Comptes rendus de l’Académie des sciences/Tome 1, 1835/23 novembre

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SÉANCE DU LUNDI 23 NOVEMBRE 1835.
PRÉSIDENCE DE M. Ch. DUPIN, VICE-PRÉSIDENT.



CORRESPONDANCE.

M. le Ministre de l’Instruction publique adresse une ampliation de l’ordonnance royale en vertu de laquelle les Académies française, des Belles-Lettres, des Sciences et des Beaux-Arts, sont autorisées à accepter le legs de 12000 fr. de rente qui leur a été fait par M. Bordin, ancien notaire. Les Académies, toutefois, n’entreront en possession de cette rente de 12000 fr. qu’après le décès de madame Bordin.

Les Académies restent maîtresses de choisir elles-mêmes les questions de prix qu’il leur paraîtra convenable de proposer. M. Bordin s’est contenté d’exprimer le vœu que les sujets mis au concours, aient pour but l’intérêt public, le bien de l’humanité, le progrès des sciences et l’honneur national.

M. Paulin Ardoïn écrit qu’il envoie de Grèce, à l’adresse de M. Geoffroy Saint-Hilaire, le fœtus qui fut vomi par un enfant, il y a trois ans, dans l’île de Syra.

Physique.Lettre de M. Peltier, sur une production d’électricité qui, suivant l’auteur, serait due au simple contact de deux corps hétérogènes.

« Dans une lettre lue en partie le 9 de ce mois, à l’Académie des Sciences, M. de La Rive prouve que c’est par une action chimique qu’on obtient de l’électricité avec un couple manganèse et platine, et non par le contact ; conséquemment, qu’il ne reste plus aucun fait en faveur de l’hypothèse de Volta.

» Cette hypothèse, il est vrai, ne peut expliquer les phénomènes dynamiques et jamais le contact seul n’a produit de courant continu. Mais de son côté, l’opinion émise par le savant genevois, déduite tout entière d’un seul mode de production, est elle-même trop absolue, comme nous allons le prouver aujourd’hui pour l’électricité statique. De chaque côté l’erreur est dans la considération de l’identité des causes immédiates de deux ordres de phénomènes.

» J’ai fait six plateaux condensateurs de même grandeur : deux en cuivre, deux en zinc, et deux doubles, formés chacun de deux disques zinc et cuivre, soudés comme les couples des piles à colonne. Ces plateaux sont recouverts partout de cinq à six couches de vernis : de petits crochets en platine, vissés dans leur épaisseur, sont le seul moyen de les toucher métalliquement.

» Sur un bon électroscope à armatures mobiles, j’ai vissé un collecteur en cuivre, sur lequel j’ai placé les deux doubles disques, réunis par une courte tige métallique, les métaux alternant entre eux, zinc cuivre. Enfin, au-dessus de ces disques, j’ai placé le condensateur. À l’un des crochets de l’appareil interposé, est attaché un fil métallique qui établit une communication permanente avec le sol. Il est bien évident alors, que cet appareil doit être à l’état neutre, si les métaux sont indifférens à la coercition de l’électricité statique. Il est bien évident aussi, que de quelque côté qu’on le tourne, les plateaux en cuivre devraient conserver leur état naturel, eux, qui sont isolés par dix à douze couches de vernis. L’expérience est tout-à-fait contraire à cette induction, car si l’on place le zinc des doubles disques sur le collecteur, et qu’on fasse communiquer ce dernier, par un fil de platine isolé, au condensateur placé au-dessus de l’appareil, le collecteur se charge d’électricité négative, comme l’indiquent les feuilles d’or, lorsqu’on a enlevé tout l’appareil. Si au lieu du condensateur supérieur en cuivre, on en prend un en zinc, la charge négative du collecteur en est augmentée.

» Si l’on retourne l’appareil intérieur de manière à placer le côté cuivre sur le collecteur cuivre, il n’y a qu’un très faible effet positif ; mais si ce collecteur, est remplacé par un disque en zinc, le contact isolé du condensateur cuivre avec le collecteur zinc, donne alors une charge notable d’électricité positive sur ce dernier. L’intensité positive est toujours inférieure à l’intensité négative de l’expérience précédente ; cette prédominance de l’électricité négative se retrouve dans toutes les expériences d’électricité statique, et la cause ne peut être douteuse pour nous.

» Je ne puis rapporter toutes les combinaisons que j’ai faites avec ces plateaux, isolés ou non, tournés dans le même sens ou dans des sens opposés, placés au-dessous, au milieu ou au-dessus des plateaux condensateurs ; mais toutes se résolvent à faire reconnaître que les disques en zinc, quoique mis à l’état naturel par un conducteur permanent jusqu’au sol, sont dans un état d’électricité statique autre que celui des disques en cuivre auxquels ils sont soudés, puisque le voisinage du zinc fait prendre au collecteur cuivre un état négatif, au détriment du condensateur avec lequel il est mis en communication par un fil isolé : et, contrairement, le côté cuivre placé sur le collecteur cuivre ou zinc, fait prendre à ce dernier de l’électricité positive.

» La longueur de cette lettre ne me permet pas de rapporter aujourd’hui d’autres faits sur l’or et le platine, sur l’intensité et la quantité électrique et quelques faits nouveaux sur la cause des phénomènes statiques ; j’aurai l’honneur de vous les soumettre dans une prochaine communication. »

Astronomie.Extrait d’une lettre de M. de Pontécoulant à M. Arago, concernant, d’une part, le désaccord qui paraissait exister relativement à l’action des petites planètes, entre les calculs des perturbations de la comète de Halley exécutés par M. de Pontécoulant et ceux de M. Rosenberg, et de l’autre, l’influence qu’une petite et dernière correction dans la masse de Jupiter, a exercée sur la détermination de l’instant du passage au périhélie.

« En revoyant mes calculs, je n’ai pas tardé à reconnaître que la contradiction qu’on suppose exister entre M. Rosenberg et moi, n’était qu’apparente, et qu’au contraire ses résultats s’accordent parfaitement avec ceux que j’ai obtenus de mon côté. En effet, on doit observer que M. Rosenberg ne donne les altérations des élémens, résultant de l’action de Vénus, la Terre et Mars, qu’à partir du passage au périhélie de 1759, et qu’il a fait entrer les altérations dues à l’influence de ces mêmes planètes, antérieurement à ce passage dans le calcul des perturbations de la période précédente. Si M. Rosenberg eût donné séparément les résultats de l’action des petites planètes pour cette période, comme il l’a fait pour la suivante, on eût vu alors qu’elles se compensaient, comme je l’ai dit, et qu’en somme leur action était à très peu près insignifiante. En calculant séparément l’altération du temps périodique résultant de l’action de Vénus, à partir du périhélie de 1759, je trouve qu’il serait diminué de cinq jours à peu près, ce qui s’accorde avec ce qu’a trouvé M. Rosenberg ; mais comme je n’avais pas eu égard à l’action de Vénus dans la période précédente, j’ai dû calculer son effet antérieur au périhélie, comme j’avais calculé l’effet postérieur, et le second résultat a détruit le premier[1]. On peut, au reste, se représenter très bien ce qui arrive en cette circonstance par une figure ; en effet, si l’on trace les deux orbites de la planète et de la comète dans les positions respectives qu’elles occupent, on verra que la plus grande proximité des deux astres a eu lieu 20 jours avant le périhélie de 1759 ; la comète étant rétrograde, elle est venue alors au-devant de Vénus, les deux astres se sont trouvés en conjonction, et la comète s’est ensuite éloignée de la planète graduellement et de la même manière à peu près qu’elle s’en était approchée. On conçoit donc très aisément que Vénus se trouvant, avant et après la conjonction, dans des situations semblables, mais dans un sens opposé, par rapport à la comète, les effets qu’elle a eus sur les élémens de son orbite, ont dû se détruire et ne produire qu’un résultat final à très peu près insignifiant. C’est, au reste, ce que le calcul confirme positivement, et ce que chacun pourra reconnaître en jetant seulement un coup d’œil sur le tableau que j’en présenterai dans la prochaine séance, le défaut de temps m’ayant empêché de l’achever aujourd’hui. J’ai calculé de même les effets de l’action de Mars, et j’ai trouvé un résultat analogue à celui que m’avait donné l’action de Vénus. J’ai droit de penser qu’il en serait de même pour Mercure ; et l’on en doit conclure qu’il n’y a pas lieu à s’occuper, du moins pour la période actuelle, de l’influence de ces trois planètes sur le mouvement de la comète.

» Je profiterai de cette occasion pour vous prier, Monsieur, de vouloir bien communiquer à l’Académie le résultat suivant que j’ai obtenu en faisant subir une dernière vérification à mes calculs, dont les conclusions paraîtront dans un mémoire inséré dans la Connaissance des Tems pour cette année. J’avais jusqu’ici, comme l’a fait aussi M. Rosenberg, employé la masse de Jupiter de M. Nicolaï, savoir  ; mais les belles observations de M. Airy sur le quatrième satellite de Jupiter, confirmées par MM. Santini, Bessel, et par de nouvelles recherches de M. Airy lui-même, ne laissent plus aucun doute que la valeur de la masse de Jupiter qu’il a donnée, ne soit la véritable, et celle qu’il faudra désormais adopter. M. Bessel a aussi tout récemment légèrement altéré la masse de Saturne. En introduisant dans mes calculs des perturbations de la comète, ces deux corrections, je trouve pour l’instant du passage, le 15,5 novembre, jour compté de midi ; l’observation paraît donner le 15,9 novembre : la différence entre les résultats du calcul et de l’observation ne s’élèverait donc plus à un demi-jour.

» Si l’on s’étonnait des transitions par lesquelles j’ai passé pour arriver à ce résultat, que je regarde comme définitif, il faudrait pour être juste se rappeler que le calcul des perturbations que j’ai fait, a coïncidé avec les travaux entrepris par les astronomes pour déterminer plus exactement les masses des planètes qui ont sur la comète le plus d’influence. Il m’a donc fallu les suivre dans toutes les suppositions les plus probables, qui résultaient de leurs tentatives avant d’arriver aux valeurs qu’ils ont définitivement adoptées. Si l’on veut faire entrer de suite les corrections qui en résultent dans mes calculs, tels qu’ils ont été présentés pour la première fois à l’Académie en 1828, on trouvera, sans y rien changer, à quelques dixièmes de jour près, l’époque du passage au périhélie, telle que je l’ai fixée aujourd’hui. »

Botanique.Récolte de fruits du Ginkgo du Japon en France ; par M. Raffeneau-Delile.

Le Ginkgo est un arbre fort commun au Japon, où il acquiert la taille des plus forts noyers. Depuis quarante ans on en possède en France plusieurs pieds, mais ils étaient tous mâles. Enfin, on est parvenu, à Montpellier, à se procurer des boutures d’un arbre femelle, qui existe à Genève, et l’ancien Ginkgo du Jardin Botanique vient de donner des fruits dont le mémoire de M. Delile renferme une description circonstanciée.

Statistique. Sur les erreurs présumées des documens à l’aide desquels on a calculé, en France, les tables de population.

M. Bienaymé, auteur d’un mémoire sur la durée actuelle de la vie humaine en France, présenté à l’Académie le 2 février dernier, écrit que des objections s’étant élevées sur son travail, il y a répondu, il y a trois mois, à l’aide « d’un document officiel publié depuis long-temps, qui comprend les naissances de 10 années pour 43 départemens, c’est-à-dire pour la moitié de la France. Ces naissances, comparées aux listes de recrutement, ont donné le rapport de 60 survivans au minimum, à l’âge de 20 ans, sur 100 naissances, au lieu de 50 sur 100, qu’on trouve par la table de M. Duvillard. » Le rapport de 60 sur 100 était le résultat déjà consigné par l’auteur dans son Mémoire.

« J’ai l’honneur d’informer l’Académie, ajoute M. Bienaymé, que j’achève une seconde note qui ne laissera aucun doute sur le peu d’influence des erreurs des documens de l’administration, signalées soit par M. Demonferrand, soit par moi, lorsqu’on ne descend point aux détails numériques par départemens, et qu’on embrasse, comme je l’ai fait, une grande partie du territoire, ou le territoire entier et un certain nombre d’années. »

Astronomie.Changemens physiques dans la comète de Halley.

M. Cooper écrit d’Irlande, à lord Adare, qu’à l’aide de la puissante lunette de M. Cauchoix, il a aperçu, le 19 octobre, dans la tête de la comète de Halley, un secteur lumineux.

(D’après le dessin, ce secteur était semblable à ceux dont on a fait mention dans ces Comptes rendus, p. 235, comme ayant été observés à Paris, les 15, 16, 17 et 18 octobre.) Pour se faire une idée de la forme qu’avait la nébulosité dans la partie opposée à la queue, les 22 et 24 octobre, et le 10 novembre, il faut concevoir un demi-cercle, et décrire ensuite, dans son intérieur, sur les deux rayons qui le terminent pris comme diamètres, deux autres demi-cercles.

Le 10 novembre, la queue, suivant M. Cooper, ne formait un tout continu que jusqu’à une petite distance de la tête. Au-delà, il y avait bifurcation évidente. L’une des deux branches était visiblement plus courte que l’autre.

Addition à la note lue par M. Biot dans la séance du 16 novembre.

« Quelques personnes ayant désiré connaître les formules relatives aux solutions tartriques dont il est fait mention dans la note que j’ai lue à la dernière séance, je les rapporterai ici.

» Soit la proportion pondérale d’acide en centièmes ; l’excès de la densité apparente sur l’unité, en sorte que, étant cette densité, l’on ait . La relation hyperbolique entre et sera

et étant deux constantes propres à chaque température.

» Quand ces constantes sont connues, on peut obtenir en , ou en , par les formules



» Pour la température centésimale +6°,8, en exprimant en millièmes, j’ai trouvé

;
pour l’hyperbole moyenne entre les températures de 13° et 27°, on a


» Je n’ai pas essayé si une relation du même genre s’appliquerait à d’autres solutions. Il sera facile de le constater, et ce serait une recherche utile ; mais il faudra que chaque espèce de solution soit comparée à elle-même dans un état exactement constant de température : sans cela, comme leur dilatation propre différera généralement de celle de l’eau, les densités apparentes participeraient à toutes les irrégularités de ce phénomène dans les deux liquides. »

MÉMOIRES PRÉSENTÉS.
Physique.Nouveau moyen de filtrage des eaux, par M. Cordier, ingénieur hydraulicien.
(Commissaires, MM. Arago, Thénard, Girard, Cordier, Robiquet et Poncelet.)

M. Cordier reconnaît que les moyens employés jusqu’ici pour filtrer les eaux en grand, ne sont pas à l’abri de sérieuses objections ; aussi, est-ce un procédé tout nouveau qu’il propose. M. Cordier assure qu’avec son nouveau filtre, les opéreraient constamment pendant que l’autre dixième se laverait et se désobstruerait par la pression de l’eau de bas en haut. Le filtre entier serait ainsi lavé 2, 4, ou 6 fois par jour selon la nature plus ou moins limoneuse des eaux. Un enfant de 10 ans pourrait se charger de ce travail dans un filtre capable de clarifier 3 à 400 pouces de fontainier, car il suffirait d’ouvrir et de fermer successivement 10 petites vannes et 10 petits robinets. Au besoin, ce travail serait effectué par le mécanicien qui élèverait les eaux.

