Commentaire de la logique d’Aristote/11

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Commentaire de la logique d’Aristote/11
Librairie Louis Vivès (5p. 321-356).

TRAITÉ XI. DU SYLLOGISME DÉMONSTRATIF.

Chapitre I : Ce que c’est que le syllogisme démonstratif[modifier]

Nous allons parler maintenant de la démonstration En effet, la science étant l’habitude de la conclusion démontrée acquise par la spéculation pour savoir ce que c’est que la science et comment on l’acquiers, il est nécessaire de savoir ce que c’est que la démonstration. Or la démonstration est un syllogisme procédant de choses vraies, nécessaires, première de soi, propres, connues par elles-mêmes immédiates et causes de la conclusion. Il faut savoir que parmi les démonstrations il y en a une propter quid, et une quia c’est pourquoi la définition précédente ne convient qu’à la démonstration propter quid. Dans cette définition il y a des choses qui appartiennent à la forme de la démonstration, en ce qui est dit être le syllogisme, d’autres qui appartiennent à la matière de la démonstration, c’est-à-dire qu’il procède de choses vraies, nécessaires, etc. C’est pourquoi j’exposerai d’abord les particules qui appartiennent à la matière objet de la démonstration; secondement j’établirai ce qui appartient à sa forme, c’est-à-dire dans quelle figure et dans quel mode ce syllogisme doit être fait. Que la démonstration procède de choses vraies, nécessaires, etc., on peut le voir clairement par sa fin, qui est de savoir, puisque savoir n’est autre chose que connaître la cause d’une chose quelconque, et non seulement la cause en tant que cause, mais en tant que cause actu de cette chose. En effet, connaître la cause d’une chose, et ne pas connaître l’effet de son être en acte, c’est connaître l’effet virtuellement: or ce n’est pas là connaître l’effet simpliciter, c’est le connaître seulement secundum quid. De plus, comme savoir c’est connaître d’une manière certaine, il faut que cet effet suive nécessairement cette cause. Donc la conclusion de la démonstration, dont l’habitude est la science, ou de savoir habitualiter, doit procéder nécessairement de prémisses qui soient les causes vraies et nécessaires de la conclusion.

Chapitre II : Ce que c’est que dici de omni premièrement de soi, ou universellement.[modifier]

Pour explorer les susdites particules de la définition de la démonstration qui appartiennent à la matière objet de la démonstration, il est nécessaire de faire quelques observations préliminaires comme les prémisses de la démonstration sont universelles, il faut savoir par conséquent ce que c’est que dici de omni, et comme le prédicat s’y dit par soi du st il faut savoir ce que c’est que per se et primo. Dici de omni, dans le sens où on le prend ici, c’est lorsqu’il n’y arien à prendre dans le sujet dont le prédicat ne se dise pas, ni un temps dans lequel le prédicat ne convienne pas à ce sujet. La différence qui existe entre dici de omni dont on parle ici et celui dont on a parlé dans le traité du syllogisme, c’est qu’on le prenait dans le premier cas pour toutes les fois qu’une chose se dit universellement de quelque sujet, soit que le prédicat soit inhérent au sujet nécessairement et en tout temps, soit qu’il ne Je soit que d’une manière contingente, pomme ici. C’est pour quoi dans cette proposition tout homme court, dici de omni se con serve de cette manière. Mais ici dici de omni se prend pour ce qui est toujours inhérent au sujet, comme tout homme est anima: car il ne peut pas y avoir de temps où l’homme ne soit pas animal; on voit donc ce que c’est que dici de omni. per se se dit de quatre manières; premièrement quand le prédicat est la définition ou quelque partie de la définition du sujet, comme, tout homme est un animal raisonnable mortel, ou tout homme est animal; secondement quand le prédicat est la propre passion du sujet, dans laquelle définition se trouve le sujet, comme, tout homme est susceptible de rire. En effet homme se trouve dans la définition susceptible de rire non comme partie essentielle, mais comme quelque chose hors de son essence, sans quoi il ne pourrait être connu. Car l’être de l’accident dépendant du sujet, il faut que la définition qui signifie son être, contienne le sujet en elle. Troisièmement on dit qu’une chose est par soi quand elle signifie quelque chose de solitaire, comme le singulier dans le genre de la substance, tel que Sortès, Platon; blanc ou ambulant de cette manière n’est pas dit per se, puisque on n’entend pas quelque chose de solitaire existant par soi. Car en disant blanc, je dis l’accident et le sujet; mais quand je dis Sortès je dis quelque chose de solitaire, et c’est ainsi dit per se. Or il faut savoir que ce mode n’est pas un mode de prédication per se, mais c’est un mode d’être. La quatrième manière de prédication per se, c’est lorsqu’on dit d’une chose une autre chose qui en est la cause immédiate et nécessaire, comme quand nous disons que l’assassiné est mort par l’assassinat. C’est là ce qu’on appelle per se. On dit que la prédication se fait primo quand le prédicat et le sujet sont tellement adéquats que le prédicat ne peut se trouver hors du sujet, ni le sujet hors du prédicat, comme lorsque nous disons, l’homme est susceptible de rire. En effet la faculté de rire est tellement attachée à l’homme que l’on peut appeler homme tout ce que l’on peut dire susceptible de rire et réciproquement. C’est pourquoi en disant: Sortès a la faculté de rire, quoique susceptible de rire se dise de Sortès dans le second mode de prédication per se, on ne le dit pas néanmoins dans le premier, parce que susceptible de rire se dit d’un plus grand nombre que de Sortès. Néanmoins Aristote appelle universel, ce que l’on dit primo, non pas dans le sens où ou a pris ce mot dans le premier traité, mais bien parce que le prédicat peut se dire universellement du sujet, et le sujet du prédicat. On voit par là ce que signifient ces trois choses, dici de omni, perse et universale. Tout ce qui se dit primo et universaliter, ne se dit pas per se, mais non réciproquement. En effet, susceptible de rire se dit primo per se de l’homme, quoique cela se dise per se de Sortès, ce n’est pas néanmoins De même aussi ce qui se dit per se, se dit de omni, cependant tout ce qui se dit de omni ne se dit pas per se; car en disant, tout animal est homme, c’est une prédication de omni et non pas néanmoins per se.

Chapitre III : Que la démonstration procède de choses vraies et nécessaires.[modifier]

Voyons maintenant les parties de la définition de la démonstration que nous avons énumérées. On dit en effet que la démonstration pro cède de prémisses vraies. Nous avons dit plus haut ce que c’est que le vrai. Or pour que la conclusion soit vraiment déduite des prémisses comme de ses causes, il faut que les prémisses soient vraies; car quoi que l’on puisse tirer une conclusion vraie de prémisses fausses, néanmoins la vérité de la conclusion provient des prémisses. Nous disons, en effet, tout homme est pierre, toute perle est homme, donc toute perle est pierre; cette conclusion est vraie, quoique les prémisses soient fausses. Et comme toute cause s’assimile son effet, la fausseté de ces propositions ne peut pas être la cause de la vérité de la conclusion; c’est pourquoi dans le I° Priorum Aristote dit qu’une conclusion vraie de prémisses fausses se produit non propter quid, mais quia. On voit donc que la démonstration procède de choses vraies. On dit ensuite que la démonstration procède de prémisses nécessaires; or nous avons dit dans le traité des syllogismes ce que c’est qu’une pro position nécessaire. Il faut noter qu’une proposition démontrée doit être nécessaire. Car si science dit une certitude qui ne peut venir de contingents en tant que contingents, mais seulement de choses nécessaires, la conclusion dont l’habitude est la science, doit être nécessaire. Cela posé, il faut savoir que, bien qu’on puisse avoir une conclusion nécessaire de prémisses contingentes, ou au moins d’une, comme il a été dit, on ne peut néanmoins pas avoir la science avec des prémisses contingentes, mais bien avec des prémisses nécessaires. En effet, si savoir, comme nous l’avons dit, c’est connaître la cause nécessaire d’une chose, et si le moyen terme se rapporte aux extrêmes d’une manière contingente, il ne sera pas nécessaire, et par conséquent il pourra être exclu de la conclusion qui restera nécessaire; il ne sera donc pas la cause de la conclusion. Donc pour qu’il soit la cause de la conclusion, il doit avoir un rapport nécessaire avec les deux extrêmes, et de cette manière les deux prémisses seront nécessaires. On voit donc que la démonstration procède de prémisses nécessaires.

