Colas Breugnon/X

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Librairie Ollendorff (p. 219-244).


X

L’ÉMEUTE

Fin août.

Quand l’émotion fut digérée, je dis à Robinet :

— Assez ! Ce qui est fait est fait. Voyons ce qui reste à faire.

Je lui fis raconter ce qui s’était passé dans la cité, depuis quinze ou vingt jours que je l’avais quittée, mais bref et clair, sans bavarder : car l’histoire d’hier est de l’histoire ancienne ; et l’essentiel est de savoir où nous en sommes. J’appris que sur Clamecy régnaient la peste et la peur, la peur plus que la peste : car celle-ci déjà semblait chercher fortune ailleurs, laissant la place aux malandrins qui, de tous les côtés, attirés par l’odeur, venaient lui arracher des doigts sa proie. Ils étaient maîtres du terrain. Les flotteurs, affamés et rendus enragés par la terreur du fléau, laissaient faire, ou faisaient comme eux. Quant aux lois, elles gisaient. Qui en avait reçu la garde, était allé garder ses champs. De nos quatre échevins, l’un était mort, deux avaient fui ; et le procureur avait pris la poudre d’escampette. Le capitaine du château, vieil homme brave, mais podagre, n’ayant qu’un bras, les pieds gonflés, et de cerveau pas plus qu’un veau, s’était fait mettre en six morceaux. Restait un échevin, Racquin, qui se trouvant seul en face de ces animaux déchaînés, par peur, par faiblesse, par ruse, au lieu de leur tenir tête, crut plus sage de céder, en faisant la part du feu. Du même coup, sans se l’avouer (je le connais, j’ai deviné), il s’arrangeait pour satisfaire à son âme rancunière, en lâchant sur tel ou tel dont le bonheur lui faisait mal, ou dont il voulait se venger, la meute incendiaire. Je m’explique à présent le choix de ma maison !… Mais je dis :

— Et les autres, les bourgeois, que font-ils donc ?

— Ils font : « bée », dit Binet ; eh ! ce sont des moutons. Ils attendent chez eux qu’on vienne les saigner. Ils n’ont plus de berger, plus de chiens.

— Eh bien, Binet, et moi ! Voyons un peu, mon gars, s’il me reste des crocs. Allons-y, mon petit.

— Maître, un seul ne peut rien.

— Peut toujours essayer.

— Et si ces gueux vous prennent ?

— Je n’ai plus rien, je me moque d’eux. Va donc peigner un diable qui n’a plus de cheveux !

Il se mit à danser :

— Ce qu’on va s’amuser ! Frelelefanfan, chipe, chope, torche, lorgne, tarirarirariran, boute avant, boute avant !

Et sur sa main brûlée, fit la roue sur la route, et faillit s’étaler. Je pris un air sévère :

— Eh ! babouin, dis-je, est-ce une affaire à danser au bout d’un arbre, avec ta queue ? Debout ! Et soyons grave ! Il s’agit d’écouter.

Il m’écouta, les yeux brillants.

— Tu ne riras pas longtemps. Voilà : je m’en vas, seul, à Clamecy, de ce pas.

— Et moi ! Et moi !

— Toi, je t’envoie en ambassade à Dornecy, avertir Maistrat Nicole, notre échevin, l’homme prudent, qui a bon cœur, meilleures jambes, et s’aime mieux que ses concitoyens, mais mieux que soi aime son bien, que l’on doit demain matin boire son vin. De là, poussant jusqu’à Sardy, tu verras en sa tour à pigeons maître Guillaume Courtignon, le procureur, tu lui diras que sa maison à Clamecy sera sans faute, cette nuit, brûlée, pillée et cætera, s’il ne revient. Il reviendra. Je ne t’en dis pas plus. Tu sauras bien tout seul trouver ce qu’il faut dire, et tu n’as pas besoin de leçons pour mentir.

Le petit, se grattant l’oreille, dit :

— Ce n’est pas la difficulté. Mais je ne veux pas vous quitter.

Je réponds :

— T’ai-je demandé ce que tu veux ou ne veux pas ? Moi, je veux. Tu obéiras.

Il discutait. Je dis :

— Assez !

Et comme il s’inquiétait, ce petit, de mon sort :

— Je ne te défends pas, lui dis-je, de courir. Quand tu auras fini, tu pourras me rejoindre. Le meilleur moyen de m’aider, c’est de m’amener du renfort.

Ventre à terre dit-il, je les amènerai, suant, soufflant, sur leurs bedons, le Courtignon et le Nicole, quand je devrais leur attacher aux chausses une casserole !

Il partit comme un trait, puis s’arrêtant encore :

— Maître, au moins dites-moi ce que vous allez faire ! L’air important, avec mystère, je répondis :

— On verra bien.

