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Claude Paysan/051

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La Cie d’imprimerie et de gravures Bishop (p. 224-228).


LI


Le crépuscule d’un des premiers soirs d’octobre descendait, un crépuscule terne et brumeux, coupé de violentes rafales chaudes comme il en souffle souvent sur nos luxuriantes vallées, les soirs hâtifs d’automne.

Et à chaque rafale, les feuilles, brusquement arrachées des arbres, tourbillonnaient, s’abattaient sur le sol où le vent les pourchassait dans la poussière grise… D’autres étaient aussi entraînées à la rivière à qui elles faisaient de nombreuses mouchetures jaunâtres… Et il en tombait beaucoup, par nuées, par orages.

Sur le bord de la rivière, Claude était assis au grand air, le front songeur, son chien à ses pieds. Il regardait vaguement cet effeuillement général, le balancement monotone des branches, les vagues mouvantes du Richelieu qui devenaient de plus en plus hautes, de plus en plus furieuses sous l’intensité croissante des vents du sud. Son canot, amarré à la grève, ricochait sur les embruns en démence.

Tête nue, sans qu’il parût s’en apercevoir, il laissait ses épaisses mèches de cheveux lui fouetter la figure.

… Ce Jacques qui était revenu maintenant, il y pensait.

Comme il avait été heureux de lui entendre dire qu’il ne repartirait plus jamais, jamais… Oh ! il l’aimait beaucoup… Dong… et sa vieille mère aussi… Il avait été bien près, l’autre jour, de lui confesser tous les sentiments secrets de son âme… il en aurait peut-être éprouvé du soulagement… il regrettait maintenant de ne pas l’avoir fait… Dong… Plusieurs fois déjà, il en avait pris la détermination, mais il n’osait jamais… Ce n’était pourtant pas lui, le pauvre Jacques, qui aurait songé à rire en l’entendant… La prochaine fois…. Dong… dong… dong…

Puis, une volée de cloche qui continuait, ondulant, selon les bouffées de vent, entre des diminuendo très tendres et de terribles sforzando. Et tout de suite, un silence lourd, immense, à travers lequel les sifflements des rafales passaient.

… L’Angelus peut-être…

Claude avait relevé son front, tous ses muscles respiratoires en suspens, pour écouter.

Puis de nouveau… dong… dong… frappé en sourdine, martelé à coups de battant lugubres…

Claude s’était redressé… Il avait très froid tout à coup ; un frisson subit le secouait, faisait claquer ses dents… Dong…

Il vit que c’était le glas… le glas sinistre, cent fois plus sinistre encore quand il se double d’un tel déchaînement de tempête… C’était le glas qui tombait avec une sorte de cadence lente, grave, solennelle, inexorable, comme des coups de cognée sur un chêne. Claude regardait là-bas le clocher qui commençait à s’estomper dans la brume… Dong…

… Les cheveux au vent, quelqu’un accourait en suivant le large chemin le long de la rivière… p’tit Louis… De loin il faisait signe à Claude… une bonne nouvelle sans doute à lui apprendre… Il approchait, il arrivait, presque souriant…

Mais comme s’il eût réfléchi soudain à quelque chose, il s’était arrêté subitement devant Claude et ne disait rien…… Dong…… Celui-ci le regardait sans rien dire non plus… Alors, p’tit Louis, les yeux baissés, au bout d’un moment :

— Tu sais, Claude, c’est mademoiselle Fernande qui est morte…

— Fernande ?… oui… je le… savais… répondit-il simplement, avec une intonation étrange, changée… P’tit Louis ne reconnaissait plus ce timbre de voix-là… Dong…

… Et ce fut de nouveau une carillonnée qui suivit, et le même silence horrible après, écrasant et terrible comme pour annoncer l’anéantissement de tout, l’effondrement des fins de monde.

Claude s’était machinalement jeté à genoux pour réciter une prière de son temps d’enfant… une prière qui, sur ses lèvres, prenait tout à coup une ferveur suprêmement confiante, qui s’envolait comme un élan d’âme vers l’infini d’en haut à la suite d’une autre âme, déjà rendue…… Dong………

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

… Maintenant, très pâle mais très ferme, il descendait lentement vers la rive du Richelieu… Oh ! le vent affreux qu’il faisait, qui secouait violemment les canots en tous sens avec des chocs pour rompre les amarres… Dong…… Il descendait toujours…

— Où vas-tu donc, Claude ? demandait p’tit Louis…… En chaloupe ? oh ! amène-moi « prendre les lames » avec toi… veux-tu ?…

Gardien aussi, avec une allure pleine de caresses, se frôlait dans les jambes de Claude, jetait en le suivant de petits jappements singuliers qui semblaient implorer la même faveur… Dong……

P’tit Louis le suppliait presqu’avec des larmes.

— Amène-moi donc, Claude ; hein ? veux-tu, Claude ?

Mais celui-ci, très bon, lui répondait doucement en lui jetant un regard de pitié :

— Pauvre enfant… ne vois-tu pas la houle épouvantable, les affreuses bourrasques ?… c’est dangereux va… Je ne fais que traverser la rivière d’ailleurs, et il fait presque déjà noir… Dong…

En même temps il s’efforçait de pousser son canot au large, mais le vent le rejetait toujours malgré lui sur la grève, dans un jaillissement d’écume et d’embruns furieux, comme si une main l’eut constamment rattaché au rivage. À un de ces moments, Gardien, qui hurlait tristement, avait dans un clin d’œil sauté dans l’embarcation et s’était écrasé sous un siège.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

… Dong…… Claude triomphait… La main avait lâché le canot… Elle paraissait même le repousser maintenant, car très vite, dans des clapotements et des balancements terribles, il glissait sur les flots brumeux qui l’entraînaient.

… Déjà Claude n’était plus qu’une indécise silhouette fuyante se profilant sur les teintes grises des eaux… Dong… quelque chose comme un fantôme assis sur une espèce de radeau de rêve.

On ne le distinguait plus…

… Il se perdait dans les ténèbres…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Loin… loin, on entendait encore des clapotements légers brusquement éteints dans le bruit des bourrasques monstrueuses… le cri rauque des tolets.

On ne les entendait plus… Dong… Plus rien…

Alors p’tit Louis s’essuya les yeux et s’en retourna dans l’ombre…

Ding — dong… ding… dong… ding…. dong… ding… dong…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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