amis[41]
Ne sait ni vos desseins, ni ce qui m’est promis ;340
Et, leur parlant tantôt des misères romaines,
Je leur ai tu la mort qui fait naître nos haines[42],
De peur que mon ardeur, touchant vos intérêts[43],
D’un si parfait amour ne trahît les secrets :
Il n’est su que d’Évandre et de votre Fulvie. 345

ÉMILIE.

Avec moins de frayeur, je vais donc chez Livie,
Puisque dans ton péril il me reste un moyen
De faire agir pour toi son crédit et le mien ;
Mais si mon amitié par là ne te délivre,
N’espère pas qu’enfin je veuille te survivre. 350

Je fais de ton destin des règles à mon sort,
Et j’obtiendrai ta vie, ou je suivrai ta mort.

CINNA.

Soyez en ma faveur moins cruelle à vous-même.

ÉMILIE.

Va-t’en, et souviens-toi seulement que je t’aime.

FIN DU PREMIER ACTE.


ACTE II.


Scène première.

AUGUSTE, CINNA, MAXIME, troupe de Courtisans.
AUGUSTE.

Que chacun se retire, et qu’aucun n’entre ici.355
Vous, Cinna, demeurez, et vous, Maxime, aussi.

(Tous se retirent, à la réserve de Cinna et de Maxime[44].)

Cet empire absolu sur la terre et sur l’onde,
Ce pouvoir souverain que j’ai sur tout le monde[45],

Cette grandeur sans borne et cet illustre rang[46],
Qui m’a jadis coûté tant de peine et de sang, 360
Enfin tout ce qu’adore en ma haute fortune
D’un courtisan flatteur la présence importune,
N’est que de ces beautés dont l’éclat éblouit,
Et qu’on cesse d’aimer sitôt qu’on en jouit.
L’ambition déplaît quand elle est assouvie, 365
D’une contraire ardeur son ardeur est suivie ;
Et comme notre esprit, jusqu’au dernier soupir,
Toujours vers quelque objet pousse quelque désir,
Il se ramène en soi, n’ayant plus où se prendre,
Et, monté sur le faîte, il aspire à descendre[47].370
J’ai souhaité l’empire, et j’y suis parvenu ;
Mais, en le souhaitant, je ne l’ai pas connu :
Dans sa possession, j’ai trouvé pour tous charmes
D’effroyables soucis, d’éternelles alarmes,
Mille ennemis secrets, la mort à tous propos, 375
Point de plaisir sans trouble, et jamais de repos.
Sylla m’a précédé dans ce pouvoir suprême ;
Le grand César mon père en a joui de même :
D’un œil si différent tous deux l’ont regardé[48],

Que l’un s’en est démis, et l’autre l’a gardé ; 380
Mais l’un, cruel, barbare, est mort aimé, tranquille,
Comme un bon citoyen dans le sein de sa ville ;
L’autre, tout débonnaire, au milieu du sénat,
A vu trancher ses jours par un assassinat.
Ces exemples récents suffiraient pour m’instruire, 385
Si par l’exemple seul on se devait conduire :
L’un m’invite à le suivre, et l’autre me fait peur ;
Mais l’exemple souvent n’est qu’un miroir trompeur,
Et l’ordre du destin qui gêne nos pensées
N’est pas toujours écrit dans les choses passées : 390
Quelquefois l’un se brise où l’autre s’est sauvé,
Et par où l’un périt, un autre est conservé.
Voilà, mes chers amis, ce qui me met en peine.
Vous, qui me tenez lieu d’Agrippe et de Mécène[49],
Pour résoudre ce point avec eux débattu, 395
Prenez sur mon esprit le pouvoir qu’ils ont eu.
Ne considérez point cette grandeur suprême,
Odieuse aux Romains, et pesante à moi-même ;
Traitez-moi comme ami, non comme souverain ;
Rome, Auguste, l’État, tout est en votre main : 400
Vous mettrez et l’Europe, et l’Asie, et l’Afrique,
Sous les lois d’un monarque, ou d’une république ;
Votre avis est ma règle, et par ce seul moyen
Je veux être empereur, ou simple citoyen.

CINNA.

Malgré notre surprise, et mon insuffisance,405
Je vous obéirai, seigneur, sans complaisance,
Et mets bas le respect qui pourroit m’empêcher

De combattre un avis où vous semblez pencher ;
Souffrez-le d’un esprit jaloux de votre gloire,
Que vous allez souiller d’une tache trop noire,410
Si vous ouvrez votre âme à ces impressions[50]
Jusques à condamner toutes vos actions.
On ne renonce point aux grandeurs légitimes ;
On garde sans remords ce qu’on acquiert sans crimes ;
Et plus le bien qu’on quitte est noble, grand, exquis,415
Plus qui l’ose quitter le juge mal acquis.
N’imprimez pas, seigneur, cette honteuse marque
À ces rares vertus qui vous ont fait monarque ;
Vous l’êtes justement, et c’est sans attentat
Que vous avez changé la forme de l’État. 420
Rome est dessous vos lois par le droit de la guerre,
Qui sous les lois de Rome a mis toute la terre ;
Vos armes l’ont conquise, et tous les conquérants
Pour être usurpateurs ne sont pas des tyrans ;
Quand ils ont sous leurs lois asservi des provinces[51],425
Gouvernant justement, ils s’en font justes princes :
C’est ce que fit César ; il vous faut aujourd’hui
Condamner sa mémoire, ou faire comme lui.
Si le pouvoir suprême est blâmé par Auguste,
César fut un tyran, et son trépas fut juste,430
Et vous devez aux Dieux compte de tout le sang
Dont vous l’avez vengé pour monter à son rang.
N’en craignez point, seigneur, les tristes destinées[52] ;
Un plus puissant démon veille sur vos années :
On a dix fois sur vous attenté sans effet,435
Et qui l’a voulu perdre au même instant l’a fait.

On entreprend assez, mais aucun n’exécute ;
Il est des assassins, mais il n’est plus de Brute :
Enfin, s’il faut attendre un semblable revers,
Il est beau de mourir maître de l’univers. 440
C’est ce qu’en peu de mots j’ose dire, et j’estime
Que ce peu que j’ai dit est l’avis de Maxime.

MAXIME.

Oui, j’accorde qu’Auguste a droit de conserver
L’empire où sa vertu l’a fait seule arriver[53],
Et qu’au prix de son sang, au péril de sa tête, 445
Il a fait de l’État une juste conquête ;
Mais que, sans se noircir, il ne puisse quitter
Le fardeau que sa main est lasse de porter,
Qu’il accuse par là César de tyrannie,
Qu’il approuve sa mort, c’est ce que je dénie.450
Rome est à vous, seigneur, l’empire est votre bien.
Chacun en liberté peut disposer du sien :
Il le peut à son choix garder, ou s’en défaire ;
Vous seul ne pourriez pas ce que peut le vulgaire,
Et seriez devenu, pour avoir tout dompté, 455
Esclave des grandeurs où vous êtes monté !
Possédez-les, seigneur, sans qu’elles vous possèdent.
Loin de vous captiver, souffrez qu’elles vous cèdent ;
Et faites hautement connaître enfin à tous
Que tout ce qu’elles ont est au-dessous de vous. 460
Votre Rome autrefois vous donna la naissance ;
Vous lui voulez donner votre toute-puissance ;
Et Cinna vous impute à crime capital
La libéralité vers le pays natal !
Il appelle remords l’amour de la patrie ! 465
Par la haute vertu la gloire est donc flétrie[54],

Et ce n’est qu’un objet digne de nos mépris,
Si de ses pleins effets l’infamie est le prix[55] !
Je veux bien avouer qu’une action si belle
Donne à Rome bien plus que vous ne tenez d’elle ; 470
Mais commet-on un crime indigne de pardon[56],
Quand la reconnaissance est au-dessus du don ?
Suivez, suivez, seigneur, le ciel qui vous inspire :
Votre gloire redouble à mépriser l’empire ;
Et vous serez fameux chez la postérité, 475
Moins pour l’avoir conquis que pour l’avoir quitté.
Le bonheur peut conduire à la grandeur suprême ;
Mais pour y renoncer il faut la vertu même ;
Et peu de généreux vont jusqu’à dédaigner,
Après un sceptre acquis, la douceur de régner. 480
Considérez d’ailleurs que vous régnez dans Rome,
Où, de quelque façon que votre cour vous nomme,
On hait la monarchie ; et le nom d’empereur,
Cachant celui de roi, ne fait pas moins d’horreur.
Ils passent[57] pour tyran quiconque s’y fait maître, 485
Qui le sert, pour esclave, et qui l’aime, pour traître ;
Qui le souffre a le cœur lâche, mol, abattu,
Et pour s’en affranchir tout s’appelle vertu.
Vous en avez, seigneur, des preuves trop certaines :
On a fait contre vous dix entreprises vaines ;490
Peut-être que l’onzième est prête d’éclater,
Et que ce mouvement qui vous vient agiter
N’est qu’un avis secret que le ciel vous envoie,
Qui pour vous conserver n’a plus que cette voie.
Ne vous exposez plus à ces fameux revers : 495
Il est beau de mourir maître de l’univers ;
Mais la plus belle mort souille notre mémoire,

Quand nous avons pu vivre et croître notre gloire[58].

CINNA.

Si l’amour du pays doit ici prévaloir,
C’est son bien seulement que vous devez vouloir ;500
Et cette liberté, qui lui semble si chère,
N’est pour Rome, Seigneur, qu’un bien imaginaire,
Plus nuisible qu’utile, et qui n’approche pas
De celui qu’un bon prince apporte à ses États.
Avec ordre et raison les honneurs il dispense, 505
Avec discernement punit et récompense[59],
Et dispose de tout en juste possesseur,
Sans rien précipiter, de peur d’un successeur.
Mais quand le peuple est maître, on n’agit qu’en tumulte :
La voix de la raison jamais ne se consulte ;510
Les honneurs sont vendus aux plus ambitieux,
L’autorité livrée aux plus séditieux[60].
Ces petits souverains qu’il fait pour une année,
Voyant d’un temps si court leur puissance bornée,
Des plus heureux desseins font avorter le fruit,515
De peur de le laisser à celui qui les suit.
Comme ils ont peu de part au bien dont ils ordonnent,
Dans le champ du public largement ils moissonnent[61],
Assurés que chacun leur pardonne aisément,
Espérant à son tour un pareil traitement :520
Le pire des États, c’est l’État populaire[62].

AUGUSTE.

Et toutefois le seul qui dans Rome peut plaire.
Cette haine des rois, que depuis cinq cents ans
Avec le premier lait sucent tous ses enfants,
Pour l’arracher des cœurs, est trop enracinée.525

MAXIME.

Oui, Seigneur, dans son mal Rome est trop obstinée ;
Son peuple, qui s’y plaît, en fuit la guérison :
Sa coutume l’emporte, et non pas la raison ;
Et cette vieille erreur, que Cinna veut abattre,
Est une heureuse erreur dont il est idolâtre[63],530
Par qui le monde entier, asservi sous ses lois,
L’a vu cent fois marcher sur la tête des rois,
Son épargne s’enfler du sac de leurs provinces.
Que lui pouvaient de plus donner les meilleurs princes ?
J’ose dire, seigneur, que par tous les climats 535
Ne sont pas bien reçus toutes sortes d’États ;
Chaque peuple a le sien conforme à sa nature,
Qu’on ne sauroit changer sans lui faire une injure :
Telle est la loi du ciel, dont la sage équité
Sème dans l’univers cette diversité. 540
Les Macédoniens aiment le monarchique[64],
Et le reste des Grecs la liberté publique ;
Les Parthes, les Persans veulent des souverains ;
Et le seul consulat est bon pour les Romains.

CINNA.

Il est vrai que du ciel la prudence infinie[65]545

Départ à chaque peuple un différent génie ;
Mais il n’est pas moins vrai que cet ordre des cieux[66]
Change selon les temps comme selon les lieux.
Rome a reçu des rois ses murs et sa naissance ;
Elle tient des consuls sa gloire et sa puissance, 550
Et reçoit maintenant de vos rares bontés
Le comble souverain de ses prospérités.
Sous vous, l’État n’est plus en pillage aux armées ;
Les portes de Janus par vos mains sont fermées,
Ce que sous ses consuls on n’a vu qu’une fois[67],555
Et qu’a fait voir comme eux le second de ses rois.

MAXIME.

Les changements d’État que fait l’ordre céleste
Ne coûtent point de sang, n’ont rien qui soit funeste.

CINNA.

C’est un ordre des Dieux qui jamais ne se rompt,
De nous vendre un peu cher les grands biens qu’ils nous font[68].560
L’exil des Tarquins même ensanglanta nos terres,
Et nos premiers consuls nous ont coûté des guerres.

maxime

Donc votre aïeul Pompée au ciel a résisté
Quand il a combattu pour notre liberté ?

CINNA.

Si le ciel n’eût voulu que Rome l’eût perdue,565
Par les mains de Pompée il l’auroit défendue[69] :
Il a choisi sa mort pour servir dignement

D’une marque éternelle à ce grand changement,
Et devoit cette gloire aux mânes d’un tel homme[70],
D’emporter avec eux la liberté de Rome. 570
Ce nom depuis longtemps ne sert qu’à l’éblouir,
Et sa propre grandeur l’empêche d’en jouir.
Depuis qu’elle se voit la maîtresse du monde,
Depuis que la richesse entre ses murs abonde,
Et que son sein, fécond en glorieux exploits, 575
Produit des citoyens plus puissants que des rois,
Les grands, pour s’affermir achetant les suffrages,
Tiennent pompeusement leurs maîtres à leurs gages,
Qui, par des fers dorés se laissant enchaîner,
Reçoivent d’eux les lois qu’ils pensent leur donner. 580
Envieux l’un de l’autre, ils mènent tout par brigues,
Que leur ambition tourne en sanglantes ligues.
Ainsi de Marius Sylla devint jaloux ;
César, de mon aïeul ; Marc-Antoine, de vous ;
Ainsi la liberté ne peut plus être utile585
Qu’à former les fureurs d’une guerre civile,
Lorsque, par un désordre à l’univers fatal,
L’un ne veut point de maître, et l’autre point d’égal[71].
Seigneur, pour sauver Rome, il faut qu’elle s’unisse
En la main d’un bon chef à qui tout obéisse[72]. 590
Si vous aimez encore à la favoriser[73],

Ôtez-lui les moyens de se plus diviser.
Sylla, quittant la place enfin bien usurpée,
N’a fait qu’ouvrir le champ à César et Pompée,
Que le malheur des temps ne nous eût pas fait voir[74],595
S’il eût dans sa famille assuré son pouvoir.
Qu’a fait du grand César le cruel parricide,
Qu’élever contre vous Antoine avec Lépide,
Qui n’eussent pas détruit Rome par les Romains,
Si César eût laissé l’empire entre vos mains ?600
Vous la replongerez, en quittant cet empire,
Dans les maux dont à peine encore elle respire,
Et de ce peu, Seigneur, qui lui reste de sang,
Une guerre nouvelle épuisera son flanc.
Que l’amour du pays, que la pitié vous touche ;605
Votre Rome à genoux vous parle par ma bouche.
Considérez le prix que vous avez coûté :
Non pas qu’elle vous croie avoir trop acheté ;
Des maux qu’elle a soufferts elle est trop bien payée[75] ;
Mais une juste peur tient son âme effrayée : 610
Si, jaloux de son heur, et las de commander,
Vous lui rendez un bien qu’elle ne peut garder,
S’il lui faut à ce prix en acheter un autre,
Si vous ne préférez son intérêt au vôtre,
Si ce funeste don la met au désespoir,615
Je n’ose dire ici ce que j’ose prévoir.
Conservez-vous, seigneur, en lui laissant un maître[76]

Sous qui son vrai bonheur commence de renaître ;
Et pour mieux assurer le bien commun de tous[77],
Donnez un successeur qui soit digne de vous. 620

AUGUSTE.

