Contes et légendes annamites/Légendes/030 Bois de charpente pour les enfers

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BOIS DE CHARPENTE POUR LES ENFERS.



Sur la montagne de Hoành son, flans la province de Quàng binh, pousse un arbre précieux que l’on appelle le cho blanc[1]. Chaque année, les princes des Enfers soulèvent des tempêtes pour faire des provisions de ce bois. Une fois ils avaient ainsi pris trois arbres et les avaient transportés dans la rivière de Danli où ils restèrent échoués près d’un bac[2] pendant quatre ou cinq jours.

Près de ce bac s’élevaient une quarantaine de maisons et une entre autres où habitait le passeur. Celui-ci avait élevé un gros porc. Une nuit cinq hommes sortirent de la rivière. Ils portaient des vêtements noirs, étaient coiffés de turbans et tenaient un sabre à la main. Ils appelèrent le passeur qui souleva sa porte[3]. Les hommes alors entrèrent chez lui et lui dirent : « Tu as un porc, tue-le, nous te le paierons. » Le passeur tua son porc et le leur servit avec du vin. Les cinq hommes mangèrent le porc tout cru, ils dirent ensuite au passeur de venir sur le bord de l’eau pour prendre son argent et qu’ils lui donneraient cent ligatures. Le passeur se disposait à les rapporter chez lui, mais ils lui dirent de grimper sur un arbre et que dans une heure ils allaient soulever une tempête et gonfler les eaux pour emporter ces trois troncs d’arbre au palais du roi des eaux où l’on en avait un pressant besoin.

Après leur départ, le passeur grimpa sur un arbre élevé ; bientôt il entendit un sourd roulement, le vent et la pluie firent rage et les maisons lurent submergées. Au bout d’une heure la tourmente s’apaisa, les eaux s’écoulèrent, le passeur descendit de son refuge et vit que les trois troncs d’arbre avaient disparu. Il comprit alors qu’il avait eu affaire à des serviteurs du roi des Enfers qui étaient venus faire du bois.



  1. Le chô serait le sao, s’il faut en croire quelques-uns. Dans quelques districts on n’emploierait pas le cho pour les constructions à cause de cette préférence que lui témoignent les divinités infernales. L’on peut rapprocher de ceci une superstition laotienne rapportée par M. Aymonier dans ses Notes sur le Laos, chap. XXXII (Excursions et Reconnaissances, t. IX, p. 18) : « Le bois de fer appelé koki fait surtout des pirogues et aussi des cercueils, coutume funèbre qui empêche, par crainte superstitieuse, d’employer ses planches à d’autres usages. »
  2. Ben est un petit port, un point d’accostage sur une rivière.
  3. Les portes des paillottes sont attachées par le haut ; on les maintient ouvertes au moyen d’un piquet qui repose sur la terre et soutient en l’air la partie inférieure de la porte.