Contes inédits (Poe)/Poésies/Lénore

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Traduction par William Little Hughes.
Contes inéditsJules Hetzel (p. 306-308).

LÉNORE


I

Hélas ! le voilà brisé, le vase d’or. L’esprit d’un ange s’est envolé pour ne plus revenir ! que le glas retentisse ! une âme bienheureuse flotte sur le fleuve stygien. Et toi, Guy de Vere, n’as-tu pas une larme ? Pleure maintenant, ou jamais ! Vois, dans ce morne et rigide cercueil gît ton amour, ta Lénore ! Allons, qu’on psalmodie le service suprême, qu’on chante l’hymne funéraire ! — Une antienne pour la plus noble morte qui soit jamais morte aussi jeune. — Un chant d’église pour celle qui est morte deux fois, puisqu’elle est morte si jeune !


II

« Misérables ! vous n’aimiez d’elle que ses richesses ; vous la détestiez à cause de son orgueil, et dès que sa santé chancela, vous l’avez bénie, parce qu’elle allait mourir. Qui de vous lira le rituel ? Qui donc entonnera le Requiem ? Sera-ce toi, le mauvais œil, ou toi, langue de vipère, qui avez creusé la tombe de l’innocente qui vient de mourir, et de mourir si jeune ? »


III

Peccavimus, mais ne délirez pas ainsi, ô Guy de Vere ! et que notre oraison monte vers Dieu d’un ton assez solennel pour que la morte n’ait pas à en souffrir ! La douce Lénore a pris les devants, avec l’Espoir qui voltigeait à ses côtés ; votre raison est troublée par la perte de celle qui allait devenir votre épouse, — de la belle, de la gracieuse, qui gît abattue, dont les cheveux fauves rayonnent, mais dont le regard est terne, dont les cheveux rayonnent encore, mais dont le regard reste voilé.


IV

« Arrière ! ce soir, j’ai le cœur léger. Je n’entonnerai nulle hymne funéraire ; c’est avec un chant d’allégresse des vieux jours que je veux soutenir mon ange dans son vol ! Que les cloches se taisent, de peur qu’une âme aimante ne saisisse ce son lugubre et soit troublée dans sa joie céleste, tandis qu’elle planera sur la terre maudite ! Pour rejoindre les élus, le cher fantôme indigné s’arrache aux démons d’ici-bas, — il quitte l’enfer pour les hauteurs sublimes, — la patrie de la tristesse et du gémissement pour un trône d’or auprès du Roi des cieux. »