N’en délibérons plus, cette pitié l’emporte.
Mon repos m’est bien cher, mais Rome est la plus forte ;
Et, quelque grand malheur qui m’en puisse arriver,
Je consens à me perdre afin de la sauver.
Pour ma tranquillité mon cœur en vain soupire : 625
Cinna, par vos conseils je retiendrai l’empire ;
Mais je le retiendrai pour vous en faire part.
Je vois trop que vos cœurs n’ont point pour moi de fard[78],
Et que chacun de vous, dans l’avis qu’il me donne,
Regarde seulement l’État et ma personne.630
Votre amour en tous deux fait ce combat d’esprits[79],
Et vous allez tous deux en recevoir le prix[80].
Maxime, je vous fais gouverneur de Sicile :
Allez donner mes lois à ce terroir fertile ;
Songez que c’est pour moi que vous gouvernerez, 632
Et que je répondrai de ce que vous ferez.
Pour épouse, Cinna, je vous donne Émilie :
Vous savez qu’elle tient la place de Julie,
Et que si nos malheurs et la nécessité
M’ont fait traiter son père avec sévérité, 640
Mon épargne depuis en sa faveur ouverte
Doit avoir adouci l’aigreur de cette perte.
Voyez-la de ma part, tâchez de la gagner :
Vous n’êtes point pour elle un homme à dédaigner[81] ;

De l’offre de vos vœux elle sera ravie[82]. 645
Adieu : j’en veux porter la nouvelle à Livie[83].


Scène II.

CINNA, MAXIME.
MAXIME.

Quel est votre dessein après ces beaux discours ?

cinna

Le même que j’avois, et que j’aurai toujours.

maxime

Un chef de conjurés flatte la tyrannie !

cinna

Un chef de conjurés la veut voir impunie !650

maxime

Je veux voir Rome libre.

cinna

Je veux voir Rome libre.Et vous pouvez juger
Que je veux l’affranchir ensemble et la venger.
Octave aura donc vu ses fureurs assouvies[84],
Pillé jusqu’aux autels, sacrifié nos vies,
Rempli les champs d’horreur, comblé Rome de morts,
Et sera quitte après pour l’effet d’un remords !
Quand le ciel par nos mains à le punir s’apprête,
Un lâche repentir garantira sa tête !
C’est trop semer d’appas[85], et c’est trop inviter
Par son impunité quelque autre à l’imiter.660
Vengeons nos citoyens, et que sa peine étonne
Quiconque après sa mort aspire à la couronne.

Que le peuple aux tyrans ne soit plus exposé :
S’il eût puni Sylla, César eût moins osé.

MAXIME.

Mais la mort de César, que vous trouvez si juste,665
A servi de prétexte aux cruautés d’Auguste.
Voulant nous affranchir, Brute s’est abusé :
S’il n’eût puni César, Auguste eût moins osé.

CINNA.

La faute de Cassie, et ses terreurs paniques,
Ont fait rentrer l’État sous des lois tyranniques[86] ;670
Mais nous ne verrons point de pareils accidents,
Lorsque Rome suivra des chefs moins imprudents.

MAXIME.

Nous sommes encor loin de mettre en évidence
Si nous nous conduisons avec plus de prudence ;
Cependant c’en est peu que de n’accepter pas675
Le bonheur qu’on recherche au péril du trépas.

CINNA.

C’en est encor bien moins, alors qu’on s’imagine
Guérir un mal si grand sans couper la racine ;
Employer la douceur à cette guérison,
C’est, en fermant la plaie, y verser du poison. 680

MAXIME.

Vous la voulez sanglante, et la rendez douteuse.

CINNA.

Vous la voulez sans peine, et la rendez honteuse.

MAXIME.

Pour sortir de ses fers jamais on ne rougit.

CINNA.

On en sort lâchement si la vertu n’agit.

MAXIME.

Jamais la liberté ne cesse d’être aimable ;685
Et c’est toujours pour Rome un bien inestimable.

CINNA.

Ce ne peut être un bien qu’elle daigne estimer,
Quand il vient d’une main lasse de l’opprimer :
Elle a le cœur trop bon pour se voir avec joie
Le rebut du tyran dont elle fut la proie ; 690
Et tout ce que la gloire a de vrais partisans
Le hait trop puissamment pour aimer ses présents.

MAXIME.

Donc pour vous Émilie est un objet de haine[87] ?

CINNA.

La recevoir de lui me seroit une gêne.
Mais quand j’aurai vengé Rome des maux soufferts, 695
Je saurai le braver jusque dans les enfers.
Oui, quand par son trépas je l’aurai méritée,
Je veux joindre à sa main ma main ensanglantée,
L’épouser sur sa cendre, et qu’après notre effort
Les présents du tyran soient le prix de sa mort.700

MAXIME.

Mais l’apparence, ami, que vous puissiez lui plaire,
Teint du sang de celui qu’elle aime comme un père ?
Car vous n’êtes pas homme à la violenter.

CINNA.

Ami, dans ce palais on peut nous écouter,
Et nous parlons peut-être avec trop d’imprudence705
Dans un lieu si mal propre à notre confidence :
Sortons ; qu’en sûreté j’examine avec vous,
Pour en venir à bout, les moyens les plus doux.

FIN DU SECOND ACTE.


ACTE III.


Scène première.

MAXIME, EUPHORBE.
MAXIME.

Lui-même il m’a tout dit : leur flamme est mutuelle ;
Il adore Émilie, il est adoré d’elle ; 710
Mais sans venger son père il n’y peut aspirer ;
Et c’est pour l’acquérir qu’il nous fait conspirer.

EUPHORBE.

Je ne m’étonne plus de cette violence
Dont il contraint Auguste à garder sa puissance :
La ligue se romproit s’il s’en était démis[88], 715
Et tous vos conjurés deviendroient ses amis.

MAXIME.

Ils servent à l’envi la passion d’un homme[89]
Qui n’agit que pour soi, feignant d’agir pour Rome ;
Et moi, par un malheur qui n’eut jamais d’égal,
Je pense servir Rome, et je sers mon rival. 720

EUPHORBE.

Vous êtes son rival ?

MAXIME.

Vous êtes son rival ?Oui, j’aime sa maîtresse,
Et l’ai caché toujours avec assez d’adresse ;

Mon ardeur inconnue, avant que d’éclater[90],
Par quelque grand exploit la vouloit mériter :
Cependant par mes mains je vois qu’il me l’enlève ; 725
Son dessein fait ma perte, et c’est moi qui l’achève ;
J’avance des succès dont j’attends le trépas,
Et pour m’assassiner je lui prête mon bras.
Que l’amitié me plonge en un malheur extrême !

EUPHORBE.

L’issue en est aisée : agissez pour vous-même ; 730
D’un dessein qui vous perd rompez le coup fatal ;
Gagnez une maîtresse, accusant un rival.
Auguste, à qui par là vous sauverez la vie,
Ne vous pourra jamais refuser Émilie.

MAXIME.

Quoi ? trahir mon ami !

EUPHORBE.

Quoi ? trahir mon ami ! L’amour rend tout permis ; 735
Un véritable amant ne connoît point d’amis,
Et même avec justice on peut trahir un traître
Qui pour une maîtresse ose trahir son maître :
Oubliez l’amitié, comme lui les bienfaits.

MAXIME.

C’est un exemple à fuir que celui des forfaits[91].740

EUPHORBE.

Contre un si noir dessein tout devient légitime :
On n’est point criminel quand on punit un crime.

MAXIME.

Un crime par qui Rome obtient sa liberté !

EUPHORBE.

Craignez tout d’un esprit si plein de lâcheté.
L’intérêt du pays n’est point ce qui l’engage ; 745

Le sien, et non la gloire, anime son courage.
Il aimeroit César, s’il n’étoit amoureux,
Et n’est enfin qu’ingrat, et non pas généreux.
Pensez-vous avoir lu jusqu’au fond de son âme ?
Sous la cause publique il vous cachoit sa flamme,750
Et peut cacher encor sous cette passion
Les détestables feux de son ambition.
Peut-être qu’il prétend, après la mort d’Octave,
Au lieu d’affranchir Rome, en faire son esclave,
Qu’il vous compte déjà pour un de ses sujets,755
Ou que sur votre perte il fonde ses projets.

MAXIME.

Mais comment l’accuser sans nommer tout le reste ?
À tous nos conjurés l’avis seroit funeste,
Et par là nous verrions indignement trahis
Ceux qu’engage avec nous le seul bien du pays.760
D’un si lâche dessein mon âme est incapable :
Il perd trop d’innocents pour punir un coupable.
J’ose tout contre lui, mais je crains tout pour eux.

euphorbe

Auguste s’est lassé d’être si rigoureux ;
En ces occasions, ennuyé de supplices,765
Ayant puni les chefs, il pardonne aux complices.
Si toutefois pour eux vous craignez son courroux,
Quand vous lui parlerez, parlez au nom de tous.

MAXIME.

Nous disputons en vain, et ce n’est que folie
De vouloir par sa perte acquérir Émilie :770
Ce n’est pas le moyen de plaire à ses beaux yeux
Que de priver du jour ce qu’elle aime le mieux.
Pour moi j’estime peu qu’Auguste me la donne :
Je veux gagner son cœur plutôt que sa personne,
Et ne fais point d’état de sa possession,775
Si je n’ai point de part à son affection.

Puis-je la mériter par une triple offense ?
Je trahis son amant, je détruis sa vengeance,
Je conserve le sang qu’elle veut voir périr ;
Et j’aurois quelque espoir qu’elle me pût chérir ? 780

EUPHORBE.

C’est ce qu’à dire vrai je vois fort difficile.
L’artifice pourtant vous y peut être utile ;
Il en faut trouver un qui la puisse abuser,
Et du reste le temps en pourra disposer.

MAXIME.

Mais si pour s’excuser il nomme sa complice, 785
S’il arrive qu’Auguste avec lui la punisse,
Puis-je lui demander, pour prix de mon rapport,
Celle qui nous oblige à conspirer sa mort ?

euphorbe

Vous pourriez m’opposer tant et de tels obstacles
Que pour les surmonter il faudroit des miracles ; 790
J’espère, toutefois, qu’à force d’y rêver…

maxime

Éloigne-toi ; dans peu j’irai te retrouver[92] :
Cinna vient, et je veux en tirer quelque chose,
Pour mieux résoudre après ce que je me propose[93].


Scène II.

CINNA, MAXIME.
MAXIME.

Vous me semblez pensif.

CINNA.

Vous me semblez pensif. Ce n’est pas sans sujet.795

MAXIME.

Puis-je d’un tel chagrin savoir quel est l’objet[94] ?

CINNA.

Émilie et César, l’un et l’autre me gêne :
L’un me semble trop bon, l’autre trop inhumaine.
Plût aux Dieux que César employât mieux ses soins[95],
Et s’en fît plus aimer, ou m’aimât un peu moins ; 800
Que sa bonté touchât la beauté qui me charme,
Et la pût adoucir comme elle me désarme !
Je sens au fond du cœur mille remords cuisants[96],
Qui rendent à mes yeux tous ses bienfaits présents ;
Cette faveur si pleine, et si mal reconnue, 805
Par un mortel reproche à tous moments me tue.
Il me semble surtout incessamment le voir
Déposer en nos mains son absolu pouvoir,
Écouter nos avis, m’applaudir et me dire :
« Cinna, par vos conseils, je retiendrai l’empire, 810
Mais je le retiendrai pour vous en faire part. »
Et je puis dans son sein enfoncer un poignard !
Ah ! plutôt… Mais, hélas ! j’idolâtre Émilie ;
Un serment exécrable à sa haine me lie ;
L’horreur qu’elle a de lui me le rend odieux : 815
Des deux côtés j’offense et ma gloire et les Dieux ;
Je deviens sacrilège, ou je suis parricide,
Et vers l’un ou vers l’autre il faut être perfide.

MAXIME.

Vous n’aviez point tantôt ces agitations ;
Vous paroissiez plus ferme en vos intentions ; 820
Vous ne sentiez au cœur ni remords ni reproche.

CINNA.

On ne les sent aussi que quand le coup approche,
Et l’on ne reconnoît de semblables forfaits
Que quand la main s’apprête à venir aux effets.
L’âme, de son dessein jusque-là possédée, 825
S’attache aveuglément à sa première idée ;
Mais alors quel esprit n’en devient point troublé ?
Ou plutôt quel esprit n’en est point accablé ?
Je crois que Brute même, à tel point qu’on le prise[97],
Voulut plus d’une fois rompre son entreprise, 830
Qu’avant que de frapper elle lui fit sentir[98]
Plus d’un remords en l’âme, et plus d’un repentir.

MAXIME.

Il eut trop de vertu pour tant d’inquiétude ;
Il ne soupçonna point sa main d’ingratitude,
Et fut contre un tyran d’autant plus animé835
Qu’il en reçut de biens et qu’il s’en vit aimé.
Comme vous l’imitez, faites la même chose,
Et formez vos remords d’une plus juste cause,
De vos lâches conseils, qui seuls ont arrêté
Le bonheur renaissant de notre liberté.840
C’est vous seul aujourd’hui qui nous l’avez ôtée ;
De la main de César Brute l’eût acceptée,
Et n’eût jamais souffert qu’un intérêt léger
De vengeance ou d’amour l’eût remise en danger.
N’écoutez plus la voix d’un tyran qui vous aime, 845
Et vous veut faire part de son pouvoir suprême ;
Mais entendez crier Rome à votre côté :
« Rends-moi, rends-moi, Cinna, ce que tu m’as ôté ;
Et, si tu m’as tantôt préféré ta maîtresse,
Ne me préfère pas le tyran qui m’oppresse. » 850

CINNA.