Médecine.Quatrième extrait de la médecine révolutionnée par les sciences exactes ; par M. Leymerie.
(Les Commissaires déjà nommés pour les précédentes communications de l’auteur.)
Chirurgie.Cause anatomique de la hernie inguinale externe ; mémoire critique sur la partie scientifique de la note de M. Malgaigne ; par M. le docteur Thomson.
(Commissaires, MM. Double, Roux, Breschet.)
Chimie agricole.Nouvelles recherches sur le sucre et le parenchyme de la tige de maïs, par M. Pallas, D. M.
(Commissaires, MM. Deyeux, Biot, Thénard, Robiquet.)

L’abondance des matières nous oblige de renvoyer à l’époque du jugement des commissaires, l’analyse que nous voulions donner ici du travail du médecin de Saint-Omer.

Physique terrestre.Sur les marées des côtes de France, par M. Daussy.
(Commissaires, MM. Bouvard, Arago, Beautemps-Beaupré, Mathieu et Freycinet.)

Ce mémoire sera très prochainement l’objet d’un rapport ; nous ferons connaître alors les résultats qui y sont consignés.

Acoustique.Nouvel instrument de musique de M. Isoard.
(Commissaires, MM. Dulong, Savart, Becquerel.)

« Que l’on se représente une corde tendue entre deux lames de métal ou de bois, à la manière des languettes des anches libres ; que l’on conçoive de plus que cette corde soit, à l’une de ses extrémités, ébranlée par un courant d’air, tandis que par l’autre extrémité, on puisse, en la serrant contre une touche à l’aide de la pression des doigts, la raccourcir ainsi qu’on le fait sur les violons et dans les basses, et l’on aura une idée des nouveaux instrumens. Ce sont, si l’on veut, des violons avec des cordes ébranlées par un courant d’air et sans archet. »

Mécanique.Nouvelles machines à vapeur.
(Commissaires, MM. Dupin, Navier, Séguier.)

L’auteur n’a pas envoyé de description. Il mettra des modèles fonctionnant sous les yeux des commissaires. Nous savons seulement qu’il est question de machines locomotives et portatives.

RAPPORTS.

Les commissaires nommés par l’Académie ont donné successivement lecture des instructions qu’ils avaient rédigées pour le voyage de circumnavigation de la Bonite. L’Académie les a approuvées. Nous les consignons ici textuellement.

Instructions relatives à la botanique et la culture, rédigées par M. de Mirbel.

« Parmi messieurs les officiers de l’état-major de la corvette la Bonite, il en est un que des études spéciales et profondes placent sur la ligne de nos plus habiles botanistes. Pour la troisième fois, il entreprend un grand voyage maritime dans l’intérêt de la science. Il n’ignore donc nullement la direction qu’il convient de donner à ses recherches. N’ayant rien à lui dire qu’il ne sache très bien, nous nous bornerons à former des vœux pour qu’il trouve de fréquentes occasions de produire de nouvelles preuves de ses lumières et de son zèle.

» La relâche de Rio-Janeiro peut nous assurer, pour l’avenir, des relations utiles. Sans doute, ce point a été trop visité pour que les herborisations qu’on y ferait nous procurent des espèces d’un grand intérêt ; mais il y existe un riche herbier, qui pourrait fournir matière à un commerce d’échange.

» La botanique et la culture européennes possèdent déjà beaucoup de plantes du Chili, soit en herbier, soit dans les jardins ; cependant les terres les plus australes de cette contrée n’ont pas encore été explorées par les naturalistes. Une relâche à Chiloë, quelque courte qu’elle fût, ne serait pas stérile. La Bonite aura très probablement doublé le cap Horn en mars, époque qui, pour ces latitudes, répond à la fin de nos étés. Alors donc les graines seront mûres, et une abondante moisson deviendra facile. Dans l’intérêt de la culture, on recommande surtout à l’attention des collecteurs les arbrisseaux, et plus encore les arbres. Nous indiquerons, entre autres, le fagus obliqua (frêne à feuilles obliques), ou roblé, observé à la Conception par Dombey, le fagus Dombeyi ou cogué, découvert également par ce botaniste, et toutes les espèces de conifères qui se rencontreraient. La plus précieuse peut-être, serait l’araucaria du Chili. Sous le climat de Paris, nous lui faisons passer l’hiver en serre tempérée, et nous ne le multiplions que bien difficilement par bouture. Ce bel arbre donne, dans son pays natal, une grosse amande nutritive très savoureuse. Il supporterait indubitablement le climat de nos côtes méditerranéennes, et, à plus forte raison, le climat de la Corse et celui d’Alger. Mais les graines manquent à nos cultivateurs. Il faudrait nous trouver des correspondans zélés qui saisiraient toutes les occasions favorables pour nous en envoyer.

» La ville de Lima possède, sans noms scientifiques d’espèces et sans classification, un grand herbier du Pérou, dans lequel, d’après des renseignemens que nous avons de justes motifs de croire certains, il sera permis de prendre les doubles échantillons, à la charge de numéroter toutes les espèces, et d’en envoyer les noms au retour de l’expédition. Nous pouvons donc à la fois enrichir nos herbiers et propager la science au loin, parmi des hommes qui ne la dédaignent pas, comme il paraît, par le prix qu’ils mettent à leur concession.

» Si les instructions que recevra M. le commandant de la Bonite, ne s’opposent pas à ce qu’il relâche à l’entrée du golfe de la Californie, nous devons espérer une riche récolte au profit de la botanique et de la culture. Les deux côtes occidentale et orientale du golfe n’ont été encore visitées par aucun naturaliste ; et, si nous préjugeons leur température et leur végétation d’après ce qui a été observé dans certaines localités situées plus au nord, sous des longitudes peu différentes, nous penserons qu’elles doivent offrir un grand nombre de types nouveaux, dont beaucoup, tôt ou tard, se naturaliseront dans l’Europe australe et sur les côtes de l’Afrique.

» Un important travail de géographie botanique a été entrepris à deux époques très rapprochées l’une de l’autre, sur les montagnes des îles Sandwich, par deux habiles naturalistes, MM. Chamisso et Gaudichaud. Le peu de temps qui fut alors accordé aux recherches scientifiques n’a pas permis de les terminer. Il est à souhaiter que cette fois elles soient conduites à fin. Elles approcheront bien près de la perfection, si, en même temps que le naturaliste signale les diverses zones végétales, le géomètre physicien détermine la hauteur où elles commencent et celle où elles finissent.

» Des Sandwich la Bonite fera voile pour Luçon. Les Marianes sont sur la route. On n’a pas oublié qu’elles furent visitées en 1819 par la frégate l’Uranie sous les ordres de M. de Freycinet ; que pendant la relâche, les matériaux d’un herbier considérable furent rassemblés avec une incroyable activité ; mais qu’une année après ils périrent presque tous dans le naufrage de la frégate. Une relâche à Guam, la principale île de l’archipel des Mariannes, réparerait cette perte par les mêmes mains qui recueillirent les premiers échantillons.

» Des courses dans l’intérieur de l’île Luçon fourniront, nous n’en doutons pas, un grand nombre de faits nouveaux pour la botanique.

» Jusqu’à présent la végétation de la Cochinchine nous est inconnue. Quelques échantillons d’herbier, rapportés par le jésuite Loureiro, et la Flore qu’il a rédigée, ont vivement excité la curiosité, mais n’ont pas suffi pour la satisfaire. Presque toutes les descriptions de Loureiro sont des énigmes dont on ne saura le mot que lorsqu’on aura les objets sous les yeux.

» Il est bien à désirer que, durant les diverses relâches, MM. les officiers de l’état-major trouvent le temps de recueillir, sur les végétaux des localités où ils séjourneront, tous les renseignemens de nature à intéresser non-seulement les hommes de la science, mais encore ceux qui, tels que les cultivateurs et les manufacturiers, se livrent à des travaux dont les résultats contribuent immédiatement au bien-être de la société. »

Instructions concernant la géologie et la minéralogie, rédigées par M. Cordier.

« La plus grande partie des observations que le géologue et le minéralogiste peuvent avoir à faire dans un voyage de long cours, ayant été prévues tant dans l’Agenda qui termine les voyages de Saussure que par l’instruction imprimée et publiée par l’administration du Muséum, et ces documens devant nécessairement être emportés par MM. les officiers de l’expédition de la Bonite, nous nous bornerons, dans les présentes instructions, à recommander les objets suivans.

» On s’attachera à recueillir des échantillons propres à représenter et à caractériser la constitution géologique de chaque point où l’expédition abordera. On aura soin avant tout de prendre les roches les plus communes, celles qui forment réellement la charpente du pays, s’il est permis de s’exprimer ainsi. On ne donnera quelque attention aux roches accidentelles que lorsqu’elles présenteront quelque intérêt par leur composition, leur contexture, leur interposition ou par les débris organiques fossiles qu’elles pourraient contenir. On se tiendra en garde contre la tentation de rapporter des raretés peu significatives, telles, par exemple, que de grandes masses de stalactites calcaires. Il faut que la collection géologique d’une contrée offre en petit la représentation fidèle de sa composition ; ce sont donc les matériaux les plus vulgaires dont en général on devra prendre le plus d’échantillons.

» C’est sur les masses en place que les échantillons devront toujours être pris, excepté dans quelques cas très rares ; leur forme et leur fraîcheur sont plus importantes qu’on ne le pense communément. Leur cassure devra être nette sur chaque face, à moins qu’il n’y ait quelque motif pour conserver les surfaces naturelles. Leur forme devra, autant qu’il sera possible, être celle d’un parallélépipède ayant 12 à 13 centimètres de longueur, sur 10 de largeur, avec une épaisseur de 3 à 4 centimètres au plus. On s’écartera de ces dimensions toutes les fois qu’il y aura un accident notable à conserver. On pourra faire une exception plus grande encore à l’égard des roches dont les fragmens naturels d’un gros volume présenteraient une configuration remarquable ; tels sont, par exemple, les laves prismées. Il serait intéressant de rapporter quelques gros prismes de ce genre, pris dans les diverses contrées volcaniques où l’on relâchera.

» Sous la dénomination de roches il faut comprendre les matériaux des couches meubles, tels que les cendres volcaniques, les lapilli, les tufas, les sables, les argiles, les marnes, les pierres calcaires friables et toutes les substances analogues. Ces substances ont tout autant d’intérêt que les matériaux des couches les plus solides et les plus anciennes de la terre.

» On notera exactement le lieu où l’on aura pris chaque échantillon, sa distance et sa situation à l’égard, soit de la côte, soit d’un point géographique connu dans l’intérieur du pays, sa hauteur au-dessus du niveau de la mer, la nature et l’importance du rôle que joue la roche à laquelle il a appartenu.

» Partout où l’on pourra séjourner, non-seulement on cherchera à réunir tous les échantillons correspondans aux observations qui auront été faites au moyen des reconnaissances qui seront poussées dans différentes directions, mais encore on s’attachera à faire, autant qu’il sera possible, la monographie exacte d’une ou plusieurs collines ou montagnes que l’on pourrait considérer comme plus caractéristiques que les autres. Dans ce dernier but, on prendra des échantillons de toutes les couches depuis le pied de la montagne jusqu’au sommet, en tenant note de l’épaisseur de ces couches, et l’on accompagnera le catalogue d’une coupe figurative, tracée au simple trait, sur laquelle on placera des numéros qu’on répétera sur les étiquettes des échantillons. De telles séries sont extrêmement utiles en ce que les considérations qu’on peut en déduire sont positives et irrécusables ; on les multipliera autant qu’on le pourra. On procédera de même à l’égard de tous les escarpemens, de toutes les falaises qu’on aura occasion d’aborder.

» À l’égard des débris organiques fossiles, on en recueillera le plus grand nombre qu’il sera possible, en commençant par ceux qui sont les plus abondans dans chaque localité, car ce sont ceux dont la présence est en général plus caractéristique ; cependant, lorsqu’on en aura la facilité, on n’en négligera aucun, surtout s’il s’agit de plantes fossiles ou d’ossemens d’animaux vertébrés. On y joindra des morceaux de la roche environnante, et l’on notera constamment la hauteur au-dessus du niveau de la mer.

» C’est surtout à l’égard des anciens conglomérats madréporiques et coquilliers, particuliers aux îles du grand Océan, et des amas du même genre qui sont encore meubles, qu’on devra plus soigneusement noter l’élévation au-dessus de la mer. Il n’est pas moins important de déterminer la structure et la hauteur des collines et des montagnes qui sont formées de ces amas ou de ces conglomérats, l’épaisseur et le gisement des assises qui les composent, l’étendue qu’elles occupent dans chaque pays ; si elles contiennent des couches d’une autre nature, et, par exemple, des couches volcaniques ou simplement des argiles, des sables ou des pierres calcaires de différens grains.

» Enfin, on rapportera, mais comme termes de comparaison, des échantillons de ces autres conglomérats tout-à-fait modernes, composés également de madrépores et de coquilles, qui se forment et qui s’étendent journellement sur les hauts fonds du grand Océan. On ne prendra ces échantillons qu’au-dessous du niveau moyen des eaux, et après qu’on aura bien reconnu que les bancs sont réellement formés par des mollusques et des zoophytes qui vivent encore actuellement dans les mêmes lieux.

» Il est convenable d’ajouter maintenant que, si sur quelques points on venait à trouver quelque minéral digne d’être recueilli comme espèce proprement dite, on s’attacherait, dans le choix des échantillons, à la perfection des formes cristallines, au volume des cristaux, à la netteté des couleurs, etc. ; ce qui ne dispenserait pas de récolter les gangues, et de prendre toutes les notes convenables sur les gisemens.

» Dans le même but purement minéralogique, on ne négligera pas de se procurer les substances minérales employées comme ornemens, ou à divers autres usages, par les naturels de chaque pays, ainsi que celles qui sont l’objet d’un commerce, tant aux îles Philippines que sur les côtes de la Chine et de la Cochinchine. On pourra, par exemple, acheter à peu de frais une certaine quantité de ces pierres fines brutes que les lapidaires et les joailliers des Indes orientales mettent au rebut, à raison de diverses imperfections, et parmi lesquelles se trouvent souvent des cristaux d’une belle conservation. On se procurera également, si on le peut, des échantillons des minerais d’étain de Malacca. Enfin, au Pérou, on fera chez les marchands de pierres fines les recherches nécessaires pour se procurer des émeraudes de rebut, de tout volume, pourvu qu’elles soient bien cristallisées. »

Instructions pour la zoologie, rédigées par M. de Blainville.

« Dans le cours d’une expédition pendant laquelle un bâtiment de l’état doit parcourir des mers et toucher en différens points du continent qui n’ont pas encore été explorés dans aucune des circumnavigations scientifiques précédentes, il serait sans doute fâcheux pour la science et pour nos collections publiques, que MM. les officiers ne pussent pas faire des recherches zoologiques, et recueillir les animaux qu’ils rencontreront. Toutefois, comme la nature du voyage de la Bonite, d’après la lettre même de M. le Ministre, ne permettra malheureusement que des relâches assez peu nombreuses et de courte durée, l’Académie se bornera à attirer l’attention du commandant et de l’état-major, plus spécialement sur un certain nombre d’animaux, en les invitant, s’ils ne peuvent se les procurer eux-mêmes, à vouloir bien, au moins les signaler aux amis de la science qu’ils pourront rencontrer.