Chapitre IV : Que la démonstration procède de prémisses où elle se trouve per se et non per accidens.[modifier]

On dit ensuite que la démonstration procède de choses qui sont per se et non per accidens. Il faut savoir que dans la démonstration affirmative principale le moyen est la définition du sujet en même temps que la définition de la passion. C’est pourquoi dans la majeure la passion se dit de la définition du sujet, dans laquelle sont exprimés les principes de la passion même. En effet, comme il a été dit dans le premier traité, le sujet est comparé à la première passion, non seulement en raison de la cause matérielle, mais même en raison de la cause efficiente. Donc la définition du sujet, prise en même temps que la définition de la passion, exprime la cause efficiente immédiate et nécessaire de la passion même; or c’est là le quatrième mode de dire per se, comme on l’a dit plus h Dans la mineure, la définition se dit du sujet, et c’est le premier mode de dire per se. Dans la conclusion, la propre passion se dit de son sujet, et c’est le second mode de dire per se. Par exemple: si nous voulions démontrer que tout nombre quatre est pair, nous le ferions ainsi tout assemblage mesuré par l’unité, qui n’a pas de moyen per se, est pair; mais tout nombre quatre est un assemblage de ce genre, donc tout nombre quatre est pair. Ici le sujet est le nombre quatre, sa passion est pair ou parité, et le moyen qui a été pris dit la définition du nombre, qui est un assemblage mesuré par l’unité, et dit aussi la définition de pair, parce que pair n’a pas de moyeu suivant soi. Dans la majeure, la passion se dit de- la définition du sujet dans laquelle est exprimée s propre définition, et c’est là le quatrième mode de dire perse. Dans la mineure, la définition du sujet se dit de son sujet, et c’est le premier mode de dire per se. Dans la conclusion, la propre passion se dit de son sujet, et c’est le second mode de dire per se. On voit donc quo la démonstration procède de choses qui sont per se. La raison commune de cela s’établit ainsi. Le syllogisme qui procède de choses nécessaires, ne procède pas de choses qui sont per accidens, mais de choses qui sont per se; mais, ainsi que nous l’avons dit, la démonstration procède de choses nécessaires, donc la démonstration procède de choses qui sont per se.

Chapitre V : Que la démonstration procède de choses premières et immédiates.[modifier]

On dit ensuite que la démonstration procède de choses premières. Remarquez que dans la démonstration principale la propre passion se dit du sujet dans la conclusion. Dans les prémisses où la prédication le la définition se fait du sujet, ou celle de la propre passion se fait de la définition du sujet ou de la sienne. Or toutes ces choses sont convertibles, et c’est là la prédication première, comme il a été dit. Et à raison de cela la démonstration établie plus haut n’est pas principale; en effet, on conclut du nombre quatre qu’il est pair, mais le mot pair a plus d’étendue que le nombre quatre, puisqu’il se dit du nombre six, du nombre huit et des autres. Pair convient d’une manière adéquate à quelque nombre commun qui est innommé, et s’il avait un nom, la prédication serait per se et primo; et on pourrait faire à son égard une démonstration principale. C’est ainsi que nous disons qu’avoir trois angles égaux à deux droits convient per se primo au triangle, parce qu’il y a conversion. Car tout triangle a trois angles, et tout ce qui a trois angles est triangle. Mais cela ne convient pas primo à l’isocèle, parce que tout ce qui a trois angles n’est pas isocèle. Ces propositions de démonstrations sont immédiates. En effet, une proposition médiate est celle dans laquelle le prédicat est inhérent au sujet à raison de quelque affirmation qui convient antérieurement au sujet, comme la faculté de rire à Sortès, parce que cette qualité con vient antérieurement à l’homme. La proposition immédiate est celle dans laquelle le prédicat ne convient pas au sujet à raison d’une autre, comme la faculté de rire convient à la définition de l’homme, et toute propre passion à la définition de son sujet et à la sienne. Il est donc évident que la démonstration procède de principes premiers et immédiats. Il faut savoir qu’il y a une différence entre premier et immédiat; car tout ce qui est primairement inhérent n’est pas dit immédiat. Effectivement, la qualité de rire est primairement inhérente à l’homme, mais non immédiatement, parce qu’elle est inhérente per prius à la définition de l’homme et à la sienne, autrement la définition ne serait pas un moyen pour attribuer par voie de conclusion la qualité de rire à l’homme. De même tout ce qui est inhérent immédiatement ne l’est pas primairement. En effet, homme est immédiatement inhérent à Sortès, mais non primairement; car homme s’applique à un plus grand nombre d’individus que Sortès; c’est pourquoi les prémisses démonstratives doivent renfermer l’un et l’autre. Il faut savoir aussi que les premiers principes dans la démonstration étant quelquefois médiats, parce qu’ils peuvent être démontrés par quelque moyen, l’argumentateur néanmoins les prend comme immédiats et indémontrables. En effet, ils ne sont pas démontrables dans la science où s’opère la dé monstration, mais dans une science supérieure; et conséquemment, quoiqu’ils aient un moyen, ils sont cependant pris comme immédiats.

Chapitre VI : Que la démonstration procède de choses propres, et non d’étrangères, ni de communes.[modifier]

