Contes et légendes annamites/Légendes/098 Femme sauvage

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Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 235-236).


XCVIII

FEMME SAUVAGE.



Un lettré avait une femme d’excellent caractère, les deux époux s’aimaient tendrement. Ils avaient aussi une servante qui les aimait beaucoup. Un jour la servante alla dans la montagne ramasser du bois ; elle trouva une grande caverne obscure dans laquelle ses regards ne pouvaient pénétrer, les pierres qu’elle y jeta roulèrent avec un bruit sourd.

Elle revint à la maison et raconta à ses maîtres ce qu’elle avait vu. Ceux-ci lui dirent de les mener à cette caverne. Arrivés sur les lieux, ils restèrent à regarder ; mais par malheur la femme glissa et tomba dans l’abîme. Le mari fut saisi d’effroi ; il alla tout de suite arracher des lianes et les jeta au fond afin qu’elle put s’y cramponner et remonter, mais les jours passèrent sans qu’elle reparut.

Le mari resta à pleurer et à se lamenter près de la bouche de la caverne pendant un an. Enfin, ne voyant pas revenir sa femme, il s’en retourna chez lui avec la servante, mais il passait sa vie dans la tristesse et ne voulait plus entendre parler de se remarier.

Un jour la servante revint à la montagne pour ramasser du bois. Elle entendit du bruit dans un arbre et vit sa maîtresse dépouillée de ses vêtements et le corps couvert de poils comme une bête sauvage. Elle fut saisie à la fois de joie et de crainte. « Oh ! dit-elle, comment êtes-vous faite ? Le maître est à la maison à vous pleurer et à attendre votre retour ; il n’a pas voulu se remarier. Pourquoi ne revenez-vous pas ? » La femme lui répondit : « Fais mes compliments à mon mari et dis-lui de se remarier sans plus m’attendre ; je ne veux pas revenir dans le monde. »

La servante courut à la maison avertir son maître, et celui-ci vint vite chercher sa femme. Il la trouva perchée sur l’arbre. Le mari se roulait au-dessous en pleurant et suppliait sa femme de descendre pour causer ensemble. Celle-ci lui répondit : « Je vous remercie d’être venu ici pour me voir, mais il suffit que nous nous soyons vus. Retournez chez vous et prenez une autre femme, je ne veux plus revenir avec vous. »

Le mari cependant ne l’écouta pas et la pressa tellement de descendre qu’elle finit par y consentir. Il l’embrassa, la supplia et enfin la ramena dans leur maison.

La femme était toujours couverte de poils. Heureusement un passant, qui se disait médecin, promit de lui faire prendre des drogues qui lui feraient tomber tous ces poils. Quand elle eut bu le médicament, tous les poils tombèrent et elle fut dix fois plus jolie qu’auparavant.

Son mari lui demanda pourquoi elle n’était pas sortie tout de suite de la caverne et s’était ainsi transformée, tandis qu’il l’attendait pendant plus d’un an. Elle lui dit : « Je tombai dans cette caverne et j’y restai je ne sais combien de temps. Quand je remontai à l’ouverture, je ne vous y trouvai plus. Comme j’avais faim, je cueillis des fruits. Au bout de quelque temps je me sentis toute légère, je me mis à grimper sur les arbres, et mon corps se couvrit de poils, mais je trouvais cela tout naturel. »

Le mari fut tout surpris de ce récit et pensa que la caverne était le séjour des génies. Cette femme donna le jour à deux enfants et mourut.