Ami, n’accable plus un esprit malheureux
Qui ne forme qu’en lâche un dessein généreux[99].
Envers nos citoyens je sais quelle est ma faute,
Et leur rendrai bientôt tout ce que je leur ôte ;
Mais pardonne aux abois d’une vieille amitié, 855
Qui ne peut expirer sans me faire pitié,
Et laisse-moi, de grâce, attendant Émilie,
Donner un libre cours à ma mélancolie.
Mon chagrin t’importune, et le trouble où je suis
Veut de la solitude à calmer tant d’ennuis.860

MAXIME.

Vous voulez rendre compte à l’objet qui vous blesse
De la bonté d’Octave et de votre foiblesse ;
L’entretien des amants veut un entier secret.
Adieu : je me retire en confident discret.


Scène III.

CINNA.

Donne un plus digne nom au glorieux empire[100]865
Du noble sentiment que la vertu m’inspire,
Et que l’honneur oppose au coup précipité
De mon ingratitude et de ma lâcheté ;
Mais plutôt continue à le nommer foiblesse[101],
Puisqu’il devient si foible auprès d’une maîtresse, 870
Qu’il respecte un amour qu’il devroit étouffer,
Ou que, s’il le combat, il n’ose en triompher[102].
En ces extrémités quel conseil dois-je prendre ?

De quel côté pencher ? à quel parti me rendre ?
Qu’une âme généreuse a de peine à faillir !875
Quelque fruit que par là j’espère de cueillir,
Les douceurs de l’amour, celles de la vengeance,
La gloire d’affranchir le lieu de ma naissance,
N’ont point assez d’appas pour flatter ma raison,
S’il les faut acquérir par une trahison,880
S’il faut percer le flanc d’un prince magnanime
Qui du peu que je suis fait une telle estime,
Qui me comble d’honneurs, qui m’accable de biens,
Qui ne prend pour régner de conseils que les miens.
Ô coup ! ô trahison trop indigne d’un homme !885
Dure, dure à jamais l’esclavage de Rome !
Périsse mon amour, périsse mon espoir,
Plutôt que de ma main parte un crime si noir !
Quoi ? ne m’offre-t-il pas tout ce que je souhaite,
Et qu’au prix de son sang ma passion achète ?890
Pour jouir de ses dons faut-il l’assassiner ?
Et faut-il lui ravir ce qu’il me veut donner ?
Mais je dépends de vous, ô serment téméraire,
Ô haine d’Émilie ! ô souvenir d’un père !
Ma foi, mon cœur, mon bras, tout vous est engagé,895
Et je ne puis plus rien que par votre congé :
C’est à vous à régler ce qu’il faut que je fasse ;
C’est à vous, Émilie, à lui donner sa grâce ;
Vos seules volontés président à son sort,
Et tiennent en mes mains et sa vie et sa mort. 900
Ô Dieux, qui comme vous la rendez adorable,
Rendez-la, comme vous, à mes vœux exorable ;
Et puisque de ses lois je ne puis m’affranchir,
Faites qu’à mes désirs je la puisse fléchir.
Mais voici de retour cette aimable inhumaine[103].905


Scène IV.

ÉMILIE, CINNA, FULVIE.
ÉMILIE.

Grâces aux Dieux, Cinna, ma frayeur étoit vaine :
Aucun de tes amis ne t’a manqué de foi[104],
Et je n’ai point eu lieu de m’employer pour toi.
Octave en ma présence a tout dit à Livie,
Et par cette nouvelle il m’a rendu la vie.910

CINNA.

Le désavouerez-vous ? et du don qu’il me fait
Voudrez-vous retarder le bienheureux effet ?

ÉMILIE.

L’effet est en ta main.

CINNA.

L’effet est en ta main. Mais plutôt en la vôtre.

ÉMILIE.

Je suis toujours moi-même, et mon cœur n’est point autre :
Me donner à Cinna, c’est ne lui donner rien, 915
C’est seulement lui faire un présent de son bien.

CINNA.

Vous pouvez toutefois… ô ciel ! l’osé-je dire ?

ÉMILIE.

Que puis-je ? et que crains-tu ?

cinna

Que puis-je ? et que crains-tu ? Je tremble, je soupire,
Et vois que si nos cœurs avoient mêmes desirs[105],
Je n’aurois pas besoin d’expliquer mes soupirs. 920
Ainsi je suis trop sûr que je vais vous déplaire ;

Mais je n’ose parler, et je ne puis me taire[106].

ÉMILIE.

C’est trop me gêner, parle.

CINNA.

C’est trop me gêner, parle. Il faut vous obéir.
Je vais donc vous déplaire, et vous m’allez haïr.
Je vous aime, Émilie, et le ciel me foudroie925
Si cette passion ne fait toute ma joie,
Et si je ne vous aime avec toute l’ardeur
Que peut un digne objet attendre d’un grand cœur[107] !
Mais voyez à quel prix vous me donnez votre âme :
En me rendant heureux vous me rendez infâme ; 930
Cette bonté d’Auguste…

ÉMILIE.

Cette bonté d’Auguste… Il suffit, je t’entends,
Je vois ton repentir et tes vœux inconstants :
Les faveurs du tyran emportent tes promesses ;
Tes feux et tes serments cèdent à ses caresses ;
Et ton esprit crédule ose s’imaginer935
Qu’Auguste, pouvant tout, peut aussi me donner.
Tu me veux de sa main plutôt que de la mienne ;
Mais ne crois pas qu’ainsi jamais je t’appartienne :
Il peut faire trembler la terre sous ses pas,
Mettre un roi hors du trône, et donner ses États[108]940,
De ses proscriptions rougir la terre et l’onde,
Et changer à son gré l’ordre de tout le monde ;
Mais le cœur d’Émilie est hors de son pouvoir[109].

CINNA.

Aussi n’est-ce qu’à vous que je veux le devoir[110].
Je suis toujours moi-même, et ma foi toujours pure : 945
La pitié que je sens ne me rend point parjure ;
J’obéis sans réserve à tous vos sentiments[111],
Et prends vos intérêts par delà mes serments.
J’ai pu, vous le savez, sans parjure et sans crime,
Vous laisser échapper cette illustre victime. 950
César se dépouillant du pouvoir souverain
Nous ôtoit tout prétexte à lui percer le sein ;
La conjuration s’en alloit dissipée,
Vos desseins avortés, votre haine trompée :
Moi seul j’ai raffermi son esprit étonné, 955
Et pour vous l’immoler ma main l’a couronné.

ÉMILIE.

Pour me l’immoler, traître ! et tu veux que moi-même
Je retienne ta main ! qu’il vive, et que je l’aime !
Que je sois le butin de qui l’ose épargner,
Et le prix du conseil qui le force à régner ! 960

CINNA.

Ne me condamnez point quand je vous ai servie :
Sans moi, vous n’auriez plus de pouvoir sur sa vie ;
Et malgré ses bienfaits, je rends tout à l’amour,
Quand je veux qu’il périsse, ou vous doive le jour.
Avec les premiers vœux de mon obéissance965
Souffrez ce foible effort de ma reconnoissance,
Que je tâche de vaincre un indigne courroux,
Et vous donner pour lui l’amour qu’il a pour vous.
Une âme généreuse, et que la vertu guide,
Fuit la honte des noms d’ingrate et de perfide ; 970
Elle en hait l’infamie attachée au bonheur,
Et n’accepte aucun bien aux dépens de l’honneur.

ÉMILIE.

Je fais gloire, pour moi, de cette ignominie :
La perfidie est noble envers la tyrannie ;
Et quand on rompt le cours d’un sort si malheureux975[112],
Les cœurs les plus ingrats sont les plus généreux.

CINNA.

Vous faites des vertus au gré de votre haine.

ÉMILIE.

Je me fais des vertus dignes d’une Romaine.

cinna

Un cœur vraiment romain…

ÉMILIE.

Un cœur vraiment romain… Ose tout pour ravir
Une odieuse vie à qui le fait servir[113] : 980
Il fuit plus que la mort la honte d’être esclave.

CINNA.

C’est l’être avec honneur que de l’être d’Octave ;
Et nous voyons souvent des rois à nos genoux
Demander pour appui tels esclaves que nous[114].
Il abaisse à nos pieds l’orgueil des diadèmes, 985
Il nous fait souverains sur leurs grandeurs suprêmes ;
Il prend d’eux les tributs dont il nous enrichit,
Et leur impose un joug dont il nous affranchit.

ÉMILIE.

L’indigne ambition que ton cœur se propose !
Pour être plus qu’un roi, tu te crois quelque chose ! 990
Aux deux bouts de la terre en est-il un si vain[115]
Qu’il prétende égaler un citoyen romain ?
Antoine sur sa tête attira notre haine

En se déshonorant par l’amour d’une reine ;
Attale, ce grand roi, dans la pourpre blanchi,995
Qui du peuple romain se nommoit l’affranchi,
Quand de toute l’Asie il se fût vu l’arbitre,
Eût encor moins prisé son trône que ce titre.
Souviens-toi de ton nom, soutiens sa dignité ;
Et prenant d’un Romain la générosité,1000
Sache qu’il n’en est point que le ciel n’ait fait naître
Pour commander aux rois, et pour vivre sans maître.

CINNA.

Le ciel a trop fait voir en de tels attentats
Qu’il hait les assassins et punit les ingrats ;
Et quoi qu’on entreprenne, et quoi qu’on exécute,1005
Quand il élève un trône, il en venge la chute ;
Il se met du parti de ceux qu’il fait régner ;
Le coup dont on les tue est longtemps à saigner ;
Et quand à les punir il a pu se résoudre,
De pareils châtiments n’appartiennent qu’au foudre. 1010

ÉMILIE.

Dis que de leur parti toi-même tu te rends,
De te remettre au foudre à punir les tyrans.
Je ne t’en parle plus, va, sers la tyrannie ;
Abandonne ton âme à son lâche génie ;
Et pour rendre le calme à ton esprit flottant,1015
Oublie et ta naissance et le prix qui t’attend.
Sans emprunter ta main pour servir ma colère[116],
Je saurai bien venger mon pays et mon père.
J’aurois déjà l’honneur d’un si fameux trépas,
Si l’amour jusqu’ici n’eût arrêté mon bras :1020
C’est lui qui sous tes lois me tenant asservie,
M’a fait en ta faveur prendre soin de ma vie.

Seule contre un tyran, en le faisant périr,
Par les mains de sa garde il me falloit mourir :
Je t’eusse par ma mort dérobé ta captive ; 1025
Et comme pour toi seul l’amour veut que je vive,
J’ai voulu, mais en vain, me conserver pour toi,
Et te donner moyen d’être digne de moi.
Pardonnez-moi, grands Dieux, si je me suis trompée
Quand j’ai pensé chérir un neveu de Pompée, 1030
Et si d’un faux-semblant mon esprit abusé
A fait choix d’un esclave en son lieu supposé.
Je t’aime toutefois, quel que tu puisses être[117] ;
Et si pour me gagner il faut trahir ton maître[118],
Mille autres à l’envi recevroient cette loi, 1035
S’ils pouvoient m’acquérir à même prix que toi.
Mais n’appréhende pas qu’un autre ainsi m’obtienne.
Vis pour ton cher tyran, tandis que je meurs tienne :
Mes jours avec les siens se vont précipiter,
Puisque ta lâcheté n’ose me mériter. 1040
Viens me voir, dans son sang et dans le mien baignée,
De ma seule vertu mourir accompagnée,
Et te dire en mourant d’un esprit satisfait :
« N’accuse point mon sort, c’est toi seul qui l’as fait ;
Je descends dans la tombe où tu m’as condamnée, 1045
Où la gloire me suit qui t’étoit destinée :
Je meurs en détruisant un pouvoir absolu ;
Mais je vivrois à toi si tu l’avois voulu. »

CINNA.

Eh bien ! vous le voulez, il faut vous satisfaire,
Il faut affranchir Rome, il faut venger un père, 1050
Il faut sur un tyran porter de justes coups ;

Mais apprenez qu’Auguste est moins tyran que vous :
S’il nous ôte à son gré nos biens, nos jours, nos femmes,
Il n’a point jusqu’ici tyrannisé nos âmes ;
Mais l’empire inhumain qu’exercent vos beautés1055
Force jusqu’aux esprits et jusqu’aux volontés.
Vous me faites priser ce qui me déshonore ;
Vous me faites haïr ce que mon âme adore ;
Vous me faites répandre un sang pour qui je dois
Exposer tout le mien et mille et mille fois : 1060
Vous le voulez, j’y cours, ma parole est donnée[119] ;
Mais ma main, aussitôt contre mon sein tournée,
Aux mânes d’un tel prince immolant votre amant,
À mon crime forcé joindra mon châtiment[120],
Et par cette action dans l’autre confondue, 1065
Recouvrera ma gloire aussitôt que perdue[121].
Adieu.


Scène V.

ÉMILIE, FULVIE.
FULVIE.

Adieu. Vous avez mis son âme au désespoir.

ÉMILIE.

Qu’il cesse de m’aimer, ou suive son devoir.

FULVIE.

Il va vous obéir aux dépens de sa vie :
Vous en pleurez !

ÉMILIE.

Vous en pleurez !Hélas ! cours après lui, Fulvie,1070
Et si ton amitié daigne me secourir,
Arrache-lui du cœur ce dessein de mourir :
Dis-lui…

FULVIE.

Dis-lui… Qu’en sa faveur vous laissez vivre Auguste ?

ÉMILIE.

Ah ! c’est faire à ma haine une loi trop injuste.

FULVIE.

Et quoi donc ?

ÉMILIE.

Et quoi donc ? Qu’il achève, et dégage sa foi,1075
Et qu’il choisisse après de la mort, ou de moi.

FIN DU TROISIÈME ACTE.


ACTE IV.


Scène première.

AUGUSTE, EUPHORBE, POLYCLÈTE, Gardes[122].
AUGUSTE.

Tout ce que tu me dis, Euphorbe, est incroyable.

EUPHORBE.

Seigneur, le récit même en paroît effroyable :
On ne conçoit qu’à peine une telle fureur[123],
Et la seule pensée en fait frémir d’horreur.1080

AUGUSTE.

Quoi ? mes plus chers amis ! quoi ? Cinna ! quoi ? Maxime !
Les deux que j’honorois d’une si haute estime,
À qui j’ouvrois mon cœur, et dont j’avois fait choix
Pour les plus importants et plus nobles emplois !
Après qu’entre leurs mains j’ai remis mon empire, 1085
Pour m’arracher le jour l’un et l’autre conspire !
Maxime a vu sa faute, il m’en fait avertir[124],
Et montre un cœur touché d’un juste repentir ;
Mais Cinna !

EUPHORBE.

Mais Cinna !Cinna seul dans sa rage s’obstine,
Et contre vos bontés d’autant plus se mutine ; 1090

Lui seul combat encor les vertueux efforts
Que sur les conjurés fait ce juste remords[125],
Et malgré les frayeurs à leurs regrets mêlées,
Il tâche à raffermir leurs âmes ébranlées.