(Par ma foi, je n’en savais rien ! )

    • *

Vers huit heures du soir, en ville j’arrivai. Sous des nuages d’or le soleil rouge était couché. La nuit commençait à peine. Quelle belle nuit d’été ! Mais personne pour en jouir. Pas un badaud et pas un garde, à la porte du Marché. On entrait comme en un moulin. Dans la Grand-Rue, un chat maigre rongeait du pain ; se hérissa, quand il me vit, puis détala. Les maisons, aux yeux clos, montraient face de bois. Pas une voix. Je dis :

— Ils sont tous morts. Je suis venu trop tard.

Mais voici, j’entendis que derrière les volets, on épiait, au bruit de mon pas qui sonnait. Je frappai, je criai :

— Ouvrez !

Nul ne bougea. J’allai à une autre maison. Je frappai de nouveau, du pied et du bâton. Nul n’ouvrit. J’entendis, dedans, un frr frr de souris. Maintenant, j’avais compris.

Ils se terrent, les marmiteux ! Feste-Dieu, je m’en vais leur mordre les fesses !

Du poing et du talon, je battis le tambour sur la devanture du libraire, et je criai :

— Hé ! vieux frère ! Denis Saulsoy, nom de nom ! Je vas tout casser. Ouvre donc ! Ouvre, chapon, je suis Breugnon.

Aussitôt, comme par magie (on eût dit qu’une fée de sa baguette eût touché les croisées), tous les volets s’ouvrirent, et je vis, tout du long de la rue du Marché, au rebord des fenêtres, alignées tout du long ainsi que des oignons, des faces effarées, qui me dévisageaient. Elles me regardaient, regardaient, regardaient… Je ne me savais pas si beau : je me tâtai. Puis, leurs traits contractés soudain se détendirent. Ils avaient l’air contents.

— Braves gens, comme ils m’aiment ! pensai-je, sans me dire que leur bonheur venait de ce que ma présence, à cette heure, en ce lieu, les rassurait un peu.

Lors, s’engagea la conversation entre Breugnon et les oignons. Tous parlaient à la fois ; et tout seul contre tous, je donnais la réplique.

— D’où viens-tu ? Que fis-tu ? Que vis-tu ? Que veux-tu ? Comment pus-tu entrer ? Par où pus-tu passer ?

Je dis :

— Holà ! Holà ! Ne nous emportons pas. Je vois avec plaisir que la langue vous reste, si vous avez perdu le cœur et les jarrets. Çà, que faites-vous-là haut ? Descendez, il fait bon humer le frais du soir. Vous a-t-on pris vos chausses, que vous restez chambrés ?

Mais au lieu de répondre, ils demandaient :

— Breugnon, dans les rues, en venant, qui as-tu rencontré ?

— Idiots, qui voulez-vous, dis-je, que je rencontre, puisque vous êtes tous au nid ?

— Les brigands.

— Les brigands ?

— Ils pillent, brûlent tout.

— Où cela ?

— En Béyant.

— Allons les arrêter ! Qu’avez-vous à rester dans votre poulailler ?

— Nous gardons la maison.

— La meilleure façon de garder sa maison, c’est de défendre celle des autres.

— Le plus pressé d’abord. Chacun défend le sien.

— Je connais le refrain : « J’aime bien mes voisins, mais je n’ai cure d’eux » … Malheureux ! Les brigands, vous travaillez pour eux. Après les autres, vous. Chacun aura son tour.

— Monsieur Racquin a dit qu’en ce danger, le mieux était de rester coi, faire la part du feu, en attendant que l’ordre soit rétabli.

— Par qui ?

— Par M. de Nevers.

— D’ici là, sous le pont il coulera de l’eau. M. de Nevers a ses affaires. Devant qu’il pense aux vôtres, vous serez tous brûlés. Allons, enfants, venez ! Il n’a droit à sa peau, qui ne la défend !

Les autres sont nombreux, armés.

— On crie toujours le loup plus grand qu’il n’est.

— Nous n’avons plus de chefs.

— Soyez-les.

Ils continuaient de jaser, de l’une à l’autre fenêtre, comme des oiseaux perchés ! ils disputaient entre eux, mais aucun ne bougeait. Je m’impatientai :

— Allez-vous me laisser, toute la nuit, planté dans la rue, nez en l’air, à me tordre le cou ? Je ne suis pas venu chanter la sérénade, tandis qu’avec vos dents vous battez la chamade. Ce que j’ai à vous dire ne se chante ni ne se crie sur les toits. Ouvrez-moi ! Ouvrez-moi, de par Dieu, ou bien je mets le feu. Allons, descendez, les mâles (s’il en reste là-haut) ; les poules suffiront pour garder le perchoir.

Moitié riant, moitié jurant, une porte s’entrebâilla, puis l’autre ; un nez prudent s’aventura ; suivit, la bête ; et sitôt que l’on vit un mouton hors du parc, tous les autres sortirent. Ce fut à qui viendrait me regarder sous le nez :

— Et tu es bien guéri ?

— Sain comme un chou cabus.

— Et nul ne t’a fait noise ?

