Claude Paysan/027

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La Cie d’imprimerie et de gravures Bishop (p. 123-127).


XXVII


… C’était longtemps plus tard.

… Ils s’en allaient par les champs. Claude et Fernande, bras dessus, bras dessous, follement. Toutes les routes qu’ils suivaient étaient vertes : il n’y avait que des brises douces et des chansons autour d’eux, que des roses sous leurs pas, que des soleils éblouissants partout… Les grives, les linottes curieuses, les petits chardonnerets jaunes tendaient la tête à travers les feuilles pour les regarder passer.

Non, jamais Claude n’avait imaginé un bonheur semblable. Et quand il se demandait comment tout cela était arrivé, il lui fallait un peu réfléchir, car ça n’était pas très net dans sa tête.

Pourtant, oui, il se souvenait maintenant… Un jour il avait eu cette audace, puisée il ne savait pas juste où, de déclarer son amour sans espoir à Fernande. Il le lui avait déclaré tout simplement comme une de ces choses folles, une de ces histoires invraisemblables que l’on raconte aux enfants pour les amuser. Il savait bien que ça ne lui servait guère d’avouer ainsi ces secrets qui la feraient plutôt rire, sans doute, mais il trouvait cela bon de confesser tous les détails de sa vie.

Il lui avait rappelé tous ses souvenirs passés… Ainsi, leurs rencontres… la première, en charrette, avec Jacques ; une autre fois qu’il lui avait donné des cerises ; puis à la mort de son père… puis encore, — ça le gênait de le lui dire, — quand elle avait cueilli ces fleurs d’aubépine sur la grève… se souvenait-elle ? … il s’était alors caché tout près dans les arbres et l’avait regardée faire… Il lui avait aussi appris le soin jaloux avec lequel il conservait ces autres fleurs qu’elle avait apportées sur le cercueil de son père.

— Moi, disait-il, la première fois que je vous ai vue, je me suis senti tout de suite bouleversé, gêné devant vous, comme saisi d’une étrange émotion dont je n’ai jamais pu me déprendre ensuite. Aussi, est-ce drôle que je me sente aujourd’hui le courage de vous avouer toutes ces choses-là…

Non, cela ne lui ferait rien, maintenant, qu’elle le trouvait ridicule ; il s’y attendait bien… c’est pour ça qu’il n’avait jamais voulu en parler à personne, ni à Jacques, ni à sa mère, qu’il n’avait même jamais osé prononcer son nom… Il lui semblait toujours qu’il allait alors se trahir…

… Mais non, Fernande ne riait point. Au contraire, ses grands yeux devenaient plus graves et elle l’écoutait comme si elle eut entendu des choses toutes naturelles et depuis longtemps désirées. C’est qu’elle l’avait un peu deviné, cet amour de Claude, seulement, elle n’en était pas certaine… Oh ! non… Comment y croire aussi ?… Il la fuyait toujours… Souvent elle aurait beaucoup aimé le rencontrer, lui parler doucement et, sans en rien laisser paraître, elle avait tâché de choisir les heures où il se trouvait au logis avec sa mère. Mais à chaque fois elle le voyait aussitôt s’enfuir à son approche, derrière les murs du jardin.

Vrai, elle ne riait point, Fernande… Elle, cette demoiselle, daignait l’écouter, ce paysan. Alors il s’était mis à genoux en sa présence, comme affolé, la vue trouble, et, sans savoir ce qu’il faisait, il lui avait saisi les mains dans les siennes.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et c’était tout-à-coup dans son esprit des cloches qui carillonnaient, des fanfares, des sérénades inouïes qu’il entendait au-dessus de sa tête, des coins de ciel faits d’or et de diamant où il voyait glisser des anges blancs qui agitaient des ailes rapides et brillantes comme des éclairs…

Ensuite il n’avait plus eu conscience de rien. Ça avait été comme si un tourbillon furieux l’eut subitement enlevé dans l’espace.

Il ne s’était ressaisi que plus tard en présence de sa mère, la vieille Julienne. Il était revenu tout d’une haleine vers elle, le cœur débordant de délices surhumaines.

— Fernande… lui avait-il dit simplement, avec une intonation qui renfermait tous les ravissements bénis de ses rêves.

La pauvre vieille mère n’avait pas bien compris tout d’abord, tant sa surprise avait été grande, mais quand elle vit que c’était vrai, que ce bonheur-là lui arrivait — car il n’en existait pas d’autre pour donner un tel rayonnement de prédestiné à son fils — oh ! elle s’était mise à danser, à sauter, à embrasser son Claude comme une vieille folle… Et elle riait, riait la pauvre, en figure n’avait plus que vingt ans et il jaillissait du bonheur de ses petits yeux gris. Puis s’arrêtant soudain :

— Tu vas faire venir ton ami Jacques pour être ton garçon d’honneur ?…

— Jacques ?… Oh ! oui… Et alors ce fut Claude qui se mit à danser à son tour, à sauter, à embrasser la vieille Julienne.

… En effet, il avait écrit, et Jacques était accouru de là-bas, là-bas… les mains pleines de lingots d’or. Il en avait donné par poignées à Claude, à la mère Julienne. à p’tit Louis…

Alors ça avait été un jour d’allégresse infinie.

Par une matinée douce, où flottaient comme de l’encens les vapeurs pâles du Richelieu, ils s’en étaient allés en procession joyeuse à l’église du village. Et avec ses jolis habits de marié, son grand air fier qui défiait l’avenir, son large front couronné de ses épaisses mèches brunes, le paysan Claude avait l’apparence d’un roi… Il le fallait bien, pour se mettre à la hauteur de cette reine qui était Fernande et qui l’avait grandi jusqu’à elle en lui accordant son amour.

Les autres aussi avaient tous belle mine, jusqu’à la vieille Julienne qui, à force d’être heureuse, avait l’air presque pimpante sous sa robe neuve. Dans l’église, pendant les cantiques et les joyeux accords, elle avait beaucoup prié seulement la pauvre vieille, beaucoup prié pour les deux qui étaient à présent ses enfants.

Claude, lui, l’émotion l’avait empêché de le faire ; ses prières ne lui venaient que sans suite coupées par bribes à tout moment par des visions étranges qui l’emportaient dans des mondes inconnus… Et c’était de nouveau des sonneries de cloche et de fanfare qu’il entendait… Mais de loin… loin… derrière d’épaisses montagnes…………

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

… Et maintenant ils s’appartenaient pour toujours. Maîtres de la vie, serrés l’un contre l’autre, ils s’en allaient au hasard par des prairies odorantes de foin et de marguerites, par des sentiers d’ombre et de verdure…

— Par ici. Fernande…

— Par ici. Claude…

Et ils s’entraînaient comme des enfants dans d’autres sentiers, dans d’autres prairies où il y avait encore plus d’ombre, où les foins sentaient meilleur. Ils se rattrapaient des années perdues à ne s’être point parlé, se chuchotant des tendresses inouïes qu’ils se redisaient toujours sans jamais les répéter………

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Claude !… Claude !… appela très tendrement la mère Julienne… Claude !…

Celui-ci, comme égaré, ouvrit ses yeux où passa l’éclair subit d’une douleur surhumaine :

— Ah !… soupira-t-il avec un accent qui faisait mal à entendre et il retomba sur son oreiller.

Pauvre Claude… tout cela n’avait hélas ! été qu’un long rêve…