Considérations sur … la Révolution Française/Seconde partie/X

La bibliothèque libre.

CHAPITRE X.

Le gouvernement anglois a-t-il donné de l’argent pour
fomenter les troubles en France ?

COMME l’idée dominante des aristocrates françois a toujours été, que les plus grands changemens dans l’ordre social tiennent à des anecdotes particulières, ils ont accueilli pendant long-temps l’absurde bruit, qui s’étoit répandu que le ministère anglois avait soudoyé les troubles révolutionnaires. Les jacobins, de leur côté, ennemis naturels de l’Angleterre, ont assez aimé à plaire au peuple en affirmant que tout le mal venoit de l’or anglois, répandu en France. Mais quiconque est capable d’un peu de réflexion ne sauroit croire un moment à cette absurdité mise en circulation. Un ministère soumis comme celui d’Angleterre à la surveillance des représentans du peuple, pourroit-il disposer d’une somme d’argent considérable, sans oser jamais en avouer l’emploi au parlement ? Toutes les provinces de France, soulevées en même temps, n’avoient point de chefs, et ce qui se passoit à Paris étoit préparé de longue date par la marche des événements. D’ailleurs un gouvernement quelconque, et le plus éclairé de l’Europe surtout, n’aurait-il pas senti le danger d’établir près de soi une si contagieuse anarchie ? L’Angleterre, et M. Pitt en particulier, n’ont-ils pas dû craindre que l’étincelle révolutionnaire ne se communiquât sur la flotte et dans les rangs inférieurs de la société ?

Le ministère anglais a donné souvent des secours au parti des émigrés ; mais c’étoit dans un système tout à fait contraire à celui qui provoqueroit le jacobinisme. Comment supposer que des individus, très, respectables dans leur caractère privé, auroient soudoyé, dans la dernière classe du peuple, des hommes qui ne pouvoient alors se mêler des affaires publiques que par le vol ou par le meurtre ? Or, de quelque manière qu’on juge la diplomatie du gouvernement anglais, peut-on imaginer que des chefs de l’état qui, pendant quinze ans, n’ont pas attenté à la vie d’un homme, Bonaparte, dont l’existence menaçoit celle de leur pays, se fussent permis un bien plus grand crime, en payant au hasard des assassinats ? L’opinion publique en Angleterre peut être entièrement égarée sur la politique extérieure, mais jamais sur la morale chrétienne, si je puis m’exprimer ainsi, c’est-à-dire, sur les actions qui ne sont pas soumises à l’empire ou à l’excuse des circonstances. Louis XV a généreusement rejeté le feu grégeois dont le fatal secret lui fut offert ; de même les Anglais n’auroient jamais excité la flamme dévastatrice du jacobinisme, quand il eût été en leur pouvoir de créer ce monstre nouveau qui s’acharnoit sur l’ordre social.

À ces arguments, qui me semblent plus évidens encore que des faits mêmes, j’ajouterai cependant ce que mon père m’a souvent attesté ; c’est qu’entendant parler sans cesse de prétendus agens secrets de l’Angleterre, il fit l’impossible pour les découvrir, et que toutes les recherches de la police, ordonnées et suivies pendant son ministère, servirent à prouver que l’or de l’Angleterre n’étoit pour rien dans les troubles civils de la France. Jamais on n’a pu trouver la moindre trace d’une connexion entre le parti populaire et le gouvernement anglais ; en général les plus violents, dans ce parti, n’ont point eu de rapport avec les étrangers, et d’autre part le gouvernement anglais, loin d’encourager la démocratie en France, a toujours fait tous ses efforts pour la réprimer.