Claude Paysan/024
XXIV
Oui, Claude le savait bien qu’ « elle n’était pas pour lui » ; il se le confessait sans effort, et pourtant d’entendre le vieux Pacôme le lui affirmer de nouveau, il en avait été un instant tout bouleversé.
Il ne comprenait pas bien l’état de malaise qui l’accablait, et il s’agitait, se plaignait du calme monotone de la journée, cherchait à chasser loin de lui un je ne sais quoi qu’il ne s’expliquait pas et qui lui chuchotait constamment de très vilaines choses.
Maintenant que Jacques n’était plus là pour le distraire. il sentait souvent des désespérances profondes, des découragements de vivre et s’il se rendait bien compte de ses rêves impossibles, cela lui faisait cependant mal au cœur que quelqu’un vint inconsciemment les détruire.
Ça lui plaisait de caresser ses chimères, de les rouler dans sa tête, de s’en faire accompagner, comme d’une musique pleine de charme, dans ses monotones travaux des champs.
À part sa vieille mère, il ne lui restait plus, de ceux qu’il aimait, que p’tit Louis et son chien, Gardien : p’tit Louis, qu’il amenait partout pour chasser ses idées noires et causer surtout de Fernande, son chien, qui le suivait toujours en agitant amicalement sa grande queue en panache… Jacques n’y était plus.
Le jour, il y avait tant de joyeuses chansons dans l’air, tant de travail absorbant aux moissons, qu’il parvenait à oublier l’absence de son ami ; mais le soir, à l’heure où depuis si longtemps il s’était habitué à entendre son pas alerte sur le perron, il sentait toujours un serrement de cœur incontrôlable…
C’est alors qu’il lui fallait s’efforcer de prendre un air insouciant et enjoué pour parler et sourire à sa mère…
… Ce soir-là, il avait essayé, mais il n’en avait pas été capable. Trop de choses s’agitaient dans son cerveau, venaient, malgré lui, figer son sourire sur ses lèvres. Et il était monté pour se coucher.
… Encore cette parole du père Pacôme qui lui revenait : « Celle-là n’est pas pour toi »… Mon Dieu ! pourquoi la lui avoir répétée ?… il le savait bien assez pourtant. Qu’importe, il y pensa longtemps à « celle-là qui n’était pas pour lui. »
… Ses pauvres fleurs, autrefois si blanches, étaient presque toutes séchées dans leur pot, maintenant. Les pétales s’en détachaient au moindre souffle. Il y en eut même deux, plus jaunis, plus fanés qui tombèrent sur la table, sous l’imperceptible mouvement qu’il leur avait imprimé de son haleine, en les regardant de trop près. Il les prit alors dans ses mains pour les examiner comme des petites choses étranges et mystérieuses… Ils avaient gardé leur même forme d’autrefois ; les nervures seulement s’accusaient davantage à cause de cette coloration fumeuse de cire vieillie qui leur était venue de chaque côté.
Il ne savait plus qu’en faire à présent et il cherchait partout un endroit pour les enfouir. Quant à les jeter comme ça, par la fenêtre, aux souillures des pluies et des vents, il ne le voulait point. À la fin, il ouvrit les feuilles d’un des anciens livres étalés sur sa table et y déposa pieusement les deux pauvres pétales entre les pages…