Contes et légendes annamites/Légendes/099 Naissances miraculeuses

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Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 237-239).


XCIX

NAISSANCES MIRACULEUSES.



I


Dans le huyèn de Thanh chuong, province de Nghè an, vivait une femme nommée Huinh thi phuoc qui était veuve et sans enfants. À l’âge de quarante ans elle se retira dans une pagode pour se livrer à la pénitence. Une nuit elle vit en rêve un individu à figure rouge qui était vêtu d’un habit bleu. Quand elle se réveilla elle fut saisie d’effroi et au matin elle alla raconter son rêve au supérieur de la pagode. Celui-ci se livra aux calculs nécessaires et lui dit : a Vous avez fait pénitence pendant plusieurs années ; le Ciel et le Bouddha, touchés de votre piété, vous ont donné un fils. Vous ne pouvez demeurer davantage dans cette pagode, de peur que je ne sois accusé de votre grossesse. Il vous faut donc rentrer dans le monde.

Thi phuoc obéit au supérieur et quitta la pagode. Quelque temps après elle mit au monde un garçon de jolie figure. Comme il ne s’était écoulé que dix mois entre le moment de l’accouchement et le temps où elle avait quitté la pagode, les notables pensèrent que le supérieur de la bonzerie était le coupable. Ils le menèrent donc, ainsi que la mère et l’enfant, devant le huyèn, et celui-ci condamna le bonze à les entretenir.

Parvenu à l’âge de dix ans, l’enfant se distingua par son intelligence. Le supérieur le fit étudier, et il comprenait dix lignes à la fois[1], aucun autre écolier ne l’égalait. Ouand il eut seize ans, sa mère demanda au bonze de lui donner un nom pour qu’il put se présenter aux examens[2]. La nuit elle rêva que quelqu’un lui disait : « Demain ordonne à l’enfant de monter sur le caki[3], il trouvera son nom écrit au creux de l’arbre. » Le lendemain matin elle le fit grimper sur le caki et il vit que l’on avait gravé dans le creux de l’arbre les trois mots : Luong qui chành. On le fit donc inscrire sous ce nom dans les registres du village, et il alla passer ses examens et fut reçu licencié. À son retour, les gens du village et ses amis lui offrirent un banquet. Quelques jours après le supérieur mourut et l’on constata que c’était un hermaphrodite[4], et qu’on l’avait injustement accusé d’être le père de l’enfant.


II


Dans le huyên de Huong son vivait une veuve nommé Lè thi nhàn qui, voyant que Thi phuoc avait, par sa pénitence, obtenu un enfant du Ciel, voulut elle aussi se retirer dans la même pagode pour obtenir la même faveur. Chaque nuit, lorsque tout le monde dormait, elle allait se prosterner devant l’autel et suppliait le Bouddha de lui accorder un fils.

Il y avait déjà deux ans qu’elle vivait dans la pagode lorsqu’une nuit elle rêva qu’un homme l’appelait de devant la grande porte et lui disait : « Sors pour que je te donne un fils. » Elle sortit et vit un homme au corps noir qui lui dit de tendre la main. Il lui frappa dans la main et Thi nhàn s’éveilla.

Le lendemain matin elle alla raconter son rêve au supérieur qui lui dit, tout effrayé : « Assez ! assez ! Ne restez pas ici davantage, pour m’attirer encore des désagréments comme Thi phuoc. Elle rentra donc dans son village et au bout d’un an donna le jour à un garçon qui se distingua bientôt par son intelligence et par sa force, mais qui s’adonna au vin et aux plaisirs.

On l’appelait le nho Tao[5]. Il avait une tache rouge dans l’oreille. Quoique savant, il fut refusé à ses examens, vola, fut mis en prison et s’enfuit en brisant ses fers. Il fonda une bande qui dévasta le pays.



  1. C’est-à-dire que d’un seul coup d’œil il voyait tout ce qu’il y avait dans une page.
  2. Il est nécessaire pour se présenter aux examens d’être pourvu d’un état civil régulier et de faire constater que l’on n’appartient pas aux catégories de personnes qui en sont exclues.
  3. Diospyros caki, arbre commun au Tonquin, dit-on, mais qui n’existe pas dans nos provinces.
  4. Lai cài. L’hermaphrodisme va naturellement avec l’impuissance, puisque la plupart des hermaphrodites sont réellement des femmes.
  5. Nho, c’est-à-dire l’étudiant. Ce titre se donne aux étudiants qui n’ont pas encore passé leurs examens, La carrière de ce personnage a déjà été racontée au numéro XV. (Excursions et Reconnaissances, tome IX, p. 138).