On dit ensuite que la démonstration procède de choses propres. Remarquez qu’on appelle quelquefois une chose propre lorsqu’elle n’est pas étrangère, et quelquefois parce qu’elle n’est pas commune. Or la démonstration procède des deux manières de choses propres, parce qu’elle ne le fait pas de choses étrangères, ni de choses communes. Pour comprendre qu’elle ne procède pas de choses étrangères, il faut savoir qu’il y a trois termes dans la démonstration comme dans tout syllogisme, à savoir, le grand extrême, qui est la passion propre, le petit extrême, qui est le sujet, et le moyen terme, qui est la définition du sujet avec la définition de la passion. Or, si le moyen terme était étranger au grand extrême ou au petit extrême, qui ne serait pas la définition renfermant l’un et l’autre, le grand extrême alors ne serait pas dit de lui per se, et il ne serait pas dit lui-même du sujet per se; mais on a prouvé que dans la majeure le grand extrême se dit per se du moyen dans le quatrième mode de dire per se, et que dans la mineure le moyen se dit du petit extrême per se dans le premier mode de dire per se; donc la démonstration ne procède en aucune manière de choses étrangères, mais bien de choses propres. Il faut savoir que, bien que dans les démonstrations il n’y ait pas transition d’un genre à un genre étranger, néanmoins rien n’empêche que quelquefois le sujet d’une démonstration ne soit contenu sous le sujet d’une autre démonstration et le contracte. Par exemple: supposons que l’on démontre cette passion, à savoir le sensitif, par la définition d’animal appliquée à l’animal même, si cette même passion était démontrée relativement à l’homme par le même moyen terme, ou par un moyen contracté dans la définition de l’homme, il se ferait alors une démonstration sous une autre, et ce serait un sujet sous un autre sujet. Il faut aussi savoir qu’une semblable contraction est quelquefois dans le même genre simpliciter, comme on l’a dit de l’animal et de l’homme, parce qu’elle s’opère quelquefois dans l’homme par quelque différence étrangère. Quelquefois cette contraction ou transition s’opère dans le même genre secundum quid, parce que le sujet se contracte par une différence étrangère, comme visuel est étranger au genre de la ligne, et le son est étranger au genre du nombre. C’est pourquoi la ligne qui est simplement un sujet de géométrie, et la ligne visuelle qui est un sujet de perspective ne sont pas simplement du même genre, mais seulement secundum quid, il en est de même du nombre qui est un sujet de l’Arithmétique et du nombre sonore qui est un sujet de la musique. C’est pourquoi quand les choses qui appartiennent simplement à la ligne sont appliquées à la ligne visuelle, il se fait en quelque sorte une transition à un autre genre. Aussi dans la démonstration qui s’effectue dans la science de la perspective et dans la musique, on procède en quelque façon de principes étrangers. On voit donc de quelle manière la démonstration procède de principes ou prémisses propres et non étrangères. Pour concevoir qu’elle procède aussi de choses propres et non communes, il faut savoir que dans la démonstration certains principes concourent actuellement, et d’autres virtuellement. Il y a certains principes qui sont la formule des communes conceptions de l’âme, parce que notre intellect est naturellement porté par sa lumière à les connaître, par la raison que les termes étant connus, il connaît immédiatement ces principes, comme, le tout est plus grand que sa partie. Car aussitôt que la raison connaît ce que c’est qu’un tout et ce que c’est qu’une partie, elle reconnaît la vérité de ce principe que le tout est plus grand que le partie. Or ces principes ou propositions premières sont plus et moins communs. C’est pourquoi ce principe commun, l’être ou le non être se dit de toutes choses, est commun dans tout être; mais celui-ci, le tout est plus grand que sa partie, ne convient qu’à l’être corporel, et non aux substances séparées qui n’ont ni tout, ni parties, et ainsi de plusieurs autres. C’est pourquoi les principes ci dessus n’entrent pas actuellement, mais bien virtuellement dans les démonstrations qui se font dans les sciences. Car dans toute proposition que je fais, il y a tout d’abord introduction virtuelle. En effet, lorsque je dis Pierre court, il est certain ou qu’il y a un homme, ou qu’il n’y en a pas. Donc ce principe, l’être ou le non être se dit de toute chose, se trouve virtuellement dans chacune des prémisses de la démonstration; il en est de même des autres principes moins communs, par rapport aux démonstrations dans lesquelles ils se trouvent virtuellement. C’est pourquoi dire que les démonstrations ne pro cèdent pas virtuellement de ces principes, c’est une fausseté. Mais je dis que ces principes communs n’entrent pas actuellement dans la démonstration. En conséquence celui qui voudrait démontrer la quadrature du cercle par les principes communs de cette manière, là où se trouve le plus et le moins se trouve aussi l’égal; mais il se trouve un carré plus grand que le cercle et moindre que le cercle, donc on trouve aussi l’égal; celui-là ferait une mauvaise démonstration. La raison en est, ainsi qu’on l’a prouvé plus haut, que la démonstration procède de choses premières et immédiates; mais en usant de ces principes, les deux propositions de la démonstration ne seront pas immédiates et premières, parce que être plus grand ou plus petit que le cercle convient non seulement au carré, mais encore au triangle et à plusieurs autres figures; il n’y a donc pas dans cette proposition ce qui est premier, ou ce qui est inhérent primairement. Elle pas non plus immédiate, parce pie cela pourrait se prouver par plusieurs moyens termes; donc ce n’est pas de là que procède la démonstration. Il y a d’autres principes de démonstration qui entrent actu dans la démonstration, lesquels sont aussi appelés positions, suppositions et définitions. Pour comprendre ces termes, il faut observer que tout ce qui est placé dans la démonstration avant la conclusion, est appelé position, parce que c’est placé avant la conclusion. Il est certaines positions qui ne prennent point l’être ou le non être, telle est la définition. Car ceci n’est pas une définition, l’homme est un animal raisonnable mortel; la définition n’est que cela, animal raisonnable mortel, c’est-à-dire ce qui ajoute l’être ou le non être, et cette définition est une position. Quelquefois la position prend l’être ou le non être, comme lorsque nous disons, l’homme est un animal raisonnable mortel, et c’est ce qu’on appelle une supposition. Il faut savoir que ce n’est pas sans cause que ces suppositions sont appelées suppositions. Remarquez qu’on appelle proposition connue per se celle dans la quelle le prédicat est de la nature du sujet; telles doivent être les prémisses des démonstrations, comme nous le dirons plus loin. Il faut savoir que les termes de quelques propositions ont une notoriété commune; tels que être, vrai, bien, un, chose, et autres semblables qui appartiennent aux premières conceptions de l’intellect, et sont connus au premier mot. C’est pourquoi les propositions dont ces choses sont la matière non seulement sont connues par elles-mêmes en elles-mêmes, mais encore par rapport à nous, comme être et non être se dit de toute chose; aussi ces propositions ne sont pas appelées suppositions. Il y a d’autres propositions où, quoique le prédicat soit de la définition du sujet, cette définition du sujet n’est pas néanmoins connue à tout le monde, et par conséquent il n’est pas connu de tout le monde que le prédicat est de sa définition, comme celle-ci: tous les angles droits sont égaux, car égal est de la définition d’angle droit. En effet, l’angle droit est celui qui est produit par une ligne droite tombant perpendiculairement sur une autre ligne droite, de manière qu’il y ait des deux côtés des angles égaux. En conséquence, comme tout le mondé ne soit pas cela, c’est-à-dire que égal appartient à la définition d’angle droit, on le suppose, et pour cette raison on l’appelle supposition. La proposition de la démonstration peut être appelée supposition dans un autre sens, car il y a certaines propositions qui se prouvent par les principes d’une science supérieure, comme on le montrera plus bas, et par conséquent il faut supposer la science inférieure. Et comme c’est de pareils principes ou prémisses propres que procède la démonstration, parce qu’entrent en elle actu, elle pro cède conséquemment de choses propres et non communes. On voit donc comment la démonstration procède de choses propres, etc.