— Nul, hors un troupeau d’oies, qui sifflaient après moi. De me voir sortir sauf de ce trouble danger, ils en respiraient mieux et m’aimaient davantage. Je dis :

— Regardez bien. Ouais, je suis au complet. Tous les morceaux y sont. Non, il n’y manque rien. Voulez-vous mes lunettes ?… Çà, en voilà assez ! Demain, vous verrez plus clair. L’heure nous presse, allons, laissons les fariboles. Où pouvons-nous causer ?

Gangnot dit :

— Dans ma forge.

Dans la forge à Gangnot, sentant la corne, au sol pétri par les sabots des chevaux, nous nous tassâmes dans la nuit, comme un troupeau. Porte fermée. Un lumignon, posé à terre, faisait danser sur la voûte noire de fumée nos grandes ombres ployées au cou. Tous se taisaient. Et brusquement, tous à la fois parlèrent. Gangnot prit son marteau et frappa son enclume. Le coup troua le bruit des voix ; par la déchirure, le silence rentra. J’en profitai, je dis :

— Ménageons notre souffle. Je sais déjà l’histoire. Les brigands sont chez nous. Bien ! Mettons-les dehors.

Ils dirent :

— Ils sont trop forts. Les flotteurs sont pour eux.

Je dis :

— Les flotteurs ont soif. Quand ils voient d’autres boire, ils n’aiment pas regarder. Je les comprends très bien. Il ne faut jamais tenter Dieu, un flotteur encore moins. Si vous laissez piller, ne vous étonnez point que tel qui n’est pas un voleur aime mieux dans sa poche voir le fruit du larcin que dans celle de son voisin. Puis, il y a partout des bons et des mauvais. Allons, comme le Maître, « ab haedis scindere oves » .

— Mais puisque M. Racquin, dirent-ils, l’échevin, nous défend de bouger ! C’est à lui qu’appartient, en l’absence des autres, lieutenant, procureur, d’assurer l’ordre en la cité.

— Le fait-il ?

— Il prétend…

— Le fait-il, oui ou non ?

— Cela se voit assez !

— Alors, nous, faisons-le.

— M. Racquin promet que si nous ne bougeons, nous serons épargnés. L’émeute restera cantonnée aux faubourgs.

— Et comment le sait-il ?

— Il a dû faire un pacte avec eux, contraint, forcé !

— Mais ce pacte, c’est un crime !

— C’est, dit-il, pour les endormir.

— Les endormir, eux, ou bien vous ?

Gangnot frappa de nouveau son enclume (c’était son geste à lui, sa façon pour parler de se claquer la cuisse), et dit :

— Il a raison.

Tous avaient l’air honteux, peureux et furieux. Denis Saulsoy, baissant le nez :

— Si l’on disait tout ce qu’on pense, on aurait long à raconter.

— Eh ! que ne parles-tu ? fis-je. Que ne parlez-vous ? Nous sommes entre frères. Qu’est-ce que vous craignez ?

— Les murs ont des oreilles.

— Quoi ! vous en êtes là ?… Gangnot, prends ton marteau, et mets-toi en travers de la porte, mon gars ! Le premier qui voudra ou sortir ou entrer, enfonce-lui le crâne dans l’estomac ! Que les murs aient ou non des oreilles pour épier, je réponds qu’ils n’auront de langue pour rapporter. Car quand nous sortirons, ce sera sur-le-champ afin d’exécuter l’arrêt que l’on va prendre. Et maintenant, parlez ! Qui se tait est un traître.

Ce fut un beau vacarme. Toute la haine et la peur refoulées éclataient comme des fusées. Ils criaient, en montrant le poing :

— Ce coquin de Racquin, il nous tient ! Le Judas nous a vendus, nous et nos biens. Mais que faire ! On ne peut rien. Il a la loi, il a la force, la police lui appartient.

Je dis :

— Où niche-t-il ?

— À la maison de ville. Il y gîte, jour et nuit, pour plus de sûreté, entouré d’une garde de vauriens qui le veillent, le surveillent peut-être autant qu’ils veillent sur lui.

— Bref, il est prisonnier ? Très bien, dis-je, nous allons, de ce pas, d’abord le délivrer. Gangnot, ouvre la porte !

Ils ne paraissaient pas encore bien décidés.

— Qu’est-ce qui vous arrête ?

Saulsoy dit, se grattant la tête :

— C’est une grosse affaire. On ne craint pas les coups. Mais, Breugnon, après tout, nous n’avons pas le droit. Cet homme, il est la loi. Marcher contre la loi, c’est oui-dà se charger d’une lourde…

Je dis :

—…Res-pon-sa-bi-li-té ? Eh bien, je la prends, moi. Ne t’inquiète pas. Lorsque je vois, Saulsoy, un coquin coquiner, je commence par l’assommer ; après je lui demande comment est-ce qu’il se nomme ; et s’il est procureur, ou pape, ainsi soit-il ! Amis, faites de même. Quand l’ordre est le désordre, il faut bien que le désordre fasse l’ordre et sauve la loi.