AUGUSTE.

Lui seul les encourage, et lui seul les séduit ! 1095
Ô le plus déloyal que la terre ait produit[126] !
Ô trahison conçue au sein d’une furie !
Ô trop sensible coup d’une main si chérie !
Cinna, tu me trahis ! Polyclète, écoutez.

(Il lui parle à l’oreille[127].)
POLYCLÈTE.

Tous vos ordres, Seigneur, seront exécutés.1100

AUGUSTE.

Qu’Éraste en même temps aille dire à Maxime
Qu’il vienne recevoir le pardon de son crime.

(Polyclète rentre[128].)
EUPHORBE.

Il l’a trop jugé grand pour ne pas s’en punir[129] ;
À peine du palais il a pu revenir,
Que, les yeux égarés, et le regard farouche[130], 1105
Le cœur gros de soupirs, les sanglots à la bouche,
Il déteste sa vie et ce complot maudit,
M’en apprend l’ordre entier tel que je vous l’ai dit,
Et m’ayant commandé que je vous avertisse,
Il ajoute : « Dis-lui que je me fais justice, 1110
Que je n’ignore point ce que j’ai mérité[131]. »

Puis soudain dans le Tibre il s’est précipité ;
Et l’eau grosse et rapide, et la nuit assez noire[132],
M’ont dérobé la fin de sa tragique histoire.

AUGUSTE.

Sous ce pressant remords il a trop succombé[133], 1115
Et s’est à mes bontés lui-même dérobé ;
Il n’est crime envers moi qu’un repentir n’efface.
Mais puisqu’il a voulu renoncer à ma grâce,
Allez pourvoir au reste, et faites qu’on ait soin
De tenir en lieu sûr ce fidèle témoin.1120


Scène II.

AUGUSTE[134].

Ciel, à qui voulez-vous désormais que je fie
Les secrets de mon âme et le soin de ma vie ?
Reprenez le pouvoir que vous m’avez commis,
Si donnant des sujets il ôte les amis,
Si tel est le destin des grandeurs souveraines1125
Que leurs plus grands bienfaits n’attirent que des haines,
Et si votre rigueur les condamne à chérir
Ceux que vous animez à les faire périr.
Pour elles rien n’est sûr ; qui peut tout doit tout craindre.
Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre.1130
Quoi ! tu veux qu’on t’épargne, et n’as rien épargné !
Songe aux fleuves de sang où ton bras s’est baigné,
De combien ont rougi les champs de Macédoine,
Combien en a versé la défaite d’Antoine,

Combien celle de Sexte[135], et revois tout d’un temps1135
Pérouse au sien noyée, et tous ses habitants[136] ;
Remets dans ton esprit, après tant de carnages,
De tes proscriptions les sanglantes images,
Où toi-même, des tiens devenu le bourreau,
Au sein de ton tuteur enfonças le couteau[137] : 1140
Et puis ose accuser le destin d’injustice[138],
Quand tu vois que les tiens s’arment pour ton supplice,
Et que par ton exemple à ta perte guidés,
Ils violent des droits que tu n’as pas gardés[139] !
Leur trahison est juste, et le ciel l’autorise : 1145
Quitte ta dignité comme tu l’as acquise ;
Rends un sang infidèle à l’infidélité[140],
Et souffre des ingrats après l’avoir été.
Mais que mon jugement au besoin m’abandonne !
Quelle fureur, Cinna, m’accuse et te pardonne ? 1150
Toi, dont la trahison me force à retenir
Ce pouvoir souverain dont tu me veux punir,
Me traite en criminel, et fait seule mon crime,
Relève pour l’abattre un trône illégitime,
Et, d’un zèle effronté couvrant son attentat, 1155
S’oppose, pour me perdre, au bonheur de l’État !
Donc jusqu’à l’oublier je pourrois me contraindre !

Tu vivrois en repos après m’avoir fait craindre[141] !
Non, non, je me trahis moi-même d’y penser :
Qui pardonne aisément invite à l’offenser ; 1160
Punissons l’assassin, proscrivons les complices.
Mais quoi ! toujours du sang, et toujours des supplices[142] !
Ma cruauté se lasse et ne peut s’arrêter ;
Je veux me faire craindre et ne fais qu’irriter.
Rome a pour ma ruine une hydre trop fertile[143] : 1165
Une tête coupée en fait renaître mille,
Et le sang répandu de mille conjurés
Rend mes jours plus maudits, et non plus assurés.
Octave, n’attends plus le coup d’un nouveau Brute ;
Meurs, et dérobe-lui la gloire de ta chute ; 1170
Meurs : tu ferois pour vivre un lâche et vain effort,
Si tant de gens de cœur font des vœux pour ta mort,
Et si tout ce que Rome a d’illustre jeunesse
Pour te faire périr tour à tour s’intéresse[144]
Meurs, puisque c’est un mal que tu ne peux guérir ; 1175
Meurs enfin, puisqu’il faut ou tout perdre, ou mourir.
La vie est peu de chose, et le peu qui t’en reste
Ne vaut pas l’acheter par un prix si funeste[145].
Meurs, mais quitte du moins la vie avec éclat ;
Éteins-en le flambeau dans le sang de l’ingrat[146] ; 1180
À toi-même en mourant immole ce perfide ;
Contentant ses désirs, punis son parricide ;
Fais un tourment pour lui de ton propre trépas,

En faisant qu’il le voie et n’en jouisse pas :
Mais jouissons plutôt nous-mêmes[147] de sa peine, 1185
Et si Rome nous hait, triomphons de sa haine.
Ô Romains, ô vengeance, ô pouvoir absolu,
Ô rigoureux combat d’un cœur irrésolu
Qui fuit en même temps tout ce qu’il se propose !
D’un prince malheureux ordonnez quelque chose.1190
Qui des deux dois-je suivre, et duquel m’éloigner ?
Ou laissez-moi périr, ou laissez-moi régner.


Scène III.

AUGUSTE, LIVIE[148].
AUGUSTE.

Madame, on me trahit, et la main qui me tue
Rend sous mes déplaisirs ma constance abattue.
Cinna, Cinna, le traître…

LIVIE.

Cinna, Cinna, le traître… Euphorbe m’a tout dit, 1195
Seigneur, et j’ai pâli cent fois à ce récit.
Mais écouteriez-vous les conseils d’une femme[149] ?

AUGUSTE.

Hélas ! de quel conseil est capable mon âme ?

LIVIE.

Votre sévérité, sans produire aucun fruit[150],
Seigneur, jusqu’à présent a fait beaucoup de bruit.1200
Par les peines d’un autre aucun ne s’intimide :
Salvidien à bas a soulevé Lépide ;

Murène a succédé, Cépion l’a suivi ;
Le jour à tous les deux dans les tourments ravi
N’a point mêlé de crainte à la fureur d’Égnace[151], 1205
Dont Cinna maintenant ose prendre la place ;
Et dans les plus bas rangs les noms les plus abjets[152]
Ont voulu s’ennoblir par de si hauts projets.
Après avoir en vain puni leur insolence,
Essayez sur Cinna ce que peut la clémence[153] ; 1210
Faites son châtiment de sa confusion ;
Cherchez le plus utile en cette occasion :
Sa peine peut aigrir une ville animée,
Son pardon peut servir à votre renommée[154] ;
Et ceux que vos rigueurs ne font qu’effaroucher1215
Peut-être à vos bontés se laisseront toucher.

AUGUSTE.

Gagnons-les tout à fait en quittant cet empire
Qui nous rend odieux, contre qui l’on conspire.
J’ai trop par vos avis consulté là-dessus ;
Ne m’en parlez jamais, je ne consulte plus.1220
Cesse de soupirer, Rome, pour ta franchise :
Si je t’ai mise aux fers, moi-même je les brise,
Et te rends ton État, après l’avoir conquis,
Plus paisible et plus grand que je ne te l’ai pris ;
Si tu me veux haïr, hais-moi sans plus rien feindre ; 1225
Si tu me veux aimer, aime-moi sans me craindre :
De tout ce qu’eut Sylla de puissance et d’honneur,
Lassé comme il en fut, j’aspire à son bonheur.

LIVIE.

Assez et trop longtemps son exemple vous flatte ;

Mais gardez que sur vous le contraire n’éclate : 1230
Ce bonheur sans pareil qui conserva ses jours
Ne seroit pas bonheur, s’il arrivoit toujours.

AUGUSTE.

Eh bien ! s’il est trop grand, si j’ai tort d’y prétendre[155],
J’abandonne mon sang à qui voudra l’épandre.
Après un long orage il faut trouver un port ; 1235
Et je n’en vois que deux, le repos, ou la mort.

LIVIE.

Quoi ? vous voulez quitter le fruit de tant de peines ?

AUGUSTE.

Quoi ? vous voulez garder l’objet de tant de haines ?

LIVIE.

Seigneur, vous emporter à cette extrémité,
C’est plutôt désespoir que générosité. 1240

AUGUSTE.

Régner et caresser une main si traîtresse,
Au lieu de sa vertu, c’est montrer sa foiblesse.

LIVIE.

C’est régner sur vous-même, et, par un noble choix,
Pratiquer la vertu la plus digne des rois.

AUGUSTE.

Vous m’aviez bien promis des conseils d’une femme : 1245
Vous me tenez parole, et c’en sont là, Madame.
Après tant d’ennemis à mes pieds abattus,
Depuis vingt ans je règne, et j’en sais les vertus ;
Je sais leur divers ordre, et de quelle nature[156]
Sont les devoirs d’un prince en cette conjoncture[157] : 1250
Tout son peuple est blessé par un tel attentat,
Et la seule pensée est un crime d’État,

Une offense qu’on fait à toute sa province,
Dont il faut[158] qu’il la venge, ou cesse d’être prince.

LIVIE.

Donnez moins de croyance à votre passion. 1255

AUGUSTE.

Ayez moins de foiblesse, ou moins d’ambition.

LIVIE.

Ne traitez plus si mal un conseil salutaire.

AUGUSTE.

Le ciel m’inspirera ce qu’ici je dois faire.
Adieu : nous perdons temps.

LIVIE.

Adieu : nous perdons temps. Je ne vous quitte point,
Seigneur, que mon amour n’aye obtenu ce point. 1260

AUGUSTE.

C’est l’amour des grandeurs qui vous rend importune.

livie

J’aime votre personne, et non votre fortune.
(Elle est seule[159].)
Il m’échappe : suivons, et forçons-le de voir[160]
Qu’il peut, en faisant grâce, affermir son pouvoir,
Et qu’enfin la clémence est la plus belle marque 1265
Qui fasse à l’univers connoître un vrai monarque.


Scène IV.

ÉMILIE, FULVIE.
ÉMILIE.

D’où me vient cette joie ? et que mal à propos
Mon esprit malgré moi goûte un entier repos !
César mande Cinna sans me donner d’alarmes !
Mon cœur est sans soupirs, mes yeux n’ont point de larmes, 1270
Comme si j’apprenois d’un secret mouvement
Que tout doit succéder à mon contentement !
Ai-je bien entendu ? me l’as-tu dit, Fulvie ?

FULVIE.

J’avois gagné sur lui qu’il aimeroit la vie,
Et je vous l’amenois, plus traitable et plus doux, 1275
Faire un second effort contre votre courroux[161],
Je m’en applaudissois, quand soudain Polyclète,
Des volontés d’Auguste ordinaire interprète,
Est venu l’aborder et sans suite et sans bruit,
Et de sa part sur l’heure au palais l’a conduit.1280
Auguste est fort troublé, l’on ignore la cause ;
Chacun diversement soupçonne quelque chose :
Tous présument qu’il ait un grand sujet d’ennui,
Et qu’il mande Cinna pour prendre avis de lui.
Mais ce qui m’embarrasse, et que je viens d’apprendre[162], 1285
C’est que deux inconnus se sont saisis d’Évandre,
Qu’Euphorbe est arrêté sans qu’on sache pourquoi,
Que même de son maître on dit je ne sais quoi :
On lui veut imputer un désespoir funeste ;
On parle d’eaux, de Tibre, et l’on se tait du reste.1290

ÉMILIE.

Que de sujets de craindre et de désespérer,
Sans que mon triste cœur en daigne murmurer !
À chaque occasion le ciel y fait descendre
Un sentiment contraire à celui qu’il doit prendre :
Une vaine frayeur tantôt m’a pu troubler[163], 1295
Et je suis insensible alors qu’il faut trembler.
Je vous entends, grands Dieux ! vos bontés que j’adore
Ne peuvent consentir que je me déshonore ;
Et ne me permettant soupirs, sanglots, ni pleurs,
Soutiennent ma vertu contre de tels malheurs. 1300
Vous voulez que je meure avec ce grand courage
Qui m’a fait entreprendre un si fameux ouvrage ;
Et je veux bien périr comme vous l’ordonnez,
Et dans la même assiette où vous me retenez.
Ô liberté de Rome ! ô mânes de mon père ! 1305
J’ai fait de mon côté tout ce que j’ai pu faire :
Contre votre tyran j’ai ligué ses amis,
Et plus osé pour vous qu’il ne m’étoit permis.
Si l’effet a manqué, ma gloire n’est pas moindre ;
N’ayant pu vous venger, je vous irai rejoindre, 1310
Mais si fumante encor d’un généreux courroux,
Par un trépas si noble et si digne de vous,
Qu’il vous fera sur l’heure aisément reconnoître[164]
Le sang des grands héros dont vous m’avez fait naître.


Scène V.

MAXIME, ÉMILIE, FULVIE.
ÉMILIE.

Mais je vous vois, Maxime, et l’on vous faisoit mort !

MAXIME.

Euphorbe trompe Auguste avec ce faux rapport :
Se voyant arrêté, la trame découverte,
Il a feint ce trépas pour empêcher ma perte.

ÉMILIE.

Que dit-on de Cinna ?

MAXIME.

Que dit-on de Cinna ?Que son plus grand regret
C’est de voir que César sait tout votre secret[165] ;1320
En vain il le dénie et le veut méconnoître,
Évandre a tout conté pour excuser son maître,
Et par ordre d’Auguste on vient vous arrêter.

ÉMILIE.

Celui qui l’a reçu tarde à l’exécuter :
Je suis prête à le suivre et lasse de l’attendre.1325

MAXIME.

Il vous attend chez moi.

ÉMILIE.

Il vous attend chez moi. Chez vous !

MAXIME.

Il vous attend chez moi. Chez vous ! C’est vous surprendre ;
Mais apprenez le soin que le ciel a de vous :
C’est un des conjurés qui va fuir avec nous.
Prenons notre avantage avant qu’on nous poursuive ;
Nous avons pour partir un vaisseau sur la rive[166]. 1330

ÉMILIE.

Me connois-tu, Maxime, et sais-tu qui je suis ?

MAXIME.