Chapitre VII : Que la démonstration procède de choses connues par elles-mêmes.[modifier]

On dit ensuite que la démonstration procède de choses connues par elles-mêmes. On appelle propositions connues par elles-mêmes celles où le prédicat appartient à la définition du sujet ou vient immédiatement de ses principes. Mais les choses d’où procède la démonstration sont de ce genre. Car dans la majeure la propre passion se dit de la définition du sujet et de la science, qui est sa cause immédiate, ou exprime ses principes immédiats; dans la mineure au contraire la définition se dit du sujet. Donc la démonstration procède de choses connues par elles-mêmes. Il faut savoir qu’il y a certaines propositions connues par elles-mêmes en elles-mêmes, et non par rapport à nous, comme celle-ci: quiconque a la fièvre a le pouls accéléré. En effet, quoique cela soit connu en soi, par ce que la fièvre est une cause de l’accélération du pouls, néanmoins ce n’est pas connu par rapport à nous, au contraire nous connaissons la fièvre par l’accélération du pouls. Ce n’est pas de semblables choses connues par elles-mêmes que procède la démonstration. Car si la raison d’une chose est plus claire que cette chose, les conclusions nous sont connues à cause des prémisses, il faut donc que les prémisses nous soient plus connues. C’est pourquoi nous ne pourrions connaître les conclusions en aucune manière, si les prémisses ne nous étaient pas plus connues. Or on fait des démonstrations afin d’arriver à la connaissance des conclusions; donc les démonstrations procèdent de choses plus connues par rapport à nous. Il y a certaines propositions connues par elles-mêmes et en elles-mêmes et par rapport à nous, comme tout nombre qui n’a pas de moyen par soi est pair, parce que tout nombre qui n’a point par soi de moyens est appelé pair et vice versa, c’est de telles choses que procède la démonstration. Il est donc évident que la démonstration procède de choses connues par soi et qui nous sont plus connues. On peut conclure de ce qui précède que la démonstration et la science, qui est l’habitude d’une conclusion démontrée, roule toujours sur des choses incorruptibles et sempiternelles. En effet, il faut que ce qui conserve dici de omni soit incorruptible et sempiternel. Car, comme il a été dit plus haut, on appelle dici de omni quod non aliquando inest, et aliquando non inest, sed semper inest. Or les choses corruptibles ne sont pas toujours en cela, donc dici de omni ne se conserve que dans les choses sempiternelles. Mais dans la démonstration principale qui a ses deux propositions universelles, dici de omni se conserve dans toutes. Donc la démonstration roule sur les choses incorruptible et sempiternelles. Il semble aussi que la définition appartient aux sempiternelles. En effet, Quoique les choses corruptibles soient définies, elles ne sont pas définies néanmoins entant que corruptibles. Il n’y a de corruptibles que les choses particulières, or le particulier ne se définit pas. C’est pourquoi la définition roule per accidens sur les choses corruptibles, et per se sur les choses sempiternelles. Il faut savoir que certaines choses sempiternelles ou éternelles, comme il appartient au but de la démonstration, ne sont pas toujours telles suivant le temps, elles le sont par comparaison à la cause; parce que il n’y a jamais de défection sans qu’en posant une telle cause on ne pose l’effet, comme la défection du soleil ne s’opère jamais sans que la lune s’interpose entre lui et nous; cependant cette défection du soleil ne dure pas toujours, mais seulement dans ce moment. Quelques autres ne sont sempiternelles, ni par comparaison au temps, ni par comparaison à la cause, lesquelles peuvent être naturalisées. En effet la semence humaine ne produit pas toujours un homme avec deux yeux, il y a quelquefois une défectuosité à raison de quelque obstacle du côté de la cause agissante ou de l matière. Dans les deux cas, il faut ordonner les démonstrations de manière qu’elles roulent sur les sempiternelles, et de sorte qu’on tire une conclusion universelle de propositions universelles, en écartant les choses où il peut y avoir défectuosité, soit du côté du temps, soit du côté de la cause. On voit donc que la démonstration roule sur des choses sempiternelles tant dans les prémisses que dans la conclusion. Donc la science qui est l’habitude de la conclusion démonstrative roule sur des choses sempiternelles.

Chapitre VIII : Que la démonstration procède des causes de la conclusion.[modifier]

On dit ensuite que la démonstration procède des causes de la conclusion, ce qui peut s’entendre de deux manières. Premièrement que les prémisses sont cause que le grand extrême se trouve dans le petit, et cela est vrai non seulement dans la démonstration, mais encore dans tout syllogisme où on conclut la vérité de choses vraies. Par exemple, dans ce syllogisme: tout homme court, Sortés est homme, donc Sortès court, en. supposant qu’il soit vrai que tout homme court, et que Sortès soit homme, il s’ensuit nécessairement, comme effet, que Sortès court. Secondement on peut entendre que les prémisses sont la cause de la conclusion, parce qu’elles contiennent la cause tant du sujet que du prédicat de la conclusion, et dans ce sens cela ne convient qu’à la démonstration. Il faut remarquer, ainsi qu’il a été dit, que savoir étant connaître la cause d’une chose, le moyen qui appartient à la démonstration et qui. est un syllogisme produisant la science, est la définition du sujet et de la passion. Or toute bonne définition se donne par une cause quelconque, donc le moyen qui se trouve dans les prémisses, est la cause du sujet et de la passion, d’une manière différente néanmoins. Sur quoi il faut savoir que, comme il y a quatre causes, à savoir: la finale, l’efficiente, la formelle et la matérielle, la définition peut se tirer de laquelle que ce soit, par exemple, en disant la maison est un abri formé de pierres, de ciment et de bois, c’est une définition par la cause matérielle; si l’on dit, la maison est un abri long et haut, c’est une définition par la cause formelle; en disant, la maison est un abri construit par un artisan avec de marteaux des tuiles, et du plomb, c’est une définition par la cause efficiente; si l’on dit, la maison est un abri qui nous garantit de la pluie, du froid et du chaud, c’est une définition par la cause finale. Donc le sujet pouvant être défini par tant de causes, le moyen qui est sa définition, comme il a été dit, sera en rapport avec lui dans l’habitude de toutes ses causes. A l’égard de la passion, le rapport du moyen est dans l’habitude de deux causes, à savoir la cause matérielle et la cause efficiente. En effet, comme nous l’avons dit, le sujet compare à la passion propre, et comme sujet, et comme sujet, et comme efficient; il en est de même de la définition du sujet à l’égard de la passion. Il faut savoir que les causes ayant un ordre entre elles, la raison de l’une se tire de l’autre. De la forme on tire la raison de la matière parce que la matière doit être telle que le demande la forme. L’efficiente est la raison de la forme; comme en effet tout agent produit quelque chose de semblable à lui, le mode de la forme qui provient de l’action doit être conforme au mode de l’agent. De la fin se tire la raison de l’efficient; parce que tout agent agissant pour une fin, il faut conséquemment que la définition qui se tire de la fin soit la raison et la cause probante des autres définitions tirées des autres causes, laquelle est tirée de l’agent des deux autres, qui est tiré de sa forme, laquelle est tirée de la matière. En conséquence la définition qui se tire de la matière peut être démontrée par la cause finale, et ainsi des autres. C’est pour cela qu’Aristote dit, dans le I° livre Posteriorum, que la définition est ou la conclusion de la démonstration, c’est-à-dire quand elle se fait par une cause de telle sorte qu'on peut conclure de la définition ce qui se fait par une autre cause, ou le principe de la démonstration, à savoir quand elle se fait au contraire par la cause qui est la raison et la cause probante d’une autre, ou c'est une démonstration différant seulement par la position ou l’ordre c’est-à-dire quand elle renferme ces deux causes. Ainsi s’explique ce qui con cerne les parties de la définition de la démonstration que contient sa matière.