Gangnot dit :

— Je viens avec toi.

Le marteau sur l’épaule, avec ses mains énormes (quatre doigts à la gauche, l’index écrasé manquait), bigle d’un œil, noir de peau, droit de corps et large comme un tonneau, il avait l’air d’une tour qui marche. Et par-derrière, on se pressait, suivant le rempart de son dos. Chacun courut dans sa boutique, pour y chercher son arquebuse, son couperet, ou son maillet. Et, ma foi, je ne jurerais que tel entra qui ressortit, de cette nuit, faute sans doute, le pauvre homme, de trouver son harnachement. Car pour dire la vérité, en arrivant sur la grand-place, nous étions assez clairsemés. Mais ceux qui restent sont les bons.

Par chance, la porte de l’hôtel de ville était ouverte : le berger était si sûr que ses moutons se laisseraient jusqu’au dernier raser la laine sans bêler, que ses chiens et lui dormaient du bon sommeil de l’innocence, après avoir très bien dîné. Notre assaut n’eut donc rien, je l’avoue, d’héroïque. Nous n’eûmes qu’à cueillir, comme on dit, la pie au nid. Nous l’en tirâmes proprement, nu et sans chausses, comme un lapin sans peau. Le Racquin était gras, la face ronde et rose, des coussinets de chair au front, dessus les yeux, l’air doucereux, pas bon ni bête. Il nous le fit bien voir. Dès le premier instant, il sut, à n’en pas douter, ce dont il retournait. Ce ne fut qu’un éclair de peur et de colère dans ses petits yeux gris, enfouis sous le bourrelet des paupières. Mais tout de suite, il se ressaisit, et, d’une voix d’autorité, il nous demanda de quel droit nous avions envahi la maison de la loi.

Je lui dis :

— Pour t’arracher de son lit.

Il s’emporta. Saulsoy lui dit :

— Maître Racquin, ce n’est plus l’heure de menacer. Vous êtes ici l’accusé. Nous venons demander vos comptes. Défendez-vous.

Il changea subito de musique.

— Mais, chers concitoyens, dit-il, je ne m’explique ce que vous voulez de moi. Qui se plaint ? Et de quoi ? Au risque de ma vie, ne suis-je pas resté ici, pour vous garder ? Quand tous les autres fuient, seul j’ai dû tenir tête à l’émeute et la peste. Que me reproche-t-on ? Suis-je cause des maux que j’essaie de panser ?

Je dis :

— « Médecin avisé fait, dit-on, plaie puante. » Ainsi fais-tu, Racquin, médecin de la cité. Tu engraisses l’émeute et tu nourris la peste, et tu leur trais le pis, après, à tes deux bêtes. Tu t’entends avec les larrons. Tu mets le feu à nos maisons. Tu livres ceux que tu dois garder. Tu guides ceux que tu dois frapper. Mais dis-nous, traître, est-ce par peur, ou par cupidité que tu fais ce honteux métier ? Que veux-tu qu’on te mette au cou ? Quel écriteau ? « Voilà l’homme qui vendit sa ville pour trente deniers » … Pour trente deniers ? Pas si sot ! Les prix ont augmenté, depuis l’Iscariot. Ou : « Voici l’échevin qui, pour sauver sa peau, mit à l’encan celle de ses concitoyens »  ?

Il s’emporta, et dit :

— J’ai fait ce que j’ai dû, ce qui était mon droit. Les maisons où la peste a passé, je les brûle. C’est la loi.

— Et tu taxes de peste, tu marques d’une croix les maisons de tous ceux qui ne sont point pour toi ! « Qui veut noyer son chien… » Sans doute, c’est aussi pour combattre la peste que tu laisses piller les maisons empestées ?

— Je ne puis l’empêcher. Et que vous fait, à vous, si ces pillards ensuite en crèvent comme des rats ? C’est coup double. Bon débarras !

— Il va nous dire qu’il combat la peste avec les pillards, et les pillards avec la peste ! Et de fil en aiguille, il restera vainqueur sur la ville détruite. Le disais-je pas bien ? Mort le malade et mort le mal, nul ne demeure que le médecin… Eh bien, maître Racquin, à partir d’aujourd’hui, nous ferons de tes soins l’économie, nous nous soignerons nous-mêmes ; et comme toute peine a droit à un salaire, nous te réservons…

Gangnot dit :

— Ton lit au cimetière.

Ce fut comme si dans une meute un os était tombé. Sur la proie ils se lancèrent, en hurlant ; et l’un criait :

— Nous allons coucher l’enfant !

Le gibier, par bonheur, se sauva dans l’alcôve ; et, appuyé au mur, hagard, il regardait les museaux prêts à mordre. Moi, je retins les chiens :

— Tout beau ! Laissez-moi faire !

Ils restaient en arrêt. Le misérable, nu, rose comme un goret, grelottait de frayeur et de frais. J’eus pitié. Je lui dis :

— Allons, passe tes chausses ! Nous avons assez vu, mon bon ami, ton cul.