En faveur de Cinna je fais ce que je puis,
Et tâche à garantir de ce malheur extrême
La plus belle moitié qui reste de lui-même.

Sauvons-nous, Émilie, et conservons le jour, 1335
Afin de le venger par un heureux retour.

ÉMILIE.

Cinna dans son malheur est de ceux qu’il faut suivre,
Qu’il ne faut pas venger, de peur de leur survivre :
Quiconque après sa perte aspire à se sauver
Est indigne du jour qu’il tâche à conserver. 1340

MAXIME.

Quel désespoir aveugle à ces fureurs vous porte ?
Ô Dieux ! que de foiblesse en une âme si forte !
Ce cœur si généreux rend si peu de combat,
Et du premier revers la fortune[167] l’abat !
Rappelez, rappelez cette vertu sublime ; 1345
Ouvrez enfin les yeux, et connoissez Maxime :
C’est un autre Cinna qu’en lui vous regardez ;
Le ciel vous rend en lui l’amant que vous perdez ;
Et puisque l’amitié n’en faisoit plus qu’une âme,
Aimez en cet ami l’objet de votre flamme ; 1350
Avec la même ardeur il saura vous chérir,
Que…

ÉMILIE.

Que… Tu m’oses aimer, et tu n’oses mourir !
Tu prétends un peu trop ; mais quoi que tu prétendes,
Rends-toi digne du moins de ce que tu demandes :
Cesse de fuir en lâche un glorieux trépas, 1355
Ou de m’offrir un cœur que tu fais voir si bas ;
Fais que je porte envie à ta vertu parfaite ;
Ne te pouvant aimer, fais que je te regrette ;
Montre d’un vrai Romain la dernière vigueur,
Et mérite mes pleurs au défaut de mon cœur. 1360
Quoi ! si ton amitié pour Cinna s’intéresse[168],

Crois-tu qu’elle consiste à flatter sa maîtresse[169] ?
Apprends, apprends de moi quel en est le devoir,
Et donne-m’en l’exemple, ou viens le recevoir.

MAXIME.

Votre juste douleur est trop impétueuse. 1365

ÉMILIE.

La tienne en ta faveur est trop ingénieuse.
Tu me parles déjà d’un bienheureux retour,
Et dans tes déplaisirs tu conçois de l’amour !

MAXIME.

Cet amour en naissant est toutefois extrême :
C’est votre amant en vous, c’est mon ami que j’aime, 1370
Et des mêmes ardeurs dont il fut embrasé…

émilie

Maxime, en voilà trop pour un homme avisé.
Ma perte m’a surprise, et ne m’a point troublée ;
Mon noble désespoir ne m’a point aveuglée.
Ma vertu tout entière agit sans s’émouvoir, 1375
Et je vois malgré moi plus que je ne veux voir.

MAXIME.

Quoi ? vous suis-je suspect de quelque perfidie ?

ÉMILIE.

Oui, tu l’es, puisqu’enfin tu veux que je le die ;
L’ordre de notre fuite est trop bien concerté
Pour ne te soupçonner d’aucune lâcheté : 1380
Les Dieux seroient pour nous prodigues en miracles,
S’ils en avoient sans toi[170] levé tous les obstacles.
Fuis sans moi, tes amours sont ici superflus.

MAXIME.

Ah ! vous m’en dites trop.

Ah ! vous m’en dites trop. J’en présume encor plus.
Ne crains pas toutefois que j’éclate en injures ; 1385
Mais n’espère non plus m’éblouir de parjures.
Si c’est te faire tort que de m’en défier[171],
Viens mourir avec moi pour te justifier.

MAXIME.

Vivez, belle Émilie, et souffrez qu’un esclave…

ÉMILIE.

Je ne t’écoute plus qu’en présence d’Octave.
Allons, Fulvie, allons.


Scène VI.

MAXIME.

Allons, Fulvie, allons. Désespéré, confus,
Et digne, s’il se peut, d’un plus cruel refus,
Que résous-tu, Maxime ? et quel est le supplice
Que ta vertu prépare à ton vain artifice ?
Aucune illusion ne te doit plus flatter : 1395
Émilie en mourant va tout faire éclater ;
Sur un même échafaud la perte de sa vie
Étalera sa gloire et ton ignominie,
Et sa mort va laisser à la postérité[172]
L’infâme souvenir de ta déloyauté. 1400
Un même jour t’a vu, par une fausse adresse,
Trahir ton souverain, ton ami, ta maîtresse,
Sans que de tant de droits en un jour violés,
Sans que de deux amants au tyran immolés,
Il te reste aucun fruit que la honte et la rage[173]1405

Qu’un remords inutile allume en ton courage.
Euphorbe, c’est l’effet de tes lâches conseils ;
Mais que peut-on attendre enfin de tes pareils[174] ?
Jamais un affranchi n’est qu’un esclave infâme ;
Bien qu’il change d’état, il ne change point d’âme[175] ; 1410
La tienne, encor servile, avec la liberté
N’a pu prendre un rayon de générosité[176] :
Tu m’as fait relever une injuste puissance ;
Tu m’as fait démentir l’honneur de ma naissance ;
Mon cœur te résistoit, et tu l’as combattu1415
Jusqu’à ce que ta fourbe ait souillé sa vertu.
Il m’en coûte la vie, il m’en coûte la gloire,
Et j’ai tout mérité pour t’avoir voulu croire ;
Mais les Dieux permettront à mes ressentiments
De te sacrifier aux yeux des deux amants, 1420
Et j’ose m’assurer qu’en dépit de mon crime
Mon sang leur servira d’assez pure victime,
Si dans le tien mon bras, justement irrité,
Peut laver le forfait de t’avoir écouté.

FIN DU QUATRIÈME ACTE.


ACTE V.


Scène première.

AUGUSTE, CINNA.
AUGUSTE.

Prends un siège, Cinna, prends, et sur toute chose 1425
Observe exactement la loi que je t’impose :
Prête, sans me troubler, l’oreille à mes discours ;
D’aucun mot, d’aucun cri, n’en interromps le cours ;
Tiens ta langue captive et si ce grand silence
À ton émotion fait quelque violence, 1430
Tu pourras me répondre après tout à loisir[177] :
Sur ce point seulement contente mon désir.

CINNA.

Je vous obéirai, Seigneur.

AUGUSTE.

Je vous obéirai, seigneur. Qu’il te souvienne
De garder ta parole, et je tiendrai la mienne.
Tu vois le jour, Cinna mais ceux dont tu le tiens 1435
Furent les ennemis de mon père, et les miens :
Au milieu de leur camp tu reçus la naissance[178]
Et lorsqu’après leur mort tu vins en ma puissance,

Leur haine enracinée au milieu de ton sein
T’avoit mis contre moi les armes à la main ; 1440
Tu fus mon ennemi même avant que de naître[179],
Et tu le fus encor quand tu me pus connoître,
Et l’inclination jamais n’a démenti[180]
Ce sang qui t’avoit fait du contraire parti :
Autant que tu l’as pu, les effets l’ont suivie.1445
Je ne m’en suis vengé qu’en te donnant la vie ;
Je te fis prisonnier pour te combler de biens :
Ma cour fut ta prison, mes faveurs tes liens ;
Je te restituai d’abord ton patrimoine[181] ;
Je t’enrichis après des dépouilles d’Antoine, 1450
Et tu sais que depuis, à chaque occasion,
Je suis tombé pour toi dans la profusion.
Toutes les dignités que tu m’as demandées,
Je te les ai sur l’heure et sans peine accordées ;
Je t’ai préféré même à ceux dont les parents 1455
Ont jadis dans mon camp tenu les premiers rangs[182],
À ceux qui de leur sang m’ont acheté l’empire[183],
Et qui m’ont conservé le jour que je respire.
De la façon enfin qu’avec toi j’ai vécu,
Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu[184]. 1460
Quand le ciel me voulut, en rappelant Mécène,
Après tant de faveur montrer un peu de haine[185],

Je te donnai sa place en ce triste accident,
Et te fis, après lui, mon plus cher confident.
Aujourd’hui même encor, mon âme irrésolue 1465
Me pressant de quitter ma puissance absolue,
De Maxime et de toi j’ai pris les seuls avis,
Et ce sont, malgré lui, les tiens que j’ai suivis.
Bien plus, ce même jour je te donne Émilie,
Le digne objet des vœux de toute l’Italie,1470
Et qu’ont mise si haut mon amour et mes soins,
Qu’en te couronnant roi je t’aurois donné moins.
Tu t’en souviens, Cinna, tant d’heur et tant de gloire
Ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire ;
Mais ce qu’on ne pourroit jamais s’imaginer,1475
Cinna, tu t’en souviens, et veux m’assassiner[186].

CINNA.

Moi, Seigneur ! moi, que j’eusse une âme si traîtresse ;
Qu’un si lâche dessein…

AUGUSTE.

Qu’un si lâche dessein… Tu tiens mal ta promesse :
Sieds-toi, je n’ai pas dit encor ce que je veux ;
Tu te justifieras après, si tu le peux. 1480
Écoute cependant, et tiens mieux ta parole.
Tu veux m’assassiner[187] demain, au Capitole,
Pendant le sacrifice, et ta main pour signal
Me doit, au lieu d’encens, donner le coup fatal ;
La moitié de tes gens doit occuper la porte,1485
L’autre moitié te suivre et te prêter main-forte.
Ai-je de bons avis, ou de mauvais soupçons[188] ?

De tous ces meurtriers te dirai-je les noms ?
Procule, Glabrion, Virginian, Rutile,
Marcel, Plaute, Lénas, Pompone, Albin, Icile, 1490
Maxime, qu’après toi j’avois le plus aimé[189] :
Le reste ne vaut pas l’honneur d’être nommé :
Un tas d’hommes perdus de dettes et de crimes,
Que pressent de mes lois les ordres légitimes,
Et qui désespérant de les plus éviter, 1495
Si tout n’est renversé, ne sauroient subsister.
Tu te tais maintenant, et gardes le silence,
Plus par confusion que par obéissance.
Quel étoit ton dessein[190], et que prétendois-tu
Après m’avoir au temple à tes pieds abattu ? 1500
Affranchir ton pays d’un pouvoir monarchique ?
Si j’ai bien entendu tantôt ta politique,
Son salut désormais dépend d’un souverain,
Qui pour tout conserver tienne tout en sa main ;
Et si sa liberté te faisoit entreprendre, 1505
Tu ne m’eusses jamais empêché de la rendre ;
Tu l’aurois acceptée au nom de tout l’État,
Sans vouloir l’acquérir par un assassinat.
Quel étoit donc ton but ? D’y régner en ma place ?
D’un étrange malheur son destin le menace, 1510
Si pour monter au trône et lui donner la loi
Tu ne trouves dans Rome autre obstacle que moi[191],

Si jusques à ce point son sort est déplorable,
Que tu sois après moi le plus considérable,
Et que ce grand fardeau de l’empire romain1515
Ne puisse après ma mort tomber mieux qu’en ta main.
Apprends à te connoître, et descends en toi-même :
On t’honore dans Rome, on te courtise, on t’aime,
Chacun tremble sous toi, chacun t’offre des vœux,
Ta fortune est bien haut, tu peux ce que tu veux ; 1520
Mais tu ferois pitié même à ceux qu’elle irrite[192],
Si je t’abandonnois à ton peu de mérite[193].
Ose me démentir, dis-moi ce que tu vaux,
Conte-moi tes vertus, tes glorieux travaux,
Les rares qualités par où tu m’as dû plaire, 1525
Et tout ce qui t’élève au-dessus du vulgaire.
Ma faveur fait ta gloire, et ton pouvoir en vient :
Elle seule t’élève, et seule te soutient ;
C’est elle qu’on adore, et non pas ta personne :
Tu n’as crédit ni rang, qu’autant qu’elle t’en donne, 1530
Et pour te faire choir je n’aurois aujourd’hui
Qu’à retirer la main qui seule est ton appui.
J’aime mieux toutefois céder à ton envie :
Règne, si tu le peux, aux dépens de ma vie ;
Mais oses-tu penser que les Serviliens, 1535
Les Cosses, les Métels, les Pauls, les Fabiens,
Et tant d’autres enfin de qui les grands courages
Des héros de leur sang sont les vives images,

Quittent le noble orgueil d’un sang si généreux
Jusqu’à pouvoir souffrir que tu règnes sur eux[194] ? 1540
Parle, parle, il est temps.

CINNA.

Parle, parle, il est temps. Je demeure stupide ;
Non que votre colère ou la mort m’intimide :
Je vois qu’on m’a trahi, vous m’y voyez rêver,
Et j’en cherche l’auteur sans le pouvoir trouver.
Mais c’est trop y tenir toute l’âme occupée[195] : 1545
Seigneur, je suis Romain, et du sang de Pompée ;
Le père et les deux fils, lâchement égorgés,
Par la mort de César étoient trop peu vengés.
C’est là d’un beau dessein l’illustre et seule cause ;
Et puisqu’à vos rigueurs la trahison m’expose, 1550
N’attendez point de moi d’infâmes repentirs,
D’inutiles regrets, ni de honteux soupirs.
Le sort vous est propice autant qu’il m’est contraire ;
Je sais ce que j’ai fait, et ce qu’il vous faut faire :
Vous devez un exemple à la postérité, 1555
Et mon trépas importe à votre sûreté.

AUGUSTE.

Tu me braves, Cinna, tu fais le magnanime,
Et loin de t’excuser, tu couronnes ton crime.
Voyons si ta constance ira jusques au bout.
Tu sais ce qui t’est dû, tu vois que je sais tout : 1560
Fais ton arrêt toi-même, et choisis tes supplices.


Scène II.

AUGUSTE, LIVIE, CINNA, ÉMILIE, FULVIE.
LIVIE.

Vous ne connoissez pas encor tous les complices
Votre Émilie en est, Seigneur, et la voici.

CINNA.

C’est elle-même, ô Dieux !

AUGUSTE.

C’est elle-même, ô Dieux ! Et toi, ma fille, aussi !

ÉMILIE.

Oui, tout ce qu’il a fait, il l’a fait pour me plaire[196], 1565
Et j’en étois, Seigneur, la cause et le salaire.

AUGUSTE.

Quoi ? l’amour qu’en ton cœur j’ai fait naître aujourd’hui
T’emporte-t-il déjà jusqu’à mourir pour lui ?
Ton âme à ces transports un peu trop s’abandonne,
Et c’est trop tôt aimer l’amant que je te donne. 1570

ÉMILIE.