Chapitre IX : Que la démonstration principale affirmative ne se fait que dans la première figure et dans son premier mode.[modifier]

Il nous reste à parler maintenant de la forme; car dans sa définition nous avons dit qu’elle est un syllogisme. Sur quoi il faut remarquer que la démonstration est quelquefois affirmative et quelquefois négative. Parmi les démonstrations tant affirmatives que négatives, quelques-unes sont principales, d’autres ne le sont pas. On appelle principales celles dans lesquelles on observe sans rien omettre tout ce qui été dit de la démonstration; si en effet on omettait quelque chose, ce ne serait plus une démonstration principale. C’est pourquoi il faut considérer dans quelles figures se font les démonstrations principales et d’abord les affirmatives. Il faut savoir que la démonstration principale affirmative ne doit se faire que dans la première figure et dans son premier mode, ce que l’on peut rendre évident de cette manière. En effet cette figure et dans son mode, la démonstration doit se faire en raison de ce qui présente un moyen qui est la cause de la passion du sujet, de sorte que les prémisses soient per se telles que le moyen qui y être assigné comme cause de la passion et du sujet mais cela ne peut se faire que dans la première figure. Car dans la seconde figure il n’y a pas de conclusion affirmative; dans la troisième figure, quoiqu'il puisse y avoir une conclusion affirmative, néanmoins comme le moyen des deux propositions est une subjection dans la mineure ou le sujet se dirait de sa définition il ne pourrait y ayoir de prédication dans quelque mode de dire per se, ce qui n’arrive pas dans la première figure où, comme nous l’avons dit, la définition se dit du sujet dans la mineure. Donc ce n’est que dans la première figure que se fait la démonstration principale affirmative. Elle doit aussi se faire dans son premier mode, car, comme noue l’avons dit dans la démonstration principale dici de omni se conserve tant dans les prémisses que dans la conclusion, comme aussi le primum, ce qui ne pourrait se faire sans qu’elles fussent toutes universelles; mais cela ne se fait que dans le premier mode de la première figure. Donc ce n'est que dans ce mode que peut se faire la démonstration principale. Quant à celles qui ne sont pas principales, elles peuvent se faire et dans le troisième mode de la première figure, et dans la troisième figure dans les modes qui concluent affirmativement. On voit donc dans quel mode et dans quelle figure peut se faire la démonstration principale affirmative.

Chapitre X : Que la démonstration principale négative doit se faire dans le second mode de la seconde figure.[modifier]

Pour savoir comment doit se faire la démonstration principale négative, il faut considérer si cette démonstration peut exister. Je dis que, bien que dans la démonstration négative il ne puisse y avoir ni se conserver tout ce qui a été dit de la démonstration, (car il ne peut y avoir de prédication per se dans la proposition négative puisque dici per se appartient à l'affirmative), il suffit cependant que dans cette démonstration les prémisses soient nécessaires et immédiates. Comment les affirmatives et les négatives sont nécessaires, nous l’avons dit dans le Traité des syllogismes, et nous avons dit plus haut comment l’affirmative est immédiate. Il reste donc à dire comment elle est médiate ou immédiate. Il faut observer que lorsque une chose est niée d’une autre et vice versa et que l’on peut dire universellement d’un terme ce qui peut être nié de l’autre, alors la proposition universelle négative formée des deux premiers termes peut se démontrer par le moyen de celui qui se dit universellement affirmativement de l’autre terme. Par exemple, l'homme peut se nier de la pierre et vice versa, comme, nul homme n’est pierre, et comme quelque chose peut se dire universellement de l’homme, c’est animal, car nous disons, tout homme est animal, pierre peut être niée de l’animal, donc cette proposition, à savoir nul homme n’est pierre, est médiate. Elle peut en effet se prouver ainsi par le moyen terme; nul animal n’est pierre, tout homme est animal, donc nul homme n’est pierre. Il en résulte la même conséquence si l’on peut dire universellement de la pierre quelque chose qui puisse être nié de l’homme, ou de quoi homme puisse être nié, ce sera donc une proposition négative immédiate, quand deux termes niés l’un de l’autre seront tels que aucun d’eux n’aura quelque chose qui se dise de lui universellement et qui puisse être nié de l’autre terme ou de quoi l’autre terme puisse être nié. Par exemple, nulle substance n’est quantité; cette proposition est immédiate, car aucun terme ne peut se dire universellement de la substance tout en étant nié de la quantité, car être se dit universellement de la substance et n’est cependant pas nié de la quantité. De même aussi deux définitions de deux espèces contenues immédiatement sous un genre quelconque font une proposition négative immédiate, comme celle-ci nul animal raisonnable mortel n’est animal irraisonnable mortel, car animal raisonnable mortel est la définition de l’homme, tandis que animal irraisonnable mortel est la définition de la brute, or la brute et l’homme se trouvent immédiatement dans animal. Il en sera de même de deux différences opposées divisant le même genre comme, rien de raisonnable n’est irraisonnable. Il en est tout autrement des espèces constituées par ces différences, comme, nul homme n’est brute, parce qu’il y a au-dessus de l’homme quelque chose qui pourrait être nié de la brute, à savoir raisonnable, et au dessus de la brute, il y a quelque chose qui pourrait être nié de l’homme, à savoir irraisonnable; c’est pourquoi elles sont immédiates, quoique à proprement parler on ne puisse pas dire que raisonnable est au-dessus de l’homme, et irraisonnable au-dessus de la brute, aussi ne sont-elles pas proprement immédiates. Ceci reconnu, on peut savoir tout d’abord comment se fait la démonstration négative, et dans quelle figure. Cette démonstration principale ne peut se faire dans la troisième figure, parce qu’il n’y a pas de conclusion universelle négative. C’est pourquoi, comme dans la première et la seconde figure il peut y avoir une conclusion universelle négative, on peut faire dans l’une et l’autre une démonstration avec une conclusion semblable; mais il n’y a que la principale qui puisse se faire dans le second mode de la seconde figure. La raison en est que, quoique la science soit du vrai, elle n’est pas néanmoins de tout le vrai, quelque argumentation que l’on fasse de propositions immédiates. C’est pourquoi en disant, toute habitude est une qualité, toute vertu est habitude, donc toute vertu est une qualité; quoique cette conclusion soit vraie, et formée de propositions immédiates, nécessaires et per se, néanmoins cette science ne sera pas produite per se. Il n’y a que dans les démonstrations affirmatives que la science est produite par des conclusions vraies, dont les prémisses sont vraies et immédiates, et de telle sorte, comme nous avons dit, que dans leurs conclusions la propre passion se dise du propre sujet. De même aussi dans la démonstration négative la science ne sera pas produite par l’habitude de sa conclusion, supposé que la conclusion soit vraie et se tire de propositions immédiates, à moins que la propre passion ne soit vraiment niée de ce qui n’est pas son sujet, ou par ce qui n’exprime pas sa cause, comme l’exprime la définition du propre, et ce sera vraiment là une démonstration principale mais elle ne pourra être formée de propositions immédiates que dans le second mode de la seconde figure de cette manière tout ce qui a la faculté de rire est un animal aspirant et ouvrant la bouche pour respirer et saisir ce qui lui convient, mais rien de ce qui est irraisonnable n’est un tel animal pour l’appréhension, donc rien de ce qui est raisonnable n’a la faculté de rire. Il est certain que la majeure est immédiate, car la définition de la passion et du sujet s’y dit de la passion même. La mineure est immédiate aussi, comme nous l’avons dit. Dans la conclusion la passion est écartée de ce qui n’est pas son sujet. Or cela ne pourrait pas se faire dans la première figure, ni dans le premier mode de la seconde figure. En effet, si on disait dans la première figure, rien de ce qui est irraisonnable n’a la faculté de rire, toute brute est irraisonnable, donc nulle brute n’a la faculté de rire, la majeure ne serait pas immédiate. Et si on faisait un syllogisme dans le premier mode de la seconde figure, quoique les prémisses puissent être immédiates, la conclusion ne se ferait pas néanmoins en écartant la passion du sujet, mais bien dans un sens contraire de cette manière: rien d’irraisonnable n’est un animal raisonnable, mais tout ce qui a la faculté de rire est un animal raisonnable, donc rien de ce qui n la faculté de rire n’est un animal déraisonnable. On peut faire aussi une démonstration particulière négative dans le quatrième mode de la seconde figure. Voilà quelle est la forme de la démonstration, dans quelles figures et dans quels modes elle doit se faire. Tel est ce qui concerne la démonstration propter quod.