» L’Académie recommande d’une manière particulière de tâcher de se procurer à l’état de peau et de squelette, et surtout conservés dans l’esprit-de-vin, lorsque cela sera possible :

» 1o. Parmi les mammifères,

» L’orang-outang adulte, ou pongo, de Bornéo et de la Cochinchine.

» La guenon nasique, du même pays.

» Le gibbon hoolock, de M. Harlan, espèce de la Chine et remarquable par l’absence de callosités ischiatiques.

» Le tarsier, des Moluques.

» Le galéopithèque, des mêmes îles.

» Le gymnure de Sumatra, qui manque à toutes nos collections.

» Les espèces d’ours du nord du Mexique et des frontières de la Californie.

» Les espèces de loups et de renards de ces mêmes pays, et entre autres le loup rouge, ainsi que les cabiais, les antilopes, le grand fourmilier tamanoir et les sarigues du Mexique.

» Le chlamiphorus truncatus, espèce de tatou fort singulière et qui n’est encore connue en Europe que par la figure et la description qu’en a données M. le docteur Harlan.

» Le prétendu cheval bisulque, ou à deux doigts, de Molina, qui paraît d’après une note de M. Gay, n’être autre chose qu’une espèce de chêvrotain de la taille d’un cerf ordinaire.

» Le viscache et en général tous les petits quadrupèdes des genres taupe, musaraigne, campagnol, rat, trop généralement négligés par les voyageurs, comme ne différant pas des espèces européennes.

» Les espèces de cerfs du Mexique et surtout deux assez petits ruminans à cornes, l’antilocapre de Ord et l’antilope mexicaine, l’un dont les cornes sont fourchues, et l’autre dont les poils sont fort longs.

» Les différentes espèces de phoques à oreilles ou sans oreilles, et entre autres celle trouvée dans l’île San Lorenzo, au Pérou, par M. de Humboldt.

» Les dauphins et les cétacés des parties plus ou moins septentrionales du grand Océan ont aussi besoin d’être étudiés, et l’Académie recommande, outre les dessins que l’on en pourra faire, d’en rapporter au moins la tête osseuse, ou garnie de sa peau, ainsi que les pattes coupées au-dessus de l’articulation.

» 2o. Parmi les oiseaux, nous pouvons dire d’une manière générale que les espèces du versant occidental du Mexique et de la Californie, manquent assez généralement à nos collections.

» Nous citerons entre autres un superbe trogon remarquable par un luxe de plumes, un peu comme chez les oiseaux de paradis, que M. de Humboldt a vu aux environs d’Acapulco, mais sans pouvoir se le procurer.

» L’ornithologie des îles Sandwich, des Mariannes, de la Cochinchine et même des Philippines, est également fort peu avancée, et très incomplétement représentée dans nos collections.

» L’Académie demande plus particulièrement à MM. les officiers de l’expédition le squelette du chionis au bec en fourreau, qui se trouve assez fréquemment aux attérages des îles Malouines et du cap Horn.

» Quoique la Bonite ne doive sans doute pas séjourner long-temps au Brésil, et surtout dans ses parties septentrionales, il serait important que l’on voulût bien demander avec quelque instance, le squelette des deux espèces de kamichy, ainsi que ceux du cariama, du coq-de-roche, du guacharo, de l’hoazin, etc., et tâcher de se procurer aussi celui du grand manchot, du grébifoulque, aux Malouines ; du phytotoma, des tinochore et attagys au Chili ; du gymnocéphale, du gymnodère et du tyran royal au Pérou ; d’une nouvelle espèce de manchot, découverte par M. de Humboldt, dans l’île San Lorenzo près de Lima, et par conséquent dans les tropiques ; de l’héorotaire et du psittacin aux îles Sandwich, squelettes, qui pour la plupart sont encore entièrement inconnus et qu’il serait utile de se procurer pour le perfectionnement des méthodes ornithologiques.

» Il serait également fort avantageux pour l’ornithologie de pouvoir observer et rapporter dans nos collections les œufs et les nids des espèces d’oiseaux qu’il sera possible de recueillir.

» Parmi les reptiles, l’un des animaux les plus intéressans à se procurer serait la grande tortue à cuir qui vient quelquefois jusque dans nos mers européennes, et dont cependant nos musées ne possèdent qu’un fort petit nombre d’individus desséchés et dont le squelette est presque entièrement inconnu, ou du moins ne fait pas encore partie de nos collections.

» Il serait également curieux de rechercher, s’il existe, comme on l’a assuré à M. Lesson, une espèce de crocodile dans les rivières du Mexique occidental.

» Les différentes espèces de reptiles du Mexique décrites dans ces derniers temps par M. Wiegman, dans son Herpetologia mexicana, et parmi lesquelles plusieurs constituent des genres assez singuliers, manquent généralement à nos collections, et nous ne saurions trop en recommander la recherche à MM. les officiers de l’expédition.

» Dans la classe des amphibiens, on remplirait des lacunes assez nombreuses en nous rapportant surtout les espèces de salamandres terrestres ou aquatiques, en faisant des recherches sur l’axolotl de M. de Humboldt, sur les cécilies ou serpens à peau nue, et principalement sur les têtards et les métamorphoses des espèces américaines de cette classe.

» Les espèces d’amphibiens qui habitent la Cochinchine et les Philippines nous sont complétement inconnues.

» Quant aux poissons, outre les espèces qu’il sera nécessaire de recueillir, surtout dans la traversée du Mexique à la Cochinchine et à Manille, en ayant soin de noter les couleurs et les particularités qu’elles peuvent offrir, il faudra surtout tâcher de se procurer les espèces d’eau douce du Mexique, des Philippines, et en général de tous les pays où l’expédition pourra séjourner. Quant aux squelettes, qu’on pourra bien se borner à dégrossir et à sécher, il sera utile de signaler les sexes.

» Parmi les insectes hexapodes, les hyménoptères et les diptères ont été généralement trop négligés dans la plupart des expéditions scientifiques ; il serait donc important que dans celle-ci les recherches entomologiques fussent dirigées plus spécialement de ce côté.

» On peut en dire autant des arachnides, des myriapodes, des vers annélides ou chétopodes, des vers proprement dits, des intestinaux, des lernées et autres parasites sur les mammifères, les oiseaux, les poissons, animaux qui jusqu’ici ont été fort peu étudiés.

» Dans le type des animaux mollusques, il en est surtout trois sur lesquels l’Académie désire plus spécialement fixer l’attention des officiers de l’expédition, savoir, la spirule, que l’on n’a jamais rencontrée encore qu’une seule fois avec son animal ; le nautile flambé, sur lequel M. Owen a donné, il y a encore peu d’années, des détails intéressans, mais qui n’a encore été trouvé qu’une ou deux fois, et enfin l’argonaute, dans la coquille duquel on n’a encore rencontré qu’une espèce de poulpe parasite.

» Ces trois animaux, essentiellement de la mer des Indes, ne pourront sans doute être observés qu’en pleine mer, et probablement aussi dans des temps de calme parfait, et peut-être le plus ordinairement à la chute du jour.

» L’Académie verrait aussi avec intérêt qu’il fût possible aux naturalistes de la Bonite de se procurer, sur les côtes du Chili, les animaux décrits et signalés par Molina ; et entre autres les espèces du genre seiche de Linné, dont quelques-unes paraissent être fort singulières.

» Elle leur recommande en outre de ne pas négliger d’observer et de recueillir les coquilles microscopiques dont les animaux ne viennent à la surface de la mer que dans les temps calmes et à la chute du jour ; ce qu’on peut faire assez aisément à l’aide de filets de gaze ou de crêpe noir, traînés à l’arrière du bâtiment, et fréquemment retirés et visités.

» En général, les animaux mollusques, terrestres et fluviatiles des îles Chiloë, Sandwich, Philippines, manquent à nos collections.

» Les zoophytes à polypiers flexibles, les pennatules, sont à peu près dans le même cas, et comme ils ont été assez négligés depuis l’expédition du capitaine Baudin, il est probable qu’on trouvera beaucoup de choses nouvelles, en s’en occupant dans toutes les circonstances favorables.

» Nous terminerons enfin nos recommandations au commandant et aux officiers de la Bonite, en les invitant à faire des recherches toutes les fois que l’occasion s’en présentera, sur la température des mammifères, des oiseaux, des reptiles et des poissons, en prenant les précautions convenables pour que les expériences soient exactement comparables, c’est-à-dire qu’elles soient faites sur les mêmes tissus, les mêmes organes ou les mêmes parties, la température extérieure préalablement estimée.

» Nous demanderons aussi que l’on cherche à faire des expériences sur la nature des gaz contenus dans la vessie natatoire des poissons, pris à des profondeurs et à des latitudes déterminées et variées, ainsi que sur la phosphorescence que présente un grand nombre d’animaux marins de différentes classes, phénomène encore si mal connu, surtout dans son étiologie.

» Nous n’avons pas besoin d’ajouter que les recherches d’histoire naturelle devront comprendre l’espèce humaine, et qu’il serait, par exemple, fort intéressant de ne plus se borner à rapporter, pour nos collections, les crânes d’âge et de sexes différens des principales races ou variétés d’homme qu’on pourra rencontrer, mais de tâcher d’y joindre les squelettes complets, et seulement plus ou moins dégrossis.

» Il ne serait pas moins utile d’étendre, si cela était possible, les expériences demandées plus haut sur la température des animaux à l’espèce humaine, en recherchant si la chaleur des mêmes individus de l’équipage, transportés dans des climats si variés que ceux par lesquels passera la Bonite, n’offrirait pas des différences appréciables ; mais pour que ces expériences fussent un peu concluantes, il faudrait qu’elles fussent faites aux mêmes heures de la journée, à la même distance des repas, sur un certain nombre d’individus, d’âge et de tempérament déterminés, toujours les mêmes, soumis au même régime de nourriture, de vêtemens et même d’exercice corporel.

» D’après les desiderata zoologiques exprimés dans cette instruction, il est évident que le moyen le plus propre pour y satisfaire serait que l’expédition pût, autant que sa nature et les circonstances le permettront, relâcher et séjourner au Brésil, à Buenos Aires, à l’île de Chiloë, au Chili, au Mexique, et même en Californie, aux îles Sandwich, à la Cochinchine, aux îles Mariannes, aux Philippines, et en général dans tous les lieux de sa route qui ont été peu ou point explorés pour l’histoire naturelle ; mais c’est à ce simple vœu que l’Académie doit borner sa mission. M. le Ministre et le commandant de l’expédition jugeront dans quelles limites il sera possible de le remplir. »

Instructions concernant la navigation et l’hydrographie, rédigées par M. de Freycinet.

« Les officiers de marine instruits sentent parfaitement l’importance des observations nautiques et hydrographiques, qui peuvent être faites en rade et sous voiles, et ils sont capables de les exécuter avec précision. À cet égard, ils n’ont qu’à suivre les préceptes qui leur ont été tracés par un savant académicien, M. Beautemps-Beaupré, dont les magnifiques travaux sont aujourd’hui entre les mains de tous les navigateurs.

» Grâce à l’esprit d’entreprise scientifique qui anime, depuis près d’un siècle, les principales nations de l’Europe, le globe terrestre, considéré sous des rapports hydrographiques, est suffisamment connu dans ses parties principales ; on a vu toutes les masses, fixé la position relative de tous les groupes ; ce ne sont donc plus maintenant que les détails qu’il faut déterminer. Mais cette tâche, moins brillante que la première, est aussi plus dangereuse, plus difficile, et exige un temps beaucoup plus prolongé. Dans le premier cas, en effet, on constate l’existence d’une île, d’un port, d’un archipel, dont un dessin à vue fait d’abord connaître les principaux traits ; dans le second, il faut entrer dans les moindres ouvertures, suivre la sinuosité de toutes les côtes, déterminer les récifs, les bancs et les autres dangers ; marcher la sonde à la main pour étudier les meilleurs mouillages ; puis, pénétrant dans l’intérieur du pays, observer les productions des trois règnes, dans leurs rapports avec la marine et avec les autres sciences.

» Levée des cartes et plans. — Nous n’insisterons donc point, dans ce qui va suivre, sur la nécessité et l’importance des levées hydrographiques ; les officiers de la Bonite ne perdront, sans doute, aucune occasion d’augmenter, à cet égard, le nombre de nos connaissances positives, et ne voudront pas se montrer moins zélés que leurs devanciers.

» Description des pays visités. — Autant que la durée de la relâche pourra le leur permettre, ils joindront, aux travaux qui précèdent, une description, suffisamment circonstanciée, des côtes et des terres visitées, et parleront des productions du pays et de ses ressources, tant pour le ravitaillement des vaisseaux, que dans l’intérêt du commerce. Ils diront la manière de venir au mouillage et d’éviter les écueils ; enfin, ils trouveront dans les mœurs, la religion et les coutumes des habitans, matière à plus d’une remarque curieuse et importante.

» Observations astronomiques. — Ils sentiront également la nécessité des observations multipliées de latitude et de longitude, pour fixer, avec la précision que comportent aujourd’hui les méthodes de l’astronomie nautique, la position absolue ou relative des principaux points de station.

» Marées. — Les marées aussi donneraient lieu à beaucoup d’expériences pleines d’intérêt, si l’on avait un loisir suffisant pour les exécuter. Toutefois l’Académie espère qu’il sera possible, aux officiers de la Bonite, de déterminer à divers instans de la journée pendant les principales relâches, l’établissement du port, le plus grand et le plus petit marnage de la mer, ainsi que la direction, la force et les variations des courans.

» Vents. — L’étude des vents, de leur fréquence et de leur force ; les dangers auxquels ils exposent les navires ; les époques de l’année ou du jour où ils soufflent ; leurs variations périodiques et leur marche ; les pronostics qui les annoncent ; leur coïncidence avec le beau et le mauvais temps, pourront employer encore d’une manière utile les loisirs des officiers de l’expédition. Il importe que les remarques de ce genre soient faites avec soin, et, autant que possible, heure par heure, tant en mer qu’en rade, et de manière à se rattacher aux observations thermométriques et barométriques dont il est parlé dans un autre paragraphe de ces instructions.

» Échantillons d’eau douce. — Des échantillons d’un litre d’eau environ, puisés à chacune des sources où l’on fera aiguade, et mis dans des bouteilles bien bouchées, seront précieux pour déterminer, au retour du voyage, leur degré de pureté et de salubrité, question qui n’est point étrangère à celle de la conservation de la santé des équipages.

» Recherches philologiques. — La connaissance de la langue des peuples maritimes et encore peu connus offre beaucoup d’importance aux navigateurs, aux philologues, ainsi qu’aux savans qui s’occupent de l’histoire de l’homme. Il est fort à désirer que l’expédition de la Bonite rapporte, en ce genre tout ce qu’il lui sera possible de se procurer. On croit devoir rappeler aux voyageurs que de simples collections de mots, classés en vocabulaires, servent beaucoup moins la science que des phrases et des discours suivis. C’est qu’en effet, on peut toujours retrouver les mots dans les phrases, et qu’on ne saurait retrouver les constructions de phrases dans les mots. Mais il faut avoir soin de se procurer la traduction d’une partie, au moins, des pièces recueillies, et de marquer fidèlement la prononciation, ou la valeur de chaque lettre dont on a fait usage. L’Académie désire que les officiers de la Bonite fixent particulièrement leur attention sur la langue des îles Sandwich, qui possède déjà des livres imprimés dans le pays même ; sur celle des peuples Tagale et Papanga de l’île Luçon ; et enfin sur celle des Hottentots du Cap de Bonne-Espérance, langue si négligée, jusqu’à ce jour, malgré les fréquens voyages des Européens dans cette partie de l’Afrique méridionale. »

Instructions concernant la physique du globe, rédigées par M. Arago.

