Compte rendu des essais faits au champ d’expériences agricoles de la Société

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COMPTE-RENDU DES ESSAIS
faits
AU CHAMP D’EXPÉRIENCES AGRICOLES DE LA SOCIÉTÉ


Le champ d’expériences est établi à Beaurepaire, commune du Monteil, chez M. Jacotin.

Le sol a été formé par les alluvions de la Loire. Il est profond et perméable. La couche arable est composée presque en entier de sable, ce qui l’expose aux sécheresses.

Le champ d’expériences est divisé en lots de forme rectangulaire de 5 mètres de long sur 3 mètres de large, ce qui donne pour chaque lot une superficie de 15 mètres carrés.

Les quatorze premiers lots ont été semés le 21 mars dernier : les neuf premiers en orge du pays que m’avait remise M. Nicolas ; les cinq autres en orge Chevalier venant de la maison Vilmorin. Cette dernière orge laissait à désirer sous le rapport de la couleur. Elle était brune, ce qui semblerait indiquer qu’elle avait été mal rentrée. L’orge du pays était de toute beauté.

Au 12 avril, l’orge du pays s’annonce bien. Les lots les plus rapprochés du chemin ont été visités par les oiseaux. À la même date, l’orge Chevalier sort à peine de terre. La première feuille est jaune et brûlée par les dernières gelées. Elle s’annonce donc assez mal.

Voici maintenant l’ordre dans lequel les lots sont semés. Le no1 est au midi, tout près de la route qui borde la Loire. Le dernier est naturellement à l’autre extrémité du champ. La quantité de semence pour les neuf premiers lots a été calculée à raison de 180 kilogrammes par hectare.


Lot no 1. Orge commune sans engrais.
Lot no 2. Orge commune 20 000k fumier vache par hectare.
Lot no 3. Orge commune 200k sulfate d’ammoniaque par hectare.
200k superphosphate de chaux
100k chlorure de potassium
Lot no 4. Orge commune Pas d’engrais.
Lot no 5. Orge commune 40 000k fumier vache par hectare.
Lot no 6. Orge commune Pas d’engrais.
Lot no 7. Orge commune 400k sulfate d’ammoniaque par hectare.
400k superphosphate de chaux
200k chlorure de potassium
Lot no 8. Orge commune Pas d’engrais.
Lot no 9. Orge commune 20 000k fumier vache par hectare.
400k sulfate d’ammoniaque
400k superphosphate de chaux
200k chlorure de potassium
Lot no 10. Orge Chevalier 150k par hectare, semée à la volée avec carottes.
Lot no 11. Orge Chevalier semée en lignes, 100k par hectare, avec carottes en ligne alternativement.
Lot no 12. Orge Chevalier semée seule, 150k par hectare, à la volée.
Lot no 13. Orge Chevalier semée seule, 100k par hectare en lignes.
Lot no 14. Orge Chevalier semée seule, à la volée, 300k par hectare.


Ces cinq derniers lots recevront, à la prochaine pluie, une fumure composée de :

200 kil. sulfate d’ammoniaque ;
200 kil. superphosphate de chaux ;
100 kil. chlorure de potassium.



Expériences sur les engrais chimiques et les fumiers de ferme.

Les expériences agricoles entreprises au nom de la Société agricole et scientifique de la Haute-Loire forment deux séries. Dans la première série, j’étudie les effets des engrais chimiques et des fumiers sur la culture de l’orge. Dans la deuxième, six variétés de betteraves fourragères sont placées dans des conditions identiques de sol, de fertilité et de culture, afin d’arriver à déterminer la variété la plus productive, celle qu’il convient de recommander aux agriculteurs du département.

Les essais de la première série sont terminés, et je viens vous rendre compte des résultats qu’ils ont donnés.

Je ferai connaître les résultats de la deuxième série après la récolte des betteraves, au mois de novembre prochain.