Chapitre XI : Que la démonstration quia procède de l’effet à la cause, ou des causes éloignées à l’effet.[modifier]

Nous allons parler maintenant de la démonstration quia. Il faut d’abord examiner ce que l’on veut dire par ces mots propter quid, et par celui-ci quia. Il faut remarquer que nous pouvons connaître quatre choses d’une chose, à savoir ce qu’elle est, si elle est, parce qu’elle est, pourquoi elle est. Pour comprendre cela, il faut savoir que la science ne se composant que de vérités, il y a conversion entre la vrai et l’être, la science roulera donc sur l’être. Or, ainsi que nous l’avons dit dans les prédicaments, on trouve dans les choses un double être, à savoir les essences, et l’être de l’existence actuelle, et comme l’être de l’essence s’appelle quiddité, ou ce qu’est la chose, aussi lorsque nous connaissons l’être de l’essence d’une chose, nous disons que nous savons ce qui en est de cette chose: l’être de l’existence actuelle est tout autre dans la substance que dans l’accident. En effet comme l’être de l’accident est l’inesse, connaître l’être de l’existence actuelle du sujet, c’est savoir seulement qu’il est actu, et c’est savoir de lui s'il est; mais connaître l’être de l’existence actuelle d’un accident, c'est savoir de lui quia est, d’où savoir qui est n’est autre chose que savoir que telle chose est inhérente à telle autre. Et comme une chose est inhérente à une autre pour quelque cause, connaître cette cause c’est savoir propter quid. On voit donc que savoir d’une chose quia est, c’est savoir que cette chose est inhérente à une autre tout en ignorant la cause; savoir propter quid c’est savoir qu’une chose est inhérente à une autre, en même temps qu’on en connaît la cause. Donc la démonstration propter quid est celle où l’on manifeste la cause pour laquelle le prédicat est inhérent au sujet dans la conclusion. Quoi que l’on dise que cette démonstration est celle où l’on conclut qu’une chose est inhérente à quelque sujet, ou n’en assigne pas néanmoins la raison. Or, comme on l'a dit plus haut, il est requis pour la démonstration propter quid qu’elle procède de causes et de choses immédiates; il ne suffit pas; en effet, de connaître une cause, il faut encore savoir quelle est la cause de ce que l’on fait, si elle est cause immédiate. La démonstration quia sera donc telle ou parce qu’elle ne procède pas de causes, ou parce qu’elle ne procède pas de choses immédiates, .mais de causes éloignées. Quant au premier point il faut savoir, ainsi que nous l’avons dit, que la démonstration est une cause de cognition, c’est-à-dire un moyen de connaître une conclusion par les prémisses: or cela ne pourrait avoir lieu si les prémisses ne nous étaient pas plus connues, il est en conséquence nécessaire que la démonstration procède de choses plus connues par rapport à nous. Il arrive que l’effet immédiat nous est plus connu que la cause, c’est pourquoi en pareil cas il est nécessaire que la démonstration procède de l’effet à la cause. Par exemple, se mouvoir et sentir c’est un effet immédiat de tout être qui a une âme sensitive, et il nous est plus connu qu’une chose ait le mouvement et le sentiment, parce que nous le sentons, que le fait d’avoir une âme sensitive; par conséquent, en procédant ainsi, tout ce qui se meut et sent a une âme sensitive, mais tout animal se meut et sent, donc tout animal a une âme sensitive, on conclut de l’animal qu’il a une âme sensitive, non cependant par la cause, mais par l’effet qui est de se mouvoir et de sentir. Mais si l’on faisait une démonstration et une conclusion, ce serait une démonstration propter quid de cette manière: tout ce qui a une âme sensitive se meut et sent, mais tout animal a une âme sensitive, donc tout animal se meut et sent. Il faut savoir que ces démonstrations quia sont quelquefois dans des termes tels qu’elles sont convertibles entre elles, comme le moyen terme, le grand extrême et le petit extrême, ainsi que dans les termes précédents. Car tout animal se meut, sent et a une âme sensitive, et tout ce qui se meut et sent et à une âme sensitive est animal, et tout ce qui a une âme sensitive est animal, se meut et sent, et c’est dans ces termes que se font les démonstrations universelles. D’autres fois il arrive que le moyen terme, à savoir l’effet se mouvoir et sentir ont plus d’extension que le petit extrême et néanmoins on fait encore un syllogisme ou une démonstration convenable de cette manière, tout ce qui se meut et sent a une âme sensitive, mai tout homme se meut et sent, donc tout homme a une âme sensitive, homme en effet a moins d’extension que tout ce qui se meut et sent. Mais si le moyen terme a moins d’extension que le petit extrême, il n’y a pas de démonstration de cette manière; tout ce qui se meut et sent a une âme sensitive, tout corps se meut et sent; cette démonstration est fausse. Au contraire, si le moyen terme a moins d’étendue que le grand extrême, la démonstration se fait de cette manière: tout ce qui se meut et sent est corps; tout animal se meut et sent, donc tout animal est corps. Mais si le moyen terme a plus d’étendue que le grand extrême, il n’y a pas de démonstration. Effectivement, d’un effet qui se trouve dans plusieurs causes on n’en peut pas conclure pour une seule; du mouvement et de la sensibilité ne peut conclure la rationalité, On voit donc ce que c’est que la démonstration quia qui procède de l’effet pour conclure la cause. La démonstration quia procède de causes éloignées dans la même science et dans diverses choses. Dans la même comme la démonstration d’Anacharsis ainsi conçue: où il n’y à pas de vignes, il n’y a pas d’histrions et de chanteurs; or les Scythes il n’y a pas de vignes, donc il n’y a chez les Scythes ni histrions ni chanteurs. Certes, quoique les vignes soient la cause du chant, c’est cependant une cause bien éloignée. Car les vignes sont la cause des raisins, les raisins la cause du vin, le vin la cause de la joie, et la joie la cause du chant; il est certain que cette démonstration est une démonstration quia. En effet, en démontrant de cette manière nous ne pouvons pas connaître par une cause immédiate pourquoi les Scythes ne chantent pas, mais par le moyen de plusieurs autres démonstrations intermédiaires, de cette manière par cette démonstration on ne fait pas propter quid, mais bien quia, etc.

