Contes du Sénégal et du Niger/Chapitre 4

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Ernest Leroux (p. 63-72).


HISTOIRE DE KOLI


Un garçon s’appelait Koli ; son père Nambara-madi (Madi le mystificateur) était mort en laissant un couteau, un gros d’or, un taureau, un petit âne. La mère pleure et dit : « C’est tout ce que ton père a laissé ». « Ne pleure pas, dit-il, je me débrouillerai avec ce que j’ai ». Arrivent des marchands ; Il va trouver leur chef et demande la permission de mettre pour la nuit son âne avec les leurs. Ils acceptent et Koli attache son bourricot avec les autres. Il demande à sa mère le gros d’or. Au matin, il va trouver les Dioulas et leur dit : « N’avez-vous pas ramassé le crottin de mon bourricot ? Si jamais j’apprends que vous avez touché son crottin pour voir ce qu’il y a dedans, vous aurez de mes nouvelles ». « Que pourrions nous faire avec du crottin ? ». « Vous n’en savez rien, mais moi je sais ce qu’il y a dedans ». Il dit à sa mère d’apporter une calebasse avec de l’eau. Il met le crottin de son âne dedans et tous les dioulas viennent voir : il remue bien et met sans qu’on le voie un gros d’or dedans. Il lave et trouve un gros d’or au fond de la calebasse. Il dit à sa mère : « Tu as mal nourri mon bourricot : je n’ai trouvé qu’un gros d’or dans son crottin, tandis que du temps de mon père j’en avais cent chaque jour ».

Les dioulas s’entendent avec leur chef pour acheter le bourricot. Koli ne veut pas le vendre. « Pouvez-vous acheter une bête qui fait cent gros d’or par jour ? » dit-il, aux dioulas. Enfin il cède aux instances des négociants et dit : « Chacun des trois chefs me donnera dix captifs ».

Ils les lui donnent et s’en vont avec l’âne. La première journée, le crottin de l’âne est réservé au premier chef, qui l’a bien nourri. Au matin, il fait apporter des calebasses pleines d’eau, se met à laver le crottin et ne trouve rien. Le deuxième chef s’approche et lui dit : « Ne prends pas tout l’or : c’est mon tour maintenant ». Le premier ne dit rien de sa mésaventure. Le deuxième nourrit bien le bourricot et appelle au matin les gens pour qu’on apporte de l’eau et des calebasses, mais il ne trouve rien. De même pour le troisième chef, qui ne trouve rien et se figure que les autres ont tout pris. Il va se plaindre aux autres de ce qu’ils ont pris tout l’or. Ceux-ci déclarent qu’ils n’ont rient trouvé dans le crottin et tous tombent d’accord pour penser que Koli les a trompés, et ils vont le trouver ; leurs mères se moquent d’eux et les insultent[1].

Koli se doutait qu’ils arriveraient ce jour là : il tue son taureau et le distribue aux gens du village en signe de joie du bon marché qu’il a fait. Il recueille le sang, le met dans la poche à fiel et l’attache au cou de sa mère. Il lui dit : « Quand les dioulas seront là et que nous causerons sur la place, tu viendras et tu voudras prendre la parole. Alors je te jetterai par terre, je ferai semblant de te tuer, et quand j’aurai crevé la poche pleine de sang, tu feras comme si tu étais morte ».

Les trois dioulas arrivent et disent au chef de village : « Nous venons à cause de Koli : nous voulons qu’il nous rende nos captifs, car il nous a trompés avec son bourricot qui devait faire de l’or ». Alors la mère de Koli arrive sur la place et se dispute avec les dioulas. Koli fait semblant de se mettre en colère : il jette sa mère à terre et la frappe avec son couteau à trois reprises : la poche se crève : le sang coule. Les assistants s’écrient : « Il est fou, il a tué sa mère ». Koli dit : « Je ne suis pas fou ; j’ai tué ma mère, je peux aussi bien la ressusciter ». Les gens disent : « Ressuscite-la d’abord, après nous causerons ». Avec le couteau de son père, il frappe trois fois sa mère qui éternue et se lève. Il lui dit : « Maintenant, ma mère, pars chez toi ». Elle s’en va.