Ils rirent comme des bossus. Je profitai de l’accalmie, pour leur parler raison. L’animal cependant rentrait dedans sa peau, claquant des dents, et l’œil mauvais : car il sentait que le danger s’éloignait. Quand il fut habillé, sûr que ce ne serait encore pour aujourd’hui qu’on happerait le lièvre, il redevint vaillant et il nous insulta ; il nous nomma rebelles et menaça de nous faire condamner, pour insulte au magistrat. Je lui dis :

— Tu ne l’es plus. Magistrat, je te destitue.

Alors, ce fut contre moi qu’il tourna sa colère. Le désir de se venger était plus fort que la prudence. Il dit qu’il me connaissait bien, que c’était moi dont les conseils avaient tourné les cerveaux faibles de ces mutins, qu’il ferait tomber sur moi le poids de leurs attentats, que j’étais un scélérat. Dans sa rage bredouillante, d’une voix aigre et sifflante, il déchargea sur mon dos un tombereau de gros mots. Gangnot dit :

Faut-il l’assommer ?

Je dis :

— Tu fus bien inspiré, Racquin, de m’avoir ruiné. Tu le sais bien, gredin, que je ne puis te faire pendre, sans risquer le soupçon que j’agis par vengeance, pour l’incendie de ma maison. Et pourtant le collier de chanvre siérait à ta beauté. Mais nous laissons à d’autres le soin de t’en parer. Tu ne perds rien pour attendre. L’important, c’est qu’on te tient. Tu n’es plus rien. Nous t’arrachons ta belle robe d’échevin. C’est nous qui prenons en main le gouvernail et l’aviron.

Il bégaya :

— Tu sais, Breugnon, ce que tu risques ? Je lui réponds :

— Je le sais, mon garçon, ma tête. Et je la mets au jeu, — au jeu de qui perd gagne. Si je la perds, la cité gagne.

On le conduisit en prison. Il y trouva la place chaude, que lui laissa un vieux sergent, enfermé trois jours avant, pour avoir refusé d’obéir à son commandement. Les huissiers et le portier de la maison de ville, à présent que le coup était fait, disaient tous qu’il était bien fait, et qu’ils avaient toujours pensé que le Racquin était un traître. À beau penser qui n’agit point !

    • *

Jusque-là, notre plan s’était exécuté comme une planche lisse où glisse le rabot, sans rencontrer un nœud. Et je m’en étonnais. Je demandais :

— Où donc sont cachés les brigands ?

lorsqu’on cria :

— Au feu !

Parbleu ! Ils pillaient ailleurs.

Dans la rue, un homme essoufflé nous apprit que toute la bande mettait à sac les entrepôts de Pierre Poullard, en Bethléem, hors la porte de la tour Lourdeaux, brisait, brûlait, buvait à tire-larigot. Je dis aux compagnons :

— S’ils veulent des violons pour danser, nous voici ! Nous courûmes à la Mirandole. De la terrasse, on dominait la ville basse, d’où montait dans la nuit un bruit de sabbat. Sur la tour de Saint-Martin, haletant, le tocsin grondait.

— Camarades, il va falloir descendre, dis-je, en la fournaise. Ça va chauffer. Sommes-nous prêts ? Mais d’abord, il faut un chef. Qui le sera ? Veux-tu, Saulsoy ?

— Non, non, non, non, fit-il, faisant trois pas à reculons. Je n’en veux pas. C’est bien assez que je sois ici, à minuit, obligé de me promener avec ce vieux mousquet. Ce qu’on voudra, ce qu’il faudra, je le ferai, — hors commander. Merci Dieu ! je n’ai jamais su rien décider…

Je demandai :

— Alors, qui veut ?

Mais aucun d’eux ne remua. Je les connais, ces oiseaux-là ! Parler, marcher, encore cela va. Mais décider, il n’y a plus personne. L’habitude de finasser avec la vie, quand on est petit bourgeois, d’hésiter et de tâter le drap qu’on veut acheter, cinquante fois, de marchander, et d’attendre pour le prendre que l’occasion soit passée, ou bien le drap ! L’occasion passe, j’étends le bras :

— Si nul n’en veut, eh bien, c’est moi.

Ils dirent :

— Soit !

— Seulement, qu’on m’obéisse, sans discuter, de cette nuit ! Autrement, nous sommes perdus. Jusqu’au matin, je suis seul maître. Vous me jugerez demain. Est-ce entendu ?

Ils dirent tous :

— C’est entendu.