Chapitre XII : Que dans une démonstration il y a quelque chose de connu avant la conclusion, et quelque chose après que la démonstration est faite.[modifier]

Pour comprendre comment la démonstration quia se fait dans les autres sciences, il faut savoir que dans toute démonstration, quelle que soit la science où elle se fait, avant que la conclusion soit tirée, il y a quelque chose que nous savons d’avance, et quelque chose que nous ne savons qu’après. En effet, ainsi que nous l’avons dit, il y a trois termes dans la démonstration, à savoir le sujet, la passion et la définition de l’un et de l’autre, laquelle est le moyen terme; il y a en elle les premiers principes ou les dignités en vertu. C’est pourquoi avant de démontrer nous savons d’abord à l’égard des dignités qu’elles sont vraies. Les choses complexes ne peuvent se définir, or les dignités étant complexes ne peuvent se définir; nous ne pouvons donc pas savoir ce qu’elles sont, ni par conséquent ce qu’il en est d’elles avant la démonstration. Mais nous savons d’elles qu’elles sont; elles doivent en effet être tenues pour. vraies, car elles sont tellement connues par la lumière de la raison naturelle que, les termes connus, nous connaissons qu’elles sont vraies, comme il a té dit; mais nous ne savons pas relativement à elles propter quid, puisqu’elles sont les premières conceptions de l’esprit. Quant à la passion, nous savons d’avance ce quelle est, parce qu’elle a une définition qu’il faut connaître préalablement avant de faire la démonstration. En effet, si celui qui démontre ne connaît d’abord le moyen terme, il ne pourra jamais argumenter; or dans la démonstration le moyen est la définition du sujet et de la passion. Pour la passion, nous ne pouvons pas savoir d’avance quia est, c’est-à-dire l’être de son existence actuelle. Effectivement, l’être de l’accident étant l’inesse, à savoir d’avance qu’elle inhère, c’est connaître l’être de son existence actuelle, et ainsi, avant de la démontrer, nous connaîtrions sa démonstration. Car la démonstration ne démontre autre chose, sinon que la passion est inhérente au sujet, comme il a été dit: or cela est faux. Donc nous ne savons pas d’abord à son égard quia est. Pour ce qui est du sujet, nous savons d’avance ce qu’il est; car par rapport à lui, ce qui n’est pas encore actu peut être connu, je dis actu tant en lui-même que dans ses causes. En effet, quoique la rose n’existe pas encore actu, comme néanmoins elle existe dans sa cause, nous pouvons démontrer quelque passion à son sujet. On voit donc ce qui est préalablement connu dans la démonstration, et ce que nous savons d’elle après qu’elle a été faite. Pour le concevoir clairement, il faut observer que dans la démonstration il y a des prémisses et une conclusion. Or ou les prémisses sont premières dans la science, ou secondaires. Par exemple, dans la science des animaux, le premier principe est, tout corps animé sensible se meut et sent; il n’y a rien d’antérieur à ce principe, et l’universalité dans la même science, si ce n’est les dignités, lesquelles, comme il a été dit, n’entrent pas actu dans la démonstration; aussi ne sont-elles pas contenues dans la même science, mais dans une science commune. Les principes secondaires sont ceux qui sont démontrés par les premiers; ce sont d’abord des conclusions, ensuite ils sont pris pour principes dans la même science, pour démontrer d’autres choses. Par exemple, j'en fais d'une première démonstration de cette manière: tout corps animé sensible se meut et sent, tout animal est un corps de ce genre, donc tout animal se meut et sent. Ensuite, je prends cette conclusion et j’en fais une prémisse de cette manière tout animal se meut et sent, tout homme est animal, donc tout homme se meut et sent. C’est là un principe secondaire. Relativement aux premiers principes dans la science, on sait seulement qu’ils existent. Car si ou savait propter quid sunt, il faudrait le démontrer, ce qui ne pourrait se faire que par des principes antérieurs, ce qui prouverait qu’ils n’étaient pas premiers principes. Mais en supposant qu’ils étaient premiers principes, il s’ensuit qu’on ne peut savoir d’eux dans cette science propter quod sunt. En conséquence, on dit communément qu’aucune science ne prouve ses principes; mais s’ils doivent être prouvés, on le fait par une science supérieure, comme la science naturelle prouve les principes de la science des animaux. Car la science naturelle traite de tout corps mobile. Tout au moins on peut les prouver par la science mathématique ou par la dialectique qui sont sciences communes à tout, et qui prouvent les principes de toutes les sciences; mais la science mathématique prouve démonstrativement, la dialectique d’une manière probable ou opinative. Relativement aux principes secondaires, dans la science on connaît le propter quid, car ces principes sont prouvés ailleurs, ainsi qu’on l’a dit. On voit donc ce que nous savons des principes dans la démonstration. Pour la conclusion dans la démonstration propter quid, nous connaissons le propter quid. Mais dans la démonstration quia, nous ignorons propter quid, parce que ou le moyen terme n’est pas la cause, mais l’effet de la conclusion, comme on l’a dit, ou porte qu’il en est la cause éloignée. Remarquez que deux sciences peuvent s’occuper du même sujet, l’une formellement et l’autre naturellement, comme la traite de la ligne formellement, et la perspective traite de la ligne, non comme ligne, mais comme visuelle. C’est pourquoi en démontrant quelque chose de la ligne visuelle par les principes de la ligne en tant que ligne, pour cette conclusion le géomètre connaîtrait le propter quid, et le dessinateur saurait seulement quia. Par exemple, faisons cette démonstration: toute longueur sans largeur où le milieu est semblable aux extrémités est droite, mais une ligne qui passe par une table carrée est une longueur de ce genre, donc la ligne des tables carrées est droite. Dans cette conclusion le géomètre connaît le propter quid, parce qu’il sait la cause de la rectitude des lignes; mais le dessinateur la suppose, parce qu’il en ignore la cause, et par conséquent il connaît le quia et non le propter quid, et ainsi des autres. Alors la science inférieure s’appelle subalterne, parce qu’elle est matérielle, et la science supérieure subalternante, parce qu’elle est formelle. Il faut savoir qu’il arrive quelquefois qu’une science subalternée par rapport à une autre est subalternante, comme la perspective par rapport à la géométrie est subalternée, et subalternante par rapport à l’optique. En effet, la science de l’optique étant une partie de la science naturelle, elle prend les principes de la perspective pour prouver quelque conclusion, et ainsi elle ne connaît sur cette conclusion que le quia, tandis que la perspective en connaît le propter quid. Il faut savoir qu’il y a des sciences qui n’ont pas de sujet pris matériellement sous le formel, et cependant on prend les principes d’une autre science dans quelque conclusion, et on sait sur cette conclusion le quia et non le propter quid. Par exemple c’est une conclusion en médecine que les blessures circulaires sont longues à guérir; le sujet de cette conclusion ne se trouve pas sous le sujet de la géométrie, et néanmoins cette conclusion se prouve par les principes de la géométrie, qui sont que les parties d’un cercle n’ayant point d’angles sont plus distantes les unes des autres, il s’ensuit que ces blessures sont plus longues à guérir. Voilà ce qui concerne les démonstrations propter quid et quia.

