Contes et légendes annamites/Légendes/031 Mariages entre les enfers et la terre

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XXXI

MARIAGES ENTRE LES ENFERS
ET LA TERRE.



Prés de la rivière Danli et de la maison du passeur, dont il vient d’être question, vivait une jolie fille qui n’avait plus que sa mère. Les deux femmes habitaient seules. Une nuit, vers la troisième veille, deux hommes vinrent frapper à la porte et crièrent d’ouvrir bien vite. Les femmes pensèrent que c’était quelqu’un de leur connaissance, elles allumèrent la lampe et ouvrirent. Elles virent alors un très beau jeune homme âgé d’une vingtaine d’années, suivi par un autre individu au visage terrible. Épouvantées, elles se réfugièrent dans leur chambre d’où elles n’osaient sortir. Le serviteur leur dit de n’avoir aucune crainte et de venir leur parler. La mère dit alors à sa fille d’aller se cacher dans le jardin, tandis qu’elle, vieille, dont la vie était sans valeur, se risquerait à se montrer. Elle se présenta donc aux inconnus, et le jeune homme lui dit : « Vous avez une fille d’une grande beauté et qui m’a plu ; je vous l’achèterai ce que vous voudrez ; comme je n’ai pas d’argent sur moi, je vous laisserai cette pierre précieuse qui, pendant la nuit, jette assez de clarté pour éclairer toute la maison. Vous n’aurez plus besoin d’allumer de lampe. » La vieille répondit qu’elle vivait seule avec sa fille, ayant perdu son mari ; si elle la mariait elle n’aurait plus personne. De plus, les mœurs des Enfers ne sont pas les mêmes que celles de la terre. Le jeune homme lui répondit de ne pas s’inquiéter de tout cela ; qu’il laisserait sa femme dans la maison et viendrait seulement la visiter une fois par mois. Si elle y consentait il lui donnerait tout ce qu’elle voudrait, sinon il prendrait la fille quand même.

En ce moment le jour allait poindre, les deux étrangers s’empressèrent de s’introduire dans les peaux de serpent qu’ils avaient laissées sous le lit et de rentrer dans les eaux.

La mère et la fille, effrayées, réunirent leurs parents pour délibérer sur ce qu’il fallait faire ; ceux-ci ne surent quel remède apporter à la chose et conclurent qu’il fallait se soumettre. Un mois se passa sans autre visite et elles se croyaient déjà sauvées quand une nuit, vers la deuxième veille, elles entendirent un grand bruit et virent sortir de l’eau trois hommes portant chacun un plateau chargé d’or, d’argent et de pierres précieuses en guise de présents de noces. Ils entrèrent tout droit dans la maison où ils demeurèrent un moment, puis ils replongèrent dans la rivière. À partir de ce moment le beau jeune homme vint visiter la fille de la maison une fois par mois pendant cinq ou six ans, après quoi il la quitta et lui permit de se marier.