Contes coréens/Les Deux pierres

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Traduction par Serge Persky.
Contes coréensLibrairie Delagrave (p. 111-112).

LES DEUX PIERRES


Il y avait une fois deux pierres au bord de l’eau.

L’une d’elles qui se trouvait plus bas était toujours dans l’eau, l’autre, étant plus haute, émergeait sans cesse.

Celle qui était sous l’eau dit un jour :

« J’aimerais voir ce qui se passe sur la terre, ne fût-ce qu’une fois. »

Et celle qui était hors de l’eau dit :

« J’aimerais être recouverte par l’eau, ne fût-ce qu’une fois. »

Or, cette année-là, la sécheresse fut telle que la pierre inférieure put voir la terre.

Tout était sec et brûlé par le soleil ; les gens n’avaient point de blé, les bêtes mugissaient car elles manquaient de foin et la terre était jaune comme les rayons du soleil lui-même.

« On vit bien mal sur la terre, dit la pierre, encore un peu et toute ma belle surface se fendillera. Ah ! la vie que je menais auparavant était bien différente ! L’eau transparente s’écoulait devant moi ; la joyeuse sarabande des poissons tournoyait et se cachait sous moi quand passait une barque de pêcheur. Et puis, quel plaisir lorsqu’un morceau de galette de millet tombait dans l’eau ; quelle multitude de poissons venait alors me rendre visite ! »

Elle fut donc bien satisfaite quand l’eau la recouvrit de nouveau et qu’elle se plongea dans son royaume.

L’année suivante fut très pluvieuse et l’eau s’éleva si haut qu’elle recouvrait la pierre supérieure ; mais elle tourbillonnait bourbeuse et sale. La pierre eut beau écarquiller les yeux, elle ne vit rien, noyée qu’elle était dans un bain de fange. Elle criait :

« Quelle horreur ! Quelle ignominie ! »

Enfin, reparut le ciel pur et lumineux, et plus jamais elle ne souhaita se retrouver sous l’eau.