Lorsque l’Académie nous chargea, il y a quinze jours, de rédiger une sorte de programme dans lequel se trouveraient réunies les questions variées de physique du globe qu’il pourrait paraître convenable de recommander à MM. les officiers de la Bonite, nous n’aperçûmes pas d’abord toutes les difficultés de cette mission. Ces difficultés n’étaient cependant que trop réelles. Nous avouerons même sans détour que nous ne croyons pas les avoir surmontées. Au reste, nous trouverons notre excuse et dans la brièveté du temps qui nous était accordé, et surtout dans l’obligation, à laquelle il nous eût été impossible de nous soustraire, d’en consacrer la plus grande partie à la vérification et aux épreuves des nombreux et excellens instrumens dont nos jeunes compatriotes vont être pourvus, grâce à la déférence empressée que M. le Ministre de la marine a bien voulu montrer pour les désirs de l’Académie.

La question de savoir quelle forme il faudrait donner à cette partie des instructions nous a particulièrement embarrassés. Signaler les expériences à faire sans indiquer par aucune explication les lacunes de la science qu’elles sont destinées à remplir, eût été sans doute le plus court ; mais, tout balancé, il nous a paru préférable d’accompagner l’énoncé de chaque problème de développemens qui en montrassent l’importance. Par là, les officiers de la Bonite se trouveront, en quelque sorte, associés dès ce moment aux investigations savantes que leurs recherches feront surgir ; par là, aussi, leur courage, leur persévérance, leur zèle, recevront une nouvelle et vive excitation.

Phénomènes météorologiques.

En météorologie, on doit savoir se résigner à faire des observations qui, pour le moment, peuvent ne conduire à aucune conséquence saillante ; il faut, en effet, songer à pourvoir nos successeurs de termes de comparaison dont nous manquons nous-mêmes ; il faut leur préparer les moyens de résoudre une foule d’importantes questions qu’il ne nous est pas permis d’aborder, parce que l’antiquité ne possédait ni baromètre ni thermomètre. Ces simples réflexions suffiront pour expliquer comment nous demandons que pendant toute la durée du voyage de la Bonite, de jour comme de nuit, et d’heure en heure, il soit tenu note de la température de l’air, de la température de la surface de la mer, et de la pression atmosphérique. Elles suffiront aussi pour nous faire espérer que ce cadre d’observations sera rempli avec le zèle dont les officiers de l’Uranie, de la Coquille, de l’Astrolabe, de la Chevrette et du Loiret ont donné l’exemple. Toutefois, si des circonstances qu’il ne nous est pas donné de prévoir, venaient à exiger l’abandon d’une portion de ce travail, il serait bon que le sacrifice portât de préférence sur les parties les moins essentielles. Les détails dans lesquels nous allons entrer, nous sembleraient propres à diriger, en pareil cas, le choix du commandant de l’expédition.

La terre, sous le rapport de la température, est-elle arrivée à un état permanent ?

La solution de cette question capitale, semble ne devoir exiger que la comparaison directe, immédiate, des températures moyennes du même lieu, prises à deux époques éloignées. Mais, en y réfléchissant davantage, en songeant aux effets des circonstances locales, en voyant à quel point le voisinage d’un lac, d’une forêt, d’une montagne nue ou boisée, d’une plaine sablonneuse ou couverte de prairies, peut modifier la température, tout le monde comprendra que les seules données thermométriques ne savent suffire ; qu’il faudra s’assurer, en outre, que la contrée où l’on a opéré et même que les pays environnans n’ont subi dans leur aspect physique et dans le genre de leur culture aucun changement trop notable. Ceci, comme on voit, complique singulièrement la question : à des chiffres positifs, caractéristiques, d’une exactitude susceptible d’être nettement appréciée, viennent maintenant se mêler des aperçus vagues en présence desquels un esprit rigide reste toujours en suspens.

N’y a-t-il donc aucun moyen de résoudre la difficulté ? Ce moyen existe et n’est pas compliqué : il consiste à observer la température en pleine mer, très loin des continens. Ajoutons que, si l’on choisit les régions équinoxiales, ce ne seront pas des années de recherches qu’il faudra ; que les températures maxima, observées dans deux ou trois traversées de la ligne, peuvent amplement suffire. En effet, dans l’Atlantique, les extrêmes de ces températures, déterminées jusqu’ici par un grand nombre de voyageurs, sont 27° et 29° centigrades. En faisant la part des erreurs de graduation, tout le monde comprendra qu’avec un bon instrument, l’incertitude d’une seule observation du maximum de température de l’océan Atlantique équatorial, ne doit guère surpasser un degré, et qu’on peut compter sur la constance de la moyenne de quatre déterminations distinctes, à une petite fraction de degré. Ainsi, voilà un résultat facile à obtenir, directement lié aux causes calorifiques et refroidissantes dont dépendent les températures terrestres, et tout aussi dégagé qu’il est possible de l’influence des circonstances locales. Voilà donc une donnée météorologique que chaque siècle doit s’empresser de léguer aux siècles à venir. Les officiers de la Bonite ne négligeront certainement pas cette partie de leurs instructions. Les excellens instrumens qui leur seront confiés, nous permettent d’ailleurs d’espérer toute l’exactitude que l’état de la science réclame et comporte aujourd’hui.

De vives discussions se sont élevées entre les météorologistes, au sujet des effets calorifiques que les rayons solaires peuvent produire par voie d’absorption dans différens pays. Les uns citent des observations recueillies vers le cercle arctique, et dont semblerait résulter cette étrange conséquence : le soleil échauffe plus fortement dans les hautes que dans les basses latitudes. D’autres rejettent ce résultat ou prétendent, du moins, qu’il n’est pas prouvé : les observations équatoriales prises pour terme de comparaison ne leur semblent pas assez nombreuses ; d’ailleurs, ils trouvent qu’elles n’ont point été faites dans des circonstances favorables. Cette recherche pourra donc être recommandée à MM. les officiers de la Bonite. Ils auront besoin, pour cela, de deux thermomètres, dont les récipiens, d’une part, absorbent inégalement les rayons solaires, et de l’autre, n’éprouvent pas trop fortement les influences refroidissantes des courans d’air. On satisfera assez bien à cette double condition, si, après s’être muni de deux thermomètres ordinaires et tout pareils, on recouvre la boule du premier d’une certaine épaisseur de laine blanche, et celle du second d’une épaisseur égale de laine noire. Ces deux instrumens exposés au soleil, l’un à côté de l’autre, ne marqueront jamais le même degré : le thermomètre noir montera davantage. La question consistera donc à déterminer si la différence des deux indications est plus petite à l’équateur qu’au cap Horn.

Il est bien entendu que des observations comparatives de cette nature, doivent être faites à des hauteurs égales du soleil, et par le temps le plus serein possible. De faibles dissemblances de hauteur n’empêcheront pas, toutefois, de calculer les observations, si l’on a pris la peine, sous diverses latitudes, de déterminer depuis le lever du soleil jusqu’à midi, et depuis midi jusqu’à l’époque du coucher, suivant quelle progression la différence des deux instrumens grandit durant la première période, et comment elle diminue pendant la seconde. Les jours de grand vent devront être toujours exclus, quel que soit d’ailleurs l’état du ciel.

Une observation qui ne serait pas sans analogie avec celle des deux thermomètres vêtus de noir et de blanc, consisterait à déterminer le maximum de température que, dans les régions équinoxiales, le soleil peut communiquer à un sol aride. À Paris, en 1826, dans le mois d’août, par un ciel serein, nous avons trouvé, avec un thermomètre couché horizontalement, et dont la boule n’était recouverte que de 1 millimètre de terre végétale très fine, +54°. Le même instrument, recouvert de 2 millimètres de sable de rivière, ne marquait que +46°.

Les expériences que nous venons de proposer doivent, toutes choses d’ailleurs égales, donner la mesure de la diaphanéité de l’atmosphère. Cette diaphanéité peut être appréciée d’une manière en quelque sorte inverse et non moins intéressante, par des observations de rayonnement nocturne que nous recommanderons aussi à l’attention de l’état-major de la Bonite.

On sait, depuis un demi-siècle, qu’un thermomètre placé, par un ciel serein, sur l’herbe d’un pré, marque 6°, 7° et même 8° centigrades de moins qu’un thermomètre tout aussi semblable suspendu dans l’air à quelque élévation au-dessus du sol ; mais c’est depuis peu d’années qu’on a trouvé l’explication de ce phénomène ; c’est depuis 1817 seulement, que Wells a constaté, à l’aide d’expériences importantes et variées de mille manières, que cette inégalité de température a pour cause la faible vertu rayonnante d’un ciel serein.

Un écran placé entre des corps solides quelconques et le ciel, empêche qu’ils ne se refroidissent, parce que cet écran intercepte leurs communications rayonnantes avec les régions glacées du firmament. Les nuages agissent de la même manière ; ils tiennent lieu d’écran. Mais, si nous appelons nuage toute vapeur qui intercepte quelques rayons solaires venant de haut en bas, ou quelques rayons calorifiques allant de la terre vers les espaces célestes, personne ne pourra dire que l’atmosphère en soit jamais entièrement dépouillée. Il n’y aura de différence que du plus au moins.

Eh bien ! ces différences, quelque légères qu’elles soient, pourront être indiquées par les valeurs des refroidissemens nocturnes des corps solides, et même avec cette particularité digne de remarque, que la diaphanéité qu’on mesure ainsi est la diaphanéité moyenne de l’ensemble du firmament, et non pas seulement celle de la région circonscrite qu’un astre serait venu occuper.

Pour faire ces expériences dans des conditions avantageuses, il faut évidemment choisir les corps qui se refroidissent le plus par rayonnement. D’après les recherches de Wells, c’est le duvet de cygne que nous indiquerons. Un thermomètre, dont la boule devra être entourée de ce duvet, sera placé dans un lieu d’où l’on aperçoive à peu près tout l’horizon, sur une table de bois peint supportée par des pieds déliés. Un second thermomètre à boule nue sera suspendu dans l’air à quelque hauteur au-dessus du sol. Un écran le garantira de tout rayonnement vers l’espace. En Angleterre, Wells a obtenu, entre les indications de deux thermomètres ainsi placés, jusqu’à des différences de 8°3 centigrades. Il serait certainement étrange que dans les régions équinoxiales, tant vantées pour la pureté de l’atmosphère, on trouvât toujours de moindres résultats. Nous n’avons pas besoin, sans doute, de faire ressortir toute l’utilité qu’auraient ces mêmes expériences, si on les répétait sur une très haute montagne telle que le Mowna-Roa ou le Mowna-Kaah des îles Sandwich.

La température des couches atmosphériques est d’autant moindre que ces couches sont plus élevées. Il n’y a d’exception à cette règle, que la nuit par un temps serein et calme ; alors, jusqu’à certaines hauteurs, on observe une progression croissante ; alors, d’après des expériences de Pictet, à qui l’on doit la découverte de cette anomalie, un thermomètre suspendu dans l’air à 2 mètres du sol, peut marquer, toute la nuit, 2° à 3° centigrades de moins qu’un thermomètre également suspendu dans l’air, mais 15 à 20 mètres plus haut.

Si l’on se rappelle que les corps solides placés à la surface de la terre, passent par voie de rayonnement quand le ciel est serein, à une température notablement inférieure à celle de l’air qui les baigne, on ne doutera guère que cet air ne doive, à la longue et par voie de contact, participer à ce même refroidissement, et d’autant plus qu’il se trouve plus près de terre. Voilà, comme on voit, une explication plausible du fait curieux signalé par le physicien de Genève. Nos jeunes navigateurs lui donneront le caractère d’une véritable démonstration, s’ils répètent l’expérience de Pictet en pleine mer ; si, par un ciel serein et calme, ils comparent de nuit, un thermomètre placé sur le pont avec un thermomètre attaché au sommet du mât. Ce n’est pas que la couche superficielle de l’Océan n’éprouve les effets du rayonnement nocturne, tout comme l’édredon, la laine, l’herbe, etc. ; mais dès que sa température a diminué, cette couche se précipite parce qu’elle est devenue spécifiquement plus dense que les couches liquides inférieures. On ne saurait donc espérer, dans ce cas, les énormes refroidissemens locaux observés par Wells sur certains corps placés à la surface de la terre, ni le refroidissement anomal de l’air inférieur qui en semble être la conséquence. Tout porte donc à croire que la progression croissante de température atmosphérique observée à terre, n’existera pas en pleine mer ; que là, le thermomètre du pont et celui du mât, marqueront à peu près le même degré. L’expérience, toutefois, n’en est pas moins digne d’intérêt : aux yeux du physicien prudent, il y a toujours une distance immense entre le résultat d’une conjecture et celui d’une observation.

Dans nos climats, la couche terrestre qui n’éprouve ni des variations de température diurnes, ni des variations de température annuelles, se trouve située à une fort grande distance de la surface du sol. Il n’en est pas de même dans les régions équinoxiales ; là, d’après les observations de M. Boussingault, déjà il suffit de descendre un thermomètre à la simple profondeur de de mètre, pour qu’il marque constamment le même degré, à un ou deux dixièmes près. Nos voyageurs pourront donc déterminer très exactement la température moyenne de tous les lieux où ils stationneront entre les tropiques, en plaine comme sur les montagnes, s’ils ont la précaution de se munir d’un fleuret de mineur, à l’aide duquel il est facile, en peu d’instans, de pratiquer dans le sol un trou d’un tiers de mètre de profondeur.

On remarquera que l’action du foret sur les roches et même sur la terre, donne lieu à un développement de chaleur, et qu’on ne saurait se dispenser d’attendre qu’il se soit entièrement dissipé, avant de commencer les expériences. Il faut aussi, pendant toute leur durée, que l’air ne puisse pas se renouveler dans le trou. Un corps mou, tel que du carton, recouvert d’une grande pierre, forme un obturateur suffisant. Le thermomètre devra être muni d’un cordon avec lequel on le retirera.

Les observations de M. Boussingault, dont nous venons de nous étayer, pour recommander des forages à la faible profondeur d’un tiers de mètre, comme devant conduire, très expéditivement, à la détermination des températures moyennes sur toute la largeur des régions intertropicales, ont été faites, dans des lieux abrités, dans des rez-de-chaussée, sous des cabanes d’indiens, ou sous de simples hangards. Là, le sol se trouve à l’abri de l’échauffement direct produit par l’absorption de la lumière solaire, du rayonnement nocturne et de l’infiltration des pluies. Il faudra conséquemment se placer dans les mêmes conditions, car il n’est pas douteux qu’en plein air, dans des lieux non abrités, on serait forcé de descendre à plus d’un tiers de mètre de profondeur dans le sol, pour atteindre la couche douée d’une température constante.

L’observation de la température de l’eau des puits d’une médiocre profondeur, donne aussi, comme tout le monde sait, fort exactement et sans aucune difficulté, la température moyenne de la surface ; nous ne devons donc pas oublier de la faire figurer au nombre de celles que l’Académie recommande.