Il se tourne vers les dioulas et dit : « Continuons à parler ». Les trois chefs disent : « Nous ne pensons plus à l’histoire du bourricot : garde tes captifs. Ce que nous voulons c’est ton couteau parce que nous avons des mères insupportables ». Il se met à pleurer et dit : « C’est l’héritage de mon père : avec lui je peux tuer tous ceux qui me font du mal. Mais êtes-vous capables de me donner chacun quinze esclaves pour ce couteau ? ». « Oui », disent les dioulas. Ils vont les chercher, les lui donnent, et partent avec le couteau.

Koli avait donc soixante-quinze captifs : il en prend soixante, va trouver le roi du pays et lui dit : « Mon père m’a laissé cent captifs mais ils sont méchants et ont voulu me tuer : veux-tu prendre ces soixante là chez toi pour me les dresser ? ». Le roi accepte.

Il revient chez lui, et fait une fosse comme pour un enterrement, seulement il la recouvre de branchages et ne laisse qu’un petit trou à une extrémité, fermé avec un morceau de calebasse. À côté il fait bâtir une case, avec un passage souterrain allant à la fosse. Après quoi il se repose chez lui. Il dit à sa mère : « Demain, tu viendras voir ce que j’ai fait ». Ils partent ensemble. Il lui dit : « Quand les dioulas seront venus, tu entreras dans la case et tu te mettras dans la fosse. Quand je t’adresserai la parole, tu ne diras rien, mais si un dioula met son oreille près du trou pour écouter, coupe la lui ». Ensuite ils rentrent chez eux.

Le premier dioula qui avait sur lui le couteau, rentre chez lui : sa mère lui dit : « Qu’y a-t-il de neuf ? Comme Koli s’est bien moqué de toi ! Quel malin tu fais ! ». Il la jette à terre, lui coupe le cou et la tue. Tout le monde s’écrie : « Es-tu fou ? tu as tué ta mère ! ». Il répond : « Je ne l’ai pas tuée : ma mère est méchante : quand je voudrai je la ressusciterai ». « Fais cela devant nous », disent les gens. Il frappe trois fois sa mère, mais elle ne revit pas. Il dit à ses gens : « N’en dites rien », et cache le cadavre.

Le second dioula vient lui dire : « Prête moi le couteau » ; il lui arrive comme au premier, de même au troisième.

Ils sont en colère et disent : « Nous allons tuer Koli, car il s’est trop moqué de nous ». Ils prennent leurs fusils et vont trouver le chef de son village : ils racontent l’affaire en ajoutant : « Il faut qu’il ressuscite nos mères, ou nous le tuons. Le couteau est une plaisanterie ». Le chef du village l’envoie chercher.

Koli dit à sa mère : « Va te cacher dans la fosse ». Il va auprès des dioulas. Le chef lui expose la plainte des dioulas qui ont tué leurs mères. Il répond : « Vous savez pourtant bien que c’est mon père qui m’a légué ce couteau et que devant vous j’ai tué et ressuscité ma mère ». « Cela est vrai », dit le chef. « Eh bien ! dit Koli, allons sur la tombe de mon père : nous l’interrogerons et nous verrons si j’ai menti ». Les dioulas disent : « Tu n’es pas fou ? Ton père est mort il y a six mois et tu veux qu’il parle ? ». « Oui, dit Koli, mon père répondra ».