Nous descendîmes la colline. J’allais devant. À ma gauche, marchait Gangnot. À droite, j’avais mis Bardet, crieur de ville et son tambour. À l’entrée du faubourg, sur la place des Barrières, déjà nous rencontrâmes une foule fort gaie qui, sans méchanceté, s’en allait en famille, femmes, garçons et filles, vers l’endroit où l’on pille. On eût dit une fête. Certaines ménagères avaient pris leur panier, comme au jour de marché. On s’arrêta pour voir notre troupe passer ; et les rangs s’écartaient poliment devant nous ; ils ne comprenaient pas, et nous suivant, d’instinct, emboîtèrent le pas. Un d’eux, le perruquier Perruche, qui portait une lanterne de papier, l’approchant de mon nez, me reconnut et dit :

— Ah ! Breugnon, bon garçon ! te voilà revenu ? Eh ! tu arrives à point ! On va trinquer ensemble.

Il y a temps pour tout, Perruche, je réponds. Nous trinquerons demain.

— Tu vieillis, mon Colas. Il n’y a pas d’heure pour la soif. Demain, le vin sera bu. Ils le tirent. Hâtons-nous ! Est-ce que par hasard la purée de septembre te dégoûte, à présent ?

Je dis :

— Le vin volé, oui.

— Volé, il ne l’est point, dit-il, mais bien sauvé. Lorsque la maison brûle, faut-il donc bêtement laisser perdre les bonnes choses ?

Je l’écartai de mon chemin :

— Voleur !

Et je passai.

— Voleur !

lui répétèrent Gangnot, Bardet, Saulsoy, les autres. Ils passèrent. Le Perruche demeurait atterré ; puis, je l’entendis furieux vociférer ; et en me retournant, je le vis qui courait, en nous montrant le poing. Nul de nous ne parut l’entendre ni le voir. Quand il nous eut rejoints, il se tut brusquement, et avec nous marcha.

Arrivés sur la berge de l’Yonne, à l’entrée du pont, impossible de passer. La foule était serrée. Je fis battre le tambour. Les premiers rangs s’ouvrirent, sans trop savoir pourquoi. Nous entrâmes comme un coin, mais nous nous trouvions pris. Je vis là deux flotteurs que je connaissais bien, le père Joachim, dit le Roi[12] de Calabre, et Gadin dit Gueurlu. Ils me dirent :

— Çà, çà, maître Breugnon, que diable venez-vous faire ici, avec votre peau d’ânon et tous ces harnachés, graves comme des baudets ? C’est-y que vous voulez rire, ou bien qu’on va-t-en guerre ?

— Tu ne crois pas si bien dire, Calabre, je réponds. Car tel que tu me vois, je suis pour cette nuit capitaine de Clamecy, et je vas le défendre contre ses ennemis.

— Ses ennemis ? dirent-ils, tu n’es pas fou ? Qui donc ?

— Ceux qui brûlent, là-bas.

— Et qu’est-ce que cela peut te faire, dirent-ils, maintenant que ta maison est brûlée ? (Pour la tienne, on regrette ; tu sais, on s’est trompé.) Mais celle de Poullard, ce pendard engraissé de nos peines, ce torcoul qui se pavane avec la laine qu’il nous a sur le dos tondue, et qui, lorsqu’il nous a mis tout nus, nous méprise du haut de sa vertu ! Qui le vole, il est bien sûr d’aller tout droit au paradis. C’est pain bénit. Laisse-nous faire. Que t’importe ? Encore passe de ne point piller ! Mais l’empêcher !… Rien à perdre, tout à gagner.

Je dis (car il m’eût fait gros cœur de cogner sur ces pauvres garçons, sans avoir essayé d’abord de raisonner) :

— Tout à perdre, Calabre. Notre honneur à sauver.

— Notre honneur ! Ton honneur ! dit Gueurlu. Ça se boit-il ? Ou bien si ça se bâfre ? On sera peut-être mort demain. Que restera-t-il de nous ? Il ne restera rien. Que pensera-t-on de nous ? On ne pensera rien. L’honneur est une denrée de luxe pour les riches, les bêtes qu’on enterre avec des épitaphes. Nous, on sera tous ensemble, dans la fosse commune, comme des tranches de merluche. Va-t’en voir celle qui pue l’honneur ou bien l’ordure !

— Seul, chacun, on n’est rien, c’est vrai, mon roi de Calabre ; mais tous, on est beaucoup. Cent petits font un grand. Quand auront disparu ces riches d’aujourd’hui, quand seront effrités, avec leurs épitaphes, les mensonges de leurs tombes et le nom de leurs races, on parlera encore des flotteurs de Clamecy ; ils seront dans son histoire sa noblesse aux rudes mains, à la tête dure comme leurs poings, et je ne veux pas qu’on dise qu’ils furent des coquins.

Gueurlu dit :

— Je m’en fous.

Mais le roi de Calabre, après avoir craché, cria :

— Si tu t’en fous, tu n’es qu’un saligoud. Il a raison, Breugnon. De savoir que ça se dit, ça me vexerait aussi. Et par saint Nicolas, ça ne se dira pas. L’honneur n’est pas aux riches. On le leur fera bien voir. Qu’il soit sire ou messire, pas un d’eux qui nous vaille !

