Contes et légendes annamites/Légendes/100 Histoire du trang nguyen Trin

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HISTOIRE DU TRANG NGUYEN TRINH.



Dans le pays de Hai duong il y avait une jolie fille douée de toutes les beautés et de toutes les vertus. Elle avait un profond génie naturel et voulait prendre un époux qui lui donnât pour fils un roi dominateur du monde, mais elle ne le trouva pas. Elle épousa le cong Luàn et, au bout de quelques mois, fut enceinte.

Quand les neuf mois et dix jours de sa grossesse furent accomplis, elle ordonna à son mari de lui construire un réduit élevé[1], parfaitement clos de tous côtés. « Lorsque j’accoucherai, lui dit-elle, laissez-moi faire toute seule et ne venez pas regarder ; si vous ne vous en absteniez pas il arriverait malheur. » Le mari lui obéit.

Trois jours après l’accouchement cette dame voulut éprouver son mari ; elle coucha l’enfant sur un hamac, toutes les portes closes, et dit à son mari : « J’ai tout fermé, n’entrez pas pour le voir » ; là-dessus elle partit. Au bout de trois jours le mari eut envie de voir l’enfant ; il grimpa dans la charpente et vit l’enfant couché dans le hamac. À peine l’eut-il aperçu que l’enfant cria : « Je vous salue ! mon père qui venez voir votre fils. »

Le père fut saisi de frayeur et descendit au plus vite. Sa femme revint et le réprimanda, « Je cherchais, dit-elle, à faire de votre fils un prince dominateur du monde, mais lui et vous vous avez voulu qu’il ne fût que le premier lettré[2] d’une époque de troubles. À votre guise, mais pour moi, vous ne me reverrez plus. » Ce discours achevé, elle disparut.

Le père et le fils demeurèrent ensemble. À dix-sept ans Trinh alla passer ses examens à la cour des Mac[3] et fut reçu avec le titre de trang nguyèn ; mais comme il était intérieurement partisan de la dynastie Lè, il feignit d’être malade et resta chez lui sans vouloir occuper d’emploi dans l’administration des Mac. Par la suite il fit semblant d’être aveugle et se retira dans une pagode.

Lorsque les Mac vaincus se retirèrent à Thâi nguyèn, Trinh envoya son frère Trai au secours des Lè, lui disant de s’adresser à lui lorsqu’il se trouverait dans quelque difficulté. Trai était son demi-frère, né de la même mère, mais d’un autre père. Il habitait le Thânh hoa, avait passé ses examens à la cour des Lè et avait aussi obtenu le titre de trang nguyèn. Mais son génie était de beaucoup inférieur à celui de Trinh qui, en toutes choses, était le maître et lui marquait la conduite à tenir. Seulement Trinh, qui avait passé ses examens chez les Mac, ne voulait pas les servir et dirigeait son frère qui servait les Lè. Quant à lui, feignant d’être aveugle, il vivait dans une pagode.

Lorsque les Mac eurent de nouveau été battus et refoulés jusqu’à Lang son, Trai envoya un émissaire à son frère pour lui demander ce qu’il fallait faire. Le messager vint à la pagode de Trinh, mais celui-ci, pendant trois jours, ne lui donna aucune réponse. Un matin enfin, au point du jour, Trinh alla au lieu où était couché ce messager, lui arracha sa natte et le chassa en disant : « Pars vite ! bien vite ! »

Le messager courut rapporter la chose à Trai. Celui-ci branla la tête et dit : « Mon frère nous dit de nous hâter et que nous vaincrons. » En effet les Mac furent battus et forcés de se réfugier en Chine. Les soldats des Lè les avaient poursuivis jusqu’aux défilés des frontières, quand devant eux ils trouvèrent Trinh qui leur barrait le chemin. Le commandant de l’avant-garde prévint Trai qui accourut avec le roi Trang tông et demanda à Trinh pourquoi il arrêtait ainsi la marche de l’armée. Celui-ci répondit : « Ne poursuivez pas les rebelles aux abois[4]. Je veux un jour remplir envers Mac mon devoir de sujet ; je ne puis les laisser périr. Je vous prie de rappeler vos troupes et de laisser les Mac fuir en Chine. » Le roi Le et ses troupes écoulèrent Trinh et se retirèrent en arrière.

Dans le royaume d’Annam, depuis la dynastie des Hong bàn jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu d’autre trang nguyên digne de ce titre que le trang Trinh. Il savait tout ce qui était arrivé cinq cents ans avant lui, tout ce qui devait arriver cinq cents ans après lui, et il en avait composé un livre[5]. Mais le roi Minh mang, irrité de ses prédictions, défendit d’en parler sous peine de mort, de sorte qu’il n’est pas connu du peuple.



  1. Au moment de l’accouchement les femmes se retirent dans une pièce séparée ou même dans une petite case construite pour la circonstance.
  2. Trang nguyèn.
  3. Il est très difficile de rapporter les événements contés ici à l’histoire des Mac, telle qu’elle se trouve dans l’Histoire annamite, de M. Truong vinh ky.
  4. On peut voir dans le Livre des récompenses et des peines (trad. St. Julien, p. 195) le précepte qui dirige ici la conduite de Trinh.
  5. Il doit exister au Tonquin, sous une forme ou une autre, un recueil de prédictions attribuées au trang Trinh et prédisant des révolutions pour notre époque. Sans cela on ne comprendrait pas pourquoi Minh mang en a interdit la circulation. Nous avons déjà vu qu’on lui attribuait une prédiction d’après laquelle la dynastie Nguyèn ne compterait que quatre rois. (Voir ci-dessus le XXVIII qui contient un autre récit relatif aux origines du trang Trinh