Contes populaires d’Afrique (Basset)/6

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E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 15-16).
II. — DJEBEL NEFOUSA[1]

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LA LEÇON DE MODESTIE[2]


Il y avait à Charous un cultivateur qui récoltait beaucoup de blé ; après le dépiquage, il mettait son grain en tas et le laissait sur place tout l’été pour faire parade de sa fortune, s’imaginant que personne ne l’égalait. Les habitants des ruines de Selamat qui était à une journée de marche, pouvaient, de chez eux, voir le grain entassé. Une fois, l’homme au blé vint chez le propriétaire du grand moulin à huile et y passa la nuit. Celui-ci dit à ses nègres :

— Vous allez atteler les chameaux tous ensemble ; vous remplirez à la fois tous les paniers et vous ferez descendre d’un seul coup les sept pressoirs.

Au petit jour, les nègres firent ainsi pendant que l’hôte dormait. Quand tous les pressoirs du moulin furent à la fois en mouvement, l’huile descendit avec force en un seul ruisseau et remplit la cuve en grondant comme une rivière.

— Quelle est donc la rivière qui coule ainsi ? dit l’homme au maître du moulin.

— Dors, répondit celui-ci ; ce n’est rien : ce sont seulement les nègres qui ont fait marcher les pressoirs.

Notre homme se leva alors, et revenu chez lui, dit aux siens :

— Ce que nous possédons, nous, n’est rien.

À partir de ce jour, il ne laissa plus son blé dehors.



  1. La région montagneuse du Djebel Kefousa s’étend au sud-est de Tripoli dans la direction de la Tunisie. La population berbère qui l’habite a conservé sa langue et ses doctrines schismatiques.
  2. A. de Motylinski, Le Djebel Nefousa, Paris, E. Leroux, 1898-99, in-8, p. 98-99.