Nous insisterons aussi, d’une manière spéciale, sur les températures des sources thermales. Si ces températures, comme tout porte à le croire, sont la conséquence de la profondeur d’où l’eau nous arrive, on doit trouver assurément fort naturel que les sources les plus chaudes soient les moins nombreuses. Toutefois, n’est-il pas extraordinaire qu’on n’en ait jusqu’ici observé aucune dont la température approche du terme de l’ébullition à moins de vingt degrés centigrades[2] ? Si quelques relations vagues ne nous trompent pas, les Philippines et l’île de Luçon en particulier, pourraient bien faire disparaître cette lacune. Là, au surplus, comme dans tout autre lieu où il existe des sources thermales, les données à recueillir les plus dignes d’intérêt, seraient celles d’où pourrait résulter la preuve que la température d’une source très abondante varie ou ne varie pas avec la suite des siècles, et surtout les observations locales qui montreraient la nécessité du passage du liquide émergent à travers des couches terrestres très profondes.

Si la relâche de la Bonite aux îles Sandwich doit avoir quelque durée, il pourra paraître convenable de mesurer le Mowna-Roa barométriquement. Les observations thermométriques faites au sommet de cette montagne isolée, comparées à celles du rivage de la mer, donneront, sur le décroissement de la température atmosphérique et sur la limite des neiges perpétuelles, des résultats que l’éloignement des continens rendra particulièrement précieux.

L’officier qui gravira le Mowna-Roa ne devra pas négliger de noter, à chacune de ses stations, la direction du vent[3].

Baromètre.

Il y a peu d’années on se serait fortement récrié contre toute idée d’une différence permanente entre les hauteurs barométriques correspondantes aux diverses régions du globe, au niveau de la mer. Aujourd’hui de telles différences sont regardées non-seulement comme possibles mais encore comme probables. MM. les officiers de la Bonite doivent donc s’attacher, avec un soin scrupuleux, à conserver leurs baromètres en bon état afin que les observations de toutes les relâches soient parfaitement comparables. Il ne faudra jamais négliger de tenir note de la hauteur exacte de la cuvette du baromètre au-dessus du niveau de la mer.

Il existe de nombreux mémoires sur la variation diurne du baromètre, ce phénomène a été étudié depuis l’équateur jusqu’aux régions les plus voisines des pôles ; au niveau de la mer, sur les immenses plateaux de l’Amérique, sur des sommets isolés de très hautes montagnes et néanmoins la cause en est restée jusqu’ici ignorée.

Il importe donc de multiplier encore les observations. Dans nos climats, le voisinage de la mer semble se manifester par une diminution sensible dans l’amplitude de l’oscillation diurne ; en est-il de même entre les tropiques ?

Pluie.

Les navigateurs parlent des pluies qui, parfois, tombent sur leurs bâtimens pendant qu’ils traversent les régions équinoxiales, dans des termes qui devraient faire supposer qu’il pleut beaucoup plus abondamment en mer qu’à terre. Mais ce sujet est resté jusqu’ici dans le domaine des simples conjectures ; rarement on s’est donné la peine de procéder à des mesures exactes. Ces mesures, cependant, ne sont pas difficiles. Nous voyons, par exemple, que le capitaine Tuckey en avait fait plusieurs pendant sa malheureuse expédition au fleuve Zaïre ou Congo. Nous savons que la Bonite sera pourvue d’un petit udomètre. Il nous semble donc convenable d’inviter son commandant à le faire placer sur l’arrière du bâtiment, dans une position où il ne pourra recevoir ni la pluie que recueillent les voiles, ni celle qui tombe des cordages.

On ajouterait beaucoup à l’intérêt de ces observations, si l’on déterminait en même temps la température de la pluie, et la hauteur d’où elle tombe.

Pour avoir, avec quelque exactitude, la température de la pluie, il faut que la masse d’eau soit considérable relativement à celle du récipient qui la reçoit. L’udomètre en métal ne satisferait pas à cette condition. Il vaut infiniment mieux prendre un large entonnoir formé avec une étoffe légère, à tissu très serré, et recevoir l’eau qui coule par le bas dans un verre à minces parois renfermant un petit thermomètre. Voilà pour la température. L’élévation des nuages où la pluie se forme, ne peut être déterminée que dans des temps d’orage ; alors, le nombre de secondes qui s’écoulent entre l’éclair et l’arrivée du bruit multiplié par 337 mètres, vitesse de la propagation du son, donne la longueur de l’hypoténuse d’un triangle rectangle dont le côté vertical est précisément la hauteur cherchée. Cette hauteur pourra être calculée, si à l’aide d’un instrument à réflexion, on évalue l’angle que forme avec l’horizon la ligne qui partant de l’œil de l’observateur, aboutit à la région des nuages où l’éclair s’est d’abord montré.

Supposons, pour un moment, qu’il tombe sur le navire de la pluie plus froide que ne doivent l’être les nuages d’après leur hauteur et la rapidité connue du décroissement de la température atmosphérique ; tout le monde comprendra quel rôle un pareil résultat jouerait en météorologie.

Supposons d’autre part, qu’un jour de grêle (car il grêle en pleine mer) le même système d’observations vienne à prouver que les grêlons se sont formés dans une région où la température atmosphérique était supérieure au terme de la congélation de l’eau, et l’on aura enrichi la science d’un résultat précieux auquel la théorie à venir de la grêle devra satisfaire.

Nous pourrions, par bien d’autres considérations, faire ressortir l’utilité des observations que nous venons de proposer ; mais les deux qui précèdent doivent suffire.

Il est des phénomènes extraordinaires sur lesquels la science possède peu d’observations, par la raison que ceux à qui il a été donné de les voir, évitent d’en parler de peur de passer pour des rêveurs sans discernement. Au nombre de ces phénomènes, nous rangerons certaines pluies des régions équinoxiales.

Quelquefois, entre les tropiques, il pleut, par l’atmosphère la plus pure, par un ciel du plus bel azur ! Les gouttes ne sont pas très serrées ; mais elles surpassent en grosseur les plus larges gouttes de pluie d’orage de nos climats. Le fait est certain ; nous en avons pour garant et M. de Humboldt, qui l’a observé dans l’intérieur des terres, et M. le capitaine Beechey, qui en a été témoin en pleine mer ; quant aux circonstances dont une aussi singulière précipitation d’eau peut dépendre, elles ne nous sont pas connues. En Europe on voit quelquefois, par un temps froid et parfaitement serein, tomber lentement en plein midi de petits cristaux de glace dont le volume s’augmente de toutes les parcelles d’humidité qu’ils congèlent dans leur trajet. Ce rapprochement ne mettrait-il pas sur la voie de l’explication désirée ? Les grosses gouttes n’ont-elles pas été dans les plus hautes régions de l’atmosphère, d’abord, de très petites parcelles de glace excessivement froides ; ensuite, plus bas, par voie d’agglomération, de gros glaçons ; plus bas encore des glaçons fondus ou de l’eau ? Il est bien entendu que ces conjectures ne sont consignées ici que pour montrer sous quel point de vue le phénomène peut être étudié ; que pour exciter, surtout, nos jeunes voyageurs à chercher avec soin si pendant ces singulières pluies, les régions du ciel d’où elles tombent n’offriraient pas quelques traces de halo. Si ces traces s’apercevaient, quelque légères qu’elles fussent, l’existence de cristaux de glace dans les hautes régions de l’air serait démontrée.

Il n’est presque pas de contrée où, maintenant, l’on ne trouve des météorologistes ; mais, il faut l’avouer, ils observent ordinairement à des heures choisies sans discernement et avec des instrumens inexacts ou mal placés. Il ne semble pas difficile, aujourd’hui, de ramener les observations d’une heure quelconque, à la température moyenne du jour ; ainsi, un tableau météorologique, quelles que soient les heures qui y figurent, aura du prix à la seule condition que les instrumens employés auront pu être comparés à des baromètres et thermomètres étalons.

Nous croyons que l’on doit recommander ces comparaisons à MM. les officiers de la Bonite. Partout où on les aura effectuées, les observations météorologiques locales auront du prix. Une collection des journaux du pays suppléera souvent à des copies qu’on obtiendrait difficilement.

Magnétisme terrestre.

La science s’est enrichie, depuis quelques années, d’un bon nombre d’observations de variations diurnes de l’aiguille aimantée ; mais la plupart de ces observations ont été faites ou dans les îles ou sur les côtes occidentales des continens. Des observations analogues, correspondantes à des côtes orientales, seraient aujourd’hui très utiles : elles serviraient, en effet, à soumettre à une épreuve presque décisive la plupart des explications qu’on a essayé de donner de ce mystérieux phénomène.

L’itinéraire de l’expédition ne permet pas de supposer que la Bonite puisse relâcher ou du moins séjourner quelque temps, dans des points situés entre l’équateur terrestre et l’équateur magnétique, tels que Fernambouc, Payta, le cap Comorin, les îles Pelew. Sans cela, nous eussions recommandé d’une manière particulière, d’y établir solidement, et loin de toute masse ferrugineuse, le bel instrument de M. Gambey, et de suivre les oscillations de l’aiguille avec un soin scrupuleux[4].

En général, dans les lieux où l’expédition ne séjournera pas une semaine entière, il serait peu utile de se livrer à l’observation des variations diurnes de l’aiguille aimantée horizontale. Il n’en est pas de même des autres élémens magnétiques. Partout où la Bonite s’arrêtera, ne fût-ce que quelques heures, il faudra, si c’est possible, mesurer la déclinaison, l’inclinaison et l’intensité.

En cherchant à concilier les observations d’inclinaison, faites à des époques éloignées dans diverses régions de la terre peu distantes de l’équateur magnétique, on avait reconnu, depuis quelques années, que cet équateur s’avance progressivement et en totalité de l’orient à l’occident. Aujourd’hui on suppose que ce mouvement est accompagné d’un changement de forme. L’étude des lignes d’égale inclinaison envisagée sous le même point de vue, n’offrira pas moins d’intérêt. Il sera curieux, quand toutes ces lignes auront été tracées sur les cartes, de les suivre de l’œil dans leurs déplacemens et dans leurs changemens de courbure ; d’importantes vérités pourront jaillir de cet examen. On comprend maintenant pourquoi nous demandons autant de mesures d’inclinaison qu’on en pourra recueillir.

Les observations d’intensité ne datent que des voyages de d’Entrecasteaux et de M. de Humboldt ; et cependant elles ont déjà jeté de vives lumières sur la question si compliquée, mais en même temps si intéressante, du magnétisme terrestre ; et cependant à chaque pas le théoricien est arrêté par le manque de mesures exactes. Ce genre d’observations mérite, au plus haut degré, de fixer l’attention des officiers de la Bonite.

Quant à la déclinaison, son immense utilité est trop bien sentie des navigateurs, pour qu’à cet égard toute recommandation ne soit pas superflue.

Les voyages aérostatiques de MM. Biot et Gay-Lussac, exécutés jadis sous les auspices de l’Académie, étaient en grande partie destinés à l’examen de cette question capitale : la force magnétique qui, à la surface de la terre, dirige l’aiguille aimantée vers le nord, a-t-elle exactement la même intensité à quelque hauteur que l’on s’élève ?

Les observations de nos deux confrères, celles de M. de Humboldt faites dans les pays de montagnes ; les observations encore plus anciennes de Saussure, semblèrent toutes montrer qu’aux plus grandes hauteurs qu’il soit permis à l’homme d’atteindre, le décroissement de la force magnétique est encore inappréciable.

Cette conclusion a récemment été contredite. On a remarqué que dans le voyage de M. Gay-Lussac, par exemple, le thermomètre qui, à terre, au moment du départ, marquait +31° centigrades, s’était abaissé jusqu’à −9°,0 dans la région aérienne où notre confrère fit osciller une seconde fois son aiguille ; or il est aujourd’hui parfaitement établi, qu’en un même lieu, sous l’action d’une même force, une même aiguille oscille d’autant plus vite que sa température est moindre. Ainsi, pour rendre les observations du ballon et celles de terre comparables, il aurait fallu, à raison de l’état du thermomètre, apporter une certaine diminution à la force que les observations supérieures indiquaient. Sans cette correction, l’aiguille semblait également attirée en haut et en bas ; donc, malgré les apparences, il y avait affaiblissement réel.

Cette diminution de la force magnétique avec la hauteur, semble aussi résulter des observations faites en 1829, au sommet du mont Elbrouz (dans le Caucase), par M. Kupffer. Ici l’on a tenu un compte exact des effets de la température, et cependant diverses irrégularités dans la marche de l’inclinaison, jettent quelque doute sur le résultat.

Nous croyons donc que la comparaison de l’intensité magnétique, au bas et au sommet d’une montagne, doit être spécialement recommandée aux officiers de la Bonite. Le Mowna-Roa, des îles Sandwich, semble devoir être un lieu très propre à ce genre d’observations. On pourrait aussi les répéter sur le Tacora, si l’expédition s’arrête seulement trois ou quatre jours à Arica.

On a souvent agité la question de savoir si, en général, dans un lieu déterminé, l’aiguille d’inclinaison marquerait exactement le même degré à la surface du sol, à une grande hauteur dans les airs et à une grande profondeur dans une mine. Le manque d’uniformité dans la composition chimique du terrain, rend la solution de ce problème très difficile. Si l’on observe en ballon, les mesures ne sont pas suffisamment exactes. Quand le physicien prend sa station sur une montagne, il est exposé à des attractions locales ; des masses ferrugineuses peuvent alors altérer notablement la position de l’aiguille sans que rien en avertisse. La même incertitude affecte les observations faites dans les galeries de mines. Ce n’est pas qu’il soit absolument impossible de déterminer en chaque lieu la part des circonstances accidentelles ; mais il faut pour cela avoir des instrumens très parfaits ; il faut pouvoir s’éloigner de la station qu’on a choisie, dans toutes les directions, et jusqu’à d’assez grandes distances ; il faut enfin multiplier les observations beaucoup plus qu’un voyageur n’a ordinairement les moyens de le faire. Quoi qu’il en puisse être, les observations de cette espèce sont dignes d’intérêt. Leur ensemble conduira peut-être un jour à quelque résultat général.

MÉTÉORES LUMINEUX.
Étoiles filantes.

Depuis qu’on s’est avisé d’observer quelques étoiles filantes avec exactitude, on a pu voir combien ces phénomènes si long-temps dédaignés, combien ces prétendus météores atmosphériques, ces soi-disant traînées de gaz hydrogène enflammé, méritent d’attention. Leur parallaxe les a déjà placés beaucoup plus haut que, dans les théories adoptées, les limites sensibles de notre atmosphère ne sembleraient le comporter. En cherchant la direction suivant laquelle les étoiles filantes se meuvent le plus habituellement, on a reconnu, par une autre voie, que si elles s’enflamment dans notre atmosphère, elles n’y prennent pas du moins naissance, qu’elles viennent du dehors. Cette direction la plus habituelle des étoiles filantes semble diamétralement opposée au mouvement de translation de la terre dans son orbite !