Cet amour qui m’expose à vos ressentiments
N’est point le prompt effet de vos commandements ;
Ces flammes dans nos cœurs sans votre ordre étoient nées[197],
Et ce sont des secrets de plus de quatre années ;
Mais, quoique je l’aimasse et qu’il brûlât pour moi, 1575
Une haine plus forte à tous deux fit la loi ;
Je ne voulus jamais lui donner d’espérance,
Qu’il ne m’eût de mon père assuré la vengeance ;
Je la lui fis jurer ; il chercha des amis :
Le ciel rompt le succès que je m’étois promis, 1580

Et je vous viens, Seigneur, offrir une victime,
Non pour sauver sa vie en me chargeant du crime :
Son trépas est trop juste après son attentat,
Et toute excuse est vaine en un crime d’État :
Mourir en sa présence, et rejoindre mon père, 1585
C’est tout ce qui m’amène, et tout ce que j’espère.

AUGUSTE.

Jusques à quand, ô ciel, et par quelle raison
Prendrez-vous contre moi des traits dans ma maison ?
Pour ses débordements j’en ai chassé Julie ;
Mon amour en sa place a fait choix d’Émilie, 1590
Et je la vois comme elle indigne de ce rang.
L’une m’ôtoit l’honneur, l’autre a soif de mon sang ;
Et prenant toutes deux leur passion pour guide,
L’une fut impudique et l’autre est parricide.
Ô ma fille ! est-ce là le prix de mes bienfaits ? 1595

ÉMILIE.

Ceux de mon père en vous firent mêmes effets[198].

AUGUSTE.

Songe avec quel amour j’élevai ta jeunesse.

ÉMILIE.

Il éleva la vôtre avec même tendresse ;
Il fut votre tuteur, et vous son assassin :
Et vous m’avez au crime enseigné le chemin : 1600
Le mien d’avec le vôtre en ce point seul diffère,
Que votre ambition s’est immolé mon père,
Et qu’un juste courroux dont je me sens brûler,
À son sang innocent vouloit vous immoler.

LIVIE.

C’en est trop, Émilie arrête, et considère1605
Qu’il t’a trop bien payé les bienfaits de ton père :
Sa mort, dont la mémoire allume ta fureur,

Fut un crime d’Octave, et non de l’Empereur.
Tous ces crimes d’État qu’on fait pour la couronne,
Le ciel nous en absout alors qu’il nous la donne,1610
Et dans le sacré rang où sa faveur l’a mis,
Le passé devient juste et l’avenir permis.
Qui peut y parvenir ne peut être coupable ;
Quoi qu’il ait fait ou fasse, il est inviolable :
Nous lui devons nos biens, nos jours sont en sa main,1615
Et jamais on n’a droit sur ceux du souverain.

ÉMILIE.

Aussi, dans le discours que vous venez d’entendre,
Je parlois pour l’aigrir, et non pour me défendre.
Punissez donc, Seigneur, ces criminels appas
Qui de vos favoris font d’illustres ingrats ;1620
Tranchez mes tristes jours pour assurer les vôtres.
Si j’ai séduit Cinna, j’en séduirai bien d’autres[199] ;
Et je suis plus à craindre, et vous plus en danger,
Si j’ai l’amour ensemble et le sang à venger[200].

CINNA.

Que vous m’ayez séduit, et que je souffre encore 1625
D’être déshonoré par celle que j’adore !
Seigneur, la vérité doit ici s’exprimer :
J’avois fait ce dessein avant que de l’aimer.
À mes plus saints désirs la trouvant inflexible[201],
Je crus qu’à d’autres soins elle seroit sensible :1630
Je parlai de son père et de votre rigueur,
Et l’offre de mon bras suivit celle du cœur.
Que la vengeance est douce à l’esprit d’une femme !
Je l’attaquai par là, par là je pris son âme ;
Dans mon peu de mérite elle me négligeoit,1635

Et ne put négliger le bras qui la vengeoit :
Elle n’a conspiré que par mon artifice ;
J’en suis le seul auteur, elle n’est que complice.

ÉMILIE.

Cinna, qu’oses-tu dire ? est-ce là me chérir,
Que de m’ôter l’honneur quand il me faut mourir ?1640

CINNA.

Mourez, mais en mourant ne souillez point ma gloire.

ÉMILIE.

La mienne se flétrit, si César te veut croire.

CINNA.

Et la mienne se perd, si vous tirez à vous
Toute celle qui suit de si généreux coups.

ÉMILIE.

Eh bien ! prends-en ta part, et me laisse la mienne ;1645
Ce seroit l’affoiblir que d’affoiblir la tienne :
La gloire et le plaisir, la honte et les tourments,
Tout doit être commun entre de vrais amants.
Nos deux âmes, Seigneur, sont deux âmes romaines ;
Unissant nos désirs, nous unîmes nos haines ;1650
De nos parents perdus le vif ressentiment
Nous apprit nos devoirs en un même moment ;
En ce noble dessein nos cœurs se rencontrèrent ;
Nos esprits généreux ensemble le formèrent ;
Ensemble nous cherchons l’honneur d’un beau trépas :1655
Vous vouliez nous unir, ne nous séparez pas.

AUGUSTE.

Oui, je vous unirai, couple ingrat et perfide,
Et plus mon ennemi qu’Antoine ni Lépide :
Oui, je vous unirai, puisque vous le voulez :
Il faut bien satisfaire aux feux dont vous brûlez,1660
Et que tout l’univers, sachant ce qui m’anime,
S’étonne du supplice aussi bien que du crime.


Scène III.

AUGUSTE, LIVIE, CINNA, MAXIME, ÉMILIE, FULVIE.
AUGUSTE.

Mais enfin le ciel m’aime, et ses bienfaits nouveaux[202]
Ont enlevé[203] Maxime à la fureur des eaux.
Approche, seul ami que j’éprouve fidèle.1665

MAXIME.

Honorez moins, Seigneur, une âme criminelle.

AUGUSTE.

Ne parlons plus de crime après ton repentir, 1670
Après que du péril tu m’as su garantir :
C’est à toi que je dois et le jour et l’empire.

MAXIME.

De tous vos ennemis connoissez mieux le pire : 1670
Si vous régnez encor, Seigneur, si vous vivez,
C’est ma jalouse rage à qui vous le devez.
Un vertueux remords n’a point touché mon âme ;
Pour perdre mon rival, j’ai découvert sa trame.
Euphorbe vous a feint que je m’étais noyé, 1675
De crainte qu’après moi vous n’eussiez envoyé :
Je voulois avoir lieu d’abuser Émilie,
Effrayer son esprit, la tirer d’Italie,
Et pensois la résoudre à cet enlèvement
Sous l’espoir du retour pour venger son amant ; 1680
Mais au lieu de goûter ces grossières amorces,
Sa vertu combattue a redoublé ses forces.

Elle a lu dans mon cœur ; vous savez le surplus,
Et je vous en ferois des récits superflus.
Vous voyez le succès de mon lâche artifice.1685
Si pourtant quelque grâce est due à mon indice,
Faites périr Euphorbe au milieu des tourments[204],
Et souffrez que je meure aux yeux de ces amants.
J’ai trahi mon ami, ma maîtresse, mon maître,
Ma gloire, mon pays, par l’avis de ce traître, 1690
Et croirai toutefois mon bonheur infini,
Si je puis m’en punir après l’avoir puni.

AUGUSTE.

En est-ce assez, ô ciel ! et le sort, pour me nuire,
A-t-il quelqu’un des miens qu’il veuille encor séduire ?
Qu’il joigne à ses efforts le secours des enfers : 1695
Je suis maître de moi comme de l’univers ;
Je le suis, je veux l’être. Ô siècles, ô mémoire,
Conservez à jamais ma dernière victoire !
Je triomphe aujourd’hui du plus juste courroux
De qui le souvenir puisse aller jusqu’à vous.1700
Soyons amis, Cinna, c’est moi qui t’en convie :
Comme à mon ennemi je t’ai donné la vie,
Et, malgré la fureur de ton lâche destin[205],
Je te la donne encor comme à mon assassin.
Commençons un combat qui montre par l’issue 1705
Qui l’aura mieux de nous ou donnée ou reçue[206].
Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler ;
Je t’en avois comblé, je t’en veux accabler :

Avec cette beauté que je t’avois donnée,
Reçois le consulat pour la prochaine année[207]. 1710
Aime Cinna, ma fille, en cet illustre rang,
Préfères-en la pourpre à celle de mon sang ;
Apprends sur mon exemple à vaincre ta colère[208] :
Te rendant un époux, je te rends plus qu’un père.

ÉMILIE.

Et je me rends, Seigneur, à ces hautes bontés ; 1715
Je recouvre la vue auprès de leurs clartés :
Je connois mon forfait, qui me sembloit justice ;
Et, ce que n’avoit pu la terreur du supplice,
Je sens naître en mon âme un repentir puissant,
Et mon cœur en secret me dit qu’il y consent. 1720
Le ciel a résolu votre grandeur suprême ;
Et pour preuve, Seigneur, je n’en veux que moi-même[209] :
J’ose avec vanité me donner cet éclat,
Puisqu’il change mon cœur, qu’il veut changer l’État.
Ma haine va mourir, que j’ai crue immortelle ; 1725
Elle est morte, et ce cœur devient sujet fidèle ;
Et prenant désormais cette haine en horreur,
L’ardeur de vous servir succède à sa fureur.

CINNA.

Seigneur, que vous dirai-je après que nos offenses
Au lieu de châtiments trouvent des récompenses ? 1730
Ô vertu sans exemple ! ô clémence, qui rend
Votre pouvoir plus juste, et mon crime plus grand !

AUGUSTE.

Cesse d’en retarder un oubli magnanime ;
Et tous deux avec moi faites grâce à Maxime :
Il nous a trahis tous ; mais ce qu’il a commis1735

Vous conserve innocents, et me rend mes amis.

(À Maxime[210].)
Reprends auprès de moi ta place accoutumée ;

Rentre dans ton crédit et dans ta renommée ;
Qu’Euphorbe de tous trois ait sa grâce à son tour ;
Et que demain l’hymen couronne leur amour.1740
Si tu l’aimes encor, ce sera ton supplice.

MAXIME.

Je n’en murmure point, il a trop de justice ;
Et je suis plus confus, Seigneur, de vos bontés
Que je ne suis jaloux du bien que vous m’ôtez.

CINNA.

Souffrez que ma vertu dans mon cœur rappelée1745
Vous consacre une foi lâchement violée,
Mais si ferme à présent, si loin de chanceler,
Que la chute du ciel ne pourroit l’ébranler.
Puisse le grand moteur des belles destinées,
Pour prolonger vos jours, retrancher nos années ;1750
Et moi, par un bonheur dont chacun soit jaloux,
Perdre pour vous cent fois ce que je tiens de vous !

LIVIE.

Ce n’est pas tout, Seigneur : une céleste flamme
D’un rayon prophétique illumine mon âme.
Oyez ce que les dieux vous font savoir par moi ;1755
De votre heureux destin c’est l’immuable loi.
Après cette action vous n’avez rien à craindre :
On portera le joug désormais sans se plaindre ;
Et les plus indomptés, renversant leurs projets,
Mettront toute leur gloire à mourir vos sujets ;1760
Aucun lâche dessein, aucune ingrate envie
N’attaquera le cours d’une si belle vie ;

CINNA.

Jamais plus d’assassins, ni de conspirateurs[211] :
Vous avez trouvé l’art d’être maître des cœurs.
Rome, avec une joie et sensible et profonde, 1765
Se démet en vos mains de l’empire du monde ;
Vos royales vertus lui vont trop[212] enseigner
Que son bonheur consiste à vous faire régner :
D’une si longue erreur pleinement affranchie,
Elle n’a plus de vœux que pour la monarchie, 1770
Vous prépare déjà des temples, des autels,
Et le ciel une place entre les immortels ;
Et la postérité, dans toutes les provinces,
Donnera votre exemple aux plus généreux princes.

AUGUSTE.

J’en accepte l’augure, et j’ose l’espérer : 1775
Ainsi toujours les dieux vous daignent inspirer !
Qu’on redouble demain les heureux sacrifices
Que nous leur offrirons sous de meilleurs auspices ;
Et que vos conjurés entendent publier
Qu’Auguste a tout appris, et veut tout oublier. 1780

FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.

  1. Sénèque dit simplement petit-fils, mais c’est Dion (Livre LV chapitre xiv) qui a appris à Corneille que Cinna, auquel il donne le prénom de Cneius, et non de Lucius, comme Sénèque, était fils d’une fille de Pompée.
  2. Suétone nous apprend, dans sa Vie d’Auguste (chapitre xxvii qu’Octavien proscrivit C. Toranius, son tuteur, qui avait été le collègue de son père dans l’édilité ; Valère-Maxime (livre IX, chapitre xi, 5) raconte qu’une fois proscrit, Torianus fut livré par son propre fils, lequel indiqua aux centurions que le cherchaient, la retraite où il était caché, son âge et les marques auxquelles ils pourraient le reconnaître. Torianus avait été préteur.
  3. Pour le lieu particulier de chaque acte, voyez ci-dessus p. 366, 379 et 380.
  4. L’édition originale a pour titre, comme nous l’avons dit dans la Notice Cinna, ov la clemence d’Avgvste.
  5. Émilie ne se trouve pas sur le théâtre ; elle y entre au commencement de la pièce ; c’est Corneille qui nous l’apprend en ces termes dans le Discours des trois unités (tome I, p. 108 et 109) : « L’auditeur attend l’acteur ; et bien que le théâtre représente la chambre ou le cabinet de celui qui parle, il ne peut toutefois s’y montrer qu’il ne vienne de derrière la tapisserie, et il n’est pas toujours aisé de rendre raison de ce qu’il vient de faire en ville avant que de rentrer chez lui, puisque même quelquefois il est vraisemblable qu’il n’en est pas sorti. Je n’ai vu personne se scandaliser de voir Émilie commencer Cinna sans dire pourquoi elle vient dans sa chambre : elle est présumée y être avant que la pièce commence, et ce n’est que la nécessité de la représentation qui la fait sortir de derrière le théâtre pour y venir. » — Voyez sur ce monologue le Discours du poëme dramatique (tome I, p. 45). — « Plusieurs actrices, dit Voltaire, ont supprimé ce monologue dans les représentations. Le public même paraissait souhaiter ce retranchement… Cependant j’étais si touché des beautés répandues dans cette première scène, que j’engageai l’actrice qui jouait Émilie à la remettre au théâtre, et elle fut très-bien reçue. »
  6. Var. À qui la mort d’un père a donné la naissance. (1643-56)
    ---Var. Que d’un juste devoir soutient la violence. (1660).
  7. Var. Vous régnez sur mon âme avecque trop d’empire (a) :
    ---Pour le moins un moment souffrez que je respire. (1643-56).