Gueurlu dit :

— Faut-il donc se gêner ? Est-ce qu’ils se gênent, eux ? Y a-t-il plus grand goulafre que ces princes, ces ducs, le Condé, le Soissons, et le nôtre, le Nevers, et le gros d’Épernon, qui, lorsqu’ils en ont plein les bajoues et la panse, s’empiffrent, les cochons, de millions à crever, et quand le roi est mort, vont piller son trésor ! Voilà leur honneur à eux ! Vrai, nous serions bien bêtes de ne pas les imiter !

Roi de Calabre jura :

— Ce sont des marcassins. Quelque jour, notre Henri reviendra de sa fosse pour leur faire rendre gorge, ou bien ce sera nous qui les ferons rôtir tout farcis de leur or. Si les grands font les porcs, mordia ! on les saignera ; mais dans leur porcherie, on ne les imitera. L’exemple, nous le donnons, nous. Il y a plus d’honneur dans la cuisse d’un flotteur que dans le cœur d’un genpillehomme.

— Alors, mon roi, tu viens ?

— Je viens ; et cestuy-là, Gueurlu aussi viendra.

— Non, que diable !

— Tu viendras, que je dis, ou tu vois la rivière, et je te fous en bas. Allons, ouste, marchons. Et vous, par la Mer Dé[13], place, andouilles, je passe !

Il passait, refoulant les gens avec ses pilons. Et nous dans le remous, suivions comme un fretin derrière un gros poisson. Ceux que l’on rencontrait maintenant étaient trop « bus », pour que l’on pût penser encore à discuter. Chaque chose en son lieu : les arguments de langue, d’abord, et puis les poings. On tâchait seulement de les asseoir par terre, sans trop les abîmer : un soûlard, c’est sacré ! Enfin, l’on se trouva aux portes de l’entrepôt. La nuée des pillards grouillait dans la maison de maître Pierre Poullard, comme des poux sur une toison. Les uns déménageaient des coffres, des ballots ; d’autres s’étaient vêtus de défroques volées ; certains joyeux farceurs jetaient, pour rigoler, les vases et les pots, des fenêtres du premier. Au milieu de la cour, on roulait des barriques. J’en vis un qui buvait, bouche collée à la bonde, jusqu’à ce qu’il s’écroulât, les quatre fers en l’air, sous le rouge pissat. Le vin formait des mares, que des enfants lapaient. Et, afin d’y mieux voir, ils avaient mis en tas des meubles dans la cour, et les faisaient flamber. Au fond des caves, on entendait les maillets qui défonçaient les futailles, les feuillettes ; des hurlements, des cris, des toux qui s’étranglaient : par-dessous terre, la maison grognait, comme si dans son ventre elle portait un troupeau de gorets. Et déjà, çà et là, sortaient des soupiraux des langues de fumée qui léchaient les barreaux.

Nous pénétrâmes dans la cour. Ils ne s’occupaient pas de nous. Chacun à son affaire. Je dis :

— Roule, Bardet !

Bardet battit sa caisse. Il cria les pouvoirs que la ville m’accordait ; et, donnant de la voix à mon tour, je sommai les pillards de partir. Aux roulements du tambour, ils s’étaient rassemblés, comme un essaim de mouches, quand on frappe un chaudron. Et lorsque notre bruit cessa, tous ils recommencèrent, furieux, à bourdonner, et sur nous se lancèrent, en sifflant et huant et nous jetant des pierres. Je tâchai de forcer les portes de la cave ; mais des fenêtres du grenier, ils faisaient choir tuiles et poutres. Nous entrâmes pourtant, en refoulant ces gueux. Gangnot eut là deux doigts encore de la main arrachés, et le roi de Calabre eut l’œil gauche crevé. Pour moi, en repoussant la porte qui se ferma, je me trouvai coincé, comme un renard au piège, le pouce entre les gonds. Nom de d’là ! Je faillis pâmer comme une femme et rendre ce que j’avais dedans mon estomac. Heureusement, j’avisai un baril éventré. (c’était de l’eau-de-vie de marc) ; j’en arrosai mon coffre et j’y baignai mon pouce. Après quoi, je vous jure, cristi, je n’eus plus envie de tourner la prunelle. Mais je devins furieux, moi aussi. La moutarde m’était montée au nez.

Nous luttions à présent sur les marches de l’escalier. Il fallait en finir. Car ces diables cornus nous déchargeaient à la face leurs mousquets, et de si près qu’aux barbes de Saulsoy le feu prit. Gueurlu entre ses mains calleuses l’éteignit. Par chances, ces ivrognes voyaient double, en visant, sans quoi, pas un de nous n’en serait sorti vivant. Nous dûmes remonter les marches, et nous battîmes en retraite. Mais, campés à l’entrée, — j’aperçus l’incendie, sournois, qui se glissait, de l’une et de l’autre aile vers le logis du fond, où se trouvait la cave, — je fis fermer l’issue avec une barrière de pierres, de débris, montant jusqu’au nombril ; et par-dessus, braqués, bloquant le défilé, nos épieux et nos gaffes, tel le dos hérissé d’un porc-épic en boule. Et je criai :

Brigands ! Ah ! vous aimez le feu ! Eh bien donc, mangez-le !