Il serait désirable que ce résultat fût établi sur la discussion d’une grande quantité d’observations. Nous croyons donc qu’à bord de la Bonite, et pendant toute la durée de sa navigation, les officiers de quart devront être invités à noter l’heure de l’apparition de chaque étoile filante, sa hauteur angulaire approchée au-dessus de l’horizon, et surtout la direction de son mouvement. En rapportant ces météores aux principales étoiles des constellations qu’ils traversent, les diverses questions que nous venons d’indiquer peuvent être résolues d’un coup d’œil ; voilà donc un sujet de recherches qui n’occasionnera aucune fatigue. En tout cas, pour que nos jeunes compatriotes s’y attachent, il nous suffira de leur faire remarquer combien il serait piquant d’établir que la Terre est une planète par des preuves puisées dans des phénomènes tels que les étoiles filantes, dont l’inconstance était devenue proverbiale. Nous ajouterions encore, s’il était nécessaire, qu’on n’entrevoit guère aujourd’hui la possibilité d’expliquer l’étonnante apparition de bolides, observée en Amérique dans la nuit du 12 au 13 novembre 1833, si ce n’est en supposant qu’outre les grandes planètes (et dans ce nombre nous comprenons même Cérès, Pallas, Junon et Vesta), il circule autour du Soleil des milliards de petits corps qui ne deviennent visibles qu’au moment où ils pénètrent dans notre atmosphère et s’y enflamment ; que ces astéroïdes (pour nous servir d’une expression d’Herschel) se meuvent en quelque sorte par groupes ; qu’il en existe cependant d’isolés ; et que l’observation assidue des étoiles filantes sera, à tout jamais, le seul moyen de nous éclairer sur ces curieux phénomènes.

Nous venons de faire mention de l’apparition d’étoiles filantes observée en Amérique en 1833. Ces météores se succédaient à de si courts intervalles qu’on n’aurait pas pu les compter ; des évaluations modérées portent leur nombre à des centaines de mille. On les aperçut le long de la côte orientale d’Amérique, depuis le golfe du Mexique jusqu’à Halifax, depuis 9 heures du soir jusqu’au lever du soleil, et même, dans quelques endroits, en plein jour, à 8 heures du matin. Tous ces météores partaient d’un même point du ciel situé près de du Lion, et cela, quelle que fût d’ailleurs, par l’effet du mouvement diurne de la sphère, la position de cette étoile. Voilà assurément un résultat fort étrange ; eh bien ! citons-en un second qui ne l’est pas moins.

La pluie d’étoiles filantes de 1833 eut lieu, nous l’avons déjà dit, dans la nuit du 12 au 13 novembre.

En 1799, une pluie semblable fut observée en Amérique par M. de Humboldt ; au Groënland par les Frères Moraves ; en Allemagne par diverses personnes.

La date est la nuit du 11 au 12 novembre.

L’Europe, en 1832, fut témoin du même phénomène, mais sur une moindre échelle.

La date est encore la nuit du 12 au 13 novembre.

Cette presque identité de dates nous autorise d’autant plus à inviter nos jeunes navigateurs à veiller attentivement à tout ce qui pourra apparaître dans le firmament du 10 au 15 novembre, que les observateurs qui, favorisés par une atmosphère sereine, ont attendu le phénomène l’année dernière (1834), en ont aperçu des traces manifestes, dans la nuit du 12 au 13 novembre[5].

Lumière zodiacale.

La lumière zodiacale, quoiqu’elle soit connue depuis près de deux siècles, offre encore aux cosmologues un problème qui n’a pas été résolu d’une manière satisfaisante. L’étude de ce phénomène, par la nature même des choses, est principalement réservée aux observateurs placés dans les régions équinoxiales ; eux seuls pourront décider si Dominique Cassini s’était suffisamment défié des causes d’erreur auxquelles on est exposé dans nos atmosphères variables ; s’il avait pris en assez grande considération la pureté de l’air, lorsque dans son ouvrage il annonçait

Que la lumière zodiacale est constamment plus vive le soir que le matin ;

Qu’en peu de jours sa longueur peut varier entre 60 et 100° ;

Que ces variations sont liées à l’apparition des taches solaires, de telle sorte, par exemple, qu’il y aurait eu dépendance directe et non pas seulement coïncidence fortuite, entre la faiblesse de la lumière zodiacale en 1688, et l’absence de toute tache ou facule sur le disque solaire, dans cette même année.

Il nous semble donc que l’Académie doit désirer que les officiers de la Bonite, pendant toute la durée de leur séjour entre les tropiques, et quand la lune n’éclairera pas, veuillent bien, soir et matin, après le coucher du soleil ou avant son lever, prendre note des constellations que la lumière zodiacale traversera ; de l’étoile qu’atteindra sa pointe, et de la largeur angulaire du phénomène près de l’horizon, à une hauteur déterminée. Il serait sans doute superflu de dire qu’il faudra tenir compte de l’heure des observations. Quant à la discussion des résultats, elle pourra, sans aucun inconvénient, être renvoyée à l’époque du retour.

Nous n’ignorons pas, et déjà, comme on a pu voir, nous l’avons insinué, que de très bons esprits regardent les résultats de Dominique Cassini comme peu dignes de confiance. Il leur répugne d’admettre que des changemens physiques sensibles puissent s’opérer simultanément dans l’étendue immense que la lumière zodiacale embrasse : suivant eux, les variations d’intensité et de longueur signalées par ce grand astronome n’avaient rien de réel, et il ne faut en chercher l’explication que dans des intermittences de la diaphanéité atmosphérique.

Il ne serait peut-être pas impossible de trouver dès ce moment, dans les observations de Fatio, comparées à celles de Cassini, la preuve que des variations atmosphériques ne sauraient suffire à l’explication des phénomènes signalés par l’astronome de Paris ; quant à l’objection tirée de l’immensité de l’espace dans lequel les changemens physiques devraient s’opérer, elle a perdu toute sa gravité depuis les phénomènes du même genre dont la comète de Halley vient de nous rendre témoins.

Nos jeunes compatriotes peuvent donc se livrer avec zèle aux observations que nous leur signalons. La question est importante, et personne jusqu’ici ne peut se flatter de l’avoir définitivement résolue.

Aurores boréales.

Il est assez bien établi, maintenant, que les aurores polaires ne sont pas moins fréquentes dans l’hémisphère sud que dans l’hémisphère nord. Tout porte à penser que les apparitions des aurores australes et celles dont nous sommes témoins en Europe, suivent les mêmes lois. Cependant, ce n’est là qu’une conjecture. Si une aurore australe se montrait aux officiers de la Bonite sous la forme d’un arc, il serait donc important de noter exactement les azimuths des points d’intersection de cet arc avec l’horizon, et, à leur défaut, l’azimuth du point le plus élevé. En Europe, ce point le plus élevé paraît toujours situé dans le méridien magnétique du lieu où se trouve l’observateur.

De nombreuses recherches, faites à Paris, ont prouvé que toutes les aurores boréales, voire même celles qui ne s’élèvent pas au-dessus de notre horizon et dont nous ne connaissons l’existence que par les relations des observateurs situés dans les régions polaires, altèrent fortement la déclinaison de l’aiguille aimantée, l’inclinaison et l’intensité. Qui oserait donc arguer du grand éloignement des aurores australes, pour affirmer qu’aucune d’elles ne peut porter du trouble dans le magnétisme de notre hémisphère ? En tout cas, l’attention que nos voyageurs mettront à tenir une note exacte de ces phénomènes, pourra répandre quelques lumières sur la question. Des dispositions sont déjà prises, en effet, afin que pendant toute la durée de la circumnavigation de la Bonite, les observations magnétiques soient faites à Paris à des époques fort rapprochées et de manière qu’aucune perturbation ne puisse passer inaperçue.

Arc-en-ciel.

L’explication de l’arc-en-ciel peut être regardée comme une des plus belles découvertes de Descartes ; cette explication, toutefois, même après les développemens que Newton lui a donnés, n’est pas complète. Quand on regarde attentivement ce magnifique phénomène, on aperçoit sous le rouge de l’arc intérieur, plusieurs séries de vert et de pourpre formant des arcs étroits, contigus, bien définis et parfaitement concentriques à l’arc principal. De ces arcs supplémentaires (car c’est le nom qu’on leur a donné), la théorie de Descartes et de Newton n’en parle point ; elle ne saurait même s’y appliquer.

Les arcs supplémentaires paraissent être un effet d’interférences lumineuses. Ces interférences ne peuvent être engendrées que par des gouttes d’eau d’une certaine petitesse. Il faut aussi, car sans cela, le phénomène n’aurait aucun éclat, il faut que les gouttes de pluie, outre les conditions de grosseur, satisfassent, du moins pour le plus grand nombre, à celle d’une égalité de dimensions presque mathématique. Si, donc, les arcs-en-ciel des régions équinoxiales, n’offraient jamais d’arcs supplémentaires, ce serait une preuve que les gouttes d’eau s’y détacheraient des nuages, plus grosses et plus inégales que dans nos climats. Dans l’ignorance où nous sommes des causes de la pluie, cette donnée ne serait pas sans intérêt.

Quand le soleil est bas, la portion supérieure de l’arc-en-ciel, au contraire, est très élevée. C’est vers cette région culminante que les arcs supplémentaires se montrent dans tout leur éclat. À partir de là, leurs couleurs s’affaiblissent rapidement. Dans les régions inférieures, près de l’horizon et même assez haut au-dessus de ce plan, on n’en aperçoit jamais de traces, du moins en Europe.

Il faut donc que pendant leur descente verticale, les gouttes d’eau aient perdu les propriétés dont elles jouissaient d’abord ; il faut qu’elles soient sorties des conditions d’interférences efficaces ; il faut qu’elles aient beaucoup grossi.

N’est-il pas curieux, pour le dire en passant, de trouver dans un phénomène d’optique, dans une particularité de l’arc-en-ciel, la preuve qu’en Europe la quantité de pluie doit être d’autant moindre, qu’on la reçoit dans un récipient plus élevé !

L’augmentation de dimension des gouttes, on ne peut guère en douter, tient à la précipitation d’humidité qui s’opère à leur surface à mesure qu’en descendant de la région froide où elles ont pris naissance, elles traversent les couches atmosphériques de plus en plus chaudes qui avoisinent la terre. Il est donc à peu près certain que, s’il se forme dans les régions équinoxiales des arcs-en-ciel supplémentaires, comme en Europe, ils n’atteindront jamais l’horizon ; mais la comparaison de l’angle de hauteur sous lequel ils cesseront d’y être aperçus, avec l’angle de disparition observé dans nos climats, semble devoir conduire à des résultats météorologiques qu’aucune autre méthode, aujourd’hui connue, ne pourrait donner.

Halos.

Dans les latitudes élevées, dans les parages du cap Horn, par exemple, le soleil et la lune paraissent souvent entourés d’un ou de deux cercles lumineux, que les météorologistes appellent des halos. Le rayon du plus petit de ces cercles est d’environ 22° ; le rayon du plus grand diffère à peine de 46°. La première de ces dimensions angulaires est à peu de chose près la déviation minimum que la lumière éprouve en traversant un prisme de glace de 60° ; l’autre serait donnée par deux prismes de 60° ou par un seul prisme de 90°.

Il semblait donc naturel de chercher, avec Mariotte, la cause des halos, dans des rayons réfractés par des cristaux flottans de neige, lesquels présentent ordinairement, comme tout le monde sait, des angles de 60 et de 90°.

Cette théorie, au surplus, a reçu une nouvelle vraisemblance, depuis qu’à l’aide de la polarisation chromatique, on est parvenu à distinguer la lumière réfractée de la lumière réfléchie. Ce sont, en effet, les couleurs de la première de ces lumières (de la lumière réfractée) que donnent les rayons polarisés des halos. Que peut-il donc rester à éclaircir dans ce phénomène ? Le voici :

D’après la théorie, le diamètre horizontal d’un halo et le diamètre vertical devraient avoir les mêmes dimensions angulaires ; or, on assure que ces diamètres sont quelquefois notablement inégaux !

Des mesures peuvent seules constater un pareil fait ; car si, par hasard, on n’avait jugé de l’inégalité en question qu’à l’œil nu, les causes d’illusion ne manqueraient pas pour expliquer comment le physicien le plus exercé aurait pu se tromper. Les cercles de Borda à réflexion se prêtent à merveille à la mesure des distances angulaires en mer. Nous pouvons donc, sans scrupule, recommander à MM. les officiers de la Bonite, d’appliquer les excellens instrumens dont ils seront tous pourvus, à la détermination des dimensions de tous les halos qui leur paraîtraient elliptiques. Ils verront bien eux-mêmes, que le bord intérieur du halo, le seul qui soit nettement terminé, se prête beaucoup mieux à l’observation que le bord extérieur ; mais il faudra, quant au Soleil, qu’ils ne négligent pas de noter s’ils ont pris le centre ou le bord pour terme de comparaison. Nous regarderions aussi comme indispensable que, dans chaque direction, on mesurât les deux rayons diamétralement opposés, car certains observateurs ont cité des halos circulaires, dans lesquels, à les en croire, le Soleil n’occupait pas le centre de la courbe.

VENTS.
Vents alisés.

Peut-être s’étonnera-t-on de nous entendre annoncer que les vents alisés peuvent être encore l’objet d’importantes recherches ; mais il faut remarquer que la pratique de la navigation se borne souvent à de simples aperçus dont la science ne saurait se contenter. Ainsi il n’est point vrai, quoi qu’on en ait dit, qu’au nord de l’équateur ces vents soufflent constamment du nord-est ; qu’au sud ils soufflent constamment du sud-est. Les phénomènes ne sont pas les mêmes dans les deux hémisphères. En chaque lieu ils changent d’ailleurs avec les saisons. Des observations journalières de la direction réelle, et, autant que possible, de la force des vents orientaux qui règnent dans les régions équatoriales, seraient donc pour la météorologie une utile acquisition.

Le voisinage des continens, celui des côtes occidentales surtout, modifie les vents alisés dans leur force et dans leur direction. Il arrive même quelquefois qu’un vent d’ouest les remplace. Partout où ce renversement du vent se manifeste, il est convenable de noter l’époque du phénomène, le gisement de la contrée voisine, sa distance, et, quand on le peut, son aspect général. Pour faire sentir l’utilité de cette dernière recommandation, il suffira de dire qu’une région sablonneuse, par exemple, agirait plus tôt et beaucoup plus activement qu’un pays couvert de forêts ou de toute autre nature de végétaux.

La mer qui baigne la côte occidentale du Mexique, de Panama à la péninsule de Californie, entre 8° et 22° de latitude nord, donnera aux officiers de la Bonite l’occasion de remarquer une inversion complète de l’alisé ; ils trouveront, comme nous l’apprend M. le capitaine Basil Hall, un vent d’ouest à peu près permanent, là où l’on pouvait s’attendre à voir régner le vent d’est des régions équinoxiales. Dans ces parages, il sera curieux de noter jusqu’à quelle distance des côtes l’anomalie subsiste ; par quelle longitude le vent alisé reprend pour ainsi dire ses droits.

D’après l’explication des vents alisés le plus généralement adoptée, il doit y avoir constamment, entre les tropiques, un vent supérieur dirigé en sens contraire de celui qui souffle à la surface du globe. On a déjà recueilli diverses preuves de l’existence de ce contre-courant. L’observation assidue des nuages élevés, de ceux particulièrement qu’on appelle pommelés, doit fournir des indications précieuses dont la météorologie tirerait parti.

L’époque, la force et l’étendue des moussons, forment, enfin, un sujet d’étude dans lequel, malgré une foule d’importans travaux, il y a encore à glaner.

PHÉNOMÈNES DE LA MER.
Courans.