Le champ que M. A. Jacotin a si gracieusement mis à la disposition de la Société pour cet objet est formé en grande partie de sable charrié par la Loire. C’est un sol léger, poreux, facile à travailler, extrêmement perméable. Cette grande perméabilité, en facilitant à un haut degré la décomposition et la diffusion des matières fertilisantes, faisait craindre que les engrais chimiques, très solubles, comme vous le savez, ne fussent entraînés dans les couches profondes du sol. Il n’en a rien été, et ici, comme dans les terres plus consistantes, ces engrais ont imprimé à la végétation de l’orge un élan que la sécheresse n’a pu ralentir. La plante a parcouru en cent vingt jours le cycle entier de son existence, sans que j’aie pu constater un arrêt quelconque dans la marche de la végétation. Ainsi se trouve écarté ce reproche adressé aux engrais chimiques d’être trop solubles et de manquer à la plante au moment de la grenaison.

La solubilité prompte des engrais chimiques offre un grand avantage : c’est de permettre de les donner à la plante, au fur et à mesure de ses besoins. Les matières peu solubles, au contraire, doivent, avant de devenir solubles, subir des transformations qui forcent le cultivateur à les enfouir dans le sol longtemps à l’avance. Ce capital enfoui est un véritable capital improductif, tant que dure cette transformation qui doit le rendre disponible.

Dans une communication précédente, je vous ai fait connaître la disposition des lots, la manière dont ils avaient été semés, la nature et la dose des engrais que chacun d’eux avait reçus.

Je ne ferai donc que rappeler cette première partie de mon travail. Les chiffres se rapportent à l’hectare.

Parcelle no 1. Rien.
Parcelle no 2. 20 000k fumier de vache frais.
Parcelle no 3. 200k sulfate d’ammoniaque.
200k superphosphate de chaux.
100k chlorure de potassium.
Parcelle no 4. Rien.
Parcelle no 5. 40 000k de fumier.
Parcelle no 6. Rien.
Parcelle no 7. 400k sulfate d’ammoniaque.
400k superphosphate de chaux.
200k chlorure de potassium.
Parcelle no 8. Rien.
Parcelle no 9. 20 000k de fumier.
200k sulfate d’ammoniaque.
200k superphosphate de chaux.
100k chlorure de potassium.

La récolte de l’orge a été effectuée le 28 juillet dernier. J’ai fait couper à la faucille et battre sur une bâche, dans le champ même, après deux jours d’exposition au soleil. Pas un grain n’a été perdu. La récolte a été pesée le jour du battage.

Voici les poids obtenus, ramenés à l’hectare.

Nos des parcelles. Poids total de la récolte. Poids du grain. Poids de la paille
2 2 164k 482k 1 682k
3 2 497 1 032 1 465
5 2 511 857 1 654
7 4 196 2 264 1 932
9 2 577 1 186 1 391
Moyenne des parcelles non fumées 733 267 466

Si l’on veut traduire ces chiffres en argent on peut sans trop s’écarter de la vérité, je crois, adopter les bases suivantes :

Prix du fumier employé : 10 fr. les 1 000 kil.
Durée de ce fumier : 2 ans.
Prix de l’orge : 20 fr. les 100 kil.
Prix de la paille : fr. les 100 kil.
Prix du sulfate d’ammoniaque 56 fr. 50 les 100 kil.
Prix du superphosphate : 18 fr. 50 les 100 kil.
Prix du chlorure de potassium : 32 fr. 40 les 100 kil.

Les prix des engrais chimiques ont été relevés dans la facture que M. Alix, trésorier de la Société, a bien voulu me communiquer.

