Contes et légendes annamites/Légendes/094 Vengeance d’un génie
XCIV
VENGEANCE D’UN GÉNIE.
À Van tu, dans la province de Nam dinh, vivait un chef de canton nommé Tuyèn qui était riche et grand amateur de curiosités. Il aimait beaucoup, entre autres choses, les kiéu[1] et les achetait à tout prix. Ces oiseaux sont noirs. Un jour qu’il était allé à Hà tinh pour visiter des parents il vit dans im temple révéré un kiéu complètement blanc. Il eut aussitôt la plus grande envie de le posséder. Il alla donc à la pagode faire un sacrifice, après quoi il demanda au génie du lieu de lui donner l’oiseau, mais les sapèques tournaient toujours sans donner de réponse[2].
Tuyèn revint chez lui et ramena trente hommes à qui il fit tendre des filets pour prendre l’oiseau. Quand ils s’en furent emparés il l’emporta dans sa maison et lui fit faire une cage à trois étages laquée de rouge et d’or. Cet oiseau était blanc, vers le milieu de la matinée il devenait rouge, à midi bleu ou jaune. À son chant tous les autres oiseaux descendaient du haut des airs.
Quinze jours après, vers la troisième veille, Tuyèn entendit quelqu’un qui l’appelait du dehors et lui disait : Rapporte le kiéu à mon temple et rends-le moi. Si tu ne le fais pas, dans dix jours je te tue. Le matin venu Tuyèn avait déjà la fièvre et souffrait de la tête. Sa famille était épouvantée et voulait rapporter l’oiseau mais il dit : « Ce génie n’a pas le droit de changer mes destinées à cause de cet oiseau. »
Trois jours après, au milieu de la nuit, on vit venir devant la porte un homme vêtu d’un habit rouge et portant un sabre à la main, qui répéta l’avertissement. Tuyèn ne voulut pas davantage céder. Sa maladie s’aggrava. Quand il fut sur le point de mourir il appela son fils et lui dit : « Quand je serai mort brùle avec moi cent feuilles de papier et ce qu’il faut de pinceaux et d’encre[3]. Quand je serai aux enfers je porterai plainte contre ce génie. Quant au kiéu suspends-le près de ma tablette. Si tu ne m’obéis pas je reviendrai te tourmenter. » Les dix jours expirés il mourut.
- ↑ Oiseau parleur du Tonquin, inconnu en Basse-Cochinchine.
- ↑ Le procédé de divination employé ici, xin keo, s’exerce dans les pagodes au moyen de deux morceaux de racine de bambou que le fidèle jette à terre après avoir prononcé des invocations. On tire des présages de la face sur laquelle ils sont tombés. Dans les maisons on opère avec des sapèques que l’on laisse tomber d’une assiette par terre par un mouvement brusque.
- ↑ Nous avons déjà vu, n° XXXV (Excursions et Reconnaissances, IX, p. 393) une plainte de ce genre portée par un mort contre le génie qui l’avait fait périr.