L’Océan est sillonné par un grand nombre de courans. Les observations astronomiques faites à bord des navires qui les traversent, servent à déterminer leur direction et leur vitesse. Il n’est pas moins curieux de rechercher d’où ils émanent, dans quelle région du globe ils prennent naissance. Le thermomètre peut conduire à cette découverte.

Tout le monde connaît les travaux de Franklin, de Blagden, de Jonathan Williams, de M. de Humboldt, du capitaine Sabine, sur le Gulph-Stream. Personne ne doute aujourd’hui que ce Gulph-Stream ne soit le courant équinoxial, qui, après s’être réfléchi dans le golfe du Mexique, après avoir débouché par le détroit de Bahama, se meut du sud au nord à une certaine distance de la côte des États-Unis, en conservant, comme une rivière d’eau chaude, une portion plus ou moins considérable de la température qu’il avait entre les tropiques. Ce courant se bifurque. Une de ses branches va, dit-on, tempérer le climat de l’Irlande, des Orcades, des îles Shetland, de la Norwège ; une autre s’infléchit graduellement, et finit, en revenant sur ses pas, par traverser l’Atlantique du nord au sud à quelque distance des côtes d’Espagne et de Portugal. Après un bien long circuit, ses eaux vont donc rejoindre le courant équinoxial d’où elles étaient sorties.

Le long de la côte d’Amérique, la position, la largeur et la température du Gulph-Stream, ont été assez bien déterminées sous chaque latitude pour qu’on ait pu, sans charlatanisme, publier un ouvrage avec le titre de Navigation thermométrique (Thermometrical Navigation), à l’usage des marins qui attérissent sur ces parages. Il s’en faut de beaucoup que la branche rétrograde soit connue avec la même certitude. Son excès de température est presque effacé quand elle arrive par le parallèle de Gibraltar, et ce n’est même qu’à l’aide des moyennes d’un grand nombre d’observations qu’on peut espérer de le faire nettement ressortir. Les officiers de la Bonite faciliteront beaucoup cette recherche, si depuis le méridien de Cadix jusqu’à celui de la plus occidentale des Canaries ils déterminent, de demi-heure en demi-heure, la température de l’Océan avec la précision des dixièmes de degré.

Il vient d’être question d’un courant d’eau chaude ; nos navigateurs rencontreront, au contraire, un courant d’eau froide, le long des côtes du Chili et du Pérou. Ce courant, à partir du parallèle de Chiloé, se meut rapidement du sud au nord et porte jusque sous le parallèle du cap Blanc, les eaux refroidies des régions voisines du pôle austral. Signalé, pour la première fois, quant à sa température, par M. de Humboldt, le courant dont nous venons de parler a été étudié avec un soin tout particulier pendant le voyage de la Coquille. Les observations fréquentes de la température de l’Océan que les officiers de la Bonite ne manqueront certainement pas de faire entre le cap Horn et l’équateur, serviront à perfectionner, à étendre ou à compléter les importans résultats déjà obtenus par leurs devanciers et en particulier par M. le capitaine Duperrey.

Le major Rennel a décrit, avec une minutieuse attention, le courant qui venant de la côte sud-est de l’Afrique, longe le banc des Agullas. Ce courant, d’après les observations de M. John Davy, a une température de 4 à 5° centigrades supérieure à celle des mers voisines. Cet excès de température mérite d’autant plus de fixer l’attention des navigateurs, qu’on a cru y trouver la cause immédiate de l’enveloppe de vapeurs appelée la nappe et qui se montre toujours au sommet de la montagne de la Table quand le vent souffle du sud-est.

On ne peut pas espérer qu’un bâtiment tel que la Bonite, qui paraît avoir pour mission spéciale d’aller porter des agens consulaires sur les points les plus éloignés du globe, arrêtera jamais sa marche dans la vue de se livrer à une expérience de physique. Toutefois, comme des heures et même des journées entières d’un calme plat, doivent entrer dans les prévisions du navigateur surtout lorsqu’il est destiné à traverser fréquemment la ligne, nous croyons que la nouvelle expédition agira sagement si elle se munit de thermométrographes et d’appareils de sondage qui pourront lui permettre de faire descendre ces instrumens en toute sûreté, jusqu’aux plus grandes profondeurs de l’Océan. Il n’est guère douteux aujourd’hui que les eaux froides inférieures des régions équinoxiales n’y soient amenées par des courans sous-marins venant des zones polaires ; mais la solution même complète de ce point de théorie, serait loin d’enlever tout intérêt aux observations que nous recommandons ici. Qui ne voit, par exemple, que la profondeur où l’on trouvera le maximum de froid, nous dirons plus, tel ou tel autre degré de température, doit dépendre, sous chaque parallèle, d’une manière assez directe de la profondeur totale de l’Océan, pour qu’il soit permis d’espérer que cette dernière quantité se déduira tôt ou tard de la valeur des sondes thermométriques ?

Jonathan Williams reconnut que l’eau est plus froide sur les bas-fonds qu’en pleine mer. MM. de Humboldt et John Davy confirmèrent la découverte de l’observateur américain. Sir Humphry Davy attribuait ce curieux phénomène, non à des courans sous-marins qui arrêtés dans leur marche remonteraient le long des accores du banc et glisseraient ensuite à sa surface, mais au rayonnement. Par voie de rayonnement, surtout quand le ciel est serein, les couches supérieures de l’Océan doivent certainement se refroidir beaucoup ; mais tout refroidissement, si ce n’est dans les régions polaires où la mer est à près de 0° de température, amène une augmentation de densité et un mouvement descendant des couches refroidies. Supposez un océan sans fond ; les couches en question tombent jusqu’à une grande distance de la surface et doivent en modifier très peu la température ; mais sur un haut-fond, lorsque les mêmes causes opèrent, les couches refroidies s’accumulent et leur influence peut devenir très sensible.

Quoi qu’il en soit de cette explication, tout le monde sentira combien l’art nautique est intéressé à la vérification du fait annoncé par Jonathan Williams et que diverses observations récentes ont semblé contredire ; combien aussi les météorologistes accueilleront avec empressement des mesures comparatives de la température des eaux superficielles prises en pleine mer et au-dessus du haut-fond ; combien surtout ils doivent désirer de voir déterminer à l’aide du thermométrographe, la température de la couche liquide qui repose immédiatement sur la surface des hauts-fonds eux-mêmes.

Hauteur des vagues.

Les jeunes officiers dont se compose l’état-major de la Bonite, seront probablement bien surpris, si nous les avertissons qu’aucun de leurs devanciers n’a résolu d’une manière complète les questions suivantes : Quelle est la plus grande hauteur des vagues pendant les tempêtes ? quelle est leur plus grande dimension transversale ? quelle est leur vitesse de propagation ?

La hauteur, on s’est ordinairement contenté de l’estimer. Or, pour montrer combien de simples évaluations peuvent être en erreur ; combien sur un pareil sujet l’imagination exerce d’influence, nous dirons que des marins également dignes de confiance ont donné pour la plus grande hauteur des vagues, les uns, cinq mètres, et les autres trente-trois. Aussi, ce que la science réclame aujourd’hui, ce sont, non des aperçus grossiers mais des mesures réelles dont il soit possible d’apprécier l’exactitude numériquement.

Ces mesures, nous le savons, sont fort difficiles ; cependant les obstacles ne paraissent pas insurmontables, et, en tout cas, la question offre trop d’intérêt pour qu’on doive marchander les efforts que sa solution pourra exiger. Nous ne doutons pas qu’en y réfléchissant, nos jeunes compatriotes ne trouvent eux-mêmes les moyens d’exécuter les opérations que nous sollicitons de leur zèle ; au reste quelques courtes réflexions pourront les guider.

Supposons, un moment, que les vagues de l’Océan soient immobiles, pétrifiées ; que ferait-on sur un navire également stationnaire et situé dans le creux de l’une de ces vagues, s’il fallait en mesurer la hauteur réelle, s’il fallait déterminer la distance verticale de la crête et du creux ? Un observateur monterait graduellement le long du mât, et s’arrêterait à l’instant où la ligne visuelle horizontale, partant de son œil, paraîtrait tangente à la crête en question ; la hauteur verticale de l’œil, au-dessus de la surface de flottaison du navire, toujours situé, par hypothèse, dans le creux, serait la hauteur cherchée. Eh bien ! cette même opération, il faut essayer de la faire au milieu de tous les mouvemens, de tous les désordres d’une tempête.

Sur un navire en repos, tant qu’un observateur ne change pas de place, l’élévation de son œil au-dessus de la mer reste constante et est très facile à trouver. Sur un navire battu par les flots, le roulis et le tangage inclinent les mâts, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre. La hauteur de chacun de leurs points, celle des huniers, par exemple, varie sans cesse, et l’officier qui s’y est établi ne peut connaître la valeur de sa coordonnée verticale, au moment où il observe, que par le concours d’une seconde personne, placée sur le pont, et dont la mission est de suivre les mouvemens du mât. Quand on borne sa prétention à connaître cette coordonnée, à la précision d’un tiers de mètre, par exemple, le problème nous semble complétement résolu, surtout si l’on choisit pour observer les momens où le navire se trouve à peu près dans sa position naturelle ; or, il est précisément ainsi au creux de la vague.

Reste maintenant à trouver le moyen de s’assurer que la ligne de visée aboutissant au sommet d’une crête, est horizontale.

Les crêtes de deux vagues contiguës sont à la même hauteur, au-dessus du creux intermédiaire. Une ligne visuelle horizontale, partant de l’œil de l’observateur, quand le navire est dans le creux, va, je suppose, raser la crête de la vague qui s’approche ; si l’on prolonge cette ligne du côté opposé, elle ira aussi toucher seulement à son sommet, la crête de la vague déjà passée. Cette dernière condition est nécessaire et elle suffit pour établir l’horizontalité de la première ligne de visée ; or, avec l’instrument connu sous le nom de secteur de dépression (deep sector), avec les cercles ordinaires armés d’un miroir additionnel, on peut voir en même temps, dans la même lunette, dans la même partie du champ, deux mires, situées à l’horizon, l’une en avant et l’autre en arrière. Le secteur de dépression apprendra donc à l’observateur s’élevant graduellement le long du mât, à quel instant son œil arrive au plan horizontal tangent aux crêtes de deux vagues voisines. C’est là précisément la solution du problème que nous nous étions proposé.

Nous avons supposé qu’on voulait apporter dans cette observation, toute l’exactitude que les instrumens de marine comportent. L’opération serait plus simple et d’une précision quelquefois suffisante, si l’on se contentait de déterminer, même à l’œil nu, jusqu’à quelle hauteur on peut s’élever le long du mât, sans jamais apercevoir, quand le navire est descendu dans le creux, d’autre vague que la plus voisine de celles qui s’approchent ou s’éloignent. Sous cette forme, l’observation serait à la portée de tout le monde ; elle pourrait donc être faite pendant les plus fortes tempêtes, c’est-à-dire dans les circonstances où l’usage des instrumens à réflexion présenterait quelques difficultés, et lorsque, d’ailleurs, toute autre personne qu’un matelot ne se hasarderait pas peut-être impunément à grimper le long d’un mât.

Les dimensions transversales des vagues se déterminent assez bien en les comparant à la longueur du navire qui les sillonne ; leur vitesse, on la mesure par les moyens connus. Nous n’avons donc, en terminant cet article, qu’à signaler de nouveau ces deux sujets de recherches à l’attention de M. le commandant de la Bonite.

Visibilité des écueils.

Le fond de la mer, à une distance donnée d’un vaisseau, se voit d’autant mieux que l’observateur est plus élevé au-dessus de la surface de l’eau ; aussi lorsqu’un capitaine expérimenté navigue dans une mer inconnue et semée d’écueils, il va quelquefois afin de pouvoir diriger son navire avec plus de certitude, se placer au sommet du mât.

Le fait nous semble trop bien établi pour que nous ayons, à ce sujet, rien à réclamer de nos jeunes navigateurs quant au point de vue pratique ; mais ils pourront, en suivant les indications que nous nous permettrons de leur donner ici, remonter peut-être à la cause d’un phénomène qui les touche de si près, et en déduire pour apercevoir les écueils, des moyens plus parfaits que ceux dont une observation fortuite leur a enseigné à faire usage jusqu’ici.

Quand un faisceau lumineux tombe sur une surface diaphane, quelle qu’en soit la nature, une partie la traverse et une autre se réfléchit. La portion réfléchie est d’autant plus intense que l’angle du rayon incident avec la surface est plus petit. Cette loi photométrique ne s’applique pas moins aux rayons qui venant d’un milieu rare rencontrent la surface d’un corps dense, qu’à ceux qui se mouvant dans un corps dense, tombent sur la surface de séparation de ce corps et du milieu rare contigu.

Cela posé, supposons qu’un observateur placé dans un navire, désire apercevoir un écueil un peu éloigné, un écueil sous-marin situé à 30 mètres de distance horizontale, par exemple. Si son œil est à un mètre de hauteur au-dessus de la mer, la ligne visuelle par laquelle la lumière émanée de l’écueil, pourra lui arriver après sa sortie de l’eau, formera avec la surface de ce liquide un angle très petit ; si l’œil, au contraire, est fort élevé, s’il se trouve, à 30 mètres de hauteur, il verra l’écueil sous un angle de 45°. Or, l’angle d’incidence intérieure, correspondant au petit angle d’émergence, est évidemment moins ouvert que celui qui correspond à l’émergence de 45°. Sous les petits angles, comme on a vu, s’opèrent les plus fortes réflexions, donc l’observateur recevra une portion d’autant plus considérable de la lumière qui part de l’écueil, qu’il sera lui-même placé plus haut.

Les rayons provenant de l’écueil sous-marin ne sont pas les seuls qui arrivent à l’œil de l’observateur. Dans la même direction, confondus avec eux, se trouvent des rayons de la lumière atmosphérique réfléchis extérieurement par la surface de la mer. Si ceux-ci étaient soixante fois plus intenses que les premiers, ils en masqueraient totalement l’effet : l’écueil ne serait pas même soupçonné. Posons une moindre proportion entre les deux lumières, et l’image de l’écueil ne disparaîtra plus entièrement ; elle ne sera qu’affaiblie. Rappelons maintenant que les rayons atmosphériques renvoyés à l’œil par la mer, ont d’autant plus d’éclat qu’ils sont réfléchis sous un angle plus aigu, et tout le monde comprendra que deux causes différentes concourent à rendre un objet sous-marin de moins en moins apparent, à mesure que la ligne visuelle se rapproche de la surface de la mer, savoir, d’une part, l’affaiblissement progressif et réel des rayons qui émanant de cet objet vont former son image dans l’œil ; de l’autre une augmentation rapide dans l’intensité de la lumière réfléchie par la surface extérieure des eaux, ou bien, qu’on me passe cette expression, dans le rideau lumineux à travers lequel les rayons venant de l’écueil doivent se faire jour.

Supposons que les intensités comparatives des deux faisceaux superposés soient, comme tout porte à le croire, l’unique cause du phénomène que nous analysons, et nous pourrons indiquer à MM. les officiers de la Bonite un moyen d’apercevoir les écueils sous-marins, mieux et beaucoup plus facilement que ne l’ont fait tous leurs devanciers : ce moyen est très simple ; il consiste à regarder la mer, non plus à l’œil nu, mais à travers une lame de tourmaline taillée parallèlement aux arêtes du prisme et placée devant la pupille dans une certaine position. Deux mots encore, et le mode d’action de la lame cristalline sera évident.