Je puis maintenant résumer dans un tableau le prix de la fumure et celui de la récolte obtenue :

Nos des parcelles. Engrais appliqué. Prix de l’engrais. Valeur de la récolte.
2. 20 000k fumier. 100f » 163f 70
3. 500k engrais chimique. 182 40 265 »
5. 40 000k fumier. 200 » 237 55
7. 1 000k engrais chimique. 364 80 530 10
9. 500k engrais chimique 282 40 292 85
20 000k fumier.
1-4-6-8. (Pas de fumure) 0 72 05

Toutes les fois qu’on veut se rendre compte des effets produits par un engrais quelconque, il faut considérer l’excédent de récolte produit par l’application de cet engrais. Ici nous avons une base, le produit des parcelles non fumées. Ce produit est seulement, en paille et grain, de 72 fr. 05 par hectare. En retranchant cette somme de la valeur de la récolte de chaque lot, nous savons aussi exactement que possible ce qui revient à l’engrais. En faisant cette soustraction j’arrive aux chiffres suivants :

Engrais appliqué. Excédant[sic] de récolte.
Parcelle no 2. 100f » 91f 65
Parcelle 3. 182 40 192 95
Parcelle 5. 200 » 164 95
Parcelle 7. 364 80 458 05
Parcelle 9. 282 » 220 80
Ce tableau fait voir que dans plusieurs lots le prix de la fumure

a dépassé la part de produit attribuable à cette fumure.

Ainsi l’effet produit par fr. d’engrais ou de fumier a été :

No 2. Fumier. 0f 91c
3. Engrais chimique. 1 05
5. Fumier. 0 82
7. Engrais chimique. 1 25
9. Mélange des deux. 0 78

Ces résultats seraient la condamnation du système qui consiste à n’employer que des fumiers de ferme, si l’on ne se rappelait que les fumiers produisent dans le sol un effet physique et un effet chimique. Je n’ai tenu compte ici que de l’effet chimique. L’effet physique est cependant considérable, surtout dans les terres fortes, mais il m’était impossible de l’apprécier dans ce rapport. Je ne puis que l’indiquer, en ajoutant que le printemps a été sec et que les fumiers n’ont pas produit tout l’effet sur lequel on devait compter, tandis que les engrais chimiques ont rencontré dans le sol une humidité suffisante pour se dissoudre et être absorbés par les racines.

Quoi qu’il en soit, cette expérience prouve une fois de plus combien le cultivateur a raison d’employer concurremment les fumiers et les engrais chimiques. Ceux-ci improvisent pour ainsi dire la fertilité, et il n’y a pas de terre, si déshéritée qu’elle soit, qu’on ne puisse amener à un haut degré de production en très peu de temps, en les appliquant d’une manière rationnelle.


Expériences sur la culture de la betterave.

J’ai rendu compte, dans la séance du 3 août 1882, de quelques expériences faites sur l’emploi des engrais chimiques. Dans cette communication, je disais qu’une deuxième série d’expériences, portant sur la culture de la betterave, avait également été faite dans le champ d’études que la Société agricole et scientifique de la Haute-Loire avait mis à ma disposition, et que j’en ferais connaître plus tard le résultat. Je viens aujourd’hui tenir ma promesse.

Je ne me fais aucune illusion sur la valeur absolue d’expériences faites en petit. Mais si l’on ne peut pas sans danger conclure du petit au grand, le praticien intelligent peut néanmoins tirer toujours quelque enseignement utile de ces petits essais, surtout lorsqu’ils ont été bien faits…

Les expériences dont je rends compte ont porté sur six variétés de betteraves, savoir : la Jaune ovoïde des Barres, la Globe jaune, la Disette d’Allemagne, la Disette rouge, la Prize field of Sutton’s et la Mammouth. Chacune de ces variétés occupait un carré de 7 mètres 1/2 de surface. L’espacement adopté était celui qui fournit 83 333 pieds à l’hectare. La fumure, enfin, comprenait 20 000 kilogrammes de fumier de vache bien pourri à l’hectare, plus une fumure en engrais chimiques composée de :

200 kilogrammes de sulfate d’ammoniaque par hectare.
200 kilogrammes de superphosphate de chaux
500 kilogrammes de chlorure de potassium

Le sol était homogène et profond, mais très léger. L’année (1882) a été assez humide.

