Considérations sur … la Révolution Française/Première partie/XXII

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CHAPITRE XXII.

Révolution du 14 juillet.

ON renvoya deux ministres en même temps que M. Necker, M. de Montmorin, homme attaché personnellement au roi depuis son enfance, et M. de Saint-Priest, distingué par la sagesse de son esprit. Mais ce que la postérité aura de la peine à croire, c’est qu’en se déterminant à une résolution de cette importance, on ne prit aucune mesure pour garantir la sûreté de la personne du roi, en cas de malheur. On se croyoit si certain du succès, qu’on ne rassembla pas de forces autour de Louis XVI, pour l’accompagner à quelque distance, si la capitale se révoltait. On fit camper les troupes dans la plaine, aux portes de Paris, ce qui leur donnoit l’occasion de communiquer avec les habitans ; ils venoient en foule voir les soldats, et les engageoient à ne pas se battre contre le peuple. Ainsi donc, excepté deux régimens allemands qui n’entendoient pas le françois, et qui tirèrent le sabre dans le jardin des Tuileries, seulement comme s’ils avoient voulu donner un prétexte à l’insurrection, toutes les troupes sur lesquelles on comptoit partagèrent l’esprit des citoyens, et ne se prêtèrent en rien à ce qu’on attendoit d’elles.

Dès que la nouvelle du départ de M. Necker fut répandue dans Paris, on barricada les rues ; chacun se fît garde national, prit un costume militaire quelconque, et se saisit au hasard de la première arme, fusil, sabre, faux, n’importe. Une foule innombrable d’hommes de la même opinion s’embrassoient dans les rues comme des frères, et l’armée du peuple de Paris, composée de plus de cent mille hommes, se forma dans un instant comme par miracle. La Bastille, cette citadelle du gouvernement arbitraire, fut prise le 14 juillet 1789. Le baron de Breteuil, qui s’étoit vanté de terminer la crise des affaires en trois jours, ne conserva la place de ministre que pendant ces trois jours, assez long-temps pour assister au renversement de la monarchie.

Tel fut le résultat des conseils donnés par les adversaires de M. Necker. Comment des esprits de cette trempe veulent-ils prononcer encore sur les affaires d’un grand peuple ? Quelles étoient les ressources préparées contre les dangers qu’eux-mêmes avoient provoqués ? et vit-on jamais des hommes qui ne vouloient pas du raisonnement, s’entendre si mal à s’assurer de la force ?

Le roi, dans cette circonstance, ne pouvoit inspirer qu’un profond sentiment d’intérêt et de compassion. Car les princes élevés pour régner en France n’ont jamais contemplé les choses de la vie face à face : on leur faisoit un monde factice, dans lequel ils vivoient depuis le premier jusqu’au dernier jour de l’année, et le malheur a dû les trouver sans défense en eux-mêmes.

Le roi fut conduit à Paris, pour adopter à l’Hôtel de ville la révolution qui venoit d’avoir lieu contre son pouvoir. Son calme religieux lui conserva toujours de la dignité personnelle, dans cette circonstance comme dans toutes les suivantes ; mais son autorité n’existoit plus ; et, si les chars des rois ne doivent pas traîner après eux les nations, il ne faut pas non plus que les nations fassent d’un roi l’ornement de leur triomphe. Les hommages apparens qu’on rend alors au souverain détrôné révoltent les caractères généreux, et jamais la liberté ne peut s’établir par la fausse situation du monarque ou du peuple : chacun doit être dans ses droits, pour être dans sa sincérité. La contrainte morale imposée au chef d’un gouvernement ne sauroit fonder l’indépendance constitutionnelle de l’état.

Cependant, quoique des assassinats sanguinaires eussent été commis par la populace, la journée du 14 juillet avoit de la grandeur : le mouvement étoit national ; aucune faction intérieure ni étrangère ne pouvoit exciter un tel enthousiasme. La France entière le partageait, et l’émotion de tout un peuple tient toujours à des sentimens vrais et naturels. Les noms les plus honorables, Bailly, la Fayette, Lally, étoient proclamés par l’opinion publique ; on sortoit du silence d’un pays gouverné par une cour, pour entendre le bruit des acclamations spontanées de tous les citoyens. Les esprits étoient exaltés, mais il n’y avoit encore rien que de bon dans les âmes, et les vainqueurs n’avoient pas eu le temps de contracter les passions orgueilleuses, dont le parti du plus fort ne sait presque jamais se préserver en France.