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Claude Paysan/025

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La Cie d’imprimerie et de gravures Bishop (p. 118-121).


XXV


Un jour d’été, par un commencement de crépuscule chaud et suave, Claude qui en compagnie de son chien longeait la grève en quête de hars flexibles pour lier ses gerbes de mil, s’était arrêté tout à coup, pâle et haletant sous les arbres. Le cou tendu, penché pour mieux voir, il regardait à travers les feuilles vertes et les branches. En même temps il retenait le bruit de sa respiration.

C’est qu’il venait d’entendre un léger clapotement de vague accompagné de notes douces et somnolentes fredonnées à mi-voix dans une lenteur de rêve…

— Dieu ! Fernande…

Il ne l’avait pas dit des lèvres, mais comme son cœur et ses yeux l’avaient crié.

Et vite, d’un bond de chèvre effarouchée, il se rejetait sous les arbres, s’enfonçant à l’abri des regards. Puis tout bas, très bas, il appelait auprès de lui son chien qui faisait trop de bruit, cassait les branches. roulait les cailloux de ses grosses pattes maladroites.

… Oui, c’était Fernande : sa tête était nue et ses longs cheveux blonds flottaient sur ses épaules comme chez les petites filles. — Tout en continuant en sourdine, sans penser à rien, sa nonchalante mélopée, elle agitait machinalement un aviron et l’eau jaillissait en fines gouttelettes. Partout la rivière était si calme que la chaloupe ne remuait presque pas, paraissait immobile. Ensuite pour s’amuser, ne sachant que faire, elle se plongeait les doigts, puis les mains toutes entières dans l’eau attiédie et elle regardait tourbillonner les remous que ça faisait.

Claude qui l’observait en silence, sans bouger, flattait doucement la tête de son chien pour le retenir et l’empêcher de trahir sa présence. Et par contraste bizarre, il lui venait dans la tête des tentations folles de sortir de sa cachette et de se montrer au grand jour. Mais ce n’était que des impressions passagères et menteuses de son esprit, car pour rien au monde, il ne l’aurait osé en réalité. Au contraire, il se cachait plus profondément derrière les feuilles des arbres, se faisant tout petit, sa respiration toujours haletante.

Maintenant Fernande fredonnait autre chose : une simple ariette sans parole qu’elle coupait à tout instant, au milieu des mesures, pour regarder passer les chariots de foin sur les sommets des coteaux, pour écouter japper les chiens, coasser les grenouilles à l’ombre des algues.

Mais, grand Dieu, quel nouveau frémissement d’angoisse et de honte secouait donc si fortement Claude dans sa cachette ?… C’est qu’il lui semblait que Fernande venait de l’apercevoir en promenant son regard lent sur la rive. Car tout de suite elle s’était mise à pousser son canot vers la côte… Elle avançait sans doute pour lui parler… S’il a pu s’enfoncer sous terre.

Par coups insensibles d’aviron elle se rapprochait, se rapprochait, et son canot glissait à présent entre les algues et les ajoncs flottants. Puis ce fut un râclement sur le sable doré qui fit frissonner Claude et l’avant du canot s’immobilisa sur la grève, à côté de pierres plates à fleur d’eau naturellement disposées pour les pieds.

Avant de descendre, Fernande avait de nouveau promené un regard chercheur comme pour se reconnaître et s’orienter par les arbres… Oui, c’était là, sans doute… et en relevant les bords de sa robe, elle avançait timidement vers lui, alignant comme une chatte innocemment ses pas sur les cailloux…

… Ciel ! qu’allait-il donc faire, Claude ?… que lui répondrait-il ?… Il roulait rapidement les phrases qu’il lui dirait… il arrangeait des explications dans sa tête… Non, pas ça… et vite, il cherchait autre chose… Et son chien qui se secouait toujours bêtement la queue au bruit de ce pas qu’il entendait, agitait les feuilles et les branches, traîtreusement. Claude l’aurait étranglé…

Fernande s’était arrêtée tout près… Il semblait à Claude qu’elle le cherchait toujours de ses grands yeux doux, sans pouvoir le découvrir à présent, par exemple ; et il s’écrasait dans les feuilles, se tassait en boule, sans souffler.

C’est vrai pourtant qu’elle paraissait le chercher… car que fouillait-elle partout attentivement de son regard ? … Oh ! cette fois, elle l’avait trouvé ce sauvage de Claude qui se cachait tout honteux, et elle se rapprochait encore… Et alors !


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…Claude qui l’observait en silence, sans bouger, flattait doucement la tête de son chien pour le retenir et l’empêcher de trahir sa présence…

… Alors, avec une petite moue mignarde d’enfant qui se croit seule, en tendant les mains, elle s’était mise tout simplement à casser, avec mille précautions à cause des ronces, des fleurs d’aubépine sauvage qu’elle entassait par terre, sans se baisser… Ensuite, comme elle n’avait pas de ruban, rien, elle les liait ensemble, les tiges bien pressées les unes sur les autres, au moyen de son mouchoir enroulé…

Elle en avait formé toute une gerbe à grosse tête arrondie et blanche comme faite avec de la neige… Elle aurait voulu y ajouter encore des fleurs cependant et elle regardait aux environs parmi les branches d’arbustes…

Comme elle n’en trouvait, plus, elle se contentait de mettre autour, en bordure, des grandes feuilles vertes de fougère… Puis elle s’en alla.

… En retournant, humant ses fleurs, elle s’était remise à fredonner doucement.

… Claude, lui, ne pouvait plus assez se hâter de respirer ; ses poumons demandaient toujours de l’air, et il soufflait vite, vite…