Voici les résultats obtenus, ramenés à l’hectare :

1o
Prize field of Sutton’s 
82 133 kilogrammes.
2o
Mammouth 
72 800 kilogrammes
3o
Globe jaune 
67 466 kilogrammes
4o
Jaune ovoïde des Barres 
66 133 kilogrammes
5o
Disette rouge 
66 133 kilogrammes
6o
Disette rose d’Allemagne 
59 466 kilogrammes

Le semis a eu lieu le 20 avril et la récolte le 6 novembre.

Ces résultats sont superbes. Il serait sans aucun doute difficile de les égaler en grande culture. Cependant le sol est d’une fertilité très ordinaire. Tout à côté de ces carrés d’essai se trouvait une avoine de printemps qui n’a pas donné, sans fumure, 20 hectolitres de grain à l’hectare. J’attribue la beauté du rendement obtenu à quatre causes :

1o À la perméabilité, la division et la profondeur du sol ;
2o Aux pluies faibles mais fréquentes de la fin de l’été ;
3o À la fumure très copieuse et composée d’éléments facilement solubles qui a été donnée.
4o À l’espacement restreint des plants.

Je ne saurais trop insister sur l’écartement des plants. Dans le Midi surtout, où les sécheresses sont tant à craindre, il ne faut pas chercher à obtenir de grosses racines, ce serait vouloir l’impossible. En adoptant, comme espacement, 0m60 entre les lignes et 0m40 dans les lignes on a 40 000 pieds à l’hectare ; mais comme il y a toujours des manquants, ce nombre doit être réduit et les rendements ne dépassent pas, en moyenne, 40 000 kilogrammes à l’hectare, si même ils atteignent ce chiffre : on obtiendrait bien mieux en doublant le nombre des plants. Il est vrai que dans ce cas les racines seraient moins grosses et que les binages devraient être exécutés à la main, ce qui augmenterait les frais de culture ; mais, même en tenant compte de ces deux inconvénients, je persiste à penser qu’un grand écartement fournira, année moyenne, un rendement bien moins élevé qu’un écartement faible et que, parlant, la culture à raison de 80 000 pieds à l’hectare sera toujours plus avantageuse, tout compte fait, que la culture à 40 000 pieds.

L’écart entre les rendements fournis par les six variétés expérimentées ne semble pas très considérable. Il peut cependant aller jusqu’au quart du produit total. Considérons deux variétés bien connues de la culture, la Globe jaune et la Mammouth : nous constatons que l’écart est du douzième, ce qui est déjà considérable. Je ne voudrais pas tirer de conclusion trop rigoureuse, mais il m’est impossible de ne pas faire remarquer combien il serait avantageux de multiplier les essais de la nature de celui dont il est question ici, afin d’arriver à substituer, par cette leçon des choses, des variétés productives nouvelles aux variétés anciennes.

À côté de cette expérience j’en ai fait une autre sur des carottes semées dans de l’orge de printemps. Ces deux plantes ont été semées le même jour et à la volée. L’orge n’a pas souffert du voisinage de la carotte. Lorsqu’elle a été enlevée, le sol a été biné et les racines se sont développées assez pour donner 25 000 kilogrammes à l’hectare.

Le trèfle incarnat tardif, semé fin mars, a donné un faible produit. Il a été atteint du blanc, champignon analogue à celui qui attaque les tiges des pois.

J’avais également semé du soja. Les jeunes plants ont été en partie détruits par une gelée blanche survenue le 18 mai. Ce qui est resté n’a pas mûri.

J’avais, enfin, mis de l’orge en moyettes. Ces moyettes sont restées dans le champ jusqu’au 5 novembre. Les grains des épis placés à l’extérieur avaient légèrement bruni, mais ceux de l’intérieur de la moyette avaient conservé leur belle couleur jaune doré.

É. Hérisson,
Professeur départemental d’agriculture de la Haute-Loire