Contes et légendes annamites/Légendes/105 Les quatre âmes en peine

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Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 254-255).


CV

LES QUATRE AMES EN PEINE.



Un marchand de tambours était allé vendre sa marchandise dans le pays. En passant devant une montagne il rencontra un homme assis à l’ombre sous un banian, et s’arrêta à causer avec lui. Ils se demandèrent mutuellement leurs noms. Le marchand de tambours s’appelait Tam et l’étranger Tù. Celui-ci dit que lui aussi faisait du commerce, mais qu’en ce moment il n’avait pas de fonds et cherchait à se placer pour vivre.

Tam, ayant pitié de sa misère, lui dit de le suivre pour l’aider dans son commerce. Ils partirent donc avec leurs tambours. Au bout de quelque temps ils eurent soif et cherchèrent un puits pour boire. Lorsqu’ils eurent trouvé le puits. Tù dit à Tam : « Je vais m’attacher ma ceinture autour du corps et vous me descendrez dans le puits pour boire ; quand j’aurai bu, vous me retirerez et je vous rendrai le même service. »

Ils firent comme il avait été convenu, mais lorsque Tam fut dans le puits, l’autre l’y laissa sous un prétexte, prit les tambours et disparut. Tam, après l’avoir attendu quelque temps, remonta en se hissant à l’aide de sa ceinture, et, ne retrouvant plus ni Tù, ni ses tambours, il vit qu’il avait été volé.

Comme il faisait déjà sombre, il s’égara et arriva à une pagode où il demanda au gardien de lui donner l’hospitalité pour la nuit. Celui-ci lui dit : « Restez si vous voulez ; mais il y a ici quatre esprits de personnes sans sépulture[1] qui apparaissent à la troisième veille et dévorent tout étranger. Je ne puis donc vous accueillir. » Tarn répondit : « Je mourrai s’il le faut, mais je vous prie de me cacher dans quelque coin. » — « Il n’y a point ici d’endroit où je puisse vous cacher, répondit le gardien ; voilà le trou où demeurent ces démons ; c’est derrière l’entrée que vous serez le plus en sûreté. »

À la troisième veille les quatre âmes en peine revinrent de quelque expédition. Sans voir Tam, elles s’arrêtèrent à côté de l’entrée de leur trou et se mirent à causer. La première dit : « À gauche, derrière cette pagode sont enfouies dix jarres d’argent et à droite dix jarres d’or. Et vous autres, savez-vous quelque chose de nouveau ? » La seconde dit : « Je connais quelque chose à l’aide de quoi l’on pourrait nous détruire. Les trois autres lui demandèrent : « Quelle est cette chose ? » — « C’est, répondit la seconde âme, une pierre de tortue[2]. Si quelqu’un s’en emparait, il pourrait nous faire périr. Elle est à côté de la caverne. » À ces mots Tam se précipita pour s’emparer de cette pierre. Les mauvais esprits essayèrent de se jeter sur lui pour le dévorer, mais il tenait déjà la pierre, et les fit périr. Au jour il alla remercier le gardien de la pagode. Il revint ensuite avec des ouvriers pour déterrer le trésor et se trouva riche. Quant à Tù, il avait été rencontré sur son chemin par les mauvais esprits, et ils l’avaient dévoré.



  1. Con qui quàn tài. Cette expression est imparfaitement rendue par sans sépulture. En réalité ce sont des individus qui ont été ensevelis dans un cercueil, mais qui ont été gardés dans les maisons au lieu d’être enterrés et qui sont devenus des âmes en peine.
  2. Ngoc qui. Cette pierre a la vertu de faire fuir les démons.