Prenons que la ligne visuelle soit inclinée à la surface de la mer de 37°. La lumière qui se réfléchit sous cet angle à la surface extérieure de l’eau, est complétement polarisée. La lumière polarisée, tous les physiciens le savent, ne traverse pas les lames de tourmaline convenablement situées. Une tourmaline peut donc éliminer en totalité les rayons réfléchis par l’eau qui, dans la direction de la ligne visuelle, étaient mêlés à la lumière provenant de l’écueil, l’effaçaient entièrement, ou du moins l’affaiblissaient beaucoup. Quand cet effet est produit, l’œil placé derrière la lame cristalline, ne reçoit donc qu’une seule espèce de rayons : ceux qui émanent des objets sous-marins ; au lieu de deux images superposées, il n’y a plus, sur la rétine, qu’une image unique ; la visibilité de l’objet que cette image représente, se trouve donc notablement facilitée.

L’élimination entière, absolue, de la lumière réfléchie à la surface de la mer, n’est possible que sous l’angle de 37°, parce que cet angle est le seul dans lequel il y ait polarisation complète ; mais sous des angles de 10 à 12° plus grands ou plus petits que 37°, le nombre de rayons polarisés contenus dans le faisceau réfléchi, le nombre de rayons que la tourmaline peut arrêter, est encore tellement considérable, que l’emploi du même moyen d’observation, ne saurait manquer de donner des résultats très avantageux.

En se livrant aux essais que nous venons de leur proposer, MM. les officiers de la Bonite éclairciront une question curieuse de photométrie ; ils doteront probablement la navigation d’un moyen d’observation qui pourra prévenir maint naufrage ; en introduisant enfin la polarisation dans l’art nautique, ils montreront, par un nouvel exemple, à quoi s’exposent ceux qui accueillent sans cesse les expériences et les théories sans applications actuelles, d’un dédaigneux à quoi bon ?

Trombes.

L’électricité joue-t-elle quelque rôle dans la production des trombes ? Une réponse nette, catégorique à cette question, aurait un grand intérêt. Ainsi, MM. les officiers de la Bonite devront s’attacher, quand ce phénomène se présentera à eux, à découvrir s’il s’y engendre des éclairs et du tonnerre.

Dépressions de l’horizon.

La ligne bleue, assez bien définie, séparation apparente du ciel et de la mer, à laquelle les marins rapportent la position des astres, n’est pas dans l’horizon mathématique ; mais la quantité dont elle se trouve en-dessous, et qu’on appelle la dépression, peut être exactement calculée, puisqu’elle dépend seulement de la hauteur de l’œil de l’observateur au-dessus des eaux et des dimensions de la terre. Il n’est malheureusement pas aussi facile d’apprécier les effets des réfractions atmosphériques. Il faut même dire que dans le calcul des tables de dépression généralement employées, on n’a tenu compte que de la réfraction moyenne relative à un certain état du thermomètre et du baromètre. Des officiers très habiles, le capitaine Basil Hall, le capitaine Parry, le capitaine Gauttier, ont déterminé, par l’observation, les erreurs auxquelles le navigateur est exposé quand il se conforme à la règle commune. Il leur a suffi de mesurer, les uns avec le deep sector de Wollaston, les autres avec les instrumens ordinaires armés d’un miroir additionnel, et cela dans les circonstances atmosphériques les plus variées, la distance angulaire d’un point de l’horizon au point diamétralement opposé. En admettant, comme il est presque toujours permis de le faire, que l’état de l’air et celui de la mer soient les mêmes tout autour de l’observateur, la différence de la distance mesurée à 180°, est évidemment le double de la dépression réelle de l’horizon. La moitié de cette différence comparée à la dépression des tables, donne donc l’erreur possible de toute observation angulaire de hauteur faite en mer.

Dans les régions boréales, les erreurs positives et négatives, observées par le capitaine Parry, ont été toutes comprises entre +59″ et −33″. Dans les mers de la Chine et des Indes orientales, le capitaine Hall trouva des écarts plus grands : de +1′.2″ à −2′.58″. Le capitaine Gauttier, enfin, dans la Méditerranée et la mer Noire, alla plus loin encore : de +3′.35″ à −1′.49″. Si l’on se rappelle que la variation d’une seule minute en latitude, correspond sur le globe à un déplacement de 2000 mètres environ, chacun reconnaîtra combien la recherche dont nous venons de rendre compte était digne d’attention.

En discutant avec soin toutes les observations de MM. Gauttier, Hall et Parry, on a reconnu que l’erreur de la dépression calculée n’est positive, que cette dépression ne surpasse celle qu’on observe, qu’autant que la température de l’air est supérieure à celle de l’eau. Quant aux erreurs négatives, elles se sont présentées indistinctement dans tous les états thermométriques comparatifs de la mer et de l’atmosphère, sans qu’on ait pu attribuer ces anomalies à aucune cause apparente, et en particulier au degré de l’hygromètre.

Voilà donc un curieux problème à résoudre. Il intéresse également le physicien et le navigateur.

OBSERVATIONS DIVERSES.
Soulèvement de la côte du Chili.

En 1822, dans le mois de novembre, à la suite du tremblement de terre qui renversa au Chili les villes de Valparaiso, de Quillota, etc., une grande partie du pays se trouva élevée de 1 à 2 mètres au-dessus de son ancien niveau. Les tremblemens de terre de 1834 ont été, à ce qu’il paraît, plus forts encore que celui de 1822. Il serait donc important d’examiner si, comme ce dernier, ils n’auraient pas soulevé subitement toute la contrée. Un rivage le long duquel la mer, par l’effet de la marée, ne monte jamais au-delà de 1 à 2 mètres, doit fournir une multitude de repères, tels qu’embarcadères, bancs d’huîtres, de moules et d’autres coquillages adhérens aux rochers, à l’aide desquels toute question de soulèvement peut être résolue. Un coup d’œil sur les localités en dira plus, au reste, à cet égard, que les indications nécessairement vagues qu’il nous serait possible de réunir ici. Nous croyons, cependant, devoir citer le lac de Quintero qui communiquait avec la mer, comme très propre à fournir des preuves incontestables de changemens de niveau. Nous recommanderons aussi de recourir aux cartes hydrographiques de Vancouver, de Malaspina, etc., car il n’est nullement probable que les soulèvemens se soient arrêtés au rivage, et que le lit de la mer n’y ait pas participé.

Les soulèvemens brusques ou graduels du sol paraissent destinés à jouer un trop grand rôle dans l’histoire de la terre, pour que nous ne devions pas inviter, d’une manière très particulière, MM. les officiers de la Bonite à tenir une note de tous les phénomènes récens de cette espèce qu’ils pourront reconnaître, et à ne pas oublier spécialement la côte du Pérou.

Tremblemens de terre.

Suivant une opinion assez généralement répandue en Amérique, les tremblemens de terre seraient plus fréquens dans certaines saisons que dans d’autres. Un pareil résultat, s’il était parfaitement constaté, aurait une importance extrême pour la physique du globe. La collection complète des journaux qui ont été publiés au Chili depuis une vingtaine d’années, dépouillée sous ce point de vue, répandrait certainement quelques lumières sur la question que nous venons de soulever. Nous recommanderons cet objet à M. le chef de l’expédition, soit qu’il fasse exécuter le travail pendant le voyage, soit qu’il se contente d’en réunir les matériaux.

Hauteurs des principaux pics et de la limite des neiges perpétuelles dans la Cordillière du Chili.

Les principales sommités de la Cordillière du Chili n’ont pas été exactement mesurées. On rapporte que, tout récemment, une opération trigonométrique de M. le capitaine Fitzroy, a donné à la montagne de Acoucagua, l’énorme hauteur de 23000 pieds anglais. Cette opération mériterait d’être vérifiée. On pourrait, en même temps, mesurer le Nevado de Tupungato qui domine la ville de Santiago. Au surplus, la hauteur de la limite inférieure des neiges perpétuelles, est encore plus intéressante à connaître que celle des sommités des montagnes. Nous consignons ici cette remarque afin que s’il fallait opter on n’hésitât pas sur le choix.


Sur la proposition de M. Biot, l’Académie a décidé que MM. les officiers de la Bonite seraient invités à puiser de l’eau dans l’Océan à de très grandes profondeurs, et à examiner la composition chimique de l’air que cette eau peut tenir en dissolution.

NOMINATIONS.

Les Commissaires qui ont été chargés par l’Académie de choisir, dans les sciences naturelles, une question pour le prix à décerner en 1837 sont MM. Mirbel, Dulong, Ad. Brongniart, de Blainville et Magendie.

La séance est levée à 5 heures .

A.

Bulletin bibliographique.

L’Académie a reçu dans cette séance les ouvrages dont voici les titres :

Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des Sciences, no 1616, in-4o.

Expédition scientifique de Morée, sous la direction de M. Bory de Saint-Vincent ; 36e livraison, in-folio.

Manuele pratico per la conoscenza e cura del Cholera-Morbus ; dei dottori Berutti, Sachero e Cantu ; Turin, 1835, in-8o.

Europe germanique, de Mendelssohn ; Berlin, 1836, in-8o. (En allemand.)

Voyage dans l’Amérique méridionale ; par M. Alcide D’Orbigny ; 7e  livraison, in-folio.

Précis de la Géographie universelle de Malte-Brun ; par M. Huot ; nouvelle édition, tome 8, Paris, 1835, in-8o, et la 8e  livraison de l’Atlas in-folio.

De la vraie Médecine et de la vraie Morale ; leur influence sur le bonheur ; par M. Azaïs ; Paris, 1835, in-8o. (Réservé pour le concours Montyon.)

Consolations cholériques. Lettre par M. Michel Saint-Martin ; Turin, 1835, in-8o.

Bulletin général de Thérapeutique médicale et chirurgicale ; par M. Miquel ; tome 9, 9e  livraison, in-8o.

Gazette médicale de Paris, tome 3, no 47.

Gazette des Hôpitaux ; no 137 et 138.

Journal de Santé, no 116.


  1. « On en voit un exemple dans mon mémoire imprimé dans les Mémoires de l’Académie, Savans étrangers. Ainsi M. Rosenberg trouve que l’action de la terre, à partir du périhélie de 1759, avancera de 15 jours l’époque du passage en 1835, ce qui s’accorde, dit-il, avec mon résultat, qui donne 15,05 pour cette anticipation. Ceci est exact ; mais on voit dans mon mémoire qu’en ayant égard à l’action de la terre antérieurement au passage de 1759, son influence sur l’époque du passage actuel est réduite à 11 jours environ. »
  2. Nous ne comprenons pas ici dans la catégorie des sources thermales, les Geysers d’Islande et autres phénomènes analogues qui dépendent évidemment de volcans actuellement en activité. La plus chaude source thermale proprement dite qui nous soit connue, celle de Chaudes-Aigues, en Auvergne, marque +80° centigrades.
  3. Voir plus bas, page 400, le motif de cette dernière recommandation.
  4. À tout événement, nous poserons ici le problème que serviraient à résoudre des observations faites dans les points que nous venons de nommer.
    Dans l’hémisphère nord, la pointe d’une aiguille horizontale aimantée, tournée vers le nord, marche
    De l’est à l’ouest, depuis 8h du matin jusqu’à 1h après midi ;
    De l’ouest à l’est, depuis 1h après midi jusqu’au lendemain matin.
    Notre hémisphère ne peut avoir, à cet égard, aucun privilége ; ce qu’y éprouve la pointe nord, doit se produire sur la pointe sud, au sud de l’équateur. Ainsi,
    Dans l’hémisphère sud, la pointe d’une aiguille horizontale aimantée, tournée vers le sud, marchera
    De l’est à l’ouest, depuis 8h du matin jusqu’à 1h après midi ;
    De l’ouest à l’est, depuis 1h après midi jusqu’au lendemain matin.
    L’observation, au surplus, s’est trouvée d’accord avec le raisonnement.
    Comparons maintenant les mouvemens simultanés des deux aiguilles, en les rapportant à la même pointe, à celle qui est tournée vers le nord.
    Dans l’hémisphère sud, la pointe tournée vers le sud, marche
    De l’est à l’ouest, depuis 8h du matin jusqu’à 1h après midi ;
    donc la pointe nord de la même aiguille éprouve le mouvement contraire ; ainsi définitivement,
    Dans l’hémisphère sud, la pointe tournée vers le nord, marche
    De l’ouest à l’est, depuis 8h du matin jusqu’à 1h après midi ;
    c’est précisément l’opposé du mouvement qu’effectue, aux mêmes heures, la même pointe nord dans notre hémisphère.
    Supposons qu’un observateur partant de Paris s’avance vers l’équateur. Tant qu’il sera dans notre hémisphère, la pointe nord de son aiguille effectuera tous les matins un
    mouvement vers l’occident ; dans l’hémisphère opposé, la pointe nord de cette même aiguille éprouvera tous les matins un mouvement vers l’orient. Il est impossible que ce passage du mouvement occidental au mouvement oriental se fasse d’une manière brusque ; il y a nécessairement entre la zone où s’observe le premier de ces mouvemens, et celle s’opère le second, une ligne où, le matin, l’aiguille ne marche ni à l’orient ni à l’occident, c’est-à-dire reste stationnaire.
    Une semblable ligne ne peut pas manquer d’exister, mais où la trouver ? Est-elle l’équateur magnétique, l’équateur terrestre, ou bien quelque courbe d’intensité ?
    Des recherches faites, pendant plusieurs mois, sur des points situés dans l’un des espaces que l’équateur terrestre et l’équateur magnétique comprennent entre eux, tels que Fernambouc, Payta, la Conception, les îles Pelew, etc., conduiraient certainement à la solution désirée ; mais plusieurs mois d’observations assidues seraient nécessaires, car malgré l’habileté de l’observateur, les courtes relâches de M. le capitaine Duperrey, à la Conception et à Payta, faites à la demande de l’Académie, ont laissé subsister quelques doutes.
  5. Depuis que ce rapport a été lu à l’Académie, M. Bérard, l’un des officiers les plus instruits de la marine française, m’a fait l’amitié de m’adresser l’extrait ci-après du journal du brick le Loiret. M. Bérard était le commandant de ce navire.
    « Le 13 novembre 1831, à 4 heures du matin, le ciel était parfaitement pur, la rosée très abondante ; nous avons vu un nombre considérable d’étoiles filantes et de météores lumineux d’une grande dimension : pendant plus de 3 heures, il s’en est montré, terme moyen, deux par minute. Un de ces météores qui a paru au zénith, en faisant une énorme traînée dirigée de l’est à l’ouest, nous a présenté une bande lumineuse très large (égale à la moitié du diamètre de la Lune), et où l’on a très bien distingué plusieurs des couleurs de l’arc-en-ciel. Sa trace est restée visible pendant plus de six minutes.
    » Nous étions alors sur la côte d’Espagne, près de Carthagène :
    Thermomètre dans l’air
    17°,0
    Températ. de la mer
    18°,5 centig.
    Baromètre
    28po 5lig,0. »
    Ainsi se confirme, de plus en plus, l’existence d’une zone composée de millions de petits corps dont les orbites rencontrent le plan de l’écliptique vers le point que la terre va occuper tous les ans, du 11 au 13 novembre. C’est un nouveau monde planétaire qui commence à se révéler à nous.