Contes des landes et des grèves/Les trois docteurs

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Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 202-205).

XXI

LES TROIS DOCTEURS


Il y avait une fois trois médecins qui se disputaient pour savoir lequel était le plus savant. Un jour ils convinrent de faire des expériences sur leurs personnes mêmes.

L’un se tira un œil, l’autre enleva le cœur de sa poitrine, le troisième se coupa un bras. Ces opérations terminées, ils déposèrent dans un grand plat l’œil, le cœur et le bras, et allèrent faire une promenade à la ville. À leur retour, ils devaient replacer ce qu’ils avaient enlevé, sans que rien y parût.

La servante de celui chez qui s’étaient faites les opérations voulut savoir pourquoi ils étaient restés si longtemps ensemble ; elle entra dans la chambre, et le chat s’y glissa aussi derrière elle, sans qu’elle s’en aperçût. Elle regarda ce qui était dans le plat, mais comme elle avait l’habitude de voir chez son maître des membres humains, elle sortit bientôt, et ferma la porte.

Quand le chat vit qu’elle était partie, il alla du côté du plat, et mangea tout, œil, cœur et bras.

La servante étant retournée dans la chambre de son maître, vit que le chat avait tout mangé, et elle en fut bien contrariée, car elle pensait qu’elle serait grondée.

Elle attrapa le chat, le tua et lui ôta un œil, qu’elle mit à la place de celui qu’il avait mangé. On avait pris dans les environs un voleur, auquel on avait coupé un bras, et qu’on avait laissé ensuite partir, en lui disant d’aller se faire pendre ailleurs. Elle prit le bras, et le mit dans le plat, puis elle tua un petit cochon et mit également son cœur à côté de l’œil et du bras.

Quand les trois docteurs furent de retour, ils prirent chacun la partie de sa personne qui avait été enlevée, et la remirent en place, puis ils s’en allèrent à leurs affaires.

À quelque temps de là, ils se trouvèrent tous les trois réunis et se mirent à causer.

— Et ton cœur ? demanda l’un d’eux à celui qui avait enlevé le sien.

— Ah ! dit-il, je ne sais ce qu’il a ; il n’a envie que de manger des ordures. Et ton bras ?

— Mon bras ? il me fait bien de la honte, car il veut prendre tout ce qu’il touche. Et ton œil ?

— Il ne voit pas le jour ; mais la nuit il voit à travers les murailles.

Ils finirent par découvrir ce que la servante avait fait. Ils lui coupèrent un bras et le mirent à la place de celui du voleur. Un autre lui tira un œil et le mit à la place de celui du chat. Le troisième lui enleva le cœur et le mit à la place de celui du cochon.

Depuis ce temps, le médecin qui voyait à travers les murailles, y voyait en jour, et pas la nuit ; le bras ne voulait plus voler ; mais le médecin qui avait le cœur de la jeune fille devint curieux et bavard comme une femme.


(Conté en 1883, par J.-M. Comault, du Gouray.)