Ils vont sur la fosse qu’avait faite Koli avec cinquante personnes, pas davantage. Tous s’assoient : il leur montre la place où son père était soi-disant enterré. Il tire son bonnet, entre dans la cave avec son couteau et parle avec sa mère : « C’est moi qui parlerai le premier : celui qui parlera le second, coupe-lui l’oreille ». Il ressort de la cave avec quatre cailloux à la main. Il en jette un aux quatre points cardinaux. « Le chef dit : « Qu’est-ce que tu fais dans cette cave ? » « C’est là que j’ai mis mes gri-gri, et comme tous les mercredis une hyène vient pour déterrer mon père j’ai construit la cave pour me mettre à l’affût ».

Il dit au chef de village : « Je veux tuer ces trois hommes : si tu me laisses faire tu auras cinq captifs ». « Bon, dit le chef, je t’aiderai ».

Koli s’approche du petit trou de la fosse, enlève le morceau de calebasse qui le bouchait et dit : « Mon père Nambaramadi ! ». Une voix dit : « Que dis-tu, mon fils Koli ? » « Il y a des brigands de dioulas qui me veulent du mal. Quand tu fus mort, combien d’objets m’as tu laissés ? » : « Je t’ai laissé un bourricot dans le crottin duquel on trouvait cent gros d’or tous les jours ». Koli se retourne vers le chef du village et lui dit : « Avez-vous entendu ? » « Oui » dit le chef. « Après ? » dit Koli. « Je t’ai laissé un taureau et un couteau, avec lequel tu peux tuer celui qui t’a fait du mal, et tu peux le ressusciter en le touchant trois fois ». « Avez-vous entendu ? » dit Koli « Oui », dit le chef.

Koli dit : « Ces dioulas disent que ce n’est pas vrai ».

La voix dit : « Approche, je te donnerai de bonnes nouvelles de l’ardjiana (Paradis) ». Un dioula dit aux autres : « Je vais m’approcher pour entendre les bonnes nouvelles de l’ardjiana ». Koli le laisse s’approcher : les autres disent : « Moi aussi », et s’approchent. Le premier vient, demande des nouvelles et s’approche. La mère saisit l’oreille et la lui coupe. Il met la main sur la blessure et cache le sang en s’écriant : « Quelles bonnes nouvelles ! » De même pour les deux autres. Le troisième dit aux autres : « Vous a-t-il coupé une oreille ? ». « Oui », disent-ils. « Alors il faut le tuer ». Ils prennent leurs fusils. Koli se sauve, les dioulas le poursuivent jusqu’au village du roi en tirant des coups de fusil : il entre le premier et dit aux sofas : « Le roi est-il là ? ». « Oui ». Il entre et lui dit : « Que t’avais-je dit ? voilà mes captifs qui veulent me tuer et qui me poursuivent à coups de fusil ! Fais-les tuer, s’il viennent ici. Tu les reconnaîtras bien, car je leur ai coupé une oreille à chacun. Surtout ne les laisse pas causer, fais les tuer vite, et je te donnerai dix captifs ».

Les dioulas arrivent et veulent parler au roi : les soldats préviennent le roi qui les fait entrer. Ils ont des bonnets qui leur couvrent les oreilles et disent au roi : « Nous venons chercher ce misérable Koli qui s’est joué de nous ». « Avant tout, dit le roi, enlevez vos bonnets ». Ils s’exécutent en disant : « Ce coquin-là nous a coupé à chacun une oreille ». Le roi dit : « Vous êtes ses captifs : vous avez voulu le tuer. « Soldats, menez-les dehors et tuez-les ». Koli dit : « Ce sont les trois seuls mauvais captifs que j’ai : si tu leur fais couper le cou, les autres seront mâtés ». Alors on leur a coupé le cou à tous les trois. Koli a donné dix captifs au roi, emmené les cinquante autres chez lui, et en donne cinq au chef de son village. Il dit à sa mère : « Ne t’avais-je pas dit que je me débrouillerais avec ce que mon père avait laissé ? »



  1. Voir un thème analogue dans le Manuel français bambara, par Travelé.