    (a) ce vers, par une erreur d’impression, a été omis dans l’édition de 1656.
  8. Var. Quand je regarde Auguste en son trône de gloire. (1643-56)
  9. Var.. Quand il faut, pour le perdre, exposer mon amant. (1643-56)
  10. Var. Te demander son sang, c’est exposer le tien. (1643-56)
  11. Var. Peuvent dessus ton chef renverser l’entreprise,
    ---Porter sur toi les coups dont tu le veux frapper. (1643-56)
  12. Var. Il te peut, en tombant, accabler sous sa chute. (1643-56)
  13. Var. Et je tiens qu’il faut mettre au rang des grands malheurs
    ---La mort d’un ennemi qui nous coûte des pleurs.(1643-56)
  14. Var. Que cette passion dût être refroidie. (1643-56)
  15. Var. Ont encore besoin que vous parliez pour eux. (1643-56).
  16. « Ce sentiment atroce et ces beaux vers ont été imité par Racine dans Andromaque (acte IV, scène iv) :
    S’il ignore en mourant qMa vengeance est perdue
    S’il ignore en mourant que c’est moi qui le tue. »
    (Voltaire.)
  17. Var. Quand je songe aux hasards que je lui fais courir. (1643-56)
  18. Sénèque a dit dans sa ive épître : Quisquis vitam contempsit, tuæ dominus est. « Quiconque méprise la vie est maître de la tienne. »
  19. Var. Des grandeurs du péril n’est-elle point troublée ? (1643-56)
  20. Var. Jamais de telle ardeur on ne jura sa mort. (1643-56)
  21. Var. Qu’ils semblent, comme moi, venger une maîtresse. (1643)
  22. Var. Vous eussiez vu leurs yeux s’allumer de fureur. (1643-56)
  23. On raconte que lorsque Michel Baron reparut au mois de mars 1720, à l’âge de soixante-huit ans, dans le rôle de Cinna, on le vit, dans la même minute, pâlir et rougir comme le vers l’indiquait. — Larive, dans son Cours de déclamation (tome II, p. 6), nie obstinément la possibilité du fait ; il semble toutefois que les comédiens du dix-septième siècle aient eu le secret de pâlir à volonté. Tallemant dit en parlant de Floridor (tome VII, p. 176) : « Il est toujours pâle, ainsi point de changement de visage. »
  24. Var. Où le but des soldats et des chefs les plus brave
    C’étoit d’être vainqueurs pour devenir esclaves (a) ;
    Où chacun trahissoit, aux yeux de l’univers,
    Soi-même et son pays, pour assurer ses fers,
    Et tâchant d’acquérir avec le nom de traître
    L’abominable honneur de lui donner un maître. (1643-56)
    (a) Étoit d’être vainqueurs pour devenir esclaves. (1648-56)
  25. Var. De leur concorde affreuse, horrible, impitoyable. (1643-56).
  26. « Dufresne employa un jour une petite adresse qui produisit un grand effet. En commençant ce récit, il cacha derrière lui une de ses mains dans laquelle il tenait son casque surmonté d’un panache rouge ; et lorsqu’il fut arrivé à ces vers, il montra subitement le casque et le panage rouge ; et le agitant vivement, il sembla présenter aux spectateurs la tête et la chevelure sanglante dont il est question dans les vers de Corneille. Les spectateurs furent saisis de terreur : Dufresne avait réussi. Mais ces sortes de jeux de théâtre, fruits de la combinaison et du calcul, ne peuvent être répétés. » (Galeries historique des acteurs du théâtre françois, par Lemazurier, tome I, p. 510)
  27. Var. Sans exprimer encore avecque tous ces traits (a). (1643-56)

    (a) Les éditions de 1652-56 portent, par erreur, ses traits, pour ces traits.
  28. Var. Ces illustres proscrits, ces demi-dieux mortels. (1643-56)
  29. Voltaire, dans l’édition de 1764, a remplacé « dans le trône » par « sur le trône »
  30. Var. Rendons toutefois grâce à la bonté céleste,
    Que de nos trois tyrans c’est le seul qui nous reste. (1643-56)
  31. Antoine et Lépide.
  32. C’est une allusion à une circonstance historique, à la dignité sacerdotale qu’Auguste avait conférée à Cinna : voyez ci-dessus, p. 374. Sénèque nous apprend aussi (voyez p. 373) que les conjurés voulaient attaquer Auguste pendant qu’il célèbrerait un sacrifice : Sacrificantem placuerat adriri.
  33. On lit ayeuls dans l’édition de 1656.
  34. Var. César celui de (a) prince ou bien d’usurpateur. (1643-56)

    (a) L’édition de 1656 porte, par erreur, du prince, pour de prince.
  35. « Cette expression sublime : mourir tout entier, est prise du latin d’Horace (livre III, ode xxx, vers 6) non omnis moriar, et tout entier est plus énergique. Racine l’a imité dans sa belle pièce d’Iphigénie (acte I, scène iii) :
    Ne laisser aucun nom et mourir tout entier. »

    (Voltaire.)


    Pompée dit de même dans la Pharsale de Lucain (livre VIII, vers 266 et 267) :
    Emathiis cecidi,Non omnis in arvis
    Emathiis cecidi,

    « Je n’ai pas succombé tout entier dans les champs de l’Émathie. »

  36. Var. Ont-ils perdu celui de derniers des Romains ?
    Et sont-ils morts entiers avecque leurs desseins ? (1643-56)
  37. Var. Et que… Mais quel sujet mène Évandre vers nous ? (1643-56)
  38. Var. Et puisque désormais tu ne me peux venger. (1643-56)
  39. Var. Et ne lui permets point de m’ôter mon amant. (1643-56)
  40. Var. Heureux pour vous servir d’abandonner ma vie. (1643-56)
  41. Var. Dans un si grand péril vos jours sont assurés :
    Vos desseins ne sont sus d’aucun de conjurés ;
    Et décrivant tantôt les misères romaines. (1643-56)
  42. La mort de Torianus, père d’Émilie.
  43. Var. De peur que trop d’ardeur touchant vos intérêts
    Sur mon visage ému ne peignît nos secrets :
    Notre amour n’est connu que d’Évandre et Fulvie (1643-56)
  44. Ce jeu de scène manque dans les éditions de 1643-60.
  45. « Fénelon, dans sa Lettre à l’Académie sur l’éloquence, dit : « Il me semble qu’on a donné souvent aux Romains un discours fastueux ; je ne trouve point de proportion entre l’emphase avec laquelle Auguste parle dans la tragédie Cinna et la modeste simplicité avec laquelle Suétone le dépeint. » Il est vrai ; mais ne faut-il pas quelque chose de plus relevé sur le théâtre que dans Suétone ? Il y a un milieu à garder entre l’enflure et la simplicité. Il faut avouer que Corneille a quelquefois passé les bornes. L’archevêque de Cambrai avait d’autant plus raison de reprendre cette enflure vicieuse, que de son temps les comédiens chargeaient encore ce défaut par la plus ridicule affection dans l’habillement, dans la déclamation et dans les gestes. On voyait Auguste arriver avec la démarche d’un matamore, coiffé d’une perruque carrée qui descendait par devant jusqu’à la ceinture ; cette perruque était farcie de feuilles de laurier et surmontée d’un large chapeau avec deux rangs de plumes rouges. Auguste, ainsi défiguré par des bateleurs gaulois sur un théâtre de marionnettes, était quelque chose de bien étrange. Il se plaçait sur un énorme fauteuil à deux gradins, et Maxime et Cinna étaient sur deux petits tabourets. La déclamation ampoulée répondait parfaitement à cet étalage, et surtout Auguste ne manquait pas de regarder Cinna et Maxime du haut en bas avec un noble dédain, en prononçant ces vers :
    Enfin tout ce qu’adore en ma haute fortune,
    D’un courtisan flatteur la présence importune.

    Il faisait bien sentir que c’était eux qu’il regardait comme des courtisans flatteurs. En effet, il n’y a rien dans le commencement de cette scène qui empêche que ces vers ne puissent être joués ainsi. Auguste n’a point encore parlé avec bonté, avec amitié, à Cinna et à Maxime ; il ne leur a encore parlé que de son pouvoir absolu sur la terre et sur l’onde. » (Voltaire.)
  46. Var. Cette grandeur sans borne et ce superbe rang. (1643-56)
  47. « Remarquez bien cette expression, disait Racine à son fils. On dit aspirer à monter ; mais il faut connoître le cœur humain aussi bien que Corneille l’a connu pour pouvoir dire de l’ambitieux qu’il aspire à descendre. » — Chaulmer écrivait en 1638, dans sa Mort de Pompée (acte I, scène i), ces vers qui, bien qu’ils contiennent une idée fort différente, ont une grande analogie d’expression avec ceux de notre poète :
    Gardons la liberté de la chose publique,
    Déjà presque soumise au pouvoir tyrannique
    D’un enfant sans respect, ou d’un tigre plutôt
    Qui sortant de son antre, ose aspirer si haut ;
    Qu’il sache en se perdant que qui veut y prétendre,
    Plus il cherche à monter, plus il trouve à descendre.
  48. Var. Sylla s’en est démis, mon père l’a gardé,
    Différents en leur fin comme en leur procédé :
    L’un, cruel et barbare, est mort aimé, tranquille. (1643-56)
  49. Voyez dans le livre II de Dion Cassus, chapitres i-xli, la délibération d’Auguste avec Agrippa et Mécène, et les longs discours de ses deux conseillers. Cinna ouvre ici le même avis que Mécène ; et Maxime le même qu’Agrippa.
  50. Var. Si vous laissant séduire à ces impressions,
    Vous-même condamnez toutes vos actions. (1643-56)
  51. Var. Lorsque notre valeur nous gagne une province,
    Gouvernant justement, on devient juste prince. (1643-56)
  52. Var. Mais sa mort vous fait peur ? Seigneur, les destinés
    D’un soin bien plus exact veillent sur vos années. (1643-56)
  53. Les éditions de 1652-56 portent :
    L’empire où sa vertu l’a fait seul arriver.
  54. Var. Par la même vertu la gloire est donc flétrie. (1643-56)
  55. Var. Si de ses plus hauts faits l’infamie est le prix ! (1643-56)
  56. Var. Mais ce n’est pas un crime indigne de pardon. (1643-56)
  57. L’édition de 1655 seule porte : « Il passe, » au singulier.
  58. Var. Quand nous avons pu vivre avecque plus de gloire. (1643-56)
  59. Var. Avecque jugement punit et récompense,
    Ne précipite rien de peur d’un successeur,
    [Et dispose de tout en juste possesseur.] (1643-56)
  60. Var. Les magistrats donnés aux plus séditieux. (1643-56)
  61. Var. Dedans le champ d’autrui largement ils moissonnent. (1643-56)
  62. Var. Le pire des États est l’État populaire (a). (1643)

    (a) Bossuet, dans son cinquième Avertissement aux protestants, a dit presque dans les mêmes termes : « L’État populaire, le pire de tous ; » et Cyrano de Bergerac, dans sa Lettre contre les frondeurs : « Le gouvernement populaire est le pire fléau dont Dieu afflige un État quand il veut le châtier. » Voyez les Notes sur la vie de Corneille, que M. Édouard Fournier a placées en tête de sa comédie de Corneille à la Butte Saint-Roch (p. cxx)
  63. Var. Est une heureuse erreur dont elle est idolâtre,
    Par qui le monde entier, rangé dessous ses lois. (1643-56)
  64. L’édition de 1655 porte : « la monarchique. »
  65. Var. S’il est vrai que du ciel la prudence infinie. (1643-56)
  66. Var. Il est certain aussi que cet ordre des cieux. (1643-56)
  67. Var. Ce que tous ces consuls n’ont pu faire deux fois,
    Et qu’a fait avant eux le second de ses rois (1643-56)
  68. Var. De nous vendre bien cher les grands biens qu’ils nous font. (1643-56)
  69. Souvenir de Virgile (Énéide, livre II, vers 291 et 292) :
    Defendi possent, etiam hSi Pergama destra
    Defendi possent, etiam hac defensa fuissent.
    « Si Pergame (dit Hector) eût pu être défendu par la droite d’un guerrier, elle l’aurait été par celle-ci. »
  70. Var. Et devoit cet honneur aux mânes d’un tel homme. (1643-56)
  71. ::Nec quemquam jam ferre potest, Cæsarve priorem,
    Pompeiusve parem.
    (Lucain, Pharsale, livre I, vers 125 et 126.)

    « Et César ne peut plus souffrir de supérieur, ni Pompée d’égal. »