Chapitre XIII : Que la science qui procède par la cause et qui dit la forme est plus certaine que celle qui procède par l’effet et dit la matière.[modifier]

Après avoir parlé des démonstrations, nous allons dire quelque chose des sciences qui en sont les effets. Sur cela il faut considérer deux choses: premièrement, ce qui est requis pour qu’une science soit certaine, secondement, ce qui est requis pour qu’elle soit une. A l’égard du premier point, il faut savoir qu’on appelle simplement plus certaine la science qui procède de choses simplement plus connues, et plus connues par rapport à nous. Or une chose peut être plus connue qu’une autre simplement de deux manières; suivant la première, la cause est simplement plus connue que l'effet; suivant la seconde, la forme est simplement plus connue que la matière. En effet, le principe pour connaître la matière vient de la forme; donc les sciences qui disent la cause et propter quid, comme nous l’avons dit des sciences subalternantes, sont plus certaines que celles qui disent la matière. C’est pourquoi la géométrie, qui traite de la ligne par rapport à ses principes formels, est plus certaine que la perspective qui traite de la ligne visuelle, ou la science du triangle que celle qui traite du triangle d’airain. Et comme, ainsi qu’il est du dans le liv. VII de la Métaphysique, il y a une double matière, à savoir la matière sensible ou la matière naturelle, et la matière intelligible, comme la continuité, il s’ensuit que la science qui forme abstraction des deux matières est plus certaine que celle qui ne fait abstraction que d’une. En effet, la géométrie fait abstraction de la matière sensible, et quoique elle traite du corps comme la science naturelle, elle est néanmoins plus certaine que la science naturelle qui ne fait pas abstraction de la matière sensible. De son côté l’arithmétique, qui fait abstraction de la matière sensible et de la continuité, laquelle, comme nous l’avons dit, est la matière intelligible, est conséquemment plus certaine que la géométrie. Il y a trois genres de sciences certaines. D’abord, celles qui disent la cause et propter quid sont plus certaines que celles qui disent l’effet et quia. Secondement, celles qui disent la forme sont plus certaines que celles qui concernent la matière sensible. Troisièmement, celles qui disent la forme de telle sorte qu’elles ne concernent même pas la matière intelligible sont plus certaines que celles qui concernent une semblable matière. Tel est ce qui regarde la certitude des sciences etc.

Chapitre XIV : Que l’unité formelle de la science se tire de l’unité formelle du sujet suivant la nature de l’objet de la science.[modifier]

Pour ce qui est du second point, c'est-à-dire l’unité de la science, il faut savoir qu’il y a deux choses considérer dans la science, le sujet même objet de la passion, et les principes au moyen desquels se fait la démonstration pour conclure la passion du sujet. Or pour que le sujet soit susceptible d’être connu par nous, il doit avoir des parties antérieures à lui-même. Remarquez bien ici que le procédé de la science est comme un certain mouvement de la raison Or il y a deux choses à considérer dans le mouvement, le principe et la fin: le terme qui limite la science est le sujet sur lequel roule la science, parce que dans les sciences spéculatives on ne cherche autre chose que la connaissance du sujet; ainsi dans la géométrie on ne cherche autre chose que la connaissance de la grandeur. Dans les sciences pratiques on ne cherche que la construction du sujet lui-même; comme dans la science de l’architecture on n’a en vue que la construction du bâtiment Le sujet est donc le terme de ce mouvement: le principe de ce mouvement se tire des premiers principes du sujet, qui sont ses propres parties, comme le principe du procédé de la science naturelle vient de la matière et de la forme. C’est pourquoi s’il se trouve une chose qui n’a pas ces principes antérieurs d’où la raison puisse procéder, il n’existe pas de science de cette chose dans le sens où nous la prenons ici, en tant qu’effet de la démonstration. Aussi il ne peut pas y avoir de science prise dans ce sens relativement aux choses séparées, parce que nous ne pouvons pas connaître leurs quiddités par le moyen des sciences démonstratives. En effet, quoique les substances séparées soient par elles-mêmes accessibles à l’intellect proportionné à cet acte, néanmoins on ne peut pas recueillir par quelque chose d’antérieur les notions qui font connaître leur quiddité, mais on peut bien, par le moyen des sciences spéculatives, à savoir si elles existent et ce qu’elles ne sont pas suivant la similitude trouvée dans les choses inférieures, et alors nous nous servons pour arriver à leur connaissance des choses postérieures et antérieures, lesquelles, quoique postérieures par rapport à la nature, sont néanmoins antérieures par rapport à nous. Donc le sujet de la science, dans le sens où elle est prise ici, doit avoir des parties antérieures d’où l’on procède pour le connaître et ceci doit se comprendre des parties intégrales du sujet, comme les lettres et les syllabes sont les parties du discours, qui est le sujet de la grammaire. Il faut savoir que, quoiqu’il ait été dit que le terme qui limite le procédé de la science est sujet, il ne faut pas néanmoins entendre que ce soit le dernier terme, mais le dernier terme où s’arrête l’examen de la science, pour manifester la passion du sujet. Ces considérations faites, il faut savoir que cette science est une qui est du même genre du sujet formellement pris auquel appartiennent les parties et les passions, et qui a les mêmes premiers principes, non pas simplement, mais dans la science car les choses qui ont des principes divers sont elles-mêmes diverses. On peut déduire de ce que nous avons dit que l’unité de la science doit se tirer de l’unité du sujet: en effet, l’unité du mouvement se tire du terme; or le sujet est le terme du mouvement de la raison dans le procédé de la science, comme on l’a déjà dit; le sujet doit être un formellement en tant que tel. Remarquez que quant à cela, le sujet est par rapport à la science comme l’objet à la puissance; or ce n’est point la diversité matérielle de l’objet qui diversifie la puissance, mais bien la diversité formelle. Ainsi la diversité matérielle des choses susceptibles d’être apprises ne diversifie pas la science, mais bien la diversité formelle. Or la raison formelle de l’objet de la science se prend de la même manière que la raison formelle de ce qui est visible. La raison formelle de ce qui est visible se tire de la lumière, par le moyen de laquelle on voit tout; de même la raison formelle de l’objet de la science se tire conformément aux principes qui produisent la science. C’est pourquoi quelque divers que soient les objets de la science suivant leur nature, pourvu que la connaissance en soit acquise par le moyen de ces mêmes principes, ils appartiennent à la même science, par la raison qu’ils ne sont pas divers en tant qu’objets de la science, car ils sont susceptibles d’être appris par le moyen de leurs principes: comme il est évident que les voix humaines diffèrent matériellement beaucoup des sons des corps inanimés, néanmoins, comme c’est suivant les mêmes principes que l’on considère en elles la Consonance, aussi la musique, qui appartient aux deux ordres de sujets, est la même. Au contraire, si les objets de la science sont les mêmes en nature et si on les considère suivant différents principes, ils appartiennent à des sciences diverses, comme un corps mathématique n’est pas séparé du sujet par un corps naturel; néanmoins, comme un corps mathématique est connu par les principes de la quantité, et le naturel par les principes du mouvement, la science mathématique et la science naturelle ne sont pas pour cette raison une même science. Donc l’unité et la diversité des sciences viennent de l’unité et de la diversité formelle du sujet, laquelle formalité se prend d’après la nature de l’objet de la science, c’est-à-dire suivant l’identité et la diversité des principes. Pour cette raison c’est la même chose d’avoir le même sujet formel et les mêmes principes, et de différer suivant les principes que d’avoir des sujets formellement divers. Or il faut savoir que les principes dont nous parlons, sont les principes qui sont les premiers dans la science, et les sciences sont plus ou moins communes suivant la communauté de ces principes. Les premiers principes se connaissent dans le genre de l’objet de la science suivant la définition du sujet, comme on l’a dit. Tel est ce qui concerne l’unité des sciences.

Grâces soient rendues à Dieu auteur de tout bien.