La plupart ne comprirent le danger que trop tard, ivres au fond des caves. Mais quand les grandes flammes firent craquer les murs et broyèrent les poutres entre leurs mandibules, du fond du sol monta un pandémonium ; et un torrent de gueux, dont quelques-uns flambaient, jaillit à la surface, comme du vin mousseux qui fait sauter la bonde. Ils vinrent s’écraser contre notre muraille ; et ceux qui les poussaient formèrent un bouchon qui obstrua l’entrée. Derrière, on entendit rugir au fond du trou le feu et les damnés. Et je vous prie de croire que cette musique-là ne nous faisait pas chaud ! Ce n’est pas gai d’ouïr la chair meurtrie qui souffre et brame de douleur. Et si j’avais été simple particulier, Breugnon de tous les jours, j’aurais dit :

— Sauvons-les !

Mais lorsqu’on est le chef, vous n’avez plus le droit d’avoir un cœur ni des oreilles. L’œil et l’esprit. Voir et vouloir, et faire sans faiblir ce qu’il faut que l’on fasse. Sauver ces bandits-là, c’était perdre la ville : car s’ils étaient sortis, ils se seraient trouvés plus nombreux et plus forts que nous qui les gardions ; et mûrs pour le gibet, ils ne se fussent pas laissé cueillir à l’arbre. Les guêpes sont dans le nid : qu’elles y restent !…

Et je vis les deux ailes de flammes qui se rejoignaient et sur le bâtiment du milieu se fermaient, en craquant et faisant voleter autour d’elles leurs plumes de fumée… Or, juste à ce moment, voici que j’aperçois par-dessus les premiers rangs de ceux qui se tassaient, au goulot de l’escalier, collés l’un contre l’autre, et sans pouvoir bouger que des sourcils, des yeux, de la bouche qui hurlaient, mon vieux compain Éloi, dit Gambi, ce vaurien, pas méchant, mais soiffard (comment s’est-il fourré, bon Dieu, dans ce guêpier ? ) qui riait et pleurait, sans comprendre, hébété. Chenapan, fainéant, il l’a bien mérité ! Mais tout de même, on ne peut pas le voir ainsi griller… Nous avons joué, enfants, et nous avons mangé, à l’église Saint-Martin, ensemble le corps de Dieu : nous avons été frères de première communion…

J’écarte les épieux, je saute la barrière, je marche sur les têtes furieuses (elles mordaient) et par-dessus cette pâte humaine qui fumait, j’arrive à mon Gambi, que j’agrippe au collet. « Vingt dieux ! Oui, mais comment l’arracher de l’étau ? » pensais-je, en le prenant, « Il faudra le hacher pour avoir un morceau » … Par bonheur singulier (je dirais qu’il y a un Dieu pour les ivrognes, si tous n’avaient autant mérité ses faveurs), mon Gambi se trouvait sur le bord d’une marche, vacillant en arrière, lorsque ceux qui montaient l’avaient sur leurs épaules soulevé de telle sorte qu’il ne touchait plus terre et restait suspendu, pareil a un noyau qu’on presse entre les doigts. En m’aidant des talons pour écarter, à droite, à gauche, les épaules qui lui serraient les côtes, de la gueule de la foule, je parvins à sortir sans peine le noyau, proprement expulsé. Il était temps ! Le feu, en trombe, remontait, comme par une cheminée, le trou de l’escalier. J’entendis brasiller les corps au fond du four ; et me courbant, marchant à grandes enjambées, sans regarder sur quoi mes souliers s’enfonçaient, je revins, en traînant Gambi par ses cheveux gras. Nous sortîmes du gouffre, dont nous nous écartâmes, laissant la flamme achever l’œuvre. Et cependant, pour refouler notre émotion, à Gambi nous bourrions les côtes, cet animal qui, près de crever, avait gardé, sans les lâcher, sur son cœur, deux plats émaillés et une écuelle coloriée, qu’il avait, Dieu sait où, raflés !… Et Gambi, dégrisé, pleurant, allait jetant ses écuelles, et s’arrêtant, à tous les vents, pour pisser comme une fontaine, criant :

— Je ne veux rien garder de ce que j’ai volé !

    • *

Au point du jour, le procureur, maître Guillaume Courtignon, parut, suivi de Robinet, qui le menait, tambour battant. Trente gens d’armes le flanquaient, et un parti de paysans. Il en vint d’autres, au cours du jour, que le Maistrat nous amena. D’autres encore, le lendemain, que le bon duc nous envoya. Ils tâtèrent les cendres chaudes, dressèrent constat des dégâts, firent le compte, y ajoutèrent leurs frais de voyage et séjour, et sans plus, après s’en furent, par où ils étaient venus…

La morale de tout cela :

« Aide-toi, le roi t’aidera. »