Contes et légendes annamites/Légendes/096 La Tête d’éléphant

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Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 230-231).


XCVI

LA TÊTE D’ÉLÉPHANT.



Au village de Hûn lè dans le huyèn de Ky anh se trouve une montagne qui a la forme d’un éléphant couché. On l’appelle la tête d’éléphant. Du temps de la dynastie Lé ce village avait, produit dix-huit généraux[1]. Le roi Gia long, après qu’il eut établi sa domination, craignant que ce village ne continuât à produire des guerriers, fit détruire les deux oreilles de cette tête et dans le ventre de l’éléphant creuser un canal par où s’écoulent les eaux de la montagne qui sont toutes rouges. Sur l’épaule de la montagne se trouve maintenant une caverne dont autrefois l’on ne connaissait pas l’existence. Elle est pleine de ténèbres et l’œil ne peut en sonder la profondeur.

Dans ce village de Hûn le il y avait un individu nommé Yô van tùng qui était d’une famille riche mais aimait beaucoup le plaisir. Il était sage et hardi, et aussitôt qu’il entendait parler de quelque curiosité il allait y voir. Lorsqu’il eut appris l’existence de cette caverne il alla y coucher pour voir s’il s’y passait quelque chose. Il l’avait déjà fait plusieurs fois sans résultat lorsqu’une nuit, vers la troisième veille, par un clair de lune éclatant, il vit une jeune fille d’une beauté céleste.

Notre homme s’approcha d’elle, mais avec un sentiment de terreur, et tenant la main à son sabre pour se garder. La jeune fille avait à la main une fleur de nénuphar. Elle lui demanda ce qu’il venait faire là. Il répondit : « Autrefois il n’y avait pas ici de caverne ; ayant appris que maintenant il y en avait une profonde et vaste je suis venu la visiter. » La jeune fille lui dit : « Voici longtemps que j’y demeure et personne n’osait en approcher. N’y revenez plus à l’avenir. » Tông répondit : Je veux voir auparavant s’il n’y a rien d’extraordinaire. « Puisque vous voulez voir, dit la jeune fille, je vous ferai voir ce qu’il y a. » Elle lui donna sa fleur de nénuphar et disparut. Aussitôt Vô van tông se trouva environné de bêtes sauvages, ours, éléphants, chevaux, lions, tigres, hommes à tête de buffle ou de singe tenant en main des épées. Il s’évanouit et ne reprit ses sens que le lendemain où tout avait disparu. La bouche de cette caverne avait été fermée par des rochers entassés. Il retourna raconter son aventure au village, et depuis ce temps personne n’a osé revenir en cet endroit.



  1. Quân công. C’est à la configuration de la montagne et aux influences magiques qu’elle exerce autour d’elle qu’était attribuée la valeur militaire des habitants du village voisin. Gia long conquérant du Tonquin, ayant intérêt à détruire chez les Tonquinois tous les germes de résistance, essaie d’annihiler le pouvoir mystérieux de la montagne par des opérations magiques. Nous avons vu de même Cao bien détruire les tombeaux impériaux de l’Annam pour assurer à perpétuité le suprématie de la Chine.