  72. On a rapproché de ces vers la phrase suivante de Tacite (Annales, livre I, chapitre ix) : …non aliud discordantis patriæ remedium fuisse, quam ut ab uno regeretur, « il n’y eut pas d’autre remède pour la patrie en discorde que d’être gouvernée par un seul ; » et celle-ci de Florus (livre IV, chapitre iii) : Aliter salvus esse non potuit (populus romanus), nisi confugisset ad servitutem, « le peuple romain ne put être sauvé qu’en ayant recours à la servitude. »
  73. Var. Et si votre bonté la veut favoriser. (1643-56)
  74. Var. Que le malheur du temps ne nous eût pas fait voir. (1643 in-4o)
  75. C’est une flatterie semblable à celle que Lucain (Pharsale, livre I, vers 37 et 38) adresse à Néron :
    Jam nihil, o Superi, querimur : scelera ipsa nefasque
    Hac mercede placent.
    « Nous ne nous plaignons plus de rien, ô Dieux : les forfaits mêmes et le crime nous plaisent à ce prix. »
  76. Var. Conservez-vous, Seigneur, lui conservant un maître. (1643-56)
  77. Var. Et daignez assurer le bien commun de tous,
    Laissant un successeur qui digne de vous. (1643-56)
  78. Var. Je sais bien que vos cœurs n’ont point pour moi de fard. (1643-56)
  79. Var. Votre amour pour tous deux fait ce combat d’esprits. (1643-56)
  80. Var. Et je veux que chacun en reçoive le prix. (1643-56).
  81. Var. Vous n’êtes pas pour elle un homme à dédaigner. (1643-56)
  82. Var. Je présume plutôt qu’elle en sera ravie. (1643-56)
  83. Var. Adieu : j’en vais porter la nouvelle à Livie. (1643 in-4o)
  84. Var. Auguste aura soûlé ses damnables envies. (1643-56)
  85. Voyez tome I, p. 148, note 3.
  86. Var. Ont fait tomber l’État sous des lois tyranniques. (1643)
  87. Var. [Donc pour vous Émilie est un objet de haine,]
    Et cette récompense est pour vous une peine ?
    cinna. Oui, mais pour le braver jusque dans les enfers,
    Quand nous aurons vengés Rome des maux soufferts,
    Et que par son trépas je l’aurais méritée. (1643-60)
  88. Var. Sa ligue se romproit s’il en étoit démis. (1643)
    Var. Sa ligue se romproit s’il s’en étoit démis. (1648-56)
  89. Var. Ils servent, abusés, la passion d’un homme. (1643-56)
  90. Var. Mon amour inconnue, avant que d’éclater. (1643-56)
  91. Var. Un exemple à faillir n’autorise jamais.
    euph. Sa faute contre lui vous rend tout légitime. (1643-56)
  92. Var. Va ; devant qu’il soit peu, je t’irai retrouver. (1643-56)
  93. Var. Pour t’aller dire après ce que je me propose. (1643-64)
  94. Var. D’un penser si profond quel est le triste objet ? (1643-56)
  95. Var. Plût aux Dieux que César, avec tous ses soins,
    Ou s’en fît plus aimer, ou m’aimât un peu moins ! (1643-56)
  96. Var. Je sens dedans le cœur mille remords cuisants. (1643-56)
  97. Var. Je crois que Brute même à quel point on le prise. (1643-56)
  98. Var. Et qu’avant que frapper elle lui fit sentir. (1643-63)
  99. Var. Qui même fait en lâche un acte généreux. (1643-64)
  100. Var. Que tu sais mal nommer le glorieux empire. (1643-56)
  101. Var. Mais plutôt qu’à bon droit tu le nommes foiblesse. (1643-56)
  102. Var. Ou s’il l’ose combattre, il n’ose en triompher. (1643)
    Var. Et que s’il le combat, il n’ose en triompher. (1648-64)
  103. Var. Mais voici de retour cette belle inhumaine. (1643-56)
  104. Var. Tes amis généreux n’ont point manqué de foi,
    Et ne m’ont point réduite à m’employer pour toi. (1643-56)
  105. Var. Et si nos cœurs étoient conformes en desirs. (1643-56)
  106. Var. Mais je n’ose parler, et je ne puis me taire. (1643-56)
  107. Var. Que peut un bel objet attendre d’un grand cœur ! (1643-60)
  108. Var. Jeter un roi du trône, et donner ses États. (1643-60)
  109. Var. « Voilà une imitation admirable de ces beaux vers d’Horace (livre II, ode i, vers 23 et 24) :
    Et cuncta terrarum subacta,
    Præter atrocem animum Catonis
    « Et tout l’univers subjugué, hormis l’âme indomptable de Caton. » (Voltaire.)
  110. Var. Aussi n’est-ce qu’à vous que je le veux devoir. (1643-56)
  111. Var. J’obéis sans réserve à tous vos mouvements. (1643-56)
  112. Var. Et quand il faut répondre un sang si malheureux. (1643-56)
  113. Var. Et le sang et la vie à qui le fait servir. (1643-56)
  114. Var. Implorer la faveur d’esclaves tels que nous. (1643-56)
  115. Var. Aux bouts de la terre en est-il d’assez vain
    Pour prétendre égaler un citoyen romain ? (1643-56)
  116. Var. Je saurai bien sans toi, dans ma noble colère,
    Venger les fers de Rome et le sang de mon père. (1643-56)
  117. Var. Je t’aime toutefois, tel que tu puisses être. (1643-60)
  118. Var. Tu te plains d’un amour qui te veut rendre traître. (1643-56)
  119. Var. Je l’ai juré, j’y cours, et vous serez vengée ;
    Mais ma main, aussitôt dedans mon sein plongée. (1643-56)
  120. Var. À ce crime forcé joindra le châtiment (a).

    (a) Racine s’est rappelé ce passage dans Andromaque (acte IV scène iii) :
    Et mes sanglantes mains, sur moi-même tournées,
    Aussitôt, malgré lui, joindront nos destinées.
  121. Var. Recouvrera sa gloire aussitôt que perdue. (1643-56)
  122. gardes manque dans l’édition de 1643. — troupe de gardes. (1648-60)
  123. Var. On ne conçoit qu’à force une telle fureur. (1643-56)
  124. Var. Encore pour Maxime, il m’en fait avertir (a),
    Et s’est laissé toucher à quelque repentir. (1643-56)

    (a) Unus ex consciis deferebat, « c’était un des complices qui dénonçait la conjuration : » voyez ci-dessus, p. 373.
  125. Var. Que sur les conjuré fait un juste remords. (1643-56)
  126. Var. Ô le plus déloyal que l’enfer ait produit ! (1643-56)
  127. Ce jeu de scène manque dans les éditions de 1643-60.
  128. Ce jeu manque dans les deux éditions de 1643. Il se trouve deux vers plus haut dans les éditions de 1648-60.
  129. Var. Il l’a jugé trop grand pour se le pardonner :
    À peine du palais il a pu retourner. (1643-60)
  130. Var. Que de tous les côtés lançant un œil farouche. (1643-56)
  131. Var. Que je n’ignore pas ce que j’ai mérité. (1643-60)
  132. Var. Et l’eau grosse et rapide, et la nuit survenue,
    L’ont dérobé sur l’heure à ma débile vue.
    aug. Sous ses justes remords il a trop succombé. (1643-56)

    Var. Dont l’eau grosse et rapide, et la nuit assez noire. (1660-64)
  133. Var. Sous le pressant remords il a trop succombé. (1660)
  134. auguste, seul. (1648-60)
  135. Sextus Pompée.
  136. Dans la guerre entre Octave et les adhérents d’Antoine, après la bataille de Philippes.
  137. Voyez p. 384, note 2.
  138. Var. Et puis ose accuser ton destin d’injustice,
    Si les tiens maintenant s’arment pour ton supplice,
    Et si par ton exemple à ta perte guidés. (1643-56)
  139. Var. Ils violent les droits que tu n’as pas gardés ! (1643-64)
  140. Ce vers rappelle, mais par les mots et le son plutôt que par la pensée, la fin de la première strophe des Larmes de saint Pierre de Malherbe :
    Fait de tous les assauts que la rage peut faire
    Une fidèle preuve à l’infidélité.
    (Voyez le Malherbe de M. Lalanne, tome I, p. 4.)
  141. Voyez ci-dessus, p. 373 : Quid ergo ! ego percussorem meum securum ambulare patiar, me sollicito ?
  142. Quis finis erit suppliciorum ? quis sanguinis ? (P. 374.)
  143. Var. Rome a pour ma ruine un hydre trop fertile. (1652-56)
  144. Ego sum nobilibus adolescentulis expositum caput, in quod mucrones acuant. (P. 374.)
  145. Non est tanti vita, si, ut ego non peream, tam multa perdenda sunt. (Ibidem.)
  146. Var. Éteins-en le flambeau dans le sang d’un ingrat. (1643-60)
  147. Toutes les éditions publiées du vivant de Corneille portent nous-mêmes, avec une s, à l’exception de celle de 1643 in-4o, qui donne nous-même.
  148. Voyez la Notice, p. 365.
  149. Admittis muliebre consilium ? (P. 374.)
  150. Var. Seigneur, jusques ici votre sévérité
    A fait beaucoup de bruit, et n’a rien profité. (1643-56)
  151. Var. N’a point mis de frayeur dedans l’esprit d’Égnace (a),
    Dont Cinna maintenant ose imiter l’audace. (643-56)

    (a) Tous ces noms sont aussi empruntés à Sénèque : voyez p. 374.
  152. Ce mot est toujours écrit ainsi par Corneille, qui ne fait en cela que se conformer à l’usage général de son temps.
  153. Nunc tenta quomodo tibi cedat clementia. (P. 374.)
  154. Jam nocere tibi non potest, prodesse famæ tuæ potest. (Ibidem.)
  155. Var. Aussi dedans la pièce où je m’en vais descendre. (1643-56)
  156. Var. Je sais les soins qu’un roi doit avoir de sa vie,
    À quoi le bien public, en ce cas, le convie. (1643-56)
  157. L’édition de 1682 porte, par erreur, conjecture, pour conjoncture.
  158. Les éditions de 1643 in-4o de 1648-54, de 1656 et de 1660 portent il fait, pour il faut. Quel que soit le nombre des éditions qui reproduisent cette leçon, ce ne peut être qu’une faute typographique.
  159. Ce jeu de scène manque dans les éditions de 1643-60)
  160. Var. Il m’échappe : suivons, et le forçons de voir. (1643-56)
  161. Var. Faire un second effort contre ce grand courroux ;
    J’en rendois grâce aux Dieux, quand soudain Polyctète. (1643-56)
  162. Var. Mais ce qui plus m’étonne, et que je viens d’apprendre. (1643-56)
  163. Var. Une vaine frayeur m’a pu tantôt troubler. (1643-56)
  164. Var. Que d’abord son éclat vous fera reconnoître. (1643-56)
  165. Var. Est de voir que César sait tout votre secret. (1643-56)
  166. Var. Nous avons un vaisseau tout prêt dessus la rive. (1643-56)
  167. Les éditions de 1668 et de 1682 portent, par erreur, de fortune, pour la fortune.
  168. Var. Quoi ! si ton amitié pour Cinna t’intéresse. (1643-56)
  169. Les éditions de 1653-56 portent ta maîtresse, pour sa maîtresse, ce qui est certainement une erreur.
  170. L’édition de 1643 in-4o porte sans loi, pour sans toi.
  171. Var. si c’est te faire tort que de me défier. (1643-56)
  172. Var. Et porte avec son nom à la postérité. (1643-56)
  173. Var. Il te reste autre fruit que la honte et la rage. (1643 et 48)
  174. Var. Mais que peut-on attendre aussi de tes pareils ? (1643-56)
  175. Var. Et pour changer d’état, il ne change point d’âme.(1643-56)
  176. Var. N’a su prendre un rayon de générosité. (1660)
  177. Voyez ci-dessus, p. 374 : Quum alteram poni Cinnæ cathedram jussisset : « Hoc, inquit, primum a te peto, ne me loquentem interpelles, ne medio sermone meo proclames ; dabitur tibi loquendi liberum tempus. »
  178. Var. Ce fut dedans leur camp que tu pris la naissance ;
    Et quand après leur mort tu vins en ma puissance,
    Leur haine héréditaire, ayant passé dans toi,
    T’avoit mis à la main les armes contre moi. (1643-56)
  179. Ego te, Cinna, quum in hostium castris invenissem, non factum tantum mihi inimicum, sed natum, servavi. (P. 374.)
  180. Var. Et le sang t’ayant fait d’un contraire parti,
    Ton inclination ne l’a point démenti :
    Comme elle l’a suivi, les effets l’ont suivie. (1643-56)
  181. Patrimonium tibi omne concessi. (P. 374.)
  182. Sacerdotium tibi petenti, præteritis compluribus quorum parentes mecum militaverant, dedi. (Ibidem.)
  183. Var. M’ont conservé le jour qu’à présent je respire,
    Et m’ont de tout leur sang acheté cet empire.
  184. Hodie tam felix es et tam dives, ut victo victores invideant. (P. 374.)
  185. Var. Après tant de travaux montrer un peu de haine. (1643 in-4o)
    VaVar. Après tant de faveurs montrer un peu de haine. (1643 in-12 et 48-56)
  186. Quum sic de te meruerim, occidere me constituisti. (P. 374.)
  187. Quum ad hanc vocem exclamasset Cinna, procul hanc ab se abesse dementiam : « Non prætas, inquit, fidem, Cinna ; convenerat ne interloquereris. Occidere, inquam, me paras. (P. 374. et 375.)
  188. Var. Assurée au besoin du secours des premiers.
    Te dirai-je les noms de tous ces meurtriers ? (1643-56)
  189. Monvel comptait ici les conjurés sur ses doigts ; après le nom de Maxime, il laissait retomber sa main en disant la fin du vers, puis il semblait s’apprêter à reprendre son compte, qu’il abandonnait définitivement en disant :
    Le reste ne vaut pas l’honneur d’être nommé.
    Talma admirait fort ce jeu de scène très-familier, mais d’un effet saisissant, et il fut longtemps avant d’oser le pratiquer.
  190. Et quum defixum videret, nec ex conventione jam, sed ex conscientia tacentem : « Quo, inquit, hoc animo facis ? » (P. 375.)
  191. Ut ipse princeps ? Male, mehercule, cum republica agitur, si tibi ad imperandum nihil præter me obstat. (Ibidem.)
  192. Var. Mais en un triste état on la verroit réduite. (1643-56)
  193. « Ces vers et les suivants occasionnèrent un jour une saillie singulière. Le dernier maréchal de la Feuillade, étant sur le théâtre, dit tout haut à Auguste : « Ah ! tu me gâtes le soyons amis, Cinna » Le vieux comédien qui jouait Auguste se déconcerta et crut avoir mal joué. Le maréchal, après la pièce, lui dit : « Ce n’est pas vous qui m’avez déplu, c’est Auguste, qui dit à Cinna qu’il n’a aucun mérite, qu’il n’est propre à rien, qu’il fait pitié, et qui ensuite lui dit : « Soyons amis. » Si le Roi m’en disait autant, je le remercierais de son « amitié ». » (Voltaire.)
  194. Cedo, si spes tuas solus impedio, Paulusne te et Fabius Maximus et Cossi et Servilii ferent, tantumque agmen nobilium, non inania nomina præferentium, sed eorum qui imaginibus suis decori sunt ? (P. 375.)
  195. Var. Cette stupidité s’est enfin dissipée. (1643-56)
  196. Var. Oui, Seigneur, du dessein je suis la seule cause :
    C’est pour moi qu’il conspire, et c’est pour moi qu’il ose. (1643-56)
  197. Var. Ces flammes dans nos cœurs dès longtemps étoient nées. (1643-56)
  198. Var. Mon père l’eut pareil de ceux qu’il vous a faits. (1643-56)
  199. Voyez acte III, scène iv, vers 1035 et 1036.
  200. Var. Ayant avec un père un amant à venger. (1643-56)
  201. Var. À mes chastes désirs la trouvant inflexible. (1643-56)
  202. Var. Mais enfin le ciel m’aime, et parmi tant de maux
    Il m’a rendu Maxime, et l’a sauvé des eaux. (1643-56)
  203. Voltaire, dans l’édition de 1786, a remplacé enlevé par arraché. Il fait commencer la scène au vers 1665.
  204. Var. À vos bontés, Seigneur, j’en demanderai deux,
    Le supplice d’Euphorbe, et ma mort à leur yeux. (1643-56)
  205. Il y a destin dans toutes les éditions de Corneille, et même encore dans celle de 1692. Le mot paraît être pris dans un sens conforme à celui de se proposer, résoudre, qu’avait autrefois le verbe destiner (voyez le Lexique). Voltaire a substitué dessein à destin.
  206. Voyez ci-dessus, p. 375 : Vitam tibi, inquit, Cinna, iterum do, prius hosti, nunc insidiatori ac parricidæ. Ex hodierno die inter nos amicitia incipiat. Contendamus utrum ego meliore fide vitam tibi dederim, an tu debeas.
  207. Post hæc detulit ultro consulatum. (P. 375.) — Cinna fut consul l’an 5 avant Jésus-Christ.
  208. Var. Apprends, à mon exemple, à vaincre ta colère. (1643-56)
  209. Var. Et pour preuve, Seigneur, je ne veux que moi-même. (1643-56)
  210. Ce jeu de scène manque dans les édition de 1643-60.
  211. Nullis amplius insidiis ab ullo petitus est. (P. 375.)
  212. L’édition de 1682 porte, par